Il y avait eu un léger blanc après qu'on ait commandé à la serveuse. Je l'avais senti. Je croyais pouvoir ressentir son malaise. C'était toujours un peu dur de savoir. Une personne normale aurait pu lire sur son visage ce qu'il se passait. Etait il déçu de me voir? Déçu ou blessé de quelque chose que j'avais pu dire ou faire? J'étais terriblement maladroit. Cet handicap ne me gênait pas que pour me déplacer ou me débrouiller seul, ça me freinait grandement dans les relations sociales avec les autres. Tout ce qui était langage corporel m'était complètement inaccessible. Je ratais pleins de choses et je ne pouvais pas rien faire contre ça.

Mais il reprit rapidement la conversation, dissipant la sensation de malaise que j'avais cru percevoir. La serveuse n'était peut être pas complètement partie encore. Il attendait certainement que nous soyons seuls lui et moi pour parler en tout tranquillité. C'était certainement ça. Alors je me prêtais de bonne grâce à la discussion, souriant légèrement avant de lui répondre.

- Je suis pianiste professionnel. Je revenais d'un concert à New York quand tu as appelé la première fois. Je ne te dis pas ma surprise quand en rallumant mon téléphone à l'atterrissage en entendant ton message.

Un message des plus surprenants mais que j'étais heureux d'avoir reçu. Je ne regrettais aucunement d'y avoir répondu. Ca donnait lieu à une belle rencontre jusqu'à présent.

- Et toi alors qu'est ce que tu fais?

Louis était légèrement déstabilisé. Pour autant, il s’était attendu à avoir des surprises. Il aurait été naïf de penser que ce ne serait que des bonnes surprises. Il ne connaissait après tout rien de Sept qui était encore qu’un illustre inconnu il n’y a encore que quelques heures. Mais il avait envie d’apprendre à le reconnaitre. Ce qu’il avait ressenti au téléphone avec lui, ça avait été réel. Alors il lui avait demandé ce qu’il faisait dans la vie et il n’aurait pas pu être plus surpris. Un pianiste. Pas un amateur qui joue dans le bar du coin. Un professionnel qui fait des concerts à l’autre bout du monde. New-York quoi. « Désolé… En plus du jetlag t’as du gérer un fou furieux au téléphone… » qu’il avait dit dans un sourire complice. Ok, c’était donc un artiste. Comme lui. Enfin, en quelque sorte. Il ne faisait pas de musique c’est vrai mais savoir s’habiller et habiller les autres c’était tout un art non ? A son avis en tout cas, ça l’était et c’est pourquoi il n’eut aucune gêne à dire : « Je suis styliste. C’est beaucoup de travail mais ça commence à porter ses fruits… » Il marqua une pause, un sentiment étrange l’avait envahit mais il ne pouvait pas expliquer lequel précisément. « On peut te trouver sur Youtube ? Je serai curieux de t’entendre jouer… » Curieux, oui. Mais fan ? Louis n’était pas sûr. Son truc à lui, c’était danser sur de la pop dans les clubs. Le piano, c’était un peu… prétentieux, non ?  

- Ca ne m'a pas dérangé. Le fou du téléphone était plus mignon que fou en fait.

Je lui souris doucement en disant ça. Il m'avait fait craquer au téléphone, même si il avait engueulé son ex sur le message. J'étais heureux que le destin ait voulu qu'il se trompe de numéro ainsi.

- Oh styliste... c'est... c'est intéressant ça.

Comment dire, tout ce qui était vêtement me passait loin au dessus de la tête. Tant que le vêtement était confortable et qu'Angie m'assurait que je ressemblais à quelque chose, pour moi c'était bon. Je portais plus ou moins tout le temps la même chose du coup, au moins je ne faisais pas de faute vestimentaire. Je n'en aurais pas au conscience si je l'avais fait. Il faisait exactement le genre de métier que je ne pouvais absolument pas comprendre.

- J'ai une chaine oui. Je ne mets pas grand chose dessus. C'est mon assistante qui la gère. Elle met surtout des rediffusions de concert. Elle insiste pour que je fasse des vidéos plus intimiste mais ce n'est pas mon truc.

