Lorsque je disais “vous”, je pensais au sens large… Votre frère, notamment. Répliquais-je avant de me dire que cette tournure pouvait laisser penser que je savais déjà que cela ne lui poserait pas de soucis à elle.

J’étais un peu paumé. Je ne savais pas vraiment pourquoi je rechignais tant à partir. Les quitter oui, mais était-ce seulement cela ou bien était-ce surtout LA quitter ?
Je me prenais trop la tête sans trouver de réponse et elle finit par me tirer de mes pensées en me comparant à son mari.
Je ne pus réprimer un sourire qui fit complètement tomber toute tentative de sérieux.

Vous trouvez que je plane trop peut-être ? Demandais-je en pouffant.

Finalement, elle suggéra que l’on aille dormir, remettant au lendemain les aspects pratiques, quelqu’ils soient, des jours à venir. Je l’observais, imprimais dans mon esprit les traits de son visage éclairé par les étoiles. Si elle savait qu’en visant les nuages, c’était probablement l’astre qu’elle était que visait son époux, comme je me perdais à le faire en cet instant.

Vous avez raison, comme toujours… Dis-je en souriant et en me levant doucement. Je lui tendais alors la main sans vraiment y réfléchir.

–Vous trouvez que je plane trop peut-être ? pouffa-t-il, de nouveau.

Décidément, il ne pouvait s'empêcher de tout tourner à plaisanterie… Soit.
– Plus vraiment… En tout cas, plus maintenant. Sans doute parce que votre thermoplaneur a été réduit en pièces détachées. Depuis, vous êtes… Dispersés, dirais-je.

Il se releva, sans aide avant de me rendre la main comme s'il se sentait tout à fait capable de m'aider à me relever. Je lui souris, sincèrement amusée par cet homme, tellement tête en l'air qu'il en avait même oublié la douleur insoutenable qui venait de la pousser à s'asseoir. Je décidais donc de jouer le jeu et de saisir cette main tendue, juste pour voir… Voir quoi ? Et bien, jusqu'où il irait dans son "oubli".

– Vous êtes probablement meilleur comique que comédien, dis-je sur le ton de la confidence. Je commence à comprendre…

Avec un moteur cassé, j’voudrais vous y voir à essayer de rester en l’air ! Grognais-je faussement.

Dispersé ? Je ne voyais pas quel sens elle donnait à ce terme. Sans doute pas un compliment, même si je doutais qu’elle n’y voie un réel reproche. A peine eu t’elle prit ma main que je tentais de la tirer, une décharge douloureuse me rappelant à l’ordre.

Aïeuh !... M’exclamais-je en reprenant ma main. Je regardais alors ladite paluche avant de la regarder elle. Finalement, je lui tendais l’autre main. Dispersé…Vous avez encore raison…

Elle enchaînait en me disant qu’à défaut d’être un bon comédien, je semblais être un bon comique. Ah parce que je vous fais rire ? Demandais-je en relevant un sourcil.

Le pauvre… Il souffrait et pourtant je trouvais la situation extrêmement drôle. Je ne me moquais pas de lui. Pas du tout. En revanche, je m'amusais de ce côté "dispersé" souligné un peu plus tôt et qu'il démontrait presque aussitôt. Je ne riais plus depuis longtemps, mais mon sourire en disait pourtant long sur ce que je pensais à ce moment-là.

– Oui, je vous trouve extrêmement drôle, avouais-je avant de me relever, sans aide. Même si je doute que vous le fassiez exprès.

Un comique malgré lui, en sommes.

– Voulez-vous que je vous serve de béquille, une fois encore ? lui demandais-je en désignant mon épaule. Je peux vous escorter jusqu'à la maison.

Je fis une moue qui se voulait vexée, mais, devant la piètre qualité de ma prestation, me contentais de lui tirer la langue tandis qu’elle se relevait en snobant ma main.

C’est ça, moquez-vous donc Madame je-sais-tout ! Raillais-je.

Elle me proposait alors de me servir de béquille jusqu’à la maison.

Je doute d’arriver jusqu’à la porte avant deux jours sans votre aide ! Couinais-je, amusé par ma propre exagération.
Ainsi, je passais de nouveau mon bras par-dessus ses épaules afin de prendre un peu appui sur elle. Nous avancions tranquillement alors que je profitais de ce contact. Elle sentait bon, c’était ce que m’apprenait mon nez qui n’était de fait guère loin de sa peau.

C’est mieux sans l’odeur de cambouis ! Lançais-je alors sans réfléchir pour la taquiner.

– Me moquer ? Moi ? m'écriais-je en feignant l'indignation. Sachez que cela ne fait pas partie de mon caractère et encore moins de mes habitudes… Même s'il paraît que les habitudes peuvent changer…

Je le laissais donc s'appuyer sur moi, même je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il veillait à ne point y placer tout son poids. En réalité, je ne soutenais pas grand-chose et j'avais plus l'impression d'une demi-accolade que de remplacer une béquille. L'instant d'après, voilà qu'il me fit une "remarque" sur mon odeur. Décidément, il devait être d'humeur taquine…

– Pourriez-vous, s'il vous plaît, éviter de me renifler ? pouffais-je. Vous me rappelez Pall, mais heureusement, vous ne sentez plus aussi mauvais que lui.

