Erin a l'air d'être un pessimiste. Luu, c'est une fataliste. Mine de rien, y a une nuance. Pour elle, les événements de la vie sont une question de statistiques. Et que statistiquement parlant, y a une toute petite partie de la population mondiale à qui il n'arrivera que de la merde. Ou beaucoup de merde. Mais même si cette partie est petite, il faut bien qu'elle tombe sur la tronche de quelqu'un. Et donc. Bah. Voilà. Les stats. Le hasard. C'est tout. Comme le japonais qui s'est pris les deux bombes atomiques sur le coin du museau, et qui pourtant a survécu aux deux. Pour Erin, ça a l'air d'être beaucoup plus … personnel, comme affaire. Plus viscéral même. Luuli ne sait pas trop si elle doit le plaindre ou non. Certes son schéma de pensées à elle semble moins difficile à vivre que le sien à lui. Mais elle, bah elle n'en tire pas une musique pareille.

Elle voit, Luu, ce qu'il joue. Elle voit parfaitement les images qu'évoquent la mélodie qu'il joue devant elle, en ayant oublié sa présence. Ça ne la gêne pas. Ça la fascine au contraire. Elle n'a pas bougé quand Erin s'est relevé pour écrire, et elle a attendu patiemment le temps qu'il travaille. Espérant pouvoir entendre ce qu'il griffonnait sur son papier. Et elle l'a entendu, et vu. Et ça fait du bien, encore. La même impression qui la poussée à commettre une violation de domicile. Erm. Pourtant, inconscient de ce bien être qu'il lui procure, Erin s'excuse. Encore ?

Elle le regarde un instant, immobile, avant d'hausser mollement les épaules pour signifier qu'elle s'en fout. Même si la totale absence d'expression sur son visage était peut-être suffisant pour qu'Erin le comprenne. Quoique ça, c'est peut-être un petit plus dû au médoc qu'elle a pris, qu'à son indifférence face à l'éventuelle bizarrerie de la situation.

"J'ai pas l'habitude d'être chez quelqu'un."

Qu'elle répond platement après un moment de silence. Luu Li se rend compte alors qu'elle n'a jamais été chez personne, mis à part … eux. Les pâtissiers. Et sa mère bien sûr. Et son père après.  Mais elle n'a jamais été chez qui que ce soit d'autre. Pourtant elle a plein d'images d'intérieurs de maison ou d'appartement en tête. Tout ceux de séries télévisées restées imprimées dans sa caboche. Alors ça donne l'illusion. Mais elle n'avait jamais été chez personne, jusque là. On ne l'avait de toute façon jamais franchement invitée. Là non plus, cela dit.

"Ça me dérange pas que tu joues. J'aime bien ce que tu joues. C'est beau. Toi aussi. J'l'ai déjà dis je crois …"

Ça déraille dans sa caboche. Les stupéfiants ça lui fait oublié en surface, pas en profondeur. Et des fois ça la coince dans des loops de sensations de déjà-vu horrible qui lui font griller un fusible. Quoiqu'elle ait pris toute à l'heure, elle n'en a certainement pas pris assez pour se retrouver dans cet état. Mais là, ouais, elle a franchement l'impression qu'elle se répète. Grosse relou va. Serait peut-être temps que tu te casses, non ? Personne a jamais voulu de toi (sauf eux), ça risque pas de commencer maintenant avec ce petit caneton effrayé.

"Tu veux que je parte ?"

Ça aussi elle la déjà dit, non ? Elle sait plus. Luu fronce un peu les sourcils pour tenter de se souvenir en regardant le sol. Sait plus. Tant pis. Elle hausse à nouveau les épaules dans un geste encore plus mou que le précédent qui la fait rire à peine.

"Enfin j'dis ça. J'suis pas sûre de pouvoir me mettre debout … T'aurais un truc à manger ?"

Non, manger c'est pour faire passer l'alcool ça. Tant pis. Ça peut pas lui faire de mal à la brindille. Quoique vu l'épaisseur d'Erin, il a l'air de manger encore moins qu'elle.

“Euh. Merci ...”

Belle ? Oui. Enfin. Elle n’est pas stupide. Elle se voit dans la glace, et elle sait qu’elle a une symétrie de visage et des traits intéressants. Oui, elle est … agréable à regarder. Dans un certain sens. Elle voit aussi les regards des autres sur elle, qui la trouve jolie une ou deux secondes, avant de changer d’avis. Quand elle tourne vers eux son regard vitreux de poisson mort. Mais. D’habitude c’est bien dans cet ordre que ça se passe. On la voit > on la trouve belle > regard de poisson mort > on la trouve glauque. Mais là, ce n’est pas dans cet ordre que les choses se sont passées. Il l’a vue > regard de poisson mort > il lui dit qu’elle est belle. Bizarre. Étrange. Agréable. Luu se demande si à un moment donné Erin l’a trouvée glauque ? Bah. Pas grave. Au moins il la trouve belle. Et il aime bien ses cheveux. Alors la rose sourit un peu. Avant de lui demander si elle doit partir.

