Désolée. Elle est désolée de l’apprendre. Tu lâches un rictus nerveux entre deux inspirations de ton incendiaire et te contentes de hausser les épaules. Comment elle pourrait être désolée ? Par politesse ? C’est vrai que t’oublies que les gens comme ça n’ont pas vraiment le rapport sincérité de visage et pensée qui agissent au même moment. Peut-être que c’est juste pour paraître empathique. Tu ne sais pas. Tu ne sais plus. Tu n’arrives pas bien à réfléchir en fait. Tu as juste envie de finir cette cigarette, retourner au boulot et rentrer chez toi régler le bordel. Si tu peux le faire…

Tu vois qu’elle essaye pourtant d’en savoir plus, qu’elle essaye de comprendre. Tu fronces les sourcils en tapotant ton mégot pour faire partir la cendre. Tu secoues un peu la tête en recommençant à tirer sur ton mégot, laissant le feu faire une légère étincelle rouge plus forte que d’habitude. Tu souffles plus loin, la fumée qui s’échappent entre tes lèvres et secoues la tête pour te concentrer sur la blonde.

- Oh, v’savez… Dans l’bâtiment, ça arrive. J’vous l’ai dit, accident d’travail.

Tu fronces un peu les sourcils, plus nerveux. Tu t’approches d’elle, croisant son regard, méfiant. Mais c’est surtout le naturel qui revient au galop surtout. Le naturel qui n’aime pas qu’on pose les questions et qui préfère gérer ses soucis en internes en voyant la lenteur de l’administration danoise et l’injustice qu’offre parfois la police. Tu grimaces doucement.

- En quoi ç’vous intéresse ? Z’êtes dans la flicaille ?

Que tu sors, par réflexe défensif. Tu trembles de la main, la cigarette toujours au bout de tes doigts. Tu serres les dents avant d’entendre ton nom hurlé plus loin. Tu redresses la tête en voyant un de tes collègues. Tu grognes et retournes à la poubelle pour écraser le mégot contre le mur de la rue avant de jeter le mégot. Tu passes devant la blonde avant d’entrer de nouveau dans le café et siffles.

- Restez en dehors d’ça. C’mieux pour vous, Mam’Zelle.

Dans le bâtiment, affirme-t-il, ce sont des choses qui arrivent. Un bête accident de travail. Rien de plus. Rien de plus, vraiment ? Dans ce même domaine, il n'est pas rare de voir des accidents de travail arriver par négligence, parce que les patrons n'ont pas voulu investir plus d'argent dans la sécurité. Elle ne serait pas surprise d'apprendre que la structure n'était pas des plus sécurisées, que cela avait été signalé et que rien n'a été fait. C'est plus courant qu'on ne le pense. Tous les employeurs ne sont pas forcément honnêtes. Mais alors qu'elle essaie d'en savoir plus, qu'elle le questionne un peu sur tout ça, essayons de savoir si par commun il parle d'un même employeur qui aurait connu plusieurs pertes ou de toute autre chose, l'homme semble soudainement sur la défensive. Il est plus nerveux, aussi, tirant sur la cigarette comme pour se calmer avant d'approcher d'elle vivement. Leurs regards se croisent et, dans les pupilles de l'homme, et le distingue un feu sauvage, la nécessité de ne pas poser trop de questions.

Ses mots ne laissent guère place au doute comme il veut rapidement savoir en quoi ça l'intéresse et si elle est de la flicaille. À partir de là, elle n'a plus vraiment de doutes sur la réalité du métier concerné. C'est probablement bien autre chose qu'un bête accident de travail dans le bâtiment. Mais elle n'est pas stupide au point de lui faire remarquer qu'en se comportant ainsi, il a dévoilé sa manche. Pas stupide au point de lui faire comprendre qu'elle a parfaitement compris au moins de quoi il s'agissait. Certainement des choses pas vraiment légales et dans lesquelles le jeune homme n'a pas tellement envie que la flicaille, comme il dit, vienne mettre son nez.

