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LE TEMPS D'UN RP

Il n'y a que les causes perdues qui méritent qu'on les défende [Asma x Jen]

Jen
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Ven 2 Fév - 22:14

Erika
J'ai 25 ans et je vis à Sidh, XVIème arche majeure. Dans la vie, je suis employée dans un atelier de textile et je m'en sors bien. Sinon, grâce à mes décisions stupides, je suis fiancée par arrangement pour la seconde fois et je le vis plutôt très mal.


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Le soudain changement dans l'attitude d'Orion réveilla une minuscule étincelle d'espoir en elle. Peut-être avait-elle eu raison de s'accrocher. Sa grand-mère, Emile, ils avaient peut-être tous eu tort. Elle avait encore une chance de le raisonner. Mais au moindre faux-pas, elle risquait de le voir se retourner contre elle et l'envoyer au diable, elle et tous les malheurs qu'elle lui avait apportés.

Orion sembla perdu dans ses pensées et le temps fut comme suspendu à un fil tandis qu'Erika le dévisageait, trop effrayée pour ne serait-ce que respirer ou cligner des yeux.

Lorsqu'il reprit la parole, il paraissait si désemparé qu'elle en fut désarçonnée.

"- Je ne sais pas... fit-elle, prise de court. Retourne d'où tu viens...?"

Elle réalisa en prononçant ces mots qu'elle ne savait strictement rien du lieu dans lequel le zéphyr avait passé cette dernière année, et qu’elle en savait encore moins sur la manière dont il l’avait passée. Caché, c'était tout ce qu'elle savait. Et c'était tout ce qui devait importer. Quoiqu'il en soit, Orion aimait le calme, la solitude, et la navigation. Il s'en sortirait très bien, elle n'avait aucun doute là-dessus. Où qu'il allât, où qu'il retournât, il serait en sécurité tant qu'il resterait loin de cette lunaire coalition arcadienne et sélénite.

"- Et ma grand-mère ? répéta t-elle, déconcertée.

La croyait-il vivante ? De fait, il ne savait pas pour le pouvoir de nécromancie. Pire, il ne savait pas qu'apparemment, lui aussi en avait hérité, d'une quelconque façon. Ne pas l'effrayer. Elle ne devait surtout pas l'effrayer. Ce n'était certainement pas le bon moment pour lui parler de morts "vivants".

- Elle s'en sortira, répondit-elle prudemment.

Etape par étape. Erika avait l'impression d'essayer d'approcher un animal sauvage et blessé. Elle n'osait toujours pas remuer un cil, et ne voulait pas dire un mot de plus que nécessaire. Encore un peu, et peut-être Orion accepterait-il de partir sans faire d'histoires. Etape par étape, donc.

- Quant à moi...

Sa bouche se dessécha d'un seul coup. Erika réalisa soudain qu'elle ne pourrait pas quitter l'Arche. C'était bien beau d'avoir sauté par la fenêtre du commissariat pour fausser compagnie au sélénite, mais désormais, il était certain qu'elle était recherchée. Impossible de quitter Babel par la voie des airs car si elle se rendait à l'aérostation, elle risquait d'être arrêtée sur-le-champ pour être envoyée dans cet observatoire qu'elle ne tenait pas particulièrement à visiter. Mais quelle vie l'attendait en tant que hors-la-loi sur Babel ? Emile en avait déjà trop fait en l'aidant à s'échapper, il ne pourrait pas en plus héberger une fugitive chez lui, pas en étant gardien de la paix de surcroît. Zeyd ? C'était une option envisageable. En fait, c'était peut-être même sa seule option dans l'immédiat. Allait-elle donc passer le reste de son existence à se saouler dans un bar clandestin, à dormir dans un cagibi, et à vendre des soupes dans un marché aux côtés d'une bande de délinquants ? Ou alors, pourrait-elle quitter Babel par la Rose des Vents ? Encore fallait-il réussir à y accéder. Mais pour aller où ? Sidh ? Le voulait-elle vraiment, après tout ce cauchemar ? Ailleurs ? Mais où ?

Erika secoua la tête.

Rationalité, efficacité. Jusque-là, ça avait plutôt bien fonctionné.

- Je m'en sortirai aussi", assura t-elle en feignant un aplomb parfait.

Soudain, elle perçut du coin de l'oeil un mouvement dans la foule. S'il s'agissait de l'homme qui avait perdu patience, ou du sélénite qui aurait retrouvé sa trace... Elle n'avait plus le temps. Pour autant, elle n'osa pas lâcher Orion des yeux, pour ne pas l'alarmer. Elle était si proche du but.

"- Promets-le moi, insista t-elle. Promets-moi qu'ils ne pourront jamais te retrouver."
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Sam 3 Fév - 12:25

Orion
J'ai 28 ans et je suis originaire de l'arche de Zéphyr. Dans la vie, j'étais pilote d'aérostat. Maintenant, je vis au jour le jour et je m'en sors sans y réfléchir. Sinon, j'ai été célibataire, j'ai été marié, j'ai divorcé et après tout cela, elle m'a brisé le cœur.
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Retourner d’où il venait. Elle ne s’imaginait pas à quel point ses mots pouvaient le piquer à vif. Retourner à sa vie d’avant, sur Zéphyr ? Grâce à elle, il y avait fort longtemps qu’il avait renié cette existence. Retourner plus modestement là où il avait passé la dernière année de sa vie ? Il ne pouvait pas lui en vouloir de tout ignorer de ce qu’il n’en restait désormais plus rien. Il n’avait plus rien. Il avait tout perdu. Orion souffla des narines.

Il fit non de la tête. Il n’avait aucun moyen de faire une telle promesse. C’était bien vrai. Même son abri de l’année passée, qu’il pensait à toute épreuve, en avait fait les frais. Il ne comptait pas passer une existence entière de fugitif ni se mettre à craindre son ombre à chaque détour.

- Je ne comprends pas l’insistance que tu mets à vouloir défendre ce pouvoir maintenant, lâcha-t-il alors. Tu n’avais pas particulièrement l’air de t’en soucier jusqu’à il y a peu.

Il s’interrompit brièvement. Il n’était pas question de céder à l’amertume. Il s’efforça de reprendre d’un ton plus posé et dépourvu de sarcasme.

- Peut-être que si on leur donne ce qu’ils veulent, ils nous laisseront tranquille, tenta-t-il.

