Celian.
Mon alarme résonne dans la pièce lugubre dans laquelle je me retrouve toutes les nuits. C'est un carré construit de planches en bois, une paillasse peu confortable, un carton retourné sur lequel est posé une lampe de chevet jaunit par le temps. Des dizaines de feuilles de papier sont éparpillées au sol, fruit de mes diverses angoisses et envies de tout poser sur papier. Je me lève rapidement en grognant et en me grattant le crâne violemment. J'ai toujours eu cette sensation de ne pas appartenir à mon corps et de devoir gratter et érafler la coquille pour que je puisse m'en libérer. Il ne faut pas que je traîne : le petit-déjeuner doit impérativement être préparé avant que maman et Kyle ne se lèvent. Je sors de la grange sans prendre la peine de regarder dans la pièce principale que je traverse.
*
Quelques heures plus tard, je me fais à nouveau congédier dans le carré froid au fond du jardin. Je suis assez rassuré, car pour une fois tout s'est bien déroulé. Je n'ai reçu aucun coup, aucune insulte, aucun regard désobligeant. Simplement l'ignorance habituelle de ma mère et le dédain de Kyle : tout ceci annonce une bonne journée en perspective.
Mais j'aurais dû m'en douter, cela cachait forcément quelque chose. Rien ne se passe comme je le souhaiterais, sinon je ne serais plus là depuis bien longtemps. Ce que je n'avais pas vu en sortant de la grange me fait désormais face quand j'y entre. Sur un matelas en piteux état se trouve une jeune femme, pieds et mains attachés. Sa bouche est recouverte d'un scotch gris métallique, elle ne me lâche pas des yeux. Mille questions se bousculent dans mon esprit. Qui est-elle ? Que fait-elle ici ? Est-ce que Kyle est taré au point de kidnapper une fille et de la séquestrer avec son beau fils dans une grange miteuse ? Mes tics commencent tout doucement à apparaître. Je ