C’est parfait qu’elle te dit. Tu souris alors, prêt à repartir pour finir ta tournée avant de la voir s’agiter en voyant ton meilleur ami et le motard au loin. Tu plisses un peu les sourcils, ne comprenant pas ce qui l’inquiète d’un coup. Ni sa question d’ailleurs ? C’est quoi le rapport choucroute ? Tu bascules un peu ta tête sur le côté, montrant un peu plus facilement le tatouage de crâne que tu as sur le cou avant de faire un mouvement négatif.

- Hum, non. J’ai encore du merdier à finir en salle, j’dois aider à la plonge et...

Mais t’as pas le temps de demander pourquoi, de finir correctement ta phrase qu’on te demande à l’intérieur. Tu te retournes rapidement, voir qui te faisait signe et sourit avant de revenir à la demoiselle.

- Bougez pas, j’reviens.

Tu te mets à trottiner pour revenir à l’intérieur et t’entretenir rapidement avec le patron. Tu comprends que ton ami au cuir sur le dos a été repéré, qu’il surprend un peu, mais que pour le moment ce n'est pas grave… Tant que le reste du garage ne se montre pas. Tu fais comprendre à ton tour que les deux motards ne feront rien, surtout qu’un des deux n’est ni armé, ni aux couleurs du gang… Donc que tout va bien, qu’ils sont là justes parce qu’ils attendent ta fin de service et tu ressors pour finir le service avant de retourner dans le coin voir la jeune femme.

- Voilà, vous disiez ?

Puis ça te percute. Oui, elle demandait quand tu partais, quand tu finissais le service. Tu regardes rapidement l’heure sur l’horloge qui est visible depuis l’extérieur, par une des fenêtres du café restaurant. Tu calcules rapidement, au moins un truc où tu as toujours été bon à l’école, pour le peu de temps que tu y as passé.

- Ah ouais. J’disais, dois m’rester pt-être trois quarts d’heure d’taff. Pourquoi c’te question, Mam’zelle ?

Quand il bouge la tête, il rend le tatouage dans son cou plus évident, permettant à Alexandra d’en reconnaître le motif. Et son regard reste rivé, alors, un petit instant, sur cette représentation d’un crâne dans le cou de l’homme, une énième étrangeté dans le cadre lisse et parfait du café. Pourquoi un homme qui travaillait dans un endroit si élégant arborait-il un tatouage aussi audacieux ? Il n’avait rien à voir avec le reste des serveurs embauchés ici. S’en devenait curieux. Mystérieux. Il détonnait dans le décor. Il détonnait vraiment. Non pas que ce soit dérangeant. Mais elle ne comprenait pas. C’était comme s’il s’était perdu en chemin à un moment donné, s’arrêtant ici pour y travailler.

Il a encore du travail en salle, répond-il à sa question, un peu vulgairement, évoquant aussi de la plonge à faire et elle hoche la tête. Elle n’attendait pas vraiment le détail précis de sa matinée de travail, à vrai dire. Seulement, il lui semble qu’il a l’air attendu par les deux types à motos installés plus loin, au vu des signes qu’il leur a adressés. Non pas que ça la regarde vraiment, en réalité. Ça ne la regarde même pas du tout. Sa question ne concerne pas tant ses projets, en réalité, étant plus terre à terre. Mais il s’excuse rapidement, appelé à l’intérieur et elle le regarde s’éloigner avant de reprendre son travail.

Elle sursaute de nouveau quand il revient près d’elle, la sortant de ses pensées à nouveau, la questionnant alors qu’il semble avoir oublié, pendant un instant, ce qu’elle lui demandait un peu plus tôt. Mais elle n’a pas le temps de répéter que ça le percute, indiquant qu’il lui reste trois quart d’heure de boulot. Mais forcément, il ne comprend pas vraiment le sens de sa question. Elle plonge la main dans son sac à main de nouveau, jetant un coup d’œil à sa table, pour sortir de son porte monnaie un billet de dix euros qu’elle lui tend.

"- Pour votre pourboire."

En Finlande, c'est vrai que c'est plutôt rare, à l'exception des endroits comme celui-ci, jouissant d'une certaine popularité et prétendant à un certain standing. Et dans trois quart d'heure, elle sera toujours là, plongée dans son travail. Alors elle doute franchement de le voir partir et pouvoir lui donner à ce moment là. De fait, elle anticipe, reposant son sac à main sur la banquette à côté d'elle en tendant toujours le billet de l'autre main.