J'avais assez de contrats pour gagner correctement ma vie. Je ne ressentais pas vraiment le besoin de me faire connaitre du grand public comme ils disaient.

Je remerciais la serveuse alors qu'elle arrivait avec nos commandes. Je prie une gorgée de mon verre avant de me concentrer à nouveau sur lui.

- Comment ça fonctionne exactement ton métier? Je suis désolé je n'y connais rien en matière de vêtements. Tu travailles pour une marque genre...

Je réfléchis essayant de me souvenir du nom d'une marque de prêt à porter.

- Genre Kiabi? Ou tu travailles avec des grands créateurs?

Louis avait piqué un fard en se faisant appeler de fou « mignon ». Mignon. Il le trouvait mignon. C’était bon signe, non ? Et, l’espace d’une seconde, il avait perdu ses moyens à cette simple appellation. Ça ne lui ressemblait pas. Quelque part, Septime l’impressionnait. Au téléphone, il avait eu l’impression qu’ils avaient plein de points communs… Maintenant, il se demandait où ils étaient passés. Sept avait l’air tellement différent de lui. D’ailleurs, n’était-il pas déçu d’apprendre ce qu’il faisait dans la vie ? Il n’avait visiblement rien à lui dire à ce sujet, tout comme Louis n’avait rien eu à lui dire concernant le sien. Il s’était pincé les lèvres pour éviter de faire remarquer que, contrairement à ce qu’il disait, Sept n’avait pas l’air de trouver ça intéressant du tout. Ça n’aurait servi à rien à part jeter un froid, non ? « Oh eh bien… Il faudra que tu m’envoies ça par SMS, j’irais voir. » qu’il affirma dans un sourire qui se voulait plein d’aplomb. Leurs verres arrivèrent et Louis commença à jouer nerveusement avec la paille de son cocktail. Et puis finalement, Sept avait été assez poli pour parler un peu du métier de Louis. Mais quel embarras ! Kiabi. Louis avait été mortifié et il avait bien eu du mal à le cacher. Il a une tête à s’habiller chez Kiabi, franchement ? Il avait mis un moment avant d’être capable de parler. « Euh… Non. » Louis avala rapidement une longue gorgée de son cocktail. S’il avait su, il aurait pris de la vodka pure. « Plus comme… Balmain. Des grands créateurs, oui. » Et il aspira de nouveau sur sa paille. « La fast fashion, c’est un vrai fléau. » qu’il osa tout de même exprimer.  

- Oui bien sur je ferais ça.

Ou plutôt je demanderais à Angie de le lui envoyer parce que je ne connaissais absolument pas l'adresse de ma chaine you tube. C'était elle qui s'occupait de tout ça en général. Je préférais me concentrer sur les répétitions, les concerts. Le côté communication, réseaux sociaux et tout ne m'intéressait vraiment pas.

Balmain... nom absolument inconnu au bataillon pour moi. Je n'avais aucune idée de qui pouvait être ce mec. En même temps à part Prada ou Chanel j'étais incapable de citer le moindre nom de créateur. Je fronçais les sourcils en l'entendant critiquer ce qu'il appelait le fast fashion. Je devais l'admettre, c'était un concept qui m'était complètement étranger.

- Pourquoi ça serait un fléau? Je veux dire... il en faut pour tout le monde non? Je ne pense pas que tout le monde ait les moyens de dépenser des sommes folles dans des vêtements. Ni même l'envie d'ailleurs.

A commencer par moi. J'avais certes les moyens de m'acheter des vêtements de marque mais je n'y prêtais que peu d'intérêt. Angie insistait toujours pour m'acheter des vêtements de créateurs pour mes concerts mais sinon je m'habillais simplement. Et les vêtements que j'avais, je les gardais souvent pendant des années. Je n'avais aucun intérêt à suivre la mode ou d'autres conneries de ce genre. Il y avait beaucoup plus important à acheter dans la vie que quelques bouts de tissu.

