Toute cette période a été un terrible cauchemar. La forme canine recroquevillée dans un nuage d'encre peuplé de monstres, l'être humain trop fragile pour endurer ce tourbillon, disparu au loin, un nuage, un souvenir.

Mais un cauchemar n'est pas un si mauvais moment lorsqu'on retrouve un visage aimant à son chevet, ou même dans son délire. Au contraire, c'est tellement mieux qu'une nuit de repos dont on s'éveille seul, dans une salle froide ou même un paysage désert, humide de rosée glacée. Et depuis sa rencontre avec le loup couleur de corbeau, et cette cabane au bord du lac, il n'a plus été seul. Comme s'il avait ramassé un caillou lisse au bord de l'eau grise ce jour-là, et l'avait serré contre son coeur, et l'avait gardé là depuis. Tout sauf un poids. Un point d'ancrage, solide et immuable.

Crow fait partie de lui à jamais. C'est une force qu'il ignorait posséder, une dose de réalité qui le complète. Il était grand temps. Il serait mort sans cela. Son âme, peut-être, serait morte avant même que son corps succombe à la malédiction. Il souriait, il marchait, il se jetait dans les difficultés, il prenait le parti de l'un ou de l'autre à la manière douce et engageante qui était généralement la sienne, mais il était en proie à un rapide déclin. Il était soulagé d'une chose : il n'aurait jamais à savoir si ses maîtres l'auraient sommairement abattu. Au fond, il connaissait la réponse et ces gens le terrifiaient sans qu'il ait besoin d'avoir les faits sous les yeux.

Depuis qu'il est revenu à la vie, il n'y a plus qu'une chose qui compte : ceux sur qui il a envie de veiller. C'est à peine s'il supporte de se partager entre eux. Crow lui manque, chaque matin, chaque soir. C'est étrange de s'étendre sur sa couche sans pouvoir se blottir contre lui, et promener la main dans ses cheveux. Mais ce n'est pas un manque douloureux, plutôt l'anticipation d'un merveilleux moment. Le jour où ils se reverront. Il a besoin de repos, il le sait, et il sent bien que son ami est en proie à ses propres vagabondages de son côté, ses propres missions qu'il ne peut pas comprendre. Mais son coeur ne connaît plus que la confiance, il est tellement plaisant de s'y laisser griser.

Et maintenant, alors que Cresus retrouve le contrôle de ses mains, le confort des vêtements humains, il y a un regard posé sur lui, patient à son égard, comme il ne l'est envers personne. Un regard acéré aux lueurs d'or, sous une chevelure flamboyante. Un garçon de feu qu'il a vu déployer ses ailes et dont il est incroyablement fier. Le sourire lui monte aux lèvres chaque fois qu'il lui rend son regard, timide parfois quand il est trop impressionné, mais la plupart du temps, brillant d'une tendre camaraderie : ce n'est pas le jeune seigneur du domaine que Cresus a en fac de lui. C'est quelqu'un de son peuple, un vagabond qui a grandi au long des routes. Et ils se comprennent, dans les contacts, dans les silences.

Cela dit, son phénix est aussi le jeune seigneur du domaine et avec cet aspect-là, Cray n'est pas tellement à son aise. Il n'a jamais été un fan de la magie noire, il la connaît trop bien pour l'apprécier mais naturellement, ses amis font ce qu'ils veulent et il les soutient. Il a cependant d'autres amis dans la région et s'éclipse auprès d'eux quand il se sent gêné par les forces en mouvement sous la demeure. Kyril est bien libre de s'y brûler les ailes, c'est son pouvoir après tout, n'est-ce pas ? Et c'est ce qui fait sa beauté...

Sorcier je suis mais j'ai toujours eu le sentiment d'être pragmatique ? La vie, depuis ma naissance me l'a imposé... Ma meilleure défense était de sembler vulnérable et incapable de faire le mal, et si l'on me surprenait -pris de frayeur- à « attaquer » par magie et parfois tuer, je semblais aussi dépassé que mes victimes ! Que se passait-il ? Quelle était cette horreur ?

Cela, c'était avant.

Depuis, surtout ces dernières semaines, j'ai peur que toutes mes certitudes aient volé en éclat... Et je me fais la réflexion ce matin que... mes surprises ne sont probablement pas terminées.

Avant ?