Oui. Merde. Non. Ouf. Il ne sait pas.

“Ok.”

Tant qu’il ne sait pas, elle reste. Pas qu’elle veuille absolument rester. (Si. Elle se sent bien ici, même si elle est incapable de savoir pourquoi.) Mais elle n’est pas tout à fait en état de retourner dans la rue. Il faut qu’elle mange avant. Enfin. Si ça peut changer quelque chose.

A-t-il à manger dans ses placards, mh? C’est ce qu’elle se demande en le regardant regarder son morceau de cuisine. Elle regarde ses yeux se déplacer sur la surface des placards ainsi que les angles marqués de son visage. Il parle d’enfer. Des gens parle de la beauté du diable. Semblerait qu’elle soit jolie. Le temps d’attende une réponse d’Erin, la jeune femme à le temps de pondre une théorie vaseuse. Un truc comme quoi ce sont les flammes de l’enfer qui forgeraient la beauté.

Troisième placard en partant de la droite. Elle lève les yeux vers le placard de droite, et compte trois. Et puis elle se dit que c’est vachement loin. Tellement loin. Et haut. Aussi. Haut. Elle est toute petite. Elle sait que même si elle avait la force de se lever Luu, elle serait trop petite pour atteindre ce placard. Alors elle le regarde et … réfléchit ? Mh. No sait. Finalement, c’est Erin qui agit. Se lève, atteint le placard, eh ! il est grand lui !, l’ouvre et attrape un paquet de gâteaux qu’elle fait parvenir vers elle.

“Merci.”

Elle t’attrape, ses pupilles se raccrochent à une feuille de concert. Elle la pointe du doigt en disant simplement ”j’aime bien aussi”, et se concentre à nouveau sur son paquet de gâteau. Elle déchire le plastique et prend un gâteau entre ses doigts fins qu’elle grignote comme un rongeur. Triste ? La question lui fait relever les yeux vers Erin. Excellente question ?

“Je crois oui. Mais … pas trop. Pas trop mais tout le temps. Je crois que c’est un truc qu’on appelle “mélancolie”. Ou traumatisme, ahah.”

Elle pouffe, en crachant des miettes de biscuits. Puis fronce les sourcils. C’est pas drôle, non. Mais les pilules ça rend ça un peu plus drôle; C’est pour ça qu’elle les aime bien héhé.

“Et toi . Petit diablotin tout mignon … Pourquoi t’es triste ?”

"Ça. C'est giga triste."

Ouais. C'est nul. C'est pas cool d'être triste. Mais c'est quand même pire de jamais être heureux. Et Luu, putain ce qu'elle déteste ça, mais elle a été heureuse. De temps en temps. Pas souvent. Mais elle s'en souvient parfaitement. Alors ça la rend encore plus triste, des fois. Mais des fois, elle plonge la dedans. Et "shift" comme dirait les jeunes qui croient avoir découvert un truc. Elle va au lit, sous sa couette, ferme son esprit à la réalité et va vivre au fond de son crâne des réalités alternatives issues de ses souvenirs de joie. N'avoir jamais été heureux. C'est giga triste.

"Si tu le dis."

S'il le dit. Elle ne va pas se battre. Elle ne sait pas. Enfin elle sait que des fois elle voudrait pas de ses souvenirs joyeux. Donc. Peut-être bien qu'il a raison. Mais c'est encore plus giga-triste, en fait.

"Mais non …"

La rose fait l'effort de lever une main pour l'agiter en l'air, comme si elle chassait une nuée de mouches. Avec l'air fort agacé qui va avec. Bien sûr que non que c'est pas le grand diable des Enfers. Et juste après, elle rigole. Parce qu'il dit des trucs vachement drôle quand même, Erin.

"Ah bah ! T'es bien le premier."

OK. C'est pas tout à fait vrai. C'est le troisième à apprécier sa présence auprès de lui. (Ça aussi c'est giga-triste.) Luu Li se reconcentre sur ses gâteaux qu'elle grignote les uns après les autres. Avant de relever la tête en entendant la question d'Erin. Bah ? Il voudrait pas qu'elle faute le camp plutôt ? Quoique, s'il aime bien qu'elle soit là. Waaah, difficile de réfléchir.