Est-ce qu'elle est de la flicaille ? Non. Est-ce qu'elle travaille avec eux ? Pas tant que ça non plus. Parfois oui, parfois non. Tout dépend selon qu'elle défende la victime ou l'accusé. Il y a une tripotée de flics qui n'apprécient pas particulièrement les avocats en ville parce que, s'ils aident les victimes, ils aident aussi parfois des coupables à s'en sortir. C'est à double tranchant, quoi qu'elle n'éprouve jamais aucun plaisir à épargner la prison à une personne dont elle sait parfaitement qu'elle la mériterait.

On l’appelle au bout de la rue et l’homme s’avance, écrasant sa cigarette, la menaçant au passage en lui précisant qu’elle ferait mieux de rester en dehors de tout ça. C’est mieux pour elle. Elle fronce légèrement les sourcils, alors, convaincue, définitivement, qu’il y a quelque chose qui ne tient pas dans son histoire. Quelque chose qu’elle n’a pas la prétention d’exactement connaître, mais dont il n’est pas difficile de comprendre que ce n’est probablement pas très légal. Poussant un soupir, elle retourne donc à sa place, retrouvant sa table et ses affaires, attendant qu’il passe de nouveau à proximité d’elle pour pouvoir l'interpeller, lui tendant une carte de visite en même temps.

"- Pour répondre à votre question, je ne suis pas policière. Je suis avocate."

Alors que tu essayes de partir, de retourner faire ce pourquoi, tu es dans ce coin de ville, que tu es prêt à retourner en terrasse, la voilà qui s’avance encore une fois vers toi, te tends une carte et s’en va. Tu plisses les yeux un instant, reconnaissant quelques lettres et redresses la tête en grimaçant. Tu rages intérieurement et range le tout dans ta poche avant de reprendre le boulot jusqu’à la fin du service. Tu verras avec ton meilleur ami en rentrant.

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- Une avocate… P’tain !!

Que tu dis, que tu hurles, faisant les cent pas dans le bureau. Silas, assis derrière, relit attentivement la carte de visite et sourit un peu, te suivant du regard.

- Tu veux son nom ? Il y a même son numéro de téléphone. Vu l’esthétique de la carte, elle travaille dans un truc plutôt huppé.
- La ferme putain.

Il rigole un peu avant de la reposer devant lui, avant de finir d’agrafer un dossier pour le ranger dans l’armoire derrière lui. Tu soupires de ton côté, venant poser tes mains sur le dossier de la chaise en face. Tu essayes de réfléchir rapidement, tes yeux se posant de nouveau sur la carte que tu arrives à lire doucement. Alexandra… C’est donc son nom. Tu inspires doucement, la tête basse avant de faire signe.

- Garde-moi ça dans les papiers ok ? Et donne pas aux gars. J’veux personne d’sus.
- Ouh.. Chasse gardée ? Qui est-ce ?
- Une cliente d’café. L’genre d’nana qu’ici ça sert à rien d’espérer avoir… J’veux pas qu’ils s’en approchent. D’t’façon, y a aucune raison qu’elle vienne par ici, donc...

Il rigole de nouveau en revenant s’asseoir, laissant son visage tenir dans une de ses mains. Il te regarde avec curiosité, comme s’il avait vu quelque chose dans ton regard que tu ignorais encore. Tu siffles, claque ta langue contre ton palais et te redresse.

- Aller, j’file au garage… Y a des trucs à régler.

Que tu dis en t’apprêtant à partir, une main sur l’encadrement de la porte. Pourtant, tu t’arrêtes en plein milieu, te retournant vers lui une nouvelle fois. Tu croises ses yeux bleus, qui se font interrogatifs et fais un signe de la tête.

- T’as des nouvelles d’Sonny ?

Son expression change, au brun. Il serre les dents, baisse les yeux et porte une main à son pendentif en hochant doucement la tête, comme confirmant que le concerné allait bien pour le moment. Tu hoches la tête en réponse, voulant reprendre ton chemin.

- Il...

Tu te figes, attendant la suite.