Avant qu'Aimée se mêle de ma vie. En fait, avant même qu'appelé par je ne sais quelle voix intérieure je ne traverse les frontières pour me retrouver … « chez moi » ? Comment aurais-je un chez moi ? Moi ? Je suis un vagabond des routes autant que de la pensée, une créature qui n'a sa place ni dans la réalité ni dans le monde surnaturel ? Louis-Marie m'a donc reçu de la mambo qui m'avait accueilli, puis Aimée s'en est mêlée, pour me sauver Cresus a été maudit et le chaman a tissé entre nous ce lien étrange et dérangeant ? Ensuite, Mary est venue compléter, je suis perdu entre plusieurs « nulle part »...

Pourtant, lorsque Jakob a dévoilé n'être qu'un vil espion placé là pour voler le secret de l'aïeule, je me suis senti « Laveau » ? et lors de mes errances pour aider la Panthère j'ai découvert que les autres me voyaient bien comme l'un des sorciers de Swamp Domain... Pas un quelconque larbin mais bien l'héritier ! Je repense à ce « Tonton Willy » qui nous a vu nous transformer mon amie finlandaise et moi, aurais-je dû le supprimer ? Je n'y ai pas pensé. Cet homme, je n'éprouvais à son égard aucune animosité ? Pourquoi le tuer ? Je doute fort qu'il aille vendre son information à Louis-Marie et Tarock n'est plus là pour fouiner. Plus que Willy, c'était lui le danger. Lui, que j'ai effectivement voulu rayer de la carte, et je l'ai fait, malgré mon père, malgré Aimée qui perdrait son réceptacle ?

Le seul point positif c'est que ma colère et mon impuissance en éliminant Tarock m'ont rendu Cresus ! Enfin ! J'espérais qu'Aimée s'en irait également ? Mais il semblerait qu'elle n'ait pas souhaité être brûlée vive ce qui peut se comprendre pour une sorcière. J'ignore dans quel corps elle s'est réfugiée, pas dans le mien ! Et pas dans celui de Louis-Marie à son grand désespoir.

Cette période folle m'a rendu donc Cresus. Un Cresus changé, comme si l'exil ou la mort de son maître l'avait libéré de l'esclavage ? Je ne sais pas s'il m'aime toujours « comme ça », moi, je ne sais pas reconnaître l'amour... Je peine déjà à détecter l'amitié... Je ne l'ai jamais ressenti, ni en moi, ni chez les autres ? Sauf en lui ? Mais me suis-je trompé ? Allons ! Il est bien temps de philosopher ! Il est là, et puis ailleurs, c'est ça la liberté ? Pouvoir aller où l'on veut, quand on veut ? Moi... je vole la mienne, j'ai pris sur moi de refuser certaines obéissances, mon père a lâché la bride comme convaincu que j'étais désormais capable de voler de mes propres ailes...

S'il savait !

Mes ailes, je les déploie à chaque coucher de soleil, traînée de feu noyée dans l'embrasement du crépuscule... Parfois, moins souvent, à l'aurore...

On a tant à se raconter ! Comment est-il revenu ? Où était-il ? Le Loup était-il toujours en symbiose avec lui ? Sait-il que Ben Jensen le cherche pour son maître et vampire ? Où est Dara d'ailleurs ? Que cherchait-il auprès de la vieille Marge qui ait causé la mort de cette pauvre femme ?

Après tout, le sommeil du vampire et le décès de la mambo n'ont peut-être rien en commun ? Mais tout le monde cherche Val, que ce soit pour le bouter hors de sa vie comme Mary, ou pour l'inclure dans la sienne de je ne sais quelle manière comme Ben pour Dara ! Parfois, j'ai même l'impression que Cresus lui aussi le voudrait ?

Je regarde l'eau... Elle est sombre et stagnante. Il y a sans doute quelque part sous les plantes aquatiques quelques sauriens... pourtant, elle me renvoie ma rousseur...

Je me retourne ? Derrière moi il y avait une ombre ?


Une voix sortie de nulle part énonce de façon mécanique : trop de temps à être quelque chose que je ne suis pas... À la poursuite d'un mensonge passé... un autre visage dans la foule, Il est temps de commencer à vivre, ne pensez-vous pas ?

Dans la pénombre de l'aube, se tient devant moi un être... Homme ? Femme ? Il paraît avoir du mal à se matérialiser ?

- Vous m'avez appelé ? Le savez-vous ?

La musique:

Louis-Marie est là-bas dans la maison. Cresus ressent sa présence électrique à distance. Il est effrayant, cet homme, violent et agité, il se torture et ça se ressent par vagues, surtout pour un métamorphe animal particulièrement empathique... il devrait réduire sa consommation d'alcool et voir si la pression dans son crâne diminue. Il serait plus heureux et tout son entourage aussi. Mais Cresus n'oserait jamais lui parler ainsi. C'est un ami de monsieur Tarock, le maître disparu, et pour cette raison, il lui voue une forme d'intérêt désolé... Ce n'est pas un ami tout court, clairement. Il vaut mieux s'en méfier pour ne pas récolter un coup de pied ou une insulte.