C’était logique. Rationnel. Alors pourquoi avait-il lui-même du mal à croire à ce qu’il avançait ? Parce qu’il avait du mal à imaginer qu’on le laisse en vie après avoir opéré un tel transfert.

- J’ai tenté de disparaître, Erika. Crois-tu vraiment que je ne sois là que de ma propre volition ? Il n’y a pas d’échappatoire, soupira-t-il. Sauf…

L’alternative le terrifiait. Si on en avait après son pouvoir et qu’il ne souhaitait pas accepter de le transférer, et que se cacher n’était pas possible, la seule autre solution consisterait à s’en débarrasser. Se débarrasser d’une partie de lui-même. Comme on se séparerait d’un bras ou d’une jambe. A corps défendant. Dans la douleur. Pourtant, quand la gangrène rongeait les chairs, on sacrifiait une partie de soi-même pour sauver le reste. Son pouvoir était-il devenu sa gangrène ? Et quand bien même il serait prêt à l’envisager pour lui, il n’était pas le seul à être concerné. Il était vain d’envisager un tel sacrifice de sa part si c’était pour qu’Erika soit encore en position de distribuer le même pouvoir au premier venu. Mais pouvait-il vraiment lui proposer une telle chose ? Et là, comme ça, il se reprit à s’inquiéter pour elle. Il se flagella mentalement. L’option devait toutefois être évoquée.

- Sauf à se débarrasser une fois pour toutes de ce pourquoi…

En dépit de tous ses efforts, il ne parvint pas à aller au bout de sa phrase. Mutilation. Le terme qu’employait le Pôle pour cette pratique était « la Mutilation ». « Pire que la mort », lui avait-on alors dit. Perdre une part de lui-même. Il ne pouvait s’y résoudre.

Le grand brun se mit à faire les cent pas. Vivre entre les arches. Ou plus exactement errer entre les arches, là où les étendues de ciel étaient telles qu’il pouvait voir la menace arriver et l’éviter. Indéfiniment ? Suffisamment longtemps, il l’espérait.

S’il devait de nouveau se sacrifier pour protéger ce satané pouvoir et ceux que celui-ci était susceptible de menacer, il avait besoin de la certitude qu’il ne le faisait pas en vain. Hors de question de fuir et de vivoter pour que la nécromancienne se pavane avec le pouvoir jusqu’à ce qu’un nouveau « beau parti » se présente à sa porte et qu’elle lui offre tout les yeux fermés. Il n’avait plus confiance en Erika. Plus après tout ce qu’elle lui avait fait. Face à la certitude affichée de la jeune femme, son ton se fit inquisiteur. Il avait besoin de savoir.

- Tu t’en sortiras comment ?
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Lun 5 Fév - 15:20

Erika
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Fausse alerte. Le mouvement qu'elle avait perçu n'était que le fait d'un des innombrables marchands ambulants qui proposaient toutes sortes de produits aux visiteurs émerveillés. Erika chassa le souvenir d'une étoffe et d'un homme en bleu. Elle devenait paranoïaque à force d'aventures invraisemblables. Ses épaules se détendirent légèrement, mais son regard resta vigilant. Orion commençait peut-être à prendre conscience du danger que représentait l'homme qui l'avait accueilli, mais il ne savait sûrement pas qu'une brigade policière pouvait débarquer à tout moment pour l'arrêter elle. Ou mieux, peut-être des savants fous de cet observatoire douteux.

La nécromancienne sentit que son esprit surchauffait dangereusement. Rester calme, rationnelle, et méthodique dans de telles circonstances relevait de l'impossible. Pourtant, elle se força à laisser couler la pique à peine voilée d'Orion. Ne comprenait-il pas que ce n'était pas le pouvoir qu'elle s'évertuait à défendre ? Qu'il ne s'était jamais agit du pouvoir, au fond ?

Mais la suite du discours d'Orion l'alarma entièrement. Erika écarquilla les yeux de stupeur, d'horreur, et d'incompréhension. Parlait-il sérieusement de... Comment pouvait-il penser à une solution pareille ? Lui qui avait toujours été le plus raisonnable et le plus sensé, comment pouvait-il ne serait-ce qu'envisager de s'amputer lui-même de ce pouvoir avec lequel il été né ? Ce pouvoir qui lui causait tous les torts du monde de par sa nature, mais qui faisait partie intégrante de son être. Comme si être né ainsi était un crime pour lequel il devait expier. Mais Orion n'était pas le problème, il n'avait jamais été le problème. C'était tout le monde autour de lui qui était le problème. Pourquoi ne le voyait-il pas ?

Le ton d'Orion changea de nouveau, et Erika se crispa. Qu'avait-elle dit ou fait pour qu'il se montre soudain suspicieux ? Qu'en avait-il à faire de la manière dont elle se sortirait de cette situation dans laquelle il l'avait jeté sans hésiter ? A moins que... Ce n'était pas pour elle qu'il s'inquiétait, mais pour lui. Très bien. Il avait raison de s'inquiéter. Elle devait dissiper ses doutes et l'empêcher de commettre l'irréparable. Il n'était pas encore condamné.

"- Je ne sais pas comment, admit-elle. Mais ça n'a pas d'importance parce que...

Erika s'étrangla sur ses mots. Ca, elle ne l'avait pas anticipé. Quelque chose en elle se révulsait à l'idée de lui avouer la vérité. Quelque chose qui refusait d'affronter le regard condescendant du "je te l'avais bien dit" qui ne manquerait pas de suivre. Quelque chose qui s'évertuait à vouloir protéger une dignité et une fierté depuis longtemps perdue. L'espace d'un instant, elle envisagea de se dérober lâchement. Elle pourrait le rassurer autrement, lui offrir un mensonge rassurant...

Mais elle se reprit bien assez vite. Il méritait de savoir. Pire, il devait savoir, pour son bien à lui. Pour qu'il comprenne de quoi étaient capables ceux à qui ils avaient affaire.

La nécromancienne fit tout son possible pour se barricader derrière une épaisse façade de neutralité. Elle prit son égo, ses peurs, et tout ce qui ressemblait à des sentiments, et les enferma à double-tour, là où ils ne pourraient plus l'atteindre. Mais elle ne put cependant empêcher un frisson de lui remonter le long de la nuque lorsqu'elle reprit la parole.

- ... parce que je ne n'ai plus le pouvoir", lâcha t-elle d'un ton qu'elle voulait le plus factuel possible.