Tu clignes un peu rapidement des yeux quand elle t’annonce la raison de sa demande, la raison pour laquelle elle semblait inquiète de savoir quand tu finirais. Tu bug un peu et voit ce qu’elle sort du sac et fronces les sourcils avant de prendre le billet. Tu as un sourire en coin, un rictus nerveux qui sort de ta bouche et hoches la tête.

- Merci pour ça Mam’zelle. Z’étiez pas obligée, vous savez. J’ai fait qu’mon taff.

Que tu dis, avec sincérité et naturel. Parce que c’était le cas. Tu voulais juste faire en sorte que le restaurant ne perd pas une cliente qui, apparemment, vient régulièrement. Tu ranges le billet en poche. Tu inclines la tête, prêt à reculer pour la laisser tranquille avant de voir ton patron arriver derrière. Tu fronces les sourcils alors qu’il te murmure quelque chose à l’oreille. Tu bug un peu et recules, comme pour voir son regard pour vérifier qu’il ne ment pas ou n’essaye pas de te la faire à l’envers. C’est que tu deviens bon avec ce genre de devinette.

- Sans dec ? Nickel alors. S’cusez. Finalement, j’dois filer.

Que tu dis à la petite blonde, souriant, lui offrant un petit clin d’œil avant de siffler un collègue pour qu’il puisse prendre la suite avec elle, pour l’encaisser quand elle partira. Tu retournes à l’intérieur pour te changer, laissant donc les autres finir la mâtiné. On te donne ton salaire, le reste des pourboires que tu ranges dans l’intérieur de ta veste. Tu ressors du café, habillé comme si tu sortais d’un quartier défavorisé, cigarette pas allumée entre les lèvres et sort tranquillement rejoindre les deux idiots qui t’attendaient. Tu câlines un peu Silas en demandant pourquoi il était là et prend ton casque pour retrouver ta moto et partir de ce quartier, toi en tête… Une bonne journée en perspective.

---------------------------------------

- Passe une bonne matinée hein ?
- Bah t’sais… Vu la thunes qu’ils crachent ces richoux, j’pense pouvoir passer l’hiver au chaud… Et mettre d’côté pour l’club, les assoc pour les gamins du coin et tout. Y manque quoi dans la caisse d’ailleurs ? Tout a été payé ?

Que tu demandes en tirant un peu sur l’incendiaire entre tes lèvres. Le brun devant toi vérifie rapidement son téléphone pour te répondre alors que vous vous étiez appuyé sur vos motos respectives, toi attendant l’horaire pour commencer à travailler au café, lui qui t’accompagnait juste.

- Oui. Tous les salaires ont été payés, les mécanos et la protection de quartier a été prélevé par Niels hier. On est dans le vert pour ce mois-ci.
- Bah p’tain ! J’aurais pas cru ! Vu la commande passer par c’con d’Mika pour la protection… Bah mon cochon ! T’as fait du bon taff ! Comment t’as sauvé les meubles ?

Ton meilleur ami rigole un peu et hausse les épaules, comme s’il s’agissait d’une broutille pour lui, un truc qu’il a l’habitude de faire.

- Tes pourboires ont bien aidé et les commerçants ont été généreux. Tu fais ton travail correctement en les protégeant. Ton père serait fier de toi.

Tu ricanes doucement, jetant un regard au troisième motard qui vous accompagne, de loin. L’air patibulaire, grand comme un frigo, menaçant, le regard caché derrière ses lunettes de soleil et le cuir sur le dos. Tu soupires avant d’écraser ton mégot sur le sol avant de le jeter dans la poubelle la plus proche.

- Ouais… Il paraît… Aller Sil’. J’dois filer pour aller raquer les poches des friqués en leur donnant leur truc dégueu caféiné. Retourne au club pour la compta. Et si tu as des nouvelles d’con d’Sonny, tu sais quoi lui dire ?

Le brun éclate de rire avant de venir te faire une accolade, hochant la tête avant de se remettre en selle pour te saluer et repartir, suivit de l’autre motard, qui te lance un mouvement de la tête et ils disparaissent au coin de la rue, te laissant seul avancer vers le café pour prendre la porte de service et commencer à faire ton travail, plus noble… Enfin, sur le papier. Tu passes un peu dos sur ton visage après avoir revêtu la tenue de service et commence à prendre les commandes en terrasse avant d’apercevoir de nouveau la blonde de la veille. Tu souris un peu pour approcher, profitant que ce soit ton secteur et sourit.