Si c'était un ami, Cresus lui donnerait la lettre qu'il lui a écrite.* Mais il ne sait pas du tout à quoi s'en tenir à son sujet, et sa proximité avec Kyril semble tout sauf acceptée de bon coeur. A vrai dire, Cresus ne sait pas précisément où il habite en ce moment... Ce n'est pas grave, pas du tout. Il n'a jamais eu un sens très fort d'appartenance à un lieu, mis à part les chenils où il a grandi et pour lesquels il n'avait qu'un attachement malsain, heureusement disparu. C'est amusant, il commence seulement à ressentir quelque chose envers son pays de naissance, alors que Kyril a l'air de développer peu à peu des sentiments semblables. Avec hésitation. Presque avec crainte. Ils n'osent pas franchement toucher à cette partie de leur coeur, dont on leur avait toujours fermé l'accès.

La lettre reste dans son enveloppe, dans le revers de sa veste, prête à être donnée, mais pas tout à fait prête, vous voyez ? Et peut-être qu'il la brûlera un de ces jours, ou plutôt la confiera à l'étang. Les briquets le rendent légèrement nerveux pour le moment.

C'est une belle propriété qu'ils ont, il faut l'avouer. Une sorte de rêve au bord du monde. Les ombres y sont plus profondes qu'ailleurs et semblent y abriter des portes. Cresus n'ose pas s'y aventurer trop loin, on ne sait jamais. Mais les plages de lumière qui échappent entre les feuillages et pleuvent sur le sol luxuriant, c'est une pluie de larmes et ce sont des larmes de fées. Il aimerait pouvoir les recueillir dans ses mains. Mais il n'a aucune idée de ce qu'il en ferait. Ses instincts sont troublés ici.

Soudain, il se passe quelque chose à l'autre bout du jardin. Il se faufile entre les arbres et esquive les avancées du marais qui a bien étendu ses tentacules, au cours des pluies chaudes de l'été.

Qui est cet inconnu qui approche de Kyril ? De loin, Cresus ne le perçoit pas clairement. C'est une silhouette floue et même son odeur n'est pas claire. Il double le pas, les sourcils froncés, inquiet. Il y a un instant, il n'y avait personne, que Kyril et sa promenade, et ses rêveries. Est-ce une autre apparition spectrale ? Est-ce un danger ? Il s'apaise en arrivant à l'orée des arbres, et adresse un sourire prudent à la silhouette qui émerge, peu à peu éclairée par les reflets sur l'eau. Comme un reflet échappé d'un miroir. Non, ce n'est pas un danger. C'est une âme errante, mais elle ne sort pas d'un caveau ténébreux pour hanter les mortels. Et si vraiment c'est Kyril qui l'a appelée, alors tout va bien. Sans doute une autre forme de sa magie.

"Bonjour. Bienvenue."

Par réflexe, il vient se placer aux côtés de Kyril et le frôle d'un contact qu'il espère rassurant. Il ne dirait pas non à une petite explication ; mais ça se saurait si les sorciers expliquaient toujours ce qu'ils font... d'ailleurs, parfois ils ne savent pas eux-mêmes, sur le moment.


*
"Cher Monsieur Laveau,
Je n'irais faire la leçon à personne, croyez-moi. J'aimerais surtout chercher la lumière dans l'ombre, n'est-ce pas ce que font les nécromanciens ?
Monsieur Tarock s'est consumé sous nos yeux sans une once de ce que vous avez aujourd'hui. Vous êtes chez vous, dans votre pays, sur vos terres, entouré de votre famille et du respect de vos gens. Vous avez accompli l'oeuvre de votre vie, et c'était une oeuvre si ambitieuse que vous auriez pu passer pour fou, même aux yeux des autres sorciers. Vous avez prouvé que votre stratégie avait un sens et que votre solitude n'était pas faite d'acharnement aveugle, mais de courage et de sagesse. Et votre fils suit vos traces avec un talent que vos ancêtres eux-mêmes ont admiré.
Vous ne savez pas ce que mon pauvre Monsieur Tarock aurait donné pour avoir une once de ce trésor. Vous pouvez vous permettre d'en profiter paisiblement, voilà ce que j'aimerais vous communiquer. C'est tout ce qui manque à votre vie pour que vous puissiez l'appeler une belle vie.
Je le souhaite pour vous, et je le souhaite pour Kyril. Et je le souhaite pour moi, pour ma propre famille, qui n'a pas servi les sorciers génération après génération pour les voir se consumer les uns après les autres.
Vous avez encore un devoir envers votre fils : lui montrer l'exemple. Toutes les qualités que vous pourriez lui transmettre, il les a, mais montrez-lui l'exemple d'un homme heureux de ce qu'il possède, et vous aurez fait votre plus belle oeuvre.
Cresus"