- Il m’a dit… Je cite… Dit à Moony que je sors bientôt…

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Tu n’es pas revenu au café pendant plusieurs jours. Le patron le savait, les collègues moins, mais ils n’avaient pas besoin d’être au courant. Et c’est comme ça que tu t’es repointé, sans rien dire, te préparant comme si tu n’étais jamais parti, sans faire attention à comment tu étais. Enfin, le regard était froid et ta lèvre semblait avoir été ouverte récemment. On voyait encore la trace d’un œil au beurre noir si on s’attardait sur toi, mais rien de grave. Tu inspires doucement avant de sortir pour commencer tes commandes et… évidemment qu’elle est là. Tu approches, essayes d’être professionnel et souris.

- Bonjour Mam’Zelle. Ce s’ra quoi aujourd’hui ?

Alexandra soupire en s’éveillant ce matin-là, s’étirant dans ce grand lit toujours trop froid pour elle et son regard se fixe sur le plafond qu’elle observe de longues minutes. Restant immobile, plongée dans ses pensées, elle se perd à observer les reflets de lumière du jour naissant entrant par les fenêtres dont elle a oublié de fermer les volets la veille. Puis elle ferme les yeux, soupirant de nouveau dans le silence de la chambre, seulement rompu par le tic-tac régulier de l'horloge posée sur la table de nuit.

Il y a des matins qui sont plus simples que d’autres. Des matins où faire semblant d’être indifférente à sa solitude est compliqué. Des matins où faire croire qu’elle se sent parfaitement à sa place dans son existence est difficile. Des matins où elle se sent submergée par cette sensation familière, ce vide constant, comme une vieille mélodie triste qui joue en boucle dans son cœur.

Repoussant ses couvertures, elle s'assoit finalement sur le bord du lit, laissant son regard errer sur le paysage extérieur. Dehors, les oiseaux chantent, les premiers passants s'animent, quelques bruits de voiture se font entendre, et la vie lui donne l'impression, en ce petit matin, d'avancer sans elle. Un nouveau soupir s'échappe de ses lèvres. Y’a-t-il quelqu'un, quelque part, qui ressent la même chose qu'elle en ce moment ? Quelqu'un qui peut comprendre cette douleur silencieuse qui la hante ? Elle voudrait croire que oui. Et cette âme pourtant ne semble pas vouloir croiser sa route.

Se levant finalement de son lit, elle se prépare rapidement, commençant par sa routine matinale avant de filer sous la douche. Puis, enveloppée dans sa serviette, elle se dirige dans son dressing, y enfilant un tailleur pantalon gris à carreau par dessus un t-shirt simple en satin blanc. Prenant place devant sa coiffeuse, elle se maquille légèrement et brosse ses cheveux, fixant ensuite sur sa tête une gavroche élégante. Enfin, elle enfile une paire de bottines laquées noires, les zippe, et attrape sac à main, dossier et housse d’ordinateur pour filer rejoindre le même café dans lequel elle se rend presque tous les matins ces derniers temps, s’y installant rapidement à la même table que d’habitude.

Il est là cette fois, et elle sursaute presque en le réalisant, comme elle ne l’a plus vu depuis la dernière fois. Depuis le jour où il a perdu un ami, dans un accident de travail, dont ils savent tous deux que ce n’est qu’un prétexte. Plus vu depuis ce jour où il a cru qu’elle était de la police. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas si fière allure, aujourd’hui. Quelqu’un de lambda ne s’y attarderait peut-être pas, ne le remarquerait pas. Qui fait attention à son serveur ? Qui se soucie, dans un tel endroit, de remarquer une lèvre abîmée, un œil encore légèrement violacé ? Probablement pas grand monde. Mais elle, elle le remarque. Elle s’y attarde. Probablement parce qu’elle l’a vu, la dernière fois, être vulnérable. Mais elle ne commente pas. N’avait-il pas dit de ne pas s’en mêler ? Elle lui avait donné sa carte. Le reste n’était plus de son ressort. Elle ne pouvait pas lui forcer la main.