- Et bonjour Mam’zelle. C’s’ra comme d’hab ?

Alexandra s'éveille aux premières lueurs de l'aube, tirée de ses songes par les rayons de soleil qui filtrent à travers les rideaux de sa chambre, venant caresser sa joue. Un bâillement s'échappe de ses lèvres, tandis qu'elle s'étire dans son lit, savourant ces quelques minutes de quiétude matinale. Cette journée s'annonce longue et intense, comme tant d'autres. Alors, comme tous les matins, elle prend soin de la commencer du bon pied, le plus sereinement possible.

Allongée sous sa couette, elle prend quelques minutes pour écouter sa playlist matinale préférée, laissant les musiques l'envelopper et l'aider à émerger de son sommeil, à laisser ses rêves derrière elle pour affronter la réalité qui l'attend. Celle d'une vie dans laquelle elle n'a pas eu le choix, d'une vie dans laquelle elle a écouté sa mère, pris la grande majorité de ses décisions en fonction de ses proches, pour faire la fierté de ses parents, non pas pour elle-même. Par peur de les décevoir, par peur de ne pas rentrer dans le moule, elle a fait ce que l'on attendait d'elle, jamais ce qu'elle aurait voulu faire ou si rarement. D'ailleurs, elle ne sait même pas ce qu'elle pourrait répondre à ça, si on lui posait la question. Si on lui demandait ce qu'elle aurait fait à la place, si elle avait eu le choix. Si on lui demandait quels sont ses rêves.

Après quelques musiques, elle décide enfin de se lever, restant dans une tenue confortable pour sa séance de yoga matinale. Déroulant son tapis dans un coin de la chambre, elle prend quelques instants pour respirer profondément, se concentrer sur son souffle. Et puis, elle attaque sa séance de sport. Quelques pompes, quelques squats, quelques fentes. Jumping jack. Burpees. Planche. Quelques étirements pour finir. Échevelée, les joues rouges, elle jette un regard satisfait au miroir. Elle a bien travaillé, mais l'heure tourne. Alors elle se hâte.

Dans la salle de bain, elle entame sa routine matinale par une douche revigorante, qu'elle termine à l'eau fraîche pour stimuler sa circulation. Puis elle sèche ses cheveux blonds avec application, les laissant retomber en cascade sur ses épaules, avant de quitter précipitamment la salle de bain, consciente que le temps passe.

De retour dans sa chambre, elle s'installe devant sa coiffeuse pour un maquillage léger. Elle applique un peu de fond de teint, de fard à paupières, de mascara, d'eye-liner, de blush et de rouge à lèvres, soucieuse de garder un aspect naturel, de ne pas en faire des tonnes. Puis, elle sélectionne dans son armoire un simple jean bien ajusté et un élégant chemisier de soie blanc qu'elle s'empresse d'enfiler.

Fin prête, elle quitte l'hôtel particulier familial pour rejoindre le même café dans lequel elle était déjà la veille, du côté de Frederiksberg. L'atteignant en seulement quelques minutes, elle s'installe à la même table que d'habitude et sort rapidement son ordinateur et son agenda pour se mettre au travail. En attendant que l'on vienne prendre sa commande, elle passe en revue les affaires qu'elle doit traiter ce jour-là. Chaque dossier est étudié avec sérieux, chaque détail examiné soigneusement.

Une voix qui lui demande si elle prendra la même chose que d'habitude. Elle redresse la tête pour voir le même serveur qui était déjà là hier et qui détonne dans le paysage avec ses tatouages, avec son air mauvais garçon, avec ses mots qui ne semblent pas raccord avec le standing de l'établissement.

"- Bonjour… vous allez bien ?" Demande-t-elle dans un premier temps, avant de poursuivre. "Non, pas tout à fait. Je prendrai un thé à la menthe, un smørrebrød au saumon cette fois, un thé glacé du jour et un wienerbrød au chocolat, s'il vous plaît." commande-t-elle avec un sourire. "Et si possible... sans les servir directement sur ma robe." tente-t-elle de plaisanter, avant de se replonger immédiatement dans son travail, comme il s'éloigne pour poursuivre le sien.