New World

J'essaie de trouver une indication de l'époque en regardant comment je suis vêtu mais dans l'état où se trouve l'Alpha-C j'ai peur que ça ne donne guère d'indices... D'autant que si nous avons vraiment vécu une translation, tout est chamboulé, il n'y a plus de frontières entre les dimensions, ni les époques. L'endroit ? Ça ressemble au bayou de Louisiane ? J'y suis venu parfois à la demande de Tarock -Jakob- qui y avait un ami, un médecin que je n'aimais guère car il sentait la sorcellerie à plein nez, et de celle que nous réprouvons... Cela dit, Tarock... Je porte une veste très près du corps de couleur sombre, brodée de fils d'argent, une sorte de pourpoing sorti plutôt que d'une époque précise disons... d'une approche historique du... seizième siècle ? Non, plutôt dix-septième ! Et puis, une silhouette appelle mon attention ! Zorkin !

- Vous m'avez appelé ? Le savez-vous ?

Zorkin ! C'est étrange, ce garçon quelle que soit l'époque ne vieillit jamais ? Et je ne suis même pas sûr qu'il vive le même type de transition que les autres, les... humains. Parmi nos requérants ses semblables sont rares, nous avons affaire en général à des personnalités simples même si dans la sociétés des humains ils passent pour des êtres mystérieux, doués de pouvoirs surnaturels, ténébreux ou au contraire lumineux à l'extrême... Zorkin, Kyril si je me souviens, est un change-peau des plus étranges, en plus de cette capacité on ne peut plus magique de changer d'apparence et d'espèce, il a même hérité d'un animal … lui-même légendaire ?

Si le contrôleur Alpha était en état, je lui demanderais en usant d'un formulaire ER23U1X-ter de faire des recherches sur les circonstances qui ont fait de Kyril Zorkin un de nos clients ? Mais ma tablette bien qu'intacte reste déconnectée, l'unité de coordination est semble-t-il hors d'usage, je ne parviens même pas à contacter d'autres membres de notre Ordre ! Communiquer entre nous alors que nous sommes en mission est -en théorie- totalement interdit, cela risquerait de créer un nœud inter-temporel, mais nous le faisons tous, en prenant les précautions voulues, nous avons besoin -comme tout un chacun- d'avoir des contacts avec nos semblables ! Je souhaiterais savoir si je suis seul à avoir des problèmes ? Suis l'unique Retoucheur à avoir translaté ? Cela pourrait expliquer les « disparitions » irrésolues de certains de nos éléments ? Ou bien le système entier est-il endommagé ? Je préférerais mille fois être perdu dans le temps qu'apprendre que la magie a envahi l'espace et incontrôlable qu'elle génère des mondes aléatoires et changeants.

Kyril Zorkin, comme à son habitude a rempli le bon formulaire, un EHR012-L1c2a, a ? Il veut altérer l'avenir ? Quelle étrangeté, ce sont les plus rares. Toutefois son air stupéfait me heurte ? Il semble me découvrir et n'avoir aucun souvenir de sa requête ? Pire, un individu que je n'ai jamais vu se mêle de la conversation ! Lors de nos rencontres avec nos requérants, il est fort rare qu'ils ne soient pas seuls. A-t-il suffisamment confiance en cet homme pour le mettre dans la confidence ?

  - Bonjour. Bienvenue.

Bienvenue ? Cela dit, mieux vaut cela qu'être accueilli avec un fusil, encore que fusil ou autres armes, cela peu à la limite n'obliger à surseoir pour passer me faire restaurer dans notre service des incidents temporels mineurs.

- Kyril Zorkin ? Vous vous souvenez m'avoir appelé ? Dites-moi ?

Je suis soudainement inquiet. Après l'aventure que je viens de vivre et la cacophonie de magie doublée d'incrédulité qui a bien interféré sur l'époque, j'espérais un retour à la normale ? C'était j'en conviens un souhait... naïf. Quand on affecte à ce point le système il est bien rare qu'il se réinitialise seul. Mais j'en avais quand même l'espoir.