Comprendre, elle ne serait plus une menace pour lui, s'il disparaissait à nouveau. Personne ne lui demanderait plus d'intervenir dans une histoire qui n'était pas la sienne. Il était de retour à la case départ, seul tributaire du fardeau de sa boussole.

On dit que mettre des mots sur ses maux aide à les apaiser. Mais ce fut tout l'inverse pour Erika, qui fut incapable de prononcer la moindre phrase après son aveu. Au lieu de se sentir plus légère, elle se sentit sombrer plus profondément. Elle aurait peut-être dû enfermer ses peurs et tout ce qui allait avec à triple tour.

Elle aurait voulu lui hurler de ne pas les laisser lui faire subir la même chose qu'à elle. Qu'elle ne supporterait pas de savoir qu'il vivrait chaque jour au bord d'un gouffre sans fond, privé de lui-même. S'il vivait tout court. Mais elle en fut incapable. Elle ne put que le supplier intérieurement de se montrer raisonnable une dernière fois, oublier cette idée horrifiante, et rester loin de tous ceux qui en auraient après lui. Et alors peut-être, pourrait-elle enfin faire la paix avec elle-même.
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Dim 18 Fév - 15:44

Orion
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Orion s’arrêta net dans ses déambulations et se planta face à Erika, plongeant dans son regard comme pour essayer d’y détecter la vérité de son propos. Elle n’avait plus… le pouvoir ? Que ? Mutilation ? La question ne quitta jamais ses lèvres mais l’intensité de son regard continuait à sonder la jeune femme comme s’il lui était possible de la radiographier pour détecter la présence ou l’absence de ce qu’elle clamait avoir perdu.

La neutralité de son ton eut raison de lui. Elle s’efforçait d’afficher une façade solide alors qu’elle avait perdu ce que lui-même craignait de perdre. Comblant la distance qui les séparait, il la prit dans ses bras et la serra contre lui. Comment avait-il pu ne serait-ce que l’espace d’un instant s’imaginer qu’il serait capable de se départir d’une partie de lui ? Les pouvoirs de famille n’étaient pas qu’un simple addendum. Ils étaient une partie d’eux-mêmes, de ce qu’ils étaient, au même titre qu’un bras, un poumon ou un cœur. Il souffrait toujours des dysfonctionnements furieux qu’il avait subi lors de l’échange initial. Ceux-ci étaient bien moins fréquents désormais. Mais la mémoire de la souffrance n’avait pas disparu. Alors il la serra tout contre lui, le nez enfoui dans ses cheveux. Soudain, toute une volée d’émotions contradictoires s’échappa de lui comme une nuée d’oiseaux. S’il avait passé sa dernière année à la haïr jusqu’au plus profond de son être, des sentiments qu’il était jusqu’alors parvenu à enfouir refirent surface. De l’agacement, de l’amusement, de la colère, de la jalousie, de…

Orion secoua la tête et chassa la furtive vision de son esprit. Il n’avait pas bougé d’un iota, figé dans la contemplation abasourdie de la jeune femme. Elle n’avait plus le pouvoir ? La froideur avec laquelle elle avait énoncé cet état de fait laissait penser que l’évènement ne l’avait pas affectée outre-mesure. Après tout, il ne s’était agi que d’un « emprunt ». Contrairement à lui, Erika n’était pas née avec ce pouvoir d’Aiguilleur. Contrairement à lui, Erika n’avait d’ailleurs jamais véritablement grandi avec un pouvoir. De sa propre confession, ce n’était que depuis l’échange qu’elle avait commencé à faire fonctionner son propre pouvoir familial. Le lui retirer lui avait-il donc fait si peu d’effet qu’elle pût en parler de façon si posée ?

Le zéphyr réalisa alors autre chose. Si Erika n’était plus en position de troquer son pouvoir à la première opportunité venue d’honneur, d’amour filial, d’ego ou d’il-ne-savait-trop quelle autre absurdité dont elle se servirait de prétexte, cela signifiait-il qu’il en avait fini ? Erika ne pourrait plus être instrumentalisée, que ce soit volontairement ou contre son gré. Ce qui signifiait qu’il ne restait que lui. Ne lui restait-il donc que ça à faire : fuir ? Était-il condamné à chercher à échapper à un ennemi non identifié qui en voudrait à son pouvoir ? Voulait-il vraiment d’une vie d’errance sans fin ? Pourrait-il vraiment fuir ses poursuivants indéfiniment ? Mais alors… l’avait-elle fait à dessein ? Cherchait-elle à l’empêcher, lui, de faire ce qu’elle avait peut-être fait à dessein ? Y avait-il vraiment une autre explication ? Sinon pourquoi quelqu’un qui les poursuivrait l’un comme l’autre pour ce pouvoir, une fois un de ses détenteurs à portée, déciderait-il de la débarrasser de ce dont il pourrait lui-même se servir ?

Tout cela n’avait aucun sens.

- Vous comptez vraiment vous éterniser là ? S’exclama la désormais familière voix de l’aïeule manifestement mécontente.

Cette dernière posa un regard appuyé sur sa petite-fille avant de poursuivre.

- Ils arrivent.

Orion était toujours tétanisé. Sous le choc, peut-être. Incrédule, c’était certain. Son regard passa de la plus ancienne à la plus jeune des deux nécromanciennes. De la morte à la vivante. Parce que cette grand-mère que, il en avait l’absolue certitude, il était seul à voir en dehors d’Erika, n’était présente sur ce plan d’existence que par la force d’un pouvoir familial. Du pouvoir familial d’Erika, très exactement. Et si mamie était présente en raison de la petite brune, alors cette dernière avait encore toujours très clairement des pouvoirs. Même encore plus de pouvoir que ce qu’elle avait eu jusqu’alors…

- Mensonges. Encore et toujours, siffla-t-il, s’adressant presque plus à lui-même qu’aux deux femmes. Tu as raison. Ça n’a pas d’importance. Plus rien de tout ça n’a d’importance. Vous pouvez bien tous aller au diable, lâcha-t-il, dépité, en tournant les talons.