"- Bonjour. Un thé à la menthe et deux smørrebrød, un au saumon, l’autre aux crevettes." commande-t-elle avant que son téléphone ne sonne. "Excusez-moi." dit-elle en décrochant. "Ilsøgh ?"

Au bout du combiné, une voix masculine. Une affaire ancienne à rouvrir, de nouveaux éléments de preuves qui laissent à penser que le condamné est peut-être, en réalité, innocent. Une histoire de bagarre qui aurait mal tourné, sur fond de mélodrame amoureux. Elle fronce les sourcils, jetant un coup d'œil à la liste de ses dossiers en cours. Une nouvelle affaire ne l’arrange pas vraiment, avec son emploi du temps déjà chargé. Mais quand le procureur en personne vous appelle… Elle pince les lèvres.

"- Bien sûr Monsieur. Où dois-je me présenter pour récupérer le dossier ? Quand ? Très bien. Bonne journée, monsieur." dit-elle en raccrochant, avant d’ajouter une ligne dans sa liste au nom de Nikolai “Sonny” Aagaard.

Tu manques de reculer rapidement quand elle sursaute d’un coup en entendant ta voix. Ah ouais, tu étais parti autant de temps que ça ? Tu clignes légèrement les yeux avant de revenir à elle, posant tes mains sur le dossier de la chaise en face d’elle pour t’appuyer dessus. Tu bascules un peu la tête sur le côté en voyant qu’elle met un certain temps à répondre. Tu hoches alors la tête quand elle ouvre enfin la bouche pour sa commande. Tu mémorises rapidement avant de voir qu’elle avait eu un appel. Un coup d’œil rapide pour voir le nom d’un procureur.

Comment tu l’avais reconnu ? Parce qu’il avait fait parler de lui, à entrer rapidement dans le système, jeune agressif et réussissant beaucoup de ses affaires en s’entourant de bon avocats. Bien sûr, trop cher pour les gens comme toi, mais c’était quelque chose qui avait fait parler dans les journaux. Tu fais alors mine de partir pour aller chercher d’autre commandes avant d’avoir une oreille plus ou moins attentive à sa discussion. Parce que oui, ce mec était capable de sortir des vieilles affaires du placard, un peu expédié à l’arrache ou sous le coup de pot-de-vin pour essayer d’avoir la vérité.

Un truc qui ne te plaisait pas si ça concernait les vieilles affaires des Aigles, mais qui sait. Tu repars ensuite, n’ayant pas appris grand-chose. Tu aides à préparer la commande tranquillement, parlant avec tes collègues en rigolant un peu, comme si de rien ne s’était passé. Puis tu reviens, un plateau plein sur les bras, tentant de servir tout ton côté de terrasse pour finir de son côté sur elle…

- Et voilà Mam’Zelle.

Que tu dis, la bouche en cœur pour lui donner ce qu’elle demande, avant d’avoir un œil sur ses papiers… Avec un nom, que tu reconnaîtrais entre mille, malgré tes difficultés à différencier les lettres… Sonny...

On va réouvrir le dossier. Ton avocat viendra bientôt. Qu'on te dit alors que tu es là, assis à cette table que tu connais que trop bien. Celle des interrogatoires. La salle est froide, grise, la porte est devant toi, tu as les pieds qui tremblent et la folle envie de fumer une clope. Tu serres les dents, ayant appris qu'on viendrait te voir. Tu pensais à ton visiteur habituel, pas à de l'administratif. Ni que ton avocat avait changé. Après tout, le système avait fait en sorte que les Aigles Noirs ne puissent pas t'aider avant, coupant les ailes de ton frère, l'enchaînant au sol encore aujourd'hui.

Tu ne sais donc pas ce qui se passe dehors, n'ayant les nouvelles que de la part de Silas. Et Dieu sait qu'il évite aussi d'en dire trop pour que tu pètes un câble et tente de t'enfuir, rallongeant ta peine qui était déjà bien chargée. Pourtant, quelque chose, de l'ordre de l'instinct, t'avait dit que tu sortirais bientôt. Peut-être que cette fois, cette personne-là serait ton billet de sortie. Tu ne sais pas. Juste que le dossier avait été envoyé dans la semaine et qu'elle voulait te voir. 