Je regarde le type qui m'a adressé la parole. Il me semble l'avoir déjà croisé ? Les personnages secondaires me restent rarement en mémoire, j'en suis désolé pour eux mais seuls les requérants et les cibles sont notées dans mes carnets. Je ne l'ai pas dans ma base de potentiels demandeurs... Une cible ? Sans le contrôleur Alpha je n'ai pas accès à ma mémoire régressive, depuis le temps que j'exerce je peux difficilement tout garder en tête ? Certains événements me marquent plus que d'autres, il est déjà extraordinaire que sa tête me disent quelque chose.

« Nous nous connaissons ? Je suis Saül Wanderee, retoucheur de temps de classe exceptionnelle. Et vous ? Je ne vous remets pas vous m'en voyez navré. »

Je regarde autour de moi, avance un peu dans un cafouillis de plantes qui aboutit à un jardin un peu plus entretenu... Cette maison !

« Aimée Laveau ! »

Je reste figé, la main sur la bouche, les yeux exprimant une surprise intense. Aimée Laveau ! Une des requérantes « disparues » sans être revenue. Je suis chez elle.

Dara a émis le souhait d'être tenu au courant de la suite des événements... Un souhait, pas un ordre, il sait comme moi que je ne répondrais jamais de façon positive à un ordre, même de lui, il n'a pas plus que quiconque le droit de me diriger... La pagaille vécue ici légitime sa demande et je suis bien plus à même de passer inaperçu -du moins des vieux sorciers- que lui. C'est que... pour la Sorcellerie dans son ensemble les métamorphes sont des entités mineures auxquelles on n'accorde aucun intérêt, non des magiciens mais... des anomalies de la nature ! Vous n'allez pas suivre toute votre vie un papillon bleu au lieu de vert, aussi étrange soit-il parmi ses semblables tous uniformes en couleur? Ils nous voient ainsi, des humains ratés, ou des animaux dénaturés, mais en tout cas nullement des égaux ou des concurrents. Au souvenir de cette nuit mémorable où l'un des nôtres leur a ravi le fruit de leurs entrailles j'ai à nouveau les yeux qui brillent ! Le Loup a vengé toute notre communauté !

J'ai pris mes ailes lorsque dans un sursaut Cresus a été soustrait à ma garde. Garde... C'est un mot, on parle bien de garde-malade ? J'ai simplement pris sur moi de rester tandis que Kyril Zorkin repartait, appelé à nouveau par la noirceur de Swamp Domain pour une raison qu'il ne m'a pas donnée et que je n'ai pas demandée. Si je suis resté, malgré le ressentiment que je peux avoir envers le roux, c'est qu'ils sont métamorphes, tous, tout les trois car loin là-bas le Loup aussi est resté au chevet du Chien. Pourquoi moi ? Pourquoi pas « nous » Dara et moi ? Simplement parce qu'un sorcier peut retrouver Dara, son aura leur est connue, il mettait donc Cresus en danger par sa présence. Moi je l'ai dit, je suis un sous-être, comme lui. Ce qui s'est passé ? Je serais bien incapable de le décrire, Cray et moi avons senti un bouleversement innommable, quelque chose d'à la fois terriblement puissant et indéchiffrable dans l'air, puis, tandis que je laissais errer mon regard dans la pièce pour en trouver l'origine, j'ai constaté qu'il n'y était plus !

J'ai parlé de l'aura de Dara aisément perceptible et reconnaissable par un sorcier, celle d'un change-peau, faite d'odeur, de présence, d'animalité, l'est par n'importe quel autre métamorphe. J'ai donc cherché Cresus, je l'ai suivi, à distance et je suis arrivé à … Swamp Domain.

J'en suis là, j'ai vu, caché derrière un arbre plusieurs fois centenaire, les retrouvailles de Kyril et Cresus ? J'ai eu le sentiment au regard effaré de Louis-Marie Laveau d'un bouleversement majeur et inconnu, et puis tout à coup, ce type...

  - Bonjour. Bienvenue.

- Kyril Zorkin ? Vous vous souvenez m'avoir appelé ? Dites-moi ?

Mais bon sang ! Qu'est-ce que c'est encore que celui-là ! Je connais les sorciers, les chamanes dont j'ai failli faire partie, les change-peau plus « classiques » comme Cresus et cette fille que Kyril a sortie d'un chapeau ? Zorkin déjà lui …  est une aberration, mais je ne vais pas lui reprocher sa forme animale, je sais comme tous qu'on ne choisit pas, on a juste plus de chance d'être un oiseau si l'on est issu d'oiseaux que si la mère est chatte et le père hibou. Est-ce qu'une « oiseau » alliée à un sorcier peut donner ce type d'animal féerique ? Je l'ignore...

