La réponse de Matt a le don de mettre le doute dans l’esprit de Nate. Un jour ? Peut-être ? Est-ce que ça voulait dire que ce n’était plus dans leurs projets ? Ou que c’était vraiment lointain dans son esprit ? Il essayait de ne pas trop se faire d’idées mais ça lui mettait une sacrée pression et s’il avait déjà un peu peur de lui proposer de vivre ensemble, il était maintenant terrifié. Il ne lui en voudrait pas s’il n’était pas d’accord mais… ça ferait mal. Et il se réjouit sincèrement de pouvoir passer cette étape avec lui pour la simple et bonne raison qu’il ne supporte plus d’être aussi souvent séparé de lui. Pour autant, il n’avait rien dit de ses tourments intérieurs. Ce n’était pas le moment. La balade pour chercher le restaurant qui s’en était suivie avec été assez silencieuse. C’était habituel mais Nate en avait profité pour réfléchir à plein tube. S’il n’était pas serein, il avait conservé sa bonne humeur habituelle. Et puis Matt s’était arrêté devant un restaurant à fruits de mer et sa remarque avait fait rire Nate. « Avec plaisir ! Tu manges des huitres ? » qu’il lui avait demandé, curieux, avant de se présenter à l’accueil du restaurant.  

- Non je n'en ai jamais manger. Mais je vais goûter.

Je le laissais se présenter à la serveuse et la suivit tandis qu'elle nous installait à table. Je remarquais bien le regard de celle ci sur Nate. Je pouvais la comprendre, il était vraiment magnifique mon homme. Et ça me faisait tellement de bien de pouvoir penser ça, de me dire que cet homme superbe était à moi. Même si je ne pouvais pas le dire à tout le monde, même si je ne pouvais pas jeter un regard noir à la serveuse, glisser une main autour de la taille de Nate ou même l'embrasser pour prouver qu'il était bien à moi. Je savais que je pouvais avoir confiance en mon homme. Le connaissant, il n'avait certainement même pas remarqué que la serveuse lui faisait de l'oeil.

Je m'installais à table avec lui, craquant finalement et lançant un regard noir à la serveuse alors qu'elle souriait à Nate. Tant pis pour la discrétion, je ne pouvais pas la laisser faire. Elle était entrain de glousser à moitié en parlant, vantant le placement de la table qu'elle nous avait choisi et proposant un apéritif.

- De l'eau ça nous ira très bien. On va regarder la carte. Merci.

Merci de dégager s'il te plait. Et ce petit regard mielleux alors qu'elle lui disait de ne pas hésiter si on avait besoin de quoi que ce soit. Je continuais de la foudroyer du regard alors qu'elle s'en allait.

- Tu veux peut être prendre un soda à boire? Et... qu'est ce que tu dis qu'on partage le plateau de fruit de mer pour deux? Il y a un peu de tout, ça me permettra de goûter.

Parce que oui j'adorais la viande et je n'avais jamais beaucoup eu l'occasion de venir dans des restaurants de ce genre. Je me rattrapais désormais, profitant de la vie et surtout de la vie à ses côtés.

Je faisais toujours attention à ne pas boire d'alcool avec lui. Ca ne me manquait même plus. Je pouvais m'en passer. Le fait qu'il se sente bien était plus important pour moi qu'une bière.

Nate avait sourit. Lui, avait déjà fait l’expérience des huitres. Quelques fois. Dans une autre vie, celle où il était marié et à la tête d’une entreprise qui lui permettait de temps en temps un peu de luxe. Evidemment, il n’en avait rien dit. Il n’avait plus envie de parler de cette vie, il y avait trop souffert. Maintenant, tout s’était éclaircie et pour rien au monde il ne ferait de retour en arrière. Ils avaient été installés à table et Nate s’était laissé guider sans remarquer un instant l’attention particulière que lui portait la serveuse. Et, à vrai dire, Nate se faisait régulièrement remarqué… et il ne le remarquait à son tour lui-même jamais. Pour cause, il n’avait jamais compris ce qu’on pouvait lui trouver. C’était un gentil garçon, c’est vrai, mais ça s’arrêtait là. Ce qui n’échappa pas à la vigilance de Nate néanmoins, c’est le regard noir qu’il venait de lancer à la serveuse. Il avait légèrement froncé les sourcils, un sourire poli aux lèvres. Il lui prenait quoi ? Nate avait la curieuse sensation de ne pas tout comprendre. Le pire, c’est qu’il avait continué de la tuer du regard jusqu’à ce qu’elle soit hors vision. « De l’eau, c’est bien. Et va pour le plateau de fruits de mer à deux. » qu’il avait répondu, toujours arrangeant. Il n’avait même pas ouvert la carte. « Dis… C’était quoi ça ? Tu la connais ? » qu’il avait demandé en référence à la serveuse et aux regards plein d’éclairs que lui avaient lancé Matt.   

Je fronçais les sourcils en entendant sa question.

- Non, bien sur que non.

Je ne comprenais pas pourquoi il me posait la question, avant de saisir. C'était bien ce que je disais, il n'avait pas compris que la serveuse le draguait ouvertement. Résultat, il se demandait pourquoi j'avais été aussi désagréable avec elle.

Je soupirais avant de lui expliquer ce qu'il se passait.

- Elle te faisait du rentre dedans. Et je n'aimais pas trop ça...

Je lui jetais un nouveau regard noir alors qu'elle revenait avec son sourire de fille en chaleur faisant du charme à mon homme. Je coupais court à la conversation, lui demandant le plateau de fruits de mer pour deux. Je continuais de la foudroyer du regard jusqu'à ce qu'elle se décidais à partir. Je poussais un nouveau soupir, évitant le regard de Nate.

- Désolé... elle ne peut pas savoir que tu n'es pas célibataire. Et un bel homme comme toi, c'est normal qu'elle ne puisse pas résister.

J'étais vraiment mal placé pour lui en faire le reproche. Je n'avais jamais réussi à lui résister moi même. Même quand tout avait été contre nous, quand me criait de ne pas rester avec lui, je n'avais pas pu m'empêcher de revenir sans arrêt avec lui.

- Et ça m'énerve. De ne pas pouvoir lui montrer à elle et au monde entier que tu es mon homme.

Le même éternel problème, celui qui n'avait jamais cessé de se mettre entre nous. Même si maintenant on faisait comme si il n'existait pas, même si on vivait en se foutant des conventions hétéros, cette ombre planait quand même au dessus de nous. Elle venait gâcher nos moments à deux en public, rendant les choses beaucoup plus compliquées qu'elles ne l'étaient.

Je secouais doucement la tête, prenant une gorgée d'eau pour tenter de me calmer.

- Désolé... ne parlons pas de ça. On doit passer un super week end ensemble.

Un week end rien que nous, c'était ça le plus important.

Nate avait été plus perplexe encore quand Matt lui avait dit qu’il ne connaissait pas la serveuse. Alors qu’est-ce qu’il n’avait pas vu ? Est-ce qu’elle avait été irrespectueuse sans qu’il ne le remarque ? Il la trouvait plutôt gentille, lui. Mais Matt commença à s’expliquer et tout devint un peu plus clair pour Nate. « Oh. » La fameuse serveuse était revenue et Matt avait été tout aussi désagréable. Gêné, Nate souriait timidement. Ce n’était pas son genre de faire des vagues et même si Matt en avait la certitude, il ne pensait pas que la serveuse était en train de le draguer. Pourquoi faire ? « Tu sais je crois qu’elle est juste… gentille. C’est son métier, elle veut peut-être un pourboire. » qu’il tenta en faisant attention à ce qu’il disait. Mais le fond du problème n’était pas vraiment là et Nate le comprenait alors que Matt continuait de s’expliquer. Le problème, c’est qu’ils ne pouvaient pas s’afficher ensemble. Ils étaient en couple, oui, mais clandestinement. Moins que lorsque Nate était marié mais ils continuaient à se cacher d’une certaine façon. Nate était resté un moment interdit, incapable de trouver quoi dire pour consoler si ce n’est qu’un peu son homme. Et pour cause, il avait raison. S’afficher ensemble, c’était dangereux et c’était impossible de l’ignorer. Ils ne pouvaient pas prendre un tel risque. « Peut-être qu’un jour, ça ira mieux… J’aimerais bien. » qu’il souffla, toujours aussi optimiste. Pour autant, il savait qu’il faudrait beaucoup de temps avant que ça n’arrive. Alors il avait repris : « En attendant, je peux t’assurer que tu n’as pas besoin de sortir ton regard de tueur avec qui que ce soit. Je suis tout à toi. » Et, tendrement, il avait sourit.    