Les complots. Les manigances. Les soi-disant ennemis secrets. Il en avait eu pour bien plus d’une vie de toutes ces balivernes. Au diable le contrat. Au diable les émoluments. Au diable sa propre mère. Il avait gâché bien plus d’une année de son existence pour… pour quoi au juste ? Pour rien. Il était temps de retrouver sa vie. Sa vraie vie. Il était temps de rentrer chez lui.
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Jeu 29 Fév - 20:22

Erika
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Le temps sembla s'étirer, s'allonger, s'éterniser. Orion ne bougeait plus. Il arborait un air parfaitement indéchiffrable, le regard planté dans celui d'Erika. La nécromancienne soutint un instant son regard, la respiration retenue, puis se mit à scruter désespérément son visage à la recherche du moindre indice sur sa réaction. Avait-il compris ? Allait-il s'en aller ? Ou n'avait-elle fait qu'attiser sa colère et allait-il faire demi-tour sur-le-champ pour le simple plaisir de la contredire ?

Elle aurait aimé l'attraper par les épaules, le secouer, faire n'importe quoi pour obtenir une réaction de sa part. Rester dans l'expectative lui donnait l'impression qu'elle allait imploser sous la pression.

Mais alors qu'elle esquissait un geste vers lui, Orion sembla brusquement reprendre ses esprits et quelque chose dans son regard changea. A leurs côtés, sa grand-mère avait refait apparition mais les yeux d'Erika ne quittaient plus le grand brun. Elle avait abattu toutes ses cartes, Orion était désormais maître de son propre sort.

Lorsqu'il reprit la parole, plus pour lui-même que pour elle, Erika sentit ses épaules s'affaisser d'un seul coup. La pression redescendit en flèche, désertant son corps comme une vague se retire sur le sable. Elle avait réussi. Elle l'avait convaincu de ne pas honorer ce marché. Il l'envoyait au diable, elle et tous ceux qui l'avaient mené jusque là. Il se détournait entièrement de toute cette histoire, et son ton était on ne peut plus définitif. Elle aurait dû en ressentir un soulagement immense, et une satisfaction sans faille.

Pourtant, un sentiment de vide comme elle n'en avait encore jamais connu s'empara d'elle. Jusque-là, malgré l'adversité, malgré les épreuves, malgré la mutilation, elle avait trouvé un but: empêcher Orion de conclure son marché. Et elle s'y était raccrochée comme à un mantra qui donnerait un sens à son existence. Désormais, sa tâche était accomplie et elle se retrouvait seule face à son désoeuvrement, ses échecs, et ses regrets. La lumière promise au bout du tunnel restait invisible.

Une bourrasque la ramena à l'instant présent. Face à elle, Orion tournait les talons une bonne fois pour toutes.

Et en le voyant de dos, s'éloigner d'elle, dans le décor si typique de Babel, Erika sut l'instant précis où elle était tombée irréversiblement amoureuse.

"- Il s'en va, constata platement sa grand-mère.

- S'il te plaît, murmura t-elle, veille sur lui de temps à autre."

Puis d'un geste de la main, Erika renvoya le spectre dans l'au-delà. Terminés, les tours de passe-passe. Elle était si éreintée qu'elle ne ressentit aucun soulagement au brusque regain d'énergie que lui procura la coupure de son pouvoir.

Ils arrivent. Qu'ils viennent.

Elle ne broncha pas lorsqu'on l'attrapa pour l'immobiliser. Elle ne réagit pas aux regards indignés des passants qui la dévisageaient telle une criminelle. Les éclats de voix tout autour d'elle se muaient en un lointain brouhaha, comme si elle observait la scène de l'extérieur. Etaient-ce des policiers qui la tiraient hors de la foule, ou étaient-ce ses geôliers sélénites ? Peut-être même étaient-ce les scientifiques du fameux Observatoire. Cela n'avait plus aucune importance.

Erika attendit. Elle attendit la paix intérieure, maintenant que sa mission était accomplie. Elle attendit que quelque chose vienne combler le vide qui n'en finissait plus de grandir en elle. Elle attendit, encore et encore.

Mais seul un silence assourdissant lui fit écho.
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Lun 4 Mar - 5:02

Orion
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Rentrer chez lui. Plutôt que de l’exalter, la perspective lui plombait un peu plus encore l’estomac. Il sentait ses entrailles s’entortiller en un nœud de plus en plus serré. Il avait la sensation que sa cage thoracique se comprimait sur sa poitrine. Était-ce vraiment l’idée même d’un retour à la normale qui le malmenait de la sorte ou l’écœurant constat qu’elle n’avait pas ne serait-ce qu’essayé de l’arrêter. Pas un geste, pas une parole, pas même un commentaire sarcastique dans son dos. L’espace d’une fraction de seconde, il avait eu un geste de pause. Mais non, il ne lui ferait pas le plaisir d’un regard en arrière. Pas quand elle n’avait manifestement plus rien à lui dire.

Il le lui avait dit, elle était le fléau de son existence. Mais sans elle, à quoi ressemblait-elle vraiment, son existence ? Était-il vraiment si pressé d’y retourner ? N’était-ce pas pour cela, au fond, qu’il avait accepté la mission confiée par sa mère ? Pour une chance de la revoir, et ce qu’elles qu’en soient les circonstances ? Pour cela qu’il avait essayé de la sauver, sur Ææa, lorsqu’il avait cru sa vie menacée ?

Orion fut bousculé une première fois mais, perdu dans ses pensées, il n’y prêta que peu d’attention. Après tout, il était toujours parmi la foule des badauds venus profiter de la Caravane. Nouveau mouvement, nouveau coup dans l’épaule. Cette fois, le geste attira l’attention du zéphyr. La foule semblait se presser dans une direction opposée à la sienne. Sourcils froncés, le grand brun, qui dominait d’une bonne tête ses voisins immédiats, tenta d’identifier la cause de cette soudaine agitation. Le début d’un spectacle ? Non, le mouvement ne semblait pas se diriger vers l’entrée d’un chapiteau. Il vit alors passer un policier. Puis un autre.

Orion poussa un long soupir désabusé.

Foutue galanterie. Peu importait à quel point il clamait la détester, il ne pouvait pas décemment la laisser à un sort funeste. Il avait beau ne pas savoir ce qu’était l’Observatoire dont elle avait fait mention, il n’était pas assez idiot pour penser qu’autant de policiers à sa suite était bon signe pour la jeune femme. Parce qu’ils étaient à sa recherche à elle, il en était certain.

Le zéphyr revint sur ses pas.

Il avait à peine parcouru la moitié du chemin inverse lorsqu’il tomba sur cette curieuse vision d’Erika encadrée de deux policiers. Au milieu, la jeune femme semblait éteinte. Elle ne se débattait pas, elle n’argumentait pas. Elle semblait mutique et absente. Ils ne l’avaient pas tétanisée pourtant, étant donné qu’elle avançait sur ses propres jambes.