Les mains appuyées sur la chaise devant ton interlocutrice, tu te baisses un peu vers elle pour entendre parfaitement sa commande. T’attendant à un thé, un smørrebrød aux crevettes et un wienerbrød au chocolat, tu t’apprêtes à te relever rapidement pour prendre note et filer en salle pour lancer tout ça, mais… Quelque chose change. Tu fronces un peu les sourcils. Elle demande comment tu vas. Déjà. Ce qui te surprend. Normalement, les clients ici s’en fiche pas mal. Ou alors font de la lèche avec certains serveurs dont ils font semblant de se souvenir pour espérer avoir un prix sur l’addition final.

Pourtant, elle, elle semble le demander avec une sincérité naturelle. Tu hoches la tête doucement en souriant.

- J’vais très bien, merci bien. Et vous ? Toujours la tête plongée dans votre ordi hein ?

Que tu demandes, simplement pour rendre la politesse. En vrai, pas que cela ne t’intéressait pas, mais disons que ta tête avait d’autres problèmes à gérer que de sympathiser avec une fille de la haute. Tu entends ensuite sa commande et le petit trait d’humour dont elle fait preuve. Tu rigoles doucement en baissant la tête avant de te tourner en te mordant la lèvre, sans te rendre compte que tu affichais devant elle le tatouage assez discret que tu as derrière l’oreille. Une série de chiffres, se finissant par un soleil vers la mâchoire. Tu secoues la tête avant de revenir à elle.

- C’s’ra posé sur vot’ table et pas sur vous, promis. Même pas sûr qu’on aura assez d’crême si jamais.

Tu te redresses pour de bon avant d’incliner un peu la tête.

- Mais j’prends note et j’vous amène ça.

Que tu finis avant de partir, prendre d’autres commandes pour lancer la cuisine. Tu vas voir ensuite le patron qui te salue, te demandes si tout va bien. Tu confirmes que oui, que tout se passe bien de ton côté. Tu ressors pour servir tout le monde sans erreur et approche de la petite blonde avec un clin d’œil, assiette que tu poses à ses côtés.

- Et voilà pour vous. Est-ce que...

Mais tu ne finis pas ta phrase, entendant un cortège de moteur ronronnant. Tu fronces les sourcils, voyant une demi-douzaine de motards qui se gare en face du café. Tu grimaces, reconnaissant les couleurs qu’ils portent sur leurs dos. L’un d’eux descend de son destrier pour avancer vers la terrasse. Tu soupires, faisant signe d’attendre et approche à la rencontre du géant, te surplombant d’une demi-tête. Tu essayes de ne pas trop être proche pour que des oreilles distraites vous entendent… Sans voir que vous étiez observé.

- Tu fous quoi là, Mika ? J’suis en plein taf et on était d’accord qu’vous deviez pas v’nir me voir ici...

Il semble inquiet, soucieux et baisse la tête.

- Sais bien, boss… Mais on a un souci sur la douzième… Et comme t'réponds pas au tel quand t'es là… On préférait v’nir.

Tu te facepalms et grogne doucement, tout en murmurant.

- Et attendre ma pause, c’est compliqué ? Z’êtes cons ou vous z’avez été bercés trop prêt du murs par vos putes de daronne ? C’est quoi l’soucis pour v’nir en mode gang dans un coin aussi calme qu’ici ? Vous voulez qu’les flics s’rappliquent ? Nan hein ?! J’ai b’soin d’ce job ! Donc à moins qu’un gars soit crevé, vous r’venez pas ! Et vous m’laisser un message sur l’tel. C’est à ça qu’ça sert, nan ?

Silence. Le motard devant toi soupire et te murmure directement à l’oreille avant de reculer. Tu serres les dents, encaissant la nouvelle et te retient un peu de lancer un juron digne de toi devant autant de témoins, te retournant un peu pour vérifier que tout va bien. Tu claques ta langue contre ton palais et siffles.

- Règle-moi ça avant c’soir… Sinon, tu finis dans l’broyeur de bagnole. File maint’nant. Et arrête d’m’appeller, boss !

Tu le laisses partir avant d’inspirer un grand coup, repartant faire ton travail comme si de rien n’était, passant aux côtés des clients, le regard sombre.