Tu bascules la tête en arrière, alors que tu tapotes sur la table, faisant tinter le bruit des menottes dessus. Tu ne sais pas combien de temps, ils te font attendre comme ça, dans le silence, sachant très bien qu'un garde est derrière. Tu n'as même pas envie de te lever et finalement, la porte s'ouvre. Tu lèves un sourcil et baisses la tête pour croiser le regard de ton futur interlo… Oh ? Tu fronces un peu les sourcils, surpris par l'allure et l'apparence de la demoiselle devant toi. Tu as un drôle de sourire en coin et t'affales un peu plus dans ton siège.

- Ah ouais… Si on m'avait dit qu'j'aurais une futur avocate aussi mignonne… P't-être qu'j'aurais fais un effort avec ça.

Que tu dis en caressant ta barbe du bout des doigts avant de rigoler un peu. Ouais, la déstabilisation avant tout. Joueur. 

Elle remercie le serveur, accompagnant ses mots d’un signe de tête et d’un sourire poli, comme il apporte sa commande à table, ne remarquant pas le regard qu’il jette à ses dossiers subrepticement, découvrant le nom de son frère, alors, au milieu des affaires qu’elle doit traiter dans les prochaines semaines, les prochains mois et, pour certaines, les prochaines années. Le laissant retourner à ses occupations, elle-même se plonge alors dans le travail tout en prenant son petit déjeuner, triant ses affaires en cours et actualisant certaines données, dans l’attente d’aller récupérer son nouveau dossier en cours.


Quand elle avait accepté de s’occuper de l'affaire, bon gré, mal gré, parce qu'elle n'avait pas d'autre choix, Alexandra était loin d'être prête pour ce qui l’attendait. Dès lors qu'elle avait eu le dossier entre les mains, et qu'elle l’avait ouvert, elle était tombée directement sur la photographie d'un jeune homme qui ressemblait trait pour trait au serveur du café. Il ne pouvait toutefois pas être lui, puisque l'homme sur ce cliché était encore en détention en train de purger une peine peut-être injuste  dans l'une des prisons du pays. Aux dernières nouvelles, ne s’étant pas fait la malle, il y croupissait toujours.

Un rapide parcours du dossier lui avait donc appris que l’homme dans sa cellule et l’homme au café étaient jumeaux. Par la même occasion, elle avait appris le nom de son serveur, Søren Aagaard. Le nouveau principal suspect, diraient certains. Quand on cherche à innocenter un jumeau, quelles sont les chances que le vrai coupable ne soit autre que son frère ? Leurs ressemblances pouvaient permettre de jeter le doute sur les identifications réalisées par les témoins. Qui ressemble plus à une goutte d’eau qu’une autre goutte d’eau ? Pourtant, elle ne se précipitait pas sur cette hypothèse. Le dossier était trop bancal pour qu’elle privilégie d’ores et déjà une piste plutôt qu’une autre. Elle verrait bien ce qu’elle tirerait de tout ça en allant discuter avec le dit Sonny. En espérant qu’il parle.

En arrivant à la prison, on la conduit rapidement dans une salle d’interrogatoire dans laquelle attend son nouveau client, l’air visiblement surpris en la voyant entrer. Une surprise qui passe rapidement, comme il s’affale dans son siège en commençant à faire le malin, caressant les poils de sa barbe de plusieurs jours en évoquant un effort qu’il aurait pu faire. Evidemment. Elle aurait été un homme, il se serait probablement gardé de faire un tel commentaire mais, puisqu’elle était femme… Elle en avait tristement l’habitude. Aussi doré que soit son monde, il était fait d’imperfections. La misogynie n’en était pas exempte.

"- Une chance que je ne sois pas là pour m'encanailler dans ce cas, monsieur Aagaard." remarque-t-elle en prenant place sur le siège lui faisant face. "Mais je suppose que vous le saviez déjà. Je suis votre nouvelle avocate, Maître Ilsøgh." se présente-t-elle rapidement. "Bien... Pour commencer... Pouvez-vous me dire comment se passe votre détention ?"