« Merci. » que Louis avait répondu dans un sourire un brin gêné. Il s’était mis tellement la pression pour ce rendez-vous, ça avait une telle cause de stress. L’avoir en face de lui, ça l’avait soulagé d’un certain sens mais maintenant qu’ils discutaient… Le stress était remonté de plus belle. Qui était ce mec, bon sang ? Où était le mec qui l’avait totalement charmé rien qu’avec un coup de téléphone ? « Il n’y a rien de plus vulgaire que quelqu’un qui préfère soutenir l’industrie de la fast fashion en portant des t-shirt à dix balles alors qu’il a les moyens de soutenir l’économie de son pays. Ou celle de l’Europe. Ou de tout autre pays qui n’emploie pas des gamins ou paye des gens une misère pour travailler comme des esclaves. » Les mots étaient sortis tout seul de sa bouche, Louis n’avait pas su se contrôler. Il avait donné son opinion, toute crue, avec un jugement de valeur plutôt prononcé à l’encontre de Sept. Et, mon Dieu, ce que c’était maladroit. De toutes les manières qu’il avait eu d’exprimer ce qu’il pensait, il avait choisi la pire. « Je pense que même les portes-monnaies les plus modestes pourraient choisir de mieux consommer… En achetant moins mais mieux. Sans pour autant se tourner vers la haute couture… Il y a l’entre deux. » Il ne pouvait pas juste se taire ? Non. Il fallait absolument qu’il aille au bout de sa pensée, quitte à fâcher pour de bon son interlocuteur. Bien joué, Louis.

Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer de l'entendre parler ainsi. Mais où était passé le mec adorable que j'avais eu au téléphone? Celui qui rêvait de rencontrer un Marc, qui en avait marre des Daniel? Ce type là était superficiel, parlant de vêtements comme si il n'y avait rien de plus important. Il était égoïste, complètement déconnecté de la réalité, ne se rendant pas compte que certains n'avaient pas les moyens d'être aussi superficiels que lui. Je m'étais trompé. C'était un Daniel. Alors qu'il ne s'étonne pas s'il ne rencontrait que des Daniel comme lui.

- Soutenir l'économie locale? Je doute que d'acheter quelques bouts de tissu hors de prix à des maisons de couture déjà blindées change quelque chose à l'économie. Si certains sont d'accord pour dépenser leur argent pour ça grand bien leur fasse, mais tout le monde ne met pas sa priorité dans les fringues et quand pour certains réussir à s'acheter de quoi manger tous les mois est compliqué je peux comprendre qu'ils se moquent des vêtements qu'ils portent sur le dos.

Je mangeais à ma faim et pourtant je m'en moquais aussi. J'achetais des vêtements qui présentent bien. Je faisais cet effort pour mes concerts parce que j'évoluais au milieu des gens fortunés. Mais si ça n'avait tenu qu'à moi, je m'habillerais simplement.

- Et en parlant de pays qui exploitent leurs ouvriers pour fabriquer des biens pour les pays riches... on parle de ton téléphone?

Je lui fis un petit sourire ironique. Ca lui allait bien de critiquer une industrie tout en continuant de consommer une autre industrie toute aussi nocive.

Alors qu’il écoutait Sept parler, Louis sentait une profonde aversion se déclarer en lui. Il était sérieux lui ?! Comment on pouvait être aussi beau mais aussi énervant à la fois ? C’était rageant. Il avait été sur un petit nuage pendant des jours… tout ça pour ça. Un mec qui juge sans rien y connaitre à son domaine. Lui au moins avait fait l’effort de garder ses opinions pour lui. Lui, il l’avait associé à Kiabi d’entrée de jeu. Kiabi ! On ne pouvait pas faire plus insultant pour Louis dont le visage s’était transformé d’un sourire mauvais. « Evidemment. Mais dis-moi, c’est en portant du Kiabi que tu fais tes concerts, toi ? » C’était un petit risque que Louis prenait mais il était sûr à 99% que ce n’était pas le cas. Personne n’osait faire ça, sans doute moins encore dans le domaine de Sept. Ils devaient tous avoir le cul bien serré dans un concert de piano. « Mon téléphone, ça n’a rien à voir. » qu’il rétorqua du tac-au-tac, pas gêné d’avoir le dernier iPhone qui coutait littéralement un Smic voire plus. « On a pas d’autres options en matière de smartphone, tout le monde fait la même chose. C’est pas comparable et, de toute façon, je ne rougirais jamais du luxe que je m’accorde. » Et voilà une autre opinion bien tranchée qui était peut-être sincère mais que Louis aurait pu garder pour lui. Mais merde ! Il venait de tellement loin. La vie qu’il avait aujourd’hui, il la méritait.