- Il y a une différence entre être gentille pour avoir un pourboire et être gentille pour avoir ton numéro de téléphone. Et elle est dans la seconde catégorie.

Il était adorable mais beaucoup trop naïf et aveugle pour se rendre compte de ce qu'elle faisait. Elle méritait amplement les regards noirs que je lui jetais depuis qu'elle avait commencé à draguer mon homme. Elle n'était pas sensé le savoir mais le problème restait entier.

- Peut être...

Mais j'en doutais bien entendu. Les gens étaient beaucoup trop fermés pour un jour réussir à accepter des personnes comme nous. Dans le meilleur des cas ils nous jetaient seulement des regards de travers et dans le pire... mieux valait oublier le pire.

- Je sais que tu es enfin à moi. Et je sais que ça doit lui sembler complètement fou que je la regarde de travers. Elle doit sûrement s'imaginer que je suis jaloux parce que ce n'est pas moi qu'elle drague.

Et elle se tromperait lourdement. Elle était loin d'être irrésistible. Elle n'avait rien capable de m'attirer et je voulais croire que c'était la même chose pour Nate. Après des années de souffrance, à devoir le partager avec une autre femme, il était tout à moi. Mais je ne pouvais supporter de voir quelqu'un d'autre tenter de me voler celui que j'avais attendu toute ma vie.

- Mais c'est plus fort que moi. Je t'aime. Je n'aime pas que d'autres te tournent autour comme ça.

Une petite crise de jalousie, que je n'étais pas sensé faire je le savais. Mais notre histoire avait été trop compliquée pour que je n'en garde pas quelques traces. La jalousie m'avait détruit toute ma vie. J'avais du composer avec, supporter de le savoir dans les bras d'une autre quand il n'était pas avec moi. Je n'arrivais plus à y penser...

Nate n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Si elle voulait vraiment son numéro de téléphone, comment se faisait-il qu’il ne le voyait pas ? Il ne comprendrait jamais. Il se demandait même si Matt ne l’idéalisait pas un peu au point d’imaginer que certaines personnes soient sous son charme. Il ne s’était jamais vu comme un tombeur et n’avait jamais agit comme tel. Il se plaisait à penser qu’il était quelqu’un de simple. Alors, forcément, quand Matt lui disait qu’une serveuse qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam le draguait, il restait scotché sur sa chaise. « Ok. Si tu le dis. Ça ne change rien de toute façon. Je m’en fiche. On s’en fiche, non ? » Et c’était sincère. Si c’était vrai, au mieux, il serait gêné. L’attention, ce n’était pas vraiment son truc. Il était sans doute trop timide pour ça. Matt mettait des mots sur ce qui lui arrivait : il était jaloux. Ça pour le coup, ça flattait Nate qui s’était mis à sourire malgré lui. Ce sourire s’était agrandit quand il avait entendu les fameux trois mots sortir de la bouche de Matt. Je t’aime. C’était si rare qu’il n’avait entendu que ça, le reste son esprit l’avait totalement mis de côté pour le moment. Et puis il s’était souvenu ce que ça lui faisait de voir Matt avec Dan et son sourire s’était évanouit. « Je comprends. Je n’aime pas ça non plus. Si je pouvais dire au monde entier qu’on est ensemble toi et moi, crois-moi, je le ferai… »   

- Mais non ne peut pas...

Alors à quoi bon se torturer après tout? Les choses étaient ainsi. Nous ne pouvions pas nous afficher aux yeux de tous mais nous pouvions être ensemble désormais, c'était bien le plus important. On était ensemble et on emmerdait le monde.

Je me retenais de lancer un autre regard à la serveuse quand elle arriva avec notre plat. La pauvre elle semblait effrayée à l'idée de s'approcher de moi. Si elle faisait tout ça pour le pourboire, elle devait se dire que tout était foutu pour elle désormais. Et si elle avait fait tout ça pour Nate, c'était bien fait pour cette sale garce.

- On est ensemble c'est tout ce qui compte après tout. Allez mangeons.