"T'abandonner ? Défini abandon."

On a dit que c'était difficile de réfléchir. Mais la rose fait quand même l'effort. Elle fronce les sourcils, et fait part de sa réflexion à voix haute.

"Si tu veux dire "pouf" partir et plus revenir, jamais. Je sais pas. Ça dépend de toi ? Si tu joues de temps en temps … Et si tu veux bien de moi … Dans ce cas là. Je ne devrais pas disparaître disparaître, pouf."

Mh. Pas certaine d'être claire mais elle continue.

"Sinon. Oui. Je vais sans doute devoir partir un peu. Et revenir. Et repartir. Et revenir. Et repartir. Et revenir. J'ai des cours à suivre quand même. Ou pas. Je sais pas. Je sais plus. Je m'en fous un peu en vrai. Maintenant je m'en fous."

Ouais. En fait. Maintenant qu'elle y réfléchit, elle ne voit pas pourquoi elle continuerait. D'aller en cours, de continuer, de vivre, tout ça. Alors bon. Pourquoi ne pas rester là ? A grignoter des gâteaux sur le sol et à lecouter jouer. C'est plutôt pas mal comme plan.

"Mh. Si tu veux. Je reste. Je préfère."

Il a dit “reste” et Luu Li s’est retenue très fort de ne pas trop sourire. Même si elle en avait terriblement envie. De sourire bêtement, et surtout de s’étendre sur le sol et peut-être bien d’y taper sa meilleure sieste. Elle a sourit quand même. En coin, un peu timidement, perturbée par une drôle de sensation courant le long de ses nerfs. De la gratitude ça s’appelle. Mais elle ne la connaît pas encore assez bien pour pouvoir tout à fait la nommer. Bref. Elle sourit, et elle hoche doucement la tête en continuant de grignoter.

“Personne ne m’attend d’habitude.”
qu’elle murmure en miroir aux paroles d’Erin, alors qu’il est toujours en train de parler. Elle hoche, encore, la tête et le laisse finir. Et ne rajoute rien d’autre. De nouveau perdue sur les traits du jeune homme qu’elle a l’étrange impression de redécouvrir à chaque fois. Chaque fois avec un filtre différent. Cette fois celui de quelqu’un oublié, ou abandonné par les autres. Elle n’aime pas du tout ça.

La nouvelle question d’Erin la réveille. Luu bouge, tend le bras pour récupérer son sac à dos, le tire à elle et fouille pour en tirer un livre de droit des sociétés au titre tout à fait évocateur et le montre à Erin en tapotant son ongle sur la couverture de cuir en plastique. Pour faire genre que c’est un bouquin classe, ahah. Mais elle aime bien le bruit que ça fait. Bref.

“Fac de droit. C’est chiant à mourir. Mais c’est facile. Enfin pour moi c’est facile.”

Elle hausse les épaules et laisse le livre tomber par terre dans un bruit sec. Marquant définitivement son désintérêt pour la chose. Elle savait juste que c’était facile. Pour elle. Et que ça pourrait lui rapporter plein de fric. Donc. Logique. Mais chiant à mourir, en effet. Elle regarde platement le livre par terre avant que son attention soit capturée par un étrange compliment échappé des lèvres du jeune homme.

“Aahah ah, ah je crois pas non !”

Elle se marre vraiment avant de se figer d’un coup. Le regard de la rose balaye la pièce avant d’aller se planter à nouveau sur les pommettes trop visibles d’Erin.

“Ouais. Peut-être que si en fait …”

Peut-être qu’elle est pas si mal que ça. Hein. Ouais. Aucun doute qu’il y a des gens qui vivent pire qu’elle. Sans doute qu’il y a des gens qui auraient moins “bien” vécu ce qu’elle a vécu qu’elle. Ok. Bon. D’accord, elle est peut-être un petit peu forte. Elle aime bien qu’il l’ait dit, finalement. Pas qu’il voudrait être comme elle. Mais son coeur fort. Son coeur. Elle n’a jamais eu de vrai rapport avec son cœur. C’est difficile quand l’esprit prend et absorbe presque tout l’espace. La rose observe encore un petit peu Erin, et puis elle bascule à quatre pattes. Abandonnant la boîte de gâteaux sur le sol. Elle s'approche de lui tout doucement, décelant dans ses micro-mouvements le moment où elle doit s’arrêter pour ne pas qu’il s’enfuit. Et puis elle retombe sur les fesses, reprenant la contemplation de ses traits. Maintenant qu’il est plus près, il y a de nouveaux détails à découvrir. Et ça fait sourire la jeune femme, sans même qu’elle s’en rende compte.