S'assurer, dans un premier temps, que les termes de celle-ci sont respectés, pour protéger les intérêts du détenu autant que faire se peut. Le dévisageant, elle est presque surprise, tant il ressemble à son frère, de ne pas voir le crâne tatoué dans son cou. Ils étaient définitivement semblable. Et très différent, tout en même temps. Pas la même allure. Pas la même énergie. Sonny était plus... Il était moins... Ils semblaient être comme le jour et la nuit.

M’encanailler ? Tu lèves un sourcil, essayant de comprendre un peu ce qu’elle raconte, mais ce n’est pas facile. Surtout si elle utilise des mots que tu ne comprends pas. Elle vient d’où ? Elle sort d’où ? Tu sais que tu en parleras à Silas quand il viendra te rendre visite. Tu grimaces en détournant le regard quand tu entends ton nom de famille et te redresses un peu sur la chaise. Tu hoches la tête quand elle se présente et pouffe doucement en te penchant un peu, levant un peu les yeux pour croiser son regard. Tu tapotes du doigt sur la table et ricanes doucement.

- J’dois dire quoi ? J’dois laisser une note sur Google ? Un p’tit commentaire sur la bouffe et l’accueil ?

Tu hausses les épaules en te calmant doucement avant de passer une main sur ton visage. Ouais, bon, pour avoir l’avocate dans la poche, c’est mal barré pour le moment. Mais c’est amusant de voir les réactions de la jeune femme en fait. Après tout, à part quelques Aigles, Silas et ton frère, personne ne t’avait rendu visite depuis trois ans. Alors un peu de nouveauté, c’est drôle. Tu te grattes un peu le cou en tournant la tête et soupires de nouveau.

- Nan, cherchez pas. C’pas un club de vacance, mais c’pas non plus la mort. J’me suis pas encore plombé la cervelle, donc tout va bien.

Que tu clames, un sourire confiant sur le visage. La vérité, tu le sais, c’est que sans l’aide des Aigles déjà en prison et les visites de tes proches, tu serais peut-être déjà en train de péter un câble, devenir fou, suicidaire ou tu aurais fini par t’échapper, aggravant ton cas qui n’était déjà pas bien stable. Puis, pour le gouvernement, les policiers, tu étais une cible facile et un dossier à fermer sans plus d’enquête. Déscolarisé, enfant d’un chef de gang, biker, membre du même gang, violent, bagarreur, lié possiblement à des trafics de drogue et d’arme… Et peut-être que te foutre ici était une occasion pour eux d’affaiblir le gang, mettre ton frère dans la merde et espérer qu’il fasse une erreur…

Mais tu connais Søren. Il est plus intelligent que toi pour se protéger. Plus serein, plus stable, plus rationnel. Tu croises les mains sur la table, index joint ensemble et regarde la jeune avocate.

- C’est quoi la douille ? Mon dossier est clos nan ? Mon ancien avocat m’avait dit qu’j’avais eu d’la chance d’avoir pris qu’dix ans. C’est quoi l’problème alors ? Hum ?

Alors qu'elle veut s'assurer des conditions de sa détention, de la façon dont il vit son emprisonnement, lui qui est peut-être innocent dans l'affaire qui l'y a envoyé, il continu de faire le malin, de provoquer, de s'amuser, comme si tout ça n'était rien de plus qu'une vaste blague, une comédie à la lisière du dramatique. Elle le scrute, attendant qu'il poursuive, alors qu'elle précise :

"- Non, non, me dire si vos droits et votre dignité sont respectés, ça suffira." répond-elle en le fixant.

Il ne l'a peut-être pas remarqué, mais elle n'est pas là pour s'amuser, elle. Pas là pour jouer. Et quoiqu'elle se soit retrouvée avec cette affaire un peu malgré elle, elle est dans son camp. Si elle est là, c'est pour réparer le préjudice qui l'impacte probablement. C'est pour rétablir la vérité dans l'affaire qui est la sienne. Pas pour lui servir de jouet.