Orion eut l’avantage de l’effet de surprise. Un éclair fulgurant lui fendit le crâne de part en part tandis que sa poitrine s’emplissait douloureusement de glace. Le premier s’arrêta net dans son élan et, avant même que son collègue n’est le temps de réagir, Orion lui fit subir le même sort. Il s’empressa de combler la distance qui le séparait d’Erika.

- Tu ne peux vraiment pas passer plus de cinq minutes sans t’attirer des ennuis, gronda-t-il en lui empoignant le bras.

Le vent se leva et se mit à tourbillonner autour de lui, chassant avec urgence les passants qui n’avaient pas été effrayés par son attaque sur les deux policiers. La foule se secoua d’un mouvement nouveau de panique. Elle qui avait convergé d’une curiosité malsaine vers la jeune femme entourée de policiers, fuyait maintenant les deux statues, l’étrange individu qui en était à l’origine et celle que la police avait voulu emmener. Après tout, il devait y avoir une bonne raison à son arrestation. Faisant fi des bourrasques croissantes alentour, Orion tira sur le bras d’Erika pour mettre de la distance entre sa garde rapprochée et elle. Il craignait surtout de voir d’autres uniformes similaires apparaitre dans parmi les badauds effrayés. La détérioration rapide du temps autour d’eux n’était pas de nature à faciliter leur progression au milieu de l’agitation ambiante. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une tempête de sable. Cette fois, Orion le savait, il était lui-même à l’origine de la pagaille. Et, cette fois, à la différence d’ Ææa, les évènements n’avaient rien d’une illusion. Il était en train de perdre le contrôle.
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Jeu 7 Mar - 21:59

Erika
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Elle reconnaissait cet endroit. Enfoui au plus profond d'elle-même, dans un lieu dont elle n'aurait jamais soupçonné l'existence. Peut-être avait-il toujours été en elle, ou peut-être avait-il été créé pour combler ce vide persistant. L'endroit était semblable à une cellule de prison, mais au lieu de l'emprisonner, c'était elle qui emprisonnait l'endroit. Empli de ténèbres, de silence, et dépourvu de tout repère. Peut-être cette obscurité cachait-elle des murs quelque part. Ou alors ne s'agissait-il pas d'un lieu fermé, limité dans l'espace, et qu'il continuerait à s'étendre encore et encore jusqu'à pouvoir l'engloutir toute entière.

Elle reconnaissait l'endroit pour y avoir été une seule fois, le jour où elle avait réveillé son pouvoir de nécromancie.

L'antichambre de la mort. Peut-être était-cela en fin de compte. Cela expliquerait pourquoi elle avait pu appeler sa grand-mère depuis ici. Cet espace aurait dû la terrifier, elle le savait. Pourtant, il avait quelque chose de terriblement attirant car il anesthésiait toute douleur, toute peine, tout sentiment. Il n'y avait plus rien d'autre que le vide, le silence, et le noir. Alors elle s'y attarderait bien encore un peu, quitte à ne plus jamais pouvoir en sortir. Elle n'était pas certaine de vouloir en sortir de toute manière.

D'ici, le monde était bien plus facile à appréhender. Tout n'était que faits, constat, et simplicité. Elle marchait. Il y avait du bruit autour d'elle. Elle avait froid. Une main sur son bras gauche. Elle avait très froid. Une main sur son bras droit.

Pourquoi avait-elle si froid ?

L'obscurité salvatrice n'autorisait pas le questionnement. D'un seul coup Erika fut propulsé à la surface de sa conscience, comme si elle remontait d'une très longue apnée. Son esprit jusque là paralysé, se mit à analyser brutalement tout ce qui l'entourait. La foule et le cirque. Des policiers, visiblement pétrifiés sur place. L'une de leurs mains était encore sur son bras - voilà pourquoi elle avait froid. Un mouvement sur sa gauche, et une voix familière. Erika s'alarma : que faisait-il encore là ?

Mais elle n'eut pas le temps de s'affoler que déjà, il repartait dans l'autre sens après lui avoir brusquement saisi le bras. Son cerveau mit un temps à recoller les morceaux. C'était lui qui avait pétrifié les policiers. Et maintenant, il ne fuyait plus seul mais avec elle. Pendant ce bref laps de temps, ils feraient équipe, une toute dernière fois. L'esprit d'Erika s'éveilla complètement, aux aguets, prêt à s'en sortir coûte que coûte. L'apathie qui l'avait envahie un instant plus tôt lui semblait désormais inconcevable.

Autour d'eux, le vent rugissait furieusement, créant une distance bienvenue entre eux et le reste de la foule. Erika jeta un regard nerveux aux alentours, sans détecter la présence d'autres policiers. C'était leur chance de s'échapper pour de bon. Orion fit redoubler la rage de la tempête. Si elle n'avait pas été certaine que les caprices météorologiques étaient du fait du zéphyr, Erika se serait inquiétée. Mais puisque ce vent dévastateur était de sa volonté, la nécromancienne le mit à profit et se servit de la panique généralisée pour échapper au danger que représentait désormais le cirque. Faisant fi de la frayeur de la foule, elle traversa les stands et les fit sortir en évitant les entrées principales au cas où les policiers apporteraient du renfort.

Ils étaient désormais hors de danger immédiat mais Orion n'arrêta pas le vent pour autant - bien au contraire. Erika fronça les sourcils, surprise par la puissance de son pouvoir, puis se ressaisit : ils devaient disparaitre de la circulation au plus vite.

Elle voulut interroger Orion sur l'emplacement de son vaisseau mais abandonna l'idée. Le zéphyr semblait trop concentré pour l'entendre, et de toute manière, passer par l'aérostation sans papiers relèverait de l'impossible pour elle. Elle ne connaissait qu'un seul autre moyen de sortir de Babel. Erika tourna désespérément la tête, à la recherche des jardins botaniques de Pollux.

La ruelle dans laquelle ils avaient atterris était peu fréquentée, mais ils ne pouvaient pas s'attarder là. Erika fit quelques pas d'un côté, puis de l'autre. Sans sa boussole, son sens de l'orientation était revenu à la normale - catastrophique, donc.

"- Orion," appela t-elle par-dessus le hurlement du vent.

Aucune réaction. Pourtant, le jeune homme était encore accroché à son bras. Il aurait dû l'entendre. Elle haussa la voix, sans plus de succès.