Je haussais vaguement les épaules alors qu'il me demandait ce que je portais pour mes concerts.

- Je n'en ai aucune idée. C'est mon assistante qui se charge de remplir ma garde robe. Je serais incapable de te dire quelle est la marque de cet ensemble.

C'était dire à quel point je pouvais me moquer de ce que je pouvais bien porter. Ce n'était pas trop ridicule, c'était tout ce que je savais. Pour moi c'était confortable et c'était bien la seule chose qui m'importait réellement. Le reste ce n'était que du superflus.

- Tu as le droit de t'acheter des téléphones dernier cri et des vêtements hors de prix. Chacun fait ce qu'il veut de son argent. Je dis simplement que je ne jugerais jamais trop durement les personnes s'habillant dans ce que tu considères comme un fléau. Tout le monde n'a pas le luxe de pouvoir se permettre de dépenser pour leur garde robe.

J'avais peut être grandi dans une famille assez aisée, j'avais conscience que ce n'était pas le cas pour tout le monde. Mes parents m'avaient toujours sensibilisés à ça. Ma mère, même si elle avait un certain statut, cotoyait des étudiants tous les jours et pour certains d'entre eux le moindre centimes économisé comptait énormément. Alors dépenser un peu plus pour des vêtements, c'était impensable.

Je soupirais tristement, déçu de la tournure de cette rencontre. Je lui demandais, une pointe de peine dans la voix :

- C'est vraiment si important pour toi l'apparence d'une personne? Est ce que... tu aurais pu faire demi tour si j'avais été mal habillé? Déjà que je ne suis pas vraiment séduisant, est ce que ma garde robe aurait pu te faire fuir?

Alors là, Louis avait l'air carrément outré ! Que ce soit son assistante qui remplisse sa garde robe, pourquoi pas, mais qu’il ne sache même pas ce qu’il y avait dedans ?! Scandaleux. C’était le pire scénario. A la base, il pensait que quelqu’un de totalement repoussant aurait été compliqué. Mais non. Le pire, c’est quelqu’un de magnifique qui se moque ouvertement de tout ce pourquoi Louis travaille si dur. Il le prenait personnellement, sans être capable une seconde de prendre du recul. « Je vois. » qu’il avait articulé malgré sa mâchoire qui se serrait chaque seconde un peu plus. « Bien sûr que non. Je suis bien au courant et je ne juge pas. J’ai pas toujours été là où je suis. » Oh non, pitié. Louis se ravisa de suite : il était hors de question qu’il aborde le sujet de son passé et de ses origines modestes. Manquerait plus que son accent de sudiste revienne sous le coup de l’énervement ! « Je pense juste qu’on peut tous consommer de manière plus raisonné. » qu’il changea rapidement de sujet alors même que l’envie de débattre le quittait. Quand la colère retombait un peu, il sentait bien à quel point il était déçu. Ce n’était pas du tout ce à quoi il s’attendait. A la dernière question de Sept, Louis n’avait pas su s’empêcher de ricaner. « Pas vraiment séduisant ? Tu rigoles j’espère là ! Je pourrais littéralement te faire signer dans une agence dans la minute pour défiler demain ! » Mais, évidemment, Septime est beaucoup trop bien pour ça. Louis leva les yeux au ciel. « Non, c’est pas important. » Il soupira. C’était un peu un mensonge. Il reprit alors : « Si. C’est important. Je sais pas ce que j’aurais fait si tu avais été totalement repoussant. » Voilà qui avait au moins l’avantage d’être totalement transparent. Il aimait penser qu’il aurait su se fier au feeling qu’ils avaient eu au téléphone mais il n’était même plus sûr que ce feeling existe vraiment. « Pour ce qui est de la garde robe, je crois au pouvoir du relooking. » Allez, ça allait lui plaire ça à Sept.