"Dès le moment où quelqu’un pense à toi quelque part, cet endroit devient ton foyer."

Madame philosophe. Non c'est faux. Elle récite juste.

"C’est Jiraya qui dit ça. Dans un épisode de Naruto Shippuden … Alors si tu m’attends, oui. Je reviendrai. Et tu joueras quand tu veux.”

Elle le corrige, en inclinant la tête sur le côté, s'étonnant elle même de son élan d'égards pour le jeune homme. C'est pas son genre d'être gentille. C'est nettement plus son genre de prendre ce qu'elle veut, quand elle le veut. Mais, pas avec Erin non. Parce que ça ne marcherait sans doute pas. Et parce qu'elle n'en a aucune envie.  

"Tu veux quoi ? Là, tout de suite ?"

Ce qu'il veut. C'est en prononçant ces mots que Luu se rend compte de la difficulté d'y répondre. Elle-même ne saurait pas y répondre. Enfin si. Elle veut une famille. Mais ce n'est pas quelque chose qu'on peut lui donner. Alors c'est une réponse inutile à donner. Mh. Elle aimerait savoir quelles sont les réponses qu'Erin ne peut pas donner. Celles qui font couler cette larme solitaire le long de sa joue. Cette larme que la jeune femme regarde, cette fois, ne perdant pas une seconde de sa course jusqu'à la mandibule marquée du jeune homme. Elle l'aime bien cette larme-ci, parce qu'elle porte de secrets qu'elle a envie de découvrir. Plus tard. Plus tard. Ils ont le temps, maintenant qu'elle reviendra.

Un biscuit, alors. Luu hoche la tête et bascule vers l'arrière pour récupérer le paquet sans bouger de sa position sur le sol. Elle a remarqué la difficulté qu'à Erin avec sa nouvelle proximité. Il la vocalise même. Mais il aime ça. Non. Il n'a pas dit ça. Il a dit qu'il n'aime pas, mais que, avec elle, ça va. Donc il … "n'aime pas" pas ? Bref. La rose ne veut pas réagrandir la distance entre eux. Alors ses fesses restent bien à leur place alors qu'elle s'allonge à moitié pour récupérer le paquet. Elle se redresse, hésite deux secondes, avant de tirer un seul biscuit de sa boîte.

Puis Luu décolle ses fesses du sol pour basculer sur ses genoux, s'appuie sur une seule main pour rapprocher encore d'Erin. Juste assez pour que le gâteau tenu par son autre main tendue devant elle soit suffisamment proche pour qu'il n'ait qu'à tendre son bras pour pouvoir l'attraper.

"Je veux bien être ton amie."

Mmmh. Non. Ce n'est pas la bonne formulation. Ce n'est pas comme ça qu'elle le pense. Elle n'est pas en train de lui concéder une faveur ou quelque chose dans le genre, non. Alors Luu Li se corrige.

"J'ai envie d'être ton amie."

Voilà. C'est nettement mieux comme ça. La rose hoche la tête en faisant danser ses mèches, contente d'elle-même. Elle sourit même un petit peu. Sans trop s'en rendre compte. Gâteau entre les doigts d'Erin, elle le prend presque comme un pacte et Luu revient s'asseoir sur ses fesses. En tailleur. Elle attrape ses chevilles pour se maintenir assise à peu près droite et regarde le jeune homme manger son biscuit. Elle trouve ça étrange presque aussi intéressant et fascinant que de l'entendre et le voir jouer de son piano.

"J'aime bien te regarder manger …"

Elle en fait le constat d'une voix songeuse. Elle se dit en même temps, du coup, qu'elle pourrait bien lui faire à manger. Il n'a pas l'air de langer beaucoup. Il n'a pas l'air de s'inquiéter beaucoup de manger. La jeune femme regarde le paquet de gâteaux par terre evant elle, puis Erin, puis le paquet, puis Erin.

"Je te ferais à manger. Quand je pourrais tenir debout. Et aller en courses, ahah."

Ouais. Deux pré-requis plutôt intéressants à la cuisine. Être debout et avoir des ingrédients à cuisiner. Luu pouffe toute seule et soupire, la tête lourde.

"Ça te va si dors un peu ?"

Prête à basculer sur le côté et à se taper la meilleure sieste de sa vie à tout moment, Luu. Même directement par terre, au milieu de la pièce, parmis les feuilles volantes. C'est comme ça quand on sent bien quelque part, non ? Quand on est à la maison ?