Mais ce brun là, apparu comme jailli d'une autre dimension ? Qui est-il ? Que fait-il là ? « Vous souvenez vous de m'avoir appelé » demande-t-il ? À voir la tête du fils Laveau c'est bien la dernière chose dont il semble se souvenir.

Dans l'air, une vague de froid glacial me fait frissonner. La vieille est là, quelque part ! Le nouveau venu la sent aussi ?

« Aimée Laveau ! »

Instinctivement je recule, à les voir humer l'air je pense que Kyril comme Cresus m'ont détecté sans peut-être me situer ? Ont-ils aussi senti le fantôme ? Et comment l'inconnu la connaît-il ?

-Quoi que tu cherches Change-peau, il ne te le donnera pas... Il ne peut pas...

Elle en avait donné un coup de croc supplémentaire sur sa proie, inutile, pathétique. Avait terminé sa besogne de prédateur sans plus se soucier du vautour. L'immensité de la Terre était vaste mais voilà que ce métamorphe en plumes venait les emmerder ici précisément, maintenant !

Rassasiée de sang et de rage, la panthère avait grogné avant de reprendre sa forme humaine et de les envoyer méchamment balader. Comme si ! Mais qu'ils aillent se faire foutre ! TOUS ! Et puis elle était partie d'un coup, repue de ras le bol et de misère. L'âme sœur la poursuivrait sans relâche...Crash de l'âme, crache ! Saigne toi de ce rance assourdissant qui ne te lâchera jamais !

Et de galoper loin! Sauf que.

- Elle sent le loup... Dara veut le rencontrer.

Dara veut le rencontrer...Veut le rencontrer....Ça s'était mis à sonner à chaque foulée. Dara, un vampire avait dit Kyril ? Un vampire. Au milieu des mangroves, elle s'était arrêtée. Et si... ? Peut-être que... ? Pourquoi pas ? Qu'avait-elle à perdre ?!

Elle imagina sa délivrance. Valrvan demeurerait immobile, calme comme à l'accoutumée, comme il savait si bien l'être, comme à leur première rencontre dans la neige. Apaisé et sage. Elle fut certaine qu'il sourirait. La mort n'avait guère d'importance pour lui, son Tout se diluerait quelque part et ce serait une bonne chose. L'autre, le caïnite, s'approcherait de lui à pas de loup, pour s'amuser, humant l'artère délicieuse. Il prendrait son temps, lui rendrait son sourire sans doute avant de plonger ses crocs dans la peau tendre. Quoique...la scène ressemblait trop à une mauvaise série B pour être réaliste ! Et alors ? Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Elle était prête à tout pour se délier ! A TOUT ! Un espoir de merde de plus ? L'envie vicieuse de croire à la possibilité d'un meurtre ? Ce n'était qu'un moyen, rien d'autre ! La fin justifiait TOUT ! TOUT !

Les cheveux en bataille, puant le sang et la tripaille d'alligator, cette saleté là lui faisait un bien de fou telle une armure contre le sort. Elle fit demi-tour pour les rejoindre, presque impatiente de mettre en place un piège éventuel à l'égard de Valravn. Ne pourrait elle pas servir « d'appât » en rapprochant le loup du vampire... ?

Elle en était là de ses réflexions quand elle surgit en humaine comme un diable de sa boîte, hirsute, des blessures sanguinolentes sans importance, poisseuse de vermeil et de sueur. Mais...Merde ! Il y en avait d'autres ! Encore ! Ça lui apprendra à faire fi des odeurs mêlées dont elle n'avait que faire ! Tête de mule ! Obstinée ! Téméraire !

Un vieux qui se collait comme une tique contre Kyril, un type vêtu comme un grand-père mal fagoté, Benedikt. Quel bordel !

- Bonjour. Bienvenue.

Elle était arrivée juste à temps pour entendre les jolis mots. Ben tiens, adieu et allez vous faire cuire ! Elle ne répondit pas, croisa les bras. Bien campée sur ses jambes, elle attendit bourrée de méfiance...mais quoi donc ? Le bon moment pour capter l'oiseau d'augure et voir avec lui pour la suite. Elle devait lui parler.