Je vous confirme, dans ce cas, que vos habitudes changent ! Pouffais-je. Vous ne cessez de vous moquer de moi depuis tout à l’heure.

Naturellement, je prenais garde à ne pas m’appuyer plus que nécessaire sur elle. Au final, si l’on me posait la question, je profitais plus de la possibilité de contact que d’un réel soutient. J’appréciais énormément ces petits instants où nous étions seuls, tous les deux. J’avais l’impression de lui apporter autre chose que de l’angoisse et du travail, j’avais le sentiment de lui donner un peu de joie.
Et lorsque, comme maintenant, nous nous taquinions, cela me faisait oublier provisoirement la situation ubuesque dans laquelle nous étions.

Oh ! M’écriais-je alors qu’elle venait de me comparer à son chien ! Je ne vous renifle pas ! Affirmais-je en arrêtant de marcher. Vous allez voir ce que c’est que de se faire renifler ! Sous l’impulsion du moment, profitant de ce bras sur ses épaules, je venais farfouiller dans son cou de mon nez avec vigueur, imitant un chien à la perfection. C'était parfaitement ridicule et j'étais de fait très proche d'elle.

– Mais ! Enfin !

Comment la situation avait pu dérailler, à ce point ? Honnêtement, je ne saurais dire… Nous nous comportions comme deux gamins qui, après s'être lourdement taquinés, ne tarderont plus à chahuter. Je me retrouvais donc avec les narines du militaire contre la gorge… Son visage à quelques centimètres du mien.

Gênée, je me raclais bruyamment la gorge afin de lui permettre de réaliser qu'il venait de franchir les frontières personnelles.

–Il n'y a pas vraiment une grande différence à ce que vous faisiez à l'instant … Hormis peut-être le fait que j'ai pu sentir la fraîcheur du bout de votre nez… dis-je avant de me pincer les lèvres à la fois pour masquer la gêne mais aussi pour m'empêcher de rire. Vous dépassez les bornes, soldat.

Et pourtant, je n'avais pas bougé d'un millimètre.

Son expression et son raclement de gorge me firent stopper net. Je m’immobilisais, le nez contre son cou. Réalisant ce que je venais de faire, je demeurais figé en attendant la sentence.
Hors, malgré la situation gênante, elle trouvait encore de quoi faire de l’humour.
Cela eu pour effet de me faire sourire, dans contre sa gorge.

Il avait froid…! Tentais-je pour justifier cette présence contre sa peau. Elle ne c’était pourtant pas dérobée, même après m’avoir dit que je dépassais les bornes.

Alors, nous étions là, tous les deux immobilisés dans cette situation aussi grotesque qu’amusante. J’étais d’ailleurs partagé entre honte et hilarité.
Ainsi, je déposais un bref baiser sur sa peau avant de reculer, de battre en retraite face à la tentation que représentaient sa peau et son parfum.

Allons nous coucher Héléna. Lançais-je en souriant et en retirant mon bras de ses épaules, bien à regret.

J'étais… Stupéfaite. Je pense que c'est le mot qui illustre le mieux l'expression de mon visage et probablement de tout mon corps à ce moment-là. Je dû cligner des yeux à plusieurs reprises sans que je sache réellement pourquoi… Qu'est-ce que c'était ? Un baiser ? Dans mon cou ?

–Euh …

Et puis rien, je le laissais simplement s'éloigner tandis que les joues se teintaient de rouge. Dire que je me sentais mal serait un euphémisme. J'avais l'impression grotesque de tromper mon mari… Et puis, il y avait cette frustration, celle qui vient généralement avec l'incompréhension… Chose que tous les curieux du monde, les assoiffés de la connaissance, peuvent réellement comprendre. On ne supporte pas de ne pas savoir une chose… Sauf que là, je ne voyais pas comment me lancer dans des recherches sans passer par une conversation gênante et probablement ridicule. Mieux valait donc le laisser partir et regagner ma propre chambre, en silence.

Le lendemain matin, c'était jour de marché et Éric mourait d'envie d'accompagner Isabelle pour faire les commissions. Détestant la foule, je préférais rester à la maison pour aider ma belle-sœur dans ses tâches quotidiennes. Je n'aimais pas l'idée de nous imposer sans rien apporter… Théodore était parti tôt pour ses visites. Aucun de nous n'avait pu le voir avant son départ… Pas même moi qui m'étais pourtant réveillé avant l'aube…

Nous étions donc seuls, Élias et moi. A cette heure, je m'affairais à la cuisine où je faisais la vaisselle. J'avais tendu un torchon au soldat afin de lui donner une occasion de m'aider afin de tromper un peu son ennuis. Malgré tout, je restais silencieuse, ne sachant pas vraiment quoi dire… Mais, honnêtement, je n'aimais pas cela. Pas du tout même. L'ambiance s'en trouvait réellement alourdie…