Toujours la tête plongée dans son ordi, remarque-t-il, après avoir répondu à sa question et la lui avoir renvoyé. Elle ne peut pas lui donner tort, elle était déjà sur son ordinateur la veille et, en réalité, toutes les fois où elle est venue. Il faut dire qu’elle vient passer un moment sur cette terrasse, de manière assez régulière. Elle ne pourrait pas se permettre de simplement s’installer et prendre son petit déjeuner en laissant son travail de côté, elle finirait alors bien trop tard le soir. Elle ne peut pas se permettre de laisser ses affaires traîner, de toute façon. Des gens comptent sur elle et sur l’efficacité de son travail, le soin qu’elle y apporte. Leur vie en dépend, à vrai dire. Ce n’est pas quelque chose qu’elle peut donc prendre à la légère.

"- Oui, merci. Et... oui. Le travail." se justifie-t-elle en jetant un bref regard à l’ordinateur.

D’ailleurs, plus vite elle s’y met, mieux c’est. Alors elle s’empresse de passer sa commande, consciente qu’elle doit avancer, consciente aussi du fait qu’il ne peut pas, lui non plus, perdre cinq minutes ou plus avec elle à parler de la pluie, du beau temps ou de son ordinateur, tandis que les autres clients attendent. Néanmoins, elle s’autorise une touche d’humour avant de le laisser repartir, faisant référence aux évènements de la veille. Elle a encore une marque sur la jambe qui aura besoin d’encore un peu de temps pour se résorber tout à fait, elle ne tient pas franchement à l’entretenir.

Il revient en quelques minutes, déposant l’ensemble de sa commande sur la table et, avant qu’elle n’ait le temps de le remercier, le grondement tonitruant de moteurs rompt brusquement la quiétude de l'endroit. Un groupe de motards fait une entrée fracassante dans la rue, attirant instantanément tous les regards. Alexandra fronce les sourcils en portant elle-même son attention sur eux. Il lui semble que les cuirs sur leur dos sont les mêmes qu’elle a déjà vu la veille sur les épaules de l’autre type. Et, comme la veille, son serveur donne l’impression de les connaître alors qu’un des hommes descend de sa moto pour s’approcher, le serveur s’empressant de le rejoindre alors, laissant la jeune femme perplexe.

Sa curiosité piquée au vif, Alexandra ne peut s'empêcher de suivre cette étrange scène. D’ici, elle peut distinguer les expressions de leurs visages sérieux, contrariés. Elle ne sait pas ce qui se passe, mais ça n’est pas bon. Et au lieu de se remettre au travail, elle observe les échanges entre le serveur et les motards, aussi discrètement que possible. Elle ne devrait probablement pas, mais c’est plus fort qu’elle. Un besoin de comprendre. D’analyser les choses. De démêler les énigmes. Ses sourcils se froncent d’autant plus que, lorsque les deux hommes se séparent, le serveur a l’air encore contrarié, son masque de politesse ayant comme disparu de son visage. Il ne sourit plus et son regard est sombre. Quoi qu’il se soit dit, ce devait être sérieux. Un sérieux qui l’intrigue et chasse loin d’elle toute trace de concentration alors qu’elle reporte pourtant son regard sur son ordinateur, pour essayer de reprendre le fil de ses travaux. En vain.

C’est à peine si tu lèves les yeux et esquisses un sourire aux clients pour le reste de ta tournée, comme si la venue des motards t’avait retourné le cerveau. Tes gestes sont plus mécaniques, plus froids, tu ne perds plus de temps avec les clients et essayes de te passer de l’eau froide sur le visage pour te calmer, mais rien y fait. Tu prends alors une autre pause, demandée, plus longue. Surtout pour évacuer un peu la tension que tu as sur les épaules. Tu profites alors de l’opportunité pour sortir pour t’adosser au mur du café, dans la ruelle d’à côté et tu sors ton paquet de cigarette pour en fumer une, attrapant ton téléphone pour passer quelques coups de fils.

Tu fais quelques pas, tapant quelques textos pour tes gars en soupirant. Tu te grattes le front de l’ongle, tirant sur l’incendiaire comme un affamé. Tu grognes un peu, grimaces et tapes du poing contre le mur, incapable de voir si tu étais observé ou non. Tu avais la tête ailleurs, l’esprit ailleurs… Tu t’adosses pour finir et te laisses glisser pour t’accroupir pour écraser le mégot par terre avant de le jeter plus loin, laissant ensuite tes bras tenir sur tes cuisses, la tête baissée. La nouvelle donnée par Mika t’a beaucoup trop secoué pour être sincère.