Je lui fis un sourire un peu plus sincère. C'était tout ce qu'il y avait de plus important.

Je me redressais pour venir regarder l'immense plateau qu'elle avait placé entre nous. Tout en haut trônait les fameuses huitres que je n'avais jamais pu goûter. J'en prie une et la levait vers lui comme pour trinquer.

- A la tienne.

Je l'avalais cul sec avant de faire une légère grimace de dégoût.

- C'est... c'est quand même spécial.

Je lui jetais un regard, souriant doucement alors que je voyais son air.

- Et je t'interdis de te moquer de moi. Ca ne vaut pas un bon steak, j'en suis persuadé.

Je pris quelques crevettes pour les mettre dans mon assiette. C'était une valeur plus sûre que ces huitres.

Non, ils ne pouvaient pas. Nate n’avait rien à rétorquer à ça, c’était un fait. Il s’était mordu la lèvre inférieure. Même son optimisme légendaire ne trouvait rien à dire devant cette fatalité. Ils étaient différents et, la différence, c’était rarement bien vu. Pourtant, Nate se sentait parfaitement normal. Ça n’avait pas toujours été le cas, c’est vrai. Au tout début, il aurait préféré ne pas connaitre un tel fardeau. Mais il avait appris à l’accepter, à s’accepter tout court. Aujourd’hui, cette différence était une source de fierté pour lui… mais une fierté qu’il devait taire et c’était terriblement injuste. La serveuse était revenue avec leur plateau et Nate sentait son malaise sans pour autant oser quoi que ce soit pour la réconforter. Elle s’était déjà attirée les foudres de Matt mais lui n’avait aucune envie de subir ses remontrances. Quand elle était repartie, Matt avait détendu l’atmosphère. « T’as raison. Bon appétit, mon chéri. » qu’il avait soufflé dans un sourire, volontairement fleur bleue pour taquiner Matt. Les petits surnoms, les déclarations d’amour… Ce n’était pas vraiment dans leurs habitudes. Ce n’était pas le genre de Matt et Nate l’avait parfaitement accepté. Ils avaient ensuite trinqué avec une huitre et Nate avait suivit avec curiosité la réaction de Matt qui ne manqua pas de le faire rire. « T’es supposé la mâcher pour avoir tout le goût. » qu’il avait dit après avoir avalé la sienne. « Qu’est-ce qui égale un steak et des frites à tes yeux de toute façon ? Le plus fin des caviars te ferait bailler, je suis sûr. » qu’il rigola malgré les avertissements de son homme tout en continuant de piocher sur le plateau.

Je secouais vigoureusement la tête alors qu'il me donnait des conseils pour savourer les huîtres.

- Non non, hors de question que je croque là dedans. Ca ressemble plus à un crachat visqueux qu'à un truc qui se mange.

Les crevettes, les pinces de crabes, ça c'était des valeurs sûres. Je pouvais les manger sans prendre trop de risque. Ils étaient plus bons en plus. Je lui laissais avec plaisir le soin de manger les huîtres. C'était la première et la dernière fois que je tentais de gouter un truc pareil.

- Les hamburgers c'est bon aussi. Les saucisses. Des bons oeufs brouillés. Les plats de pâtes que tu m'as déjà fait. Bolognaise... carbonara. Je suis un homme simple tu sais. Un bon plat tout simple me va. Je ne vais pas manger de la nourriture compliquée comme le caviar.

J'avais goûté une fois. C'était mon premier cocktail post première de film. Dan était avec moi, me guidant au milieu de cette foule de grands noms qui m'étaient étrangers. Il m'avait fourré un canapé de caviar entre les mains et m'avait forcé à le goûter. C'était infect.

- Et le caviar je n'aime pas ça non plus. Ca reste coincé entre les dents. Ca n'est pas si bon que ça. En tout cas ça ne vaut pas le prix que la plupart des gens y mettent. Un bon steak au barbecue ça reste bien meilleur que tout ça.

J'étais comme ça et j'espérais que c'était une des choses qu'il aimait chez moi, qu'il n'allait pas regretter avec le temps que je ne sois pas un peu plus... raffiné.

- Désolé... je ne suis qu'un rustre.

Et le fait que je sois devenu acteur ne changerait rien à tout ça.