Il hausse les épaules, se replaçant dans son siège, passant une main sur son visage dans un signe qui pourrait trahir une certaine nervosité. Elle lève un sourcil en continuant de l'observer tandis qu'il se gratte le cou, se racle la gorge et finit par parler brièvement, remarquant que ça n'est pas si terrible. Pas un Club de vacances, certainement, mais pas la mort non plus. En tout cas, pas au point de s'être fait sauter la cervelle, même si la vérité est qu'il ne pourrait pas le faire, même s'il le voulait. Elle s'abstient de le lui faire remarquer.

Il joint les mains sur la table, la dévisageant, posant les questions que n'importe qui à sa place se poserait. Son dossier est supposément clos depuis trois ans. Depuis qu'il croupit ici. Faut dire qu'il avait un joli casier. Sanguin. Bagarreur. Impliqué dans des trafics. Membre d'un gang. Et ayant participé à une rixe mortelle, pour laquelle il a été arrêté et inculpé. Le CV parfait, en définitive, pour finir facilement là où il était et y rester suffisamment de temps pour oublier jusqu'à la sensation de la liberté.

Alors qu'est-ce qui a changé ? Qu'est-ce qui se passe maintenant pour qu'une avocate débarque avec son dossier, prête à reprendre l'affaire en main trois ans plus tard ? Bien sûr qu'il se pose la question. Bien sûr qu'il s'en étonne. N'importe qui à sa place s'en étonnerait tout autant, poserait les mêmes questions.

"- De nouveaux éléments en notre possession nous poussent à penser que vous êtes probablement victime d'une regrettable erreur judiciaire. Alors le procureur fait rouvrir votre dossier." explique-t-elle avant de reprendre. "Je suis chargée de vous représenter et préserver vos intérêts, alors je ne vais pas y aller par quatre chemins, monsieur Aagaard. Pour assurer votre défense et éventuellement vous disculper dans cette affaire, je vais avoir besoin que vous soyez honnête avec moi. J'ai besoin que vous me racontiez votre version des faits. Bien qu'elle soit consignée dans votre dossier, je veux l'entendre de votre bouche et avec autant de détails que possible. Qu'est-ce qui s'est passé ce jour-là."

Tant qu'à rouvrir un dossier légèrement bancal, elle préfère revoir certains des éléments qui le composent.

Le jargon est lancé. De nouveaux éléments hein ? De ce que tu savais, de mémoire et ce qu'on t'avait appris, ça voulait soit dire que des preuves sont ressortis et sont exploitables, soit un témoin à parler, un témoin souvent crucial qui a pu changer toute la chronologie des évènements. Dans ton intérêt ? Dans l'intérêt d'un autre ? Est-ce que ça va t'enfoncer encore plus ? Te faire sortir ? Tu ne sais pas. Et encore pire, Søren le sait ? Ta jambe commence déjà à trembler, nerveux. C'est quoi qu'elle veut ? Que tu réexpliquer les faits trois ans après ? Avec le risque que la mémoire ne soit plus aussi fraîche qu'à l'époque ?

Bien sûr que tu t'en souviens parfaitement… Mais… Tu inspires doucement, la toisant du regard. Tu hausses les épaules quand elle pose la question… Et tu joues un peu avec la chaîne des menottes. Tu grimaces et recommences à sortir tes mensonges alors qu'un bout de ton esprit se remémore la vérité… La stricte vérité.

- C'tait un sam'di. J'avais envie d'sortir un peu tout seul.


- Y avait un bar qui avait l'air sympa, alors j'm'y suis attardé.


Tu commences à te masser la nuque, nerveux. Tu n'essayes même pas de croiser son regard à la jeune femme. Tu bascules la tête en arrière et par réflexe cherche un pendentif que tu ne portes plus depuis que tu es entre les barreaux de cette prison. Tu grimaces.

- J'avais un peu bu. Y avait un type qui m'a r'connu. Il voulait genre, m'faire chier et j'ai juste frappé pour qu'il m'foute la paix. Puis j'suis parti. Il était encore en vie quand j'suis r'tourné chez moi. J'l'ai déjà dit au flic.