Tu soupires doucement, reniflant un peu pour ne pas craquer, montrer ce que tu avais sur le cœur. Ce n’était pas trop le moment, tu avais encore des heures à faire pour boucler la mâtiné. Tu te redresses un peu sentant une présence à tes côtés. Tu fronces les sourcils et t’essuies un peu avec le revers de la manche. Tu fais signe.

- Ouais, ouais, j’arrive. Juste trent’ secondes.

Tu grimaces et fais un peu gratter les os de ton cou et tes épaules avant de te tourner pour buguer un peu. Tu fronces les sourcils, les mains dans les poches.

- Un souci, Mam’zelle ?

Il y a quelque chose qui cloche, elle en est certaine et même si elle ne sait pas quoi, même si tout ça ne sont pas ses affaires, ça la préoccupe. Un sixième sens qui lui souffle qu'elle doit faire attention à ce qui se passe, que c'est important. Peut-être seulement parce qu'elle a l'habitude de ce genre de choses, des affaires sordides, avec son métier. Peut-être seulement parce qu'elle a l'habitude de s'attarder sur les petits détails, sur ce que les autres ne regardent pas, sur ce à quoi ils ne font pas attention.

Quand elle le voit partir de la terrasse, s'enfoncer dans une ruelle adjacente, elle le suit du regard pendant quelques instants, jusqu'à ce qu'il disparaisse à sa vue. Reportant son regard sur son ordinateur, alors, la jeune femme essaie de se remettre à travailler, l'esprit encore perturbé par la scène qu'elle a vu, par les regards qu'elle a capté, par l'attitude soudainement renfermé de l'homme. Avant que les motards arrivent, il semblait jovial. Maintenant, il pourrait tuer d'un seul regard. Quoi que ce type lui ai dit, ça n'est pas bon du tout. Peut-être une mauvaise nouvelle ? Elle se mord la lèvre inférieure. Elle hésite. Doit-elle simplement rester à sa place, faire comme si elle n'avait rien vu ? Ou au contraire, doit-elle le suivre, s'assurer qu'il va bien, que ça n'est rien de grave ? Le réconforter, peut-être ? À moins qu'il veuille seulement être seul ? Elle soupire. Après tout, il ne la connais même pas. Le soutien d'une inconnue est peut-être la dernière chose qu'il veuille.

Et finalement, elle range ses affaires soigneusement, quittant sa table en laissant un mot pour qu'on ne la débarrasse pas. Parce qu'elle compte revenir. Elle n'en a pas pour longtemps. Probablement pas. Elle n'espère pas. Elle a juste besoin de retrouver le serveur. De faire taire ses intuitions. Alors elle s'avance dans la même ruelle qu'il a emprunté et elle le trouve rapidement, dans un état déplorable, une cigarette entre les lèvres qu'il fume avant de se laisser tomber le long d'un mur. Il écrase le mégot, le jette un peu plus loin et, finalement, affirme qu'il revient. À l'évidence, il ne se doute pas qu'il s'agit d'elle. À la manière dont il lui parle, elle suspecte qu'il la prenne pour une collègue. D'ailleurs, il ne lui confirme rapidement lorsqu'il se retourne, s'arrêtant net, demandant si elle a un problème. Et elle secoue la tête. Elle non. Lui, elle n'en est pas aussi sûre. Et elle lui tend le mouchoir brodé qu'elle tenait déjà dans sa main.

"- Je… je vous ai vu partir et… est-ce que ça va ?" demande-t-elle, compatissante. "Vous avez l'air… remué…"

Elle est là, devant toi, à te tendre un mouchoir qui semble presque trop soigneux pour être trouvé en supermarché. Tu lèves un sourcil doucement avant de le prendre pour t’essuyer les yeux, le nez et tu renfiles encore un peu, essayant de reprendre ta contenance. Ouais nan. Pleurer devant une femme, ce n’est pas commun et heureusement que vous êtes seul. Tu ne voudrais pas que tes amis te voient ainsi. Tu la remercies d’un mouvement du visage et machinalement, tu ranges le mouchoir dans la poche de ta veste, sans réfléchir. Tu hausses les épaules et essayes de sourire, comme avant.

- C’est rien, Mam’Zelle. J’ai juste appris la mort de...

De qui ? Tu ne peux rien dire après tout. Elle n’a pas à savoir. Oui, tu étais remué, mais après tout, qu’est-ce qu’elle en avait à faire de ton histoire. Tu bloques un peu avant de retrouver tes mots. Tu essayes d’être concis et tu essayes de ne pas trop mentir non plus, ce serait con si un jour les policiers remontaient à elle alors qu’elle n’avait rien fait, n’est-ce pas ? Parlant des policiers, tu les imagines déjà là-bas, sur les lieux pour ouvrir un dossier d’enquête.