Lui qui ne se bat guère d'habitude, Cresus s'est figé dans cette posture en tension qui peut aussi bien démarrer le combat que la fuite. Ses yeux errent dans le vide autour d'eux, Aimée Laveau, il sait trop bien qui c'est. Son ancien patron le savait encore mieux que lui, mais il a perçu bien assez de bribes et a entendu parler de bien assez de monstruosités commises en son nom, en son honneur, dans l'espoir de l'invoquer. A ses yeux, elle est une de ces divinités carnassières, un Moloch, quelque chose qui s'enracine certes dans cette terre boueuse, mais dont il ne faut pas s'approcher. Il faut vivre à sa surface sans la réveiller. Une morte-volcan.

Eh bien, s'il faut se battre, désormais il sait le faire. Quand cela consiste à défendre, à sauver, il en est aussi capable que de creuser la neige de ses ongles ou de soulever des pierres effondrées. Un frisson fait retomber quelques cheveux errants devant son visage. Il y a longtemps qu'il a négligé d'y prêter le moindre soin et cela commence à se voir. S'il continue, c'est lui qui aura l'air d'un chaman millénaire... Cette pensée le fait sourire légèrement. Allons, du calme, Aimée n'a pas fait exploser la demeure lors de ses dernières frasques après tout.

"Kyril, c'est toi qui lui a demandé de venir ? Par téléphone ou par magie ?" Façon de dire, il y a bien sûr d'autres options, mais les pigeons voyageurs se font rares dernièrement. D'autres oiseaux en revanche...

L'un d'eux a gardé son corps en sûreté tandis que son âme tourmentée reposait dans le souvenir bienveillant d'autres ailes, plus ténébreuses et plus lumineuses à la fois. Ce n'était pas qu'un souvenir qui berçait sa fièvre, son corbeau était présent comme au jour de la bataille. Il l'a toujours été et il le sera toujours désormais. Et son garde-malade louisianais était sans doute le mieux placé au monde pour le comprendre. Lui aussi partage un tel pacte, au-delà de l'attraction physique... dont ils n'ont pas parlé. Ici, Cresus est étrangement timide pour aborder ces questions. On dirait que ça met les gens mal à l'aise. Ce doit être la société locale, si différente de la Scandinavie. La vie luxuriante des tropiques et du golfe aux eaux turquoises leur facilite un peu trop la vie, alors ils s'écharpent pour des raisons absurdes, ce doit être ça. Cray n'a jamais rien compris à la politique et ce n'est pas aujourd'hui, dans un pays lointain, qu'il va s'y mettre.

Non, lui, c'est un être d'instinct et de réactivité. Et il ressent ici deux choses : une confusion totale d'un côté et un état de post-bagarre de l'autre. Il laissa parler les maîtres, selon une habitude bien rodée, et tourna son attention en direction de l'aura féminine en sale état qui venait également de faire irruption dans les environs. Elle devait être avec l'autre. Il n'avait pas assez d'imagination pour se figurer une autre raison à leur arrivée soudaine, ici, dans cet endroit perdu. Il allait s'assurer qu'elle allait bien, qu'elle n'attaquait personne, qu'elle n'était pas liée à l'a redoutable sorcière qui hantait ces vieux murs ; ensuite, il rassurerait Benedikt.

"Je me nomme Cresus Selman, enchanté," lança-t-il d'une voix douce, sans se présenter davantage, d'ailleurs il n'aurait pas su quoi ajouter. Il se considérait comme une sorte de gardien auprès de Kyril, mais rien n'était officiel et rien ne le deviendrait sans doute, et "compagnon" n'était pas un métier, ou une adresse fixe, ou une nationalité. Il avait perdu une grande partie de son identité en même temps que son servage, même s'il n'aurait jamais exprimé, ni ressenti, le moindre regret à cet égard. Il respirait mieux, mais il avait par moments du mal à communiquer. C'était tellement plus simple d'être juste un chien.

- Vous m'avez appelé ? Le savez-vous ? Vous rappelez-vous m'avoir appelé Kyril Zorkin ?

Il connaît mon nom ? Il me parle comme s'il me connaissait, moi, et pas seulement le nom que je portais à ma naissance ? Et il connaît Swamp Domain puisqu'il nomme aussi Aimée ? Je l'ai appelé ? Quand ? Comment ? Qui est-il ? Il s'adresse à Cresus prêt à me défendre contre toute attaque, je vois Mary elle aussi sur ses gardes, Jensen qui lui jette un regard méfiant et hostile, ce qui en soi est naturel chez lui après tout ? Tout là-bas, mon père depuis la disparition de Tarock ne cesse de fixer la pelouse devant la pièce d'eau, sur laquelle subsiste une trace circulaire faite de cendres et de je ne sais quoi d'autre.