Alors Erika leva la tête et réalisa avec horreur que ce qu'elle avait pris pour une formidable démonstration de pouvoir était en réalité une perte absolue de contrôle. Orion ne dominait plus la tempête qui hurlait tout autour d'eux, ni les rafales de vents qui menaçaient de les décoller du sol. Depuis combien de temps n'était-il plus maître de lui-même ?

Elle hurla son nom, désemparée. Elle le prit par les épaules et le secoua dans l'espoir de le faire revenir à lui. Mais rien à faire, Orion ne réagissait pas et il lui sembla même que la tempête continuait à gagner en intensité. Il ne l'entendait pas, perdu dans les méandres de son pouvoir déchaîné. Elle devait faire quelque chose, et vite.

Erika essaya de se souvenir la dernière fois qu'Orion avait été submergé par ses pouvoirs. Sur Ææa, il ne s'était agi que d'une illusion. Dans la réalité, il n'avait perdu le contrôle qu'une seule fois face à elle, à bord de l'Harmattan. Mais à l'époque, plutôt qu'une tempête débridée, le jeune homme avait fait face à une migraine fulgurante. L'intensité de la crise n'était également pas la même. Erika sentit la panique la gagner totalement. Elle n'avait aucun pouvoir pour contrer celui d'Orion, et elle était impuissante face à sa détresse. Qu'adviendrait-il d'eux s'il ne reprenait pas rapidement le dessus ?

Erika hurla, supplia, secoua de nouveau Orion. Elle était désespérée. Le thé au gingembre de sa mère ne suffirait pas cette fois-ci - si toutefois elle avait eu de quoi faire un thé. Elle se mit à trembler, frigorifiée par le vent et terrifiée par les évènements. Ses yeux se posèrent une nouvelle fois sur le jeune homme. Lui aussi devait avoir terriblement froid. Si elle ne pouvait remédier à son mal, pouvait-elle au moins remédier à ça ?

D'un geste empreint d'une douceur clivante avec le reste de la situation, Erika passa ses bras autour d'Orion, dans une ultime tentative de soutien. Etait-ce naïf de sa part de croire que cela suffirait à apaiser le zéphyr ? Elle avait essayé la méthode forte sans succès, mais elle voulait croire qu'il existait une autre solution.

Tandis qu'elle l'enserrait dans ses bras, elle ne sut plus qui, de lui ou d'elle, elle cherchait à apaiser réellement. Sa main esquissa l'ébauche d'une caresse, tout le long du dos du grand brun. Et l'espace d'un battement de coeur, tandis que la tempête hurlait encore à ses oreilles, l'illusion d'une rédemption miroita sous ses paupières closes.
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Mar 12 Mar - 17:25

Orion
J'ai 28 ans et je suis originaire de l'arche de Zéphyr. Dans la vie, j'étais pilote d'aérostat. Maintenant, je vis au jour le jour et je m'en sors sans y réfléchir. Sinon, j'ai été célibataire, j'ai été marié, j'ai divorcé et après tout cela, elle m'a brisé le cœur.
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Tout n’était que souffrance. Enfermé dans la prison de sa propre douleur, le monde autour de lui n’était devenu plus que bruit de fond. La douleur qui lui transperçait les tempes était telle qu’il n’avait jamais connue. Il sentit la pression s’accroître derrière son œil droit, comme si ce dernier s’apprêtait à se déloger de son orbite. La douleur atteignit rapidement sa cloison nasale dont elle se servit comme d’un ascenseur pour envahir ses sinus.

Loin, très loin, à l’orée de sa conscience, par il-ne-savait quel phénomène, ses pieds continuaient à se mouvoir. Mais où l’emmenaient-ils ? Le mouvement cessa enfin.

Un hurlement enfoui au plus profond de ses entrailles s’éleva en lui, faisant trembler tous ses membres, sans parvenir à s’échapper de ses lèvres. Pas plus que lui-même ne parvenait à échapper à son tourment. Il sentit ses muscles se contracter de façon incontrôlable et, emplis d’acide lactique, se tétaniser cruellement. Il se rappelait avoir saisi le bras d’Erika, un peu plus tôt, mais ne ressentait plus rien contre ses doigts. A la façon dont sa main se contracta, il se prit à espérer momentanément qu’il l’avait libérée de son emprise.

Il n’avait plus envie. Il n’avait plus la force.  Il avait mal. Simplement et purement mal. Que s’était-il imaginé, à tenter de lâcher les rênes de pouvoirs qu’il maîtrisait désormais si mal. Des pouvoirs qui le maîtrisaient. Qui le contrôlaient. Était-ce qui était en train de lui arriver ? Il avait du mal à penser de façon cohérente. Tout le renvoyait au piteux état de son enveloppe charnelle, à la douleur intense localisée dans son lobe frontal. A celle qui se mit à rayonner à travers son corps entier. Il sentit une traction s’exercer sur son être. Comme s’il était poussé et tiré tout à la fois. L’impression qu’il allait imploser et qu’il serait encore là, sans y être, pour observer les particules de son être se disperser aux quatre vents. Une partie de lui souhaitait qu’il se nébulise. Que son être se décompose et ne soit plus que néant, débarrassé du mal dont il ne parvenait à se libérer.

Orion tenta de se raccrocher à quelque chose, n’importe quoi, qui l’empêcherait de finir de perdre totalement pied. Il commença à être secoué de frissons. Était-il déjà trop tard ? Alors même qu’il s’apprêtait à laisser céder ses dernières résistances, il sentit quelque chose de nouveau. Pas douloureux. Différent. Avec la force du désespoir, il s’accrocha à la sensation. L’espace d’un infime instant, la douleur reflua. Une lumière au bout du tunnel de noirceur. Sans souffrance. Sans peine. Une nouvelle vague le submergea, lui coupant la respiration. Une embardée. Du vent sur sa peau ? Le courant l’entraînait, l’éloignait de la côte du répit, du havre momentané qu’il lui avait semblé entrevoir. Son esprit englué tenta de lutter à contrecourant de la pesanteur de son corps meurtri.

Son dos. Était-ce de là que venait le signal ? Dans l’éprouvant maelstrom de ses terminaisons nerveuses à vif, il cherchait à en identifier l’origine pour mieux s’y retenir. Une main contre son dos. Il ferma les yeux pour mieux se concentrer sur le doux va et vient le long de sa colonne vertébrale. Les avait-il gardés ouverts jusqu’à présent ? Il s’efforça de respirer lentement, de débloquer ses mâchoires crispées l’une sur l’autre. La crucifiante douleur céda un peu plus de terrain.