- D’un ami. Que j’connaissais d’puis qu’j’suis gamin.

Que tu dis en souriant un peu. Tu renifles une nouvelle fois, prenant la manche de ta veste cette fois pour t’essuyer. Tu grimaces avant de prendre une inspiration par le nez, racles de la gorge et craches par terre. Tu secoues la tête et cherches dans tes poches une nouvelle cigarette que tu allumes en étant un peu dos à ton interlocutrice. Hors de question de l’empoisonner.

- Accident d’travail.

Que tu termines avant de souffler ta fumée plus loin. Tu te grattes le poignet et regardes de nouveau la jolie blonde. Ouais, nan, elle n'a rien à foutre avec toi, c’est sûr. Tu pouffes nerveusement et fais signe.

- Rien d’bien grave. C’commun dans not’quartier. Z’en faites pas Mam’Zelle… J’ai l’habitude.

Constatant sa détresse, la demoiselle lui tend naturellement son mouchoir pour lui permettre d’essuyer ses yeux, son nez, ses joues, et lui adresse un sourire compatissant alors qu’il renifle. Elle ne sait pas ce qu’il a bien pu apprendre, mais ça avait l’air… sérieux. Il en semblait tout chamboulé, tout retourné. Alors elle s’inquiète de savoir si ça va, si ce qui se passe n’est pas trop grave. Elle est loin de s’attendre à ce qu’il va dire, loin de s’attendre à ce qu’il annonce finalement. L’annonce d’un décès qu’il venait donc d’apprendre, brutalement. La jeune femme ne s’attendait pas à ça. Et, forcément, elle se sent désolée pour lui. Vraiment navré de l’apprendre, ne se formalisant plus alors de son mouchoir qu’elle l'avait vu mettre tout naturellement dans la poche de sa veste, comme s’il était le sien. Face à cette situation, elle se sent un peu désemparée. Il faut dire qu’il n’y a pas grand chose à dire dans ce genre de cas. Pas grand chose qui puisse apaiser les choses. Et ce type, elle ne le connaît même pas. Comment apaiser une personne dont on ignore absolument tout ? Il n’y a aucun moyen, pas dans de telles situations. Et c’est d’autant plus difficile qu’il parle d’un ami. De quelqu’un qu’il connait depuis son enfance, apparemment. Veut-il dire quelqu’un d’aussi jeune qu’il semble l’être lui-même ? A la détresse de la perte s’ajoute alors l’horreur d’une disparition trop rapide, inattendue. Que l’on a pas vu venir. Elle ne sait pas ce que cela fait d’elle-même, mais elle l’a déjà vu, en revanche. Ce sont des choses et des émotions auxquelles elle est confrontée régulièrement, dans le cadre de son travail.

"- Je suis désolé de l’apprendre."

Il se racle la gorge, crache sur le sol et la demoiselle ne peut masquer un air légèrement dégoûté. Non, ce ne sont pas dans ces habitudes que de croiser de tels comportements ou de les avoir elle-même, loin de là. Toutefois elle ne relève pas, tant en raison des circonstances que parce qu’une ”demoiselle élégante ne doit jamais mettre les autres dans l’embarras, souviens-toi de ça, Alexandra.” Accident de travail, annonce-t-il en s’allumant une cigarette, lui tournant à demi le dos. Elle lui en est reconnaissante, alors que ça lui évite d’avoir toute la fumée dans la figure, encore qu’elle n’y aurait peut-être pas fait vraiment attention, alors qu’à la mention d’un accident du travail, son cerveau s’est mis à fonctionner à plein régime. Dans ce genre de cas, il n’y a en général que deux possibilités, pas plus. L'accident bête, que rien n’aurait pu prévoir. Ou la négligence. L’accident qui aurait pu être évité mais que, pour des raisons d’économie, bien souvent, on a pas fait ce qu’il fallait. Elle fronce les sourcils comme il affirme que ce n’est pas bien grave, que c’est habituel dans son quartier et elle fronce les sourcils.

"- C’est… Commun ?" demande-t-elle. "Vous voulez dire que ça arrive toujours chez le même employeur ou… Il n’est pas question d’un emploi disons… Classique ?"