« Je suis Saül Wanderee, retoucheur de temps de classe exceptionnelle. Et vous ? Je ne vous remets pas vous m'en voyez navré. »

Pourquoi connaîtrait-il aussi Cresus ? Il semble s'excuser de l'avoir oublié ? Je ne sais que penser... Mais il a raison sur un point, le point essentiel en fait car le seul danger qu'il y a ici n'est pas mon père et sa science de la mort, ni même Jakob le traître qui semble durablement évincé... Ai-je vraiment réussi à tuer un sorcier de sa trempe ou bien va-t-il réapparaître, furieux, assoiffé de vengeance et de revanche ? Le temps nous l'apprendra ? Comme il décide de tout en fait...

Aimée rode en effet, je ne la vois pas, il lui arrive d'apparaître même sans enveloppe définie, elle est alors elle-même -plus ou moins translucide mais bien visible- elle choisit généralement une apparence jeune, presque adolescente, une magnifique rousse au regard candide et au teint pâle... Là, je la sais approchant chacun d'entre nous, elle ne peut plus entrer en moi, le Loup et Cresus s'y sont opposés. Si je ne peux le jurer je l'imagine très bien retrousser son joli petit nez, Cresus, un chien ! Mary, un félin ! Moi inaccessible... Benedikt, un vautour ! Comme la plupart des sorciers elle méprise les métamorphes, habiter l'un d'eux lui semble probablement impossible, ce serait revêtir une peau de bête ! Alors elle tourne autour du nouveau venu et je sens sa stupeur ?

Qui est Saül Wanderee « retoucheur de temps » ? Ben me sort de ma torpeur extatique... J'essayais comme mon aïeule de déterminer à qui nous avons affaire...

- Elle sent le loup, Dara veut la rencontrer.

Tout ce mélange, ce Saül dont ni le nom ni l'apparence ne me parlent, Benedikt venu m'arracher Mary pour son sombre partenaire ? Cresus amical avec l'inconnu qui a dit être appelé par moi mais le poil -les cheveux- hérissé par la présence d'Aimée ?

J'en reviens à Aimée qui me paraît être le danger le plus imminent.

- Méfiez-vous Saül Wanderee, Aimée cherche un hôte !

Comme s'il avait le pouvoir de lui échapper ? Pourquoi ai-je dit cela ? Un vent glacial nous transperce au beau milieu de la Louisiane au climat clément ! Elle enrage de ma trahison.

- Je vous remercie de votre sollicitude Zorkin mais vous devriez savoir que je ne risque rien ? J'ai là votre formulaire EHR012-L1c2a, si vous saviez comme c'est reposant d'en avoir enfin un rempli correctement ! Enfin, il manque l'essentiel : votre souhait ? Que voulez-vous changer dans votre avenir ?

Incrédule je cherche du regard Cresus tout proche tandis que Mary et Aimée se concentrent elles sur Ben ? Que mon amie tente de savoir ce que lui veut ce Dara dont je lui ai parlé, que Tonton Willy a nommé chez cette pauvre Marge, et que Ben vient d'annoncer comme souhaitant lui parler je comprends, mais Aimée ? Le calice a toujours été pour moi un homme dénué d'importance, une sorte d'ordonnance pour l'ancien officier qu'est Dara Oviedo ? Un serviteur, zélé, tatillon, pénible mais fiable ! Aimée semble l'avoir élu lui ? Parmi nous tous ?

Elle hésite, je ne sais pas si je le sens autant parce nous sommes liés par les gènes ou si c'est parce qu'elle m'a en son temps possédé mais je pourrais décrire chacun des mouvements de l'être invisible qu'elle est...

Puis, abandonnant Benedikt, elle revient tourner autour des autres. Nous nous sommes légèrement rapprochés d'une cabane que j'aurais adoré enfant, elle ressemble à celle que je m'étais attribuée, neige en moins et eau en plus... Elle délaisse définitivement le nouveau venu à ce que je crois ? Mais Mary et Cresus doivent percevoir le froid spectral de sa présence.

Sur quelle proie Aimée jette-t-elle son dévolu ?:

"Sur quelle proie Aimée jette-t-elle son dévolu ?"
Ce qui ne signifie pas qu'elle réussira à posséder l'objet de ses désirs... Une créature indéfinissable et des métamorphes ! Quelle déchéance pour une sorcière de son rang...
1/ Mary
2/ Cresus
3/ Benendikt
4/ Personne

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