Où était-il ? Le vent sur sa peau. Le vent soufflait toujours. Violent. Brutal. Mais il n’y avait pas que ça contre son corps. Quelque chose de plus régulier. Baboum. Baboum. Léger. Frémissant. Son cœur ? Non, pas le sien. Un tremblement. Un frisson ? Pas le sien non plus. Une pression contre sa poitrine, qui enserrait sa cage thoracique. Une pression qui était parvenue à calmer les soubresauts de la sienne. Une compression rassérénante. Apaisante. Le vent soufflait toujours. Une douleur aigue traversa son arcade sourcilière gauche. Une sensation tiède envahit progressivement sa poitrine. L’antithèse du pouvoir dont il avait hérité bien malgré lui. L’antithèse de la douleur ?

Ne pas la laisser partir. Ne pas la laisser s’échapper. Dès lors que ses membres furent suffisamment désengourdis, Orion passa à son tour ses bras autour de la présence. Un parfum familier atteignit ses narines. Mais tel un mot que l’on avait sur le bout de la langue, il ne parvenait à replacer cet effluve. Familier. Rassurant. Le vent lui sembla hurler moins fort à ses oreilles. Était-ce le fruit de son imagination ? Il n’osait plus ouvrir les yeux. Et s’il ne s’agissait que d’une illusion de son esprit pour protéger le peu de sanité mentale dont il disposait encore ? Et si elle s’envolait en éclats à l’instant même où il rouvrirait les yeux ? Il pressa ses paupières plus fort l’une contre l’autre. Le fait qu’il puisse ressentir le mouvement de contraction le rassura. La douleur continuait à refluer. Combien de temps s’était-il écoulé ?

Le hurlement ne devint plus que sifflement, jusqu’à s’essouffler enfin. Orion souffla longuement, purgeant son corps de ce qui l’asphyxiait. Il n’avait pas relâché son emprise sur sa bouée, qui le ramenait doucement vers la surface. La surface de sa conscience, son lien avec le monde extérieur. Avait-il seulement envie de le retrouver, ce monde extérieur ?

Orion atteignit la croisée des chemins. Là, si près se trouvait la fin de l’onde. Le retour à l’air libre. Le zéphyr ouvrit les yeux.
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Ven 15 Mar - 21:18

Erika
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Le chaos tout autour d'elle la terrorisait. Orion semblait n'être devenu qu'une enveloppe corporelle de laquelle aurait reflué toute trace de conscience. Absent. Lointain. Il n'était pas présent ici avec elle, et rien de ce qu'elle pouvait dire ou faire ne le ramènerait. Il menait son combat seul, un combat contre l'essence même de ce qu'il était devenu.

Se savoir impuissante n'empêcha pourtant pas Erika de continuer à s'accrocher. Elle l'enserra un peu plus fort encore, tout près de son coeur. Elle n'avait pas déployé tous ces efforts pour lui faire refuser ce marché douteux pour qu'il se retrouve un instant après prisonnier de ses propres pouvoirs. Il reviendrait, elle s'en persuada. Mais pour cela, il devait affronter cette souffrance qui envahissait son corps, son esprit, et le rendait quelque part terrifiant.

Erika fit de son mieux pour faire abstraction des éléments déchaînés qui les encerclaient, et surtout, pour faire abstraction du fait que le zéphyr à lui seul en était entièrement responsable. Tant de pouvoir, tant de force, n'aurait jamais dû pouvoir être contenu dans un seul corps humain. Orion avait-il déjà ainsi perdu le contrôle ? Se battait-il continuellement contre lui-même ? Si la mutilation était considérée pire que la mort, qu'en était-il des pouvoirs qui prenaient le dessus envers et contre tout ? La mutilation ne devenait-elle pas alors une forme de clémence, la seule solution possible pour ne pas perdre la tête ? La nécromancienne rejeta ses réflexions au loin. Elles avaient momentanément servi à la distraire de la situation critique, mais elles ne menaient à rien. La vie avait été bien plus simple lorsqu'elle était sans-pouvoirs. De plus en plus, ces dons familiaux lui semblaient être des malédictions glorifiées.

Son ouïe la rappela à elle. Etait-ce le fruit de son imagination ou le hurlement du vent s'était-il atténué ? Erika n'osa pas rouvrir les paupières. Elle avait encore si froid. Puis soudain, Orion remua et l'instant d'après, elle se retrouva enveloppée d'une chaleur rassurante de part et d'autre de son corps. Une sensation oubliée la saisit alors à la gorge, celle d'être rentrée à la maison après une longue absence. Celle de retrouver un lieu chéri et familier, une sensation indescriptible à la fois douce et amère. Instinctivement, Erika laissa aller sa tête contre le torse du zéphyr. Elle inspira son parfum comme la première bouffée d'air que prendrait un noyé. Orion était là, tout proche, et elle en était persuadée : il avait retrouvé son chemin.

Le vent se tut. La lumière se fit plus claire. Et Erika réalisa l'absurdité de la situation.

Elle rouvrit brutalement les yeux, le charme rompu. L'illusion de sécurité et de retour à la maison vola en éclats. Elle avait fait ce qu'elle avait à faire pour le ramener, et il fallait désormais aller de l'avant. Son coeur sombra tandis qu'elle se détachait prudemment du jeune homme dans les bras duquel elle n'avait plus rien à faire. Lui, avait les yeux ouverts, pleinement conscient. Mais depuis combien de temps ?

Le vent avait balayé la ruelle et les alentours, et fait fuir les passants. Il régnait un silence étourdissant de calme après la tempête et pourtant, Erika avait la conscience accrue qu'ils n'étaient pas encore sortis d'affaire. Ni lui, qui devait se soustraire définitivement à l'homme du cirque, ni elle, sur qui les forces de l'ordre, les sélénites, ou les deux à la fois, pouvaient tomber à tout moment.

Elle évita le regard d'Orion pour ne pas y lire ce qu'elle y trouverait. A la place, elle s'obligea à se concentrer sur la suite des évènements. Elle était partie pour retrouver la Rose des Vents. Le Jardin botanique. Voilà leur destination.

Leur destination ?