Tu croises les bras sur ton torse et sourit un peu.

- Aut' chose ?

Il commence à raconter son histoire, les faits, ce dont il se souvient, et à mesure qu'il parle, la jeune femme se rend compte que ce sera compliqué de le faire parler. Évidemment, il prétend qu'il était seul ce soir-là dans ce bar, alors même qu'Alexandra sait parfaitement que ce n'était pas le cas. Elle ne dit rien cependant, pour l'instant, le laissant parler, continuer son histoire, croisant les bras sur sa poitrine en l'observant s'enfoncer dans son mensonge. Il est plutôt bon pour mentir et, si elle n'avait pas connaissance des nouveaux éléments dans l'enquête, elle pourrait s'y laisser prendre. Sauf que ce n'est pas le cas. Il pouvait mentir il y a trois ans, mais plus aujourd'hui. Plus maintenant.

Quand l’homme termine de parler, elle garde les bras croisés sur sa poitrine en l’observant comme il demande si elle veut autre chose. Et comment, qu’elle veut autre chose. Elle veut la vérité, loin des mensonges qu’il a soigneusement répété depuis le début de l’affaire, loin des éléments qu’il a donnés autrefois. Elle veut la vérité nue derrière cette histoire qu’il a monté de toute pièce. Et un sourire se dessine sur ses lèvres.

"- Hé bien, quelle histoire…" souffle-t-elle en l’observant. "Dommage que ce ne soit pas la vôtre, monsieur Aagaard."

Elle se redresse sur son siège, ouvrant le dossier qu’elle a apporté et sort une photo de celui-ci. Le portrait d’un jeune homme brun, les yeux bleus, l’air doux, dont on ne sait comment il a composé l’entourage qui est le sien aujourd’hui mais qui fait bel et bien partie, d’une manière ou d’une autre, de la bande. Elle ne connait seulement pas encore, vraiment, l’ampleur de son implication dans l’organisation. Posant le cliché devant elle pour que Sonny puisse le voir, elle observe ses réactions et jurerait le voir se raidir.

"- Ou dans ce cas, il faudra m’expliquer pourquoi on vous a vu dans ce bar ce soir-là en compagnie de ce jeune homme." questionne la brune sans vraiment attendre de réponse, parce qu’il n’y en a pas à donner. "Vous le reconnaissez, j’imagine ? Silas Dam. Un visiteur régulier si je ne m’abuse. Il vient vous voir quoi ? Deux à trois fois par semaine ? Toutes les semaines ? Depuis trois ans ?"

Elle ne demande pas vraiment, elle énonce les faits tels qu’ils sont, tels qu’elle les connaît, alors que les entrées et sorties de la prison, les visites, sont soigneusement consignées. Une fréquence bien supérieure à celle des visites de Søren, le propre frère du détenu.

"- Alors dites moi… Vous avez une liaison avec ce garçon ?" demande-t-elle en l’observant encore, surveillant le moindre tic nerveux sur son visage, le moindre indice du juste cheminement de ses pensées sur la relation qu’ils entretiennent, tous les deux. "Est-ce qu’il est impliqué d’une manière ou d’une autre dans ce qui est arrivé ? Est-ce que c’est lui que vous cherchez à protéger en dissimulant la vérité ?" questionne-t-elle avant de sortir un autre cliché qu’elle lui montre. "Ou est-ce votre frère, Søren Aagaard ?"

Et elle la sent monter en lui, cette pression, cette nervosité, cette explosion qui menace, parce qu’elle s’approche trop près des siens. Nikolai Aagaard est décrit dans son dossier, selon le profil psychologique, comme une personne impulsive, colérique… Elle savait à quoi s’en tenir en débarquant ici. C’est probablement pour ça qu’il y a une vitre qui les sépare, tous les deux.

"- Pour que je puisse vous aider, il faut me dire la vérité. Je suis votre avocate, Sonny. Je suis avec vous, pas contre vous…"