Non, réalisa t-elle soudain. Sa destination à elle. Pas celle d'Orion. Si elle-même ne pouvait pas passer par la grande porte, rien n'empêchait le zéphyr d'aller retrouver son vaisseau à l'aérostation pour quitter l'Arche en toute légalité. Il n'avait fait qu'un crochet pour la sortir du pétrin dans lequel elle s'était mis, une toute dernière fois avant que leurs chemins ne se séparent définitivement.

La réalisation lui transperça le coeur. Combien de fois avait-elle cru que ce serait la dernière fois ? Pourtant cette fois-ci, le doute n'était pas permis. Il n'y aurait pas d'après. Peut-être était-ce cette certitude de la dernière fois qui lui dénoua pour la première fois la gorge.

"- Pardonne moi de ne pas avoir su assumer mon choix", s'entendit-elle souffler.

Au fond, si elle avait trouvé le courage d'assumer son choix, ils n'en seraient pas là aujourd'hui. L'avenir aurait pu être leur. Les choses auraient pu être différentes. Mais elles ne le seraient pas, et ils ne seraient jamais plus.

Le moment aurait été choisi pour une longue tirade, pour déverser tout ce qu'elle avait encore sur le coeur. Mais les mots n'avaient jamais été leur fort. Le moins était le mieux. Erika ne savait même plus comment conclure.

"- La Rose des Vents est par là-bas," fut tout ce qu'elle put sortir en guise d'adieux.
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Sam 30 Mar - 14:45

Orion
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Son corps était sa prison et il ne parvenait qu’avec difficulté à s’en extraire. Si son esprit en était la clé, alors celle-ci n’avait pas encore une substance telle qu’elle lui permette fermement de s’en détacher. Il sentait sa douloureuse emprise sur les bords de sa conscience, prête à l’ensevelir de nouveau. Il se concentra sur son souffle. Il se concentra sur les battements de son cœur.

Les yeux ouverts, Orion ne voyait pourtant pas encore grand-chose de ce qui l’entourait. L’image finit toutefois par gagner en netteté pour croiser les deux yeux posés sur lui. Un poids se leva de sa poitrine. Il lui fit l’effet d’être sorti d’une longue apnée. Un long et douloureux épisode pendant lequel il avait été incapable de reprendre son souffle. Il ne savait pas où il était. Il ne s’agissait pas d’un jeu de l’esprit. La réalité. Oui, cette fois, c’était la réalité. Mais qu’avait-il donc fait ? Tout se rappela à lui avec force. La douleur l’engloutit momentanément, vague se brisant sur la grève de son esprit, avant de refluer de nouveau.

La toucher. Son contact avait quelque chose d’irréel. Pourtant, c’était en cet instant ce qui l’ancrait dans la réalité.  Ne pas parler. Ne pas réfléchir. Ne pas rationaliser. Ne pas laisser à son cerveau l’opportunité de questionner ses actions. Il commença à tendre une main dans sa direction quand la voix de la jeune femme s’éleva.

Sa main retomba contre lui. Quelque chose s’ébroua et gronda. Des émotions contradictoires. De la peine, de la colère, de la déception. Et au milieu de ce maëlstrom, une espérance. Un ultime lambeau d’espoir auquel une partie de lui avait envie de se raccrocher. Des excuses… et des adieux. Une énième dérobade. Pourquoi ? De l’injustice. Il ressentait un profond sentiment d’injustice. Pourquoi ? Après tout ce temps… et voilà qu’ils en manquaient cruellement, de temps. Orion avait envie de pester. La souffrance en lisière ne demandait qu’à se déverser, torrent destructeur. Non. Il avait déjà trop sacrifié à la douleur.

Ne pas parler. Ne pas réfléchir. Il saisit le poignet, tira sur la main, la ramena à lui et l’enserra de ses bras, retrouvant par là-même une sensation familière. Celle qu’il avait ressentie un peu plus tôt. Celle qui l’avait accompagné quand il s’était perdu. Celle… le reste, vague scélérate, revint le percuter à son tour. L’instant passa. Il acheva de sortir de son état de transe.

Orion découvrit alors véritablement le paysage de dévastation qui les entourait. Les toiles déchirées des marquises qui virevoltaient dans les airs, les structures de chapiteau brisées qui en faisaient d’effrayants pantins désarticulés, les étals renversés, le sol jonché de tout ce qui avait été abandonné de ceux qui avaient précipitamment fui les lieux. Avait-il vraiment causé tout cela ? Et pourtant, en dépit du désastre qu’il avait provoqué, en dépit de l’urgence de la situation, l’esprit du zéphyr restait accaparé par les derniers mots de la jeune femme. Lui pardonner.

L’aimer avait été sa malédiction.

Elle était le poison. Elle était la destruction.

L’aimer était toujours sa malédiction.

Parce que… ce qu’il avait ressenti, ce qu’il avait enfoui au plus profond de lui-même, ce qu’au fond, il n’avait probablement jamais cessé de ressentir mais qui avait sédimenté sous des épaisseurs de rancœur et de colère…. Il avait suffi d’une seule phrase d’elle pour remettre en suspension tout ce qu’il pensait définitivement perdu.

Non, pas remettre en suspension. Remettre en ordre. Ranger les ruines, en quelque chose. Accepter les ravages causés, l’impossibilité d’un retour en arrière, et ne plus laisser à cet état de fait le pouvoir de le régir. Ce qui était fait était fait.

La Rose des Vents. Le grand brun opina mécaniquement du chef. Quitter cette arche. La Rose. Erika avait raison. Il fallait quitter Babel. Et puis quoi ?

Orion ne se leurrait pas. Il savait qu’il ne pouvait en attendre plus de la jeune femme. Elle ne lui dirait jamais vraiment le fond de sa pensée. Elle lui dirait encore moins ce qu’elle ressentait. Il n’était pas dans sa nature de partager ses sentiments, plus encore lorsqu’ils étaient heureux. L’espace d’un instant, ils l’avaient été, heureux. Mais que ressentait-elle en cet instant ?

Il avait besoin de savoir. S’il devait d’une façon ou d’une autre définitivement clore ce chapitre de sa vie, il devait savoir. Le zéphyr combla une fois de plus la distance qui le séparait de la jeune femme et prit son visage entre ses mains. Il ne comptait pas lui laisser l’opportunité de se dérober. D’une détermination féroce, il posa ses lèvres contre les siennes.

L’aimer…

L’aimer était sa damnation. Alors qu’il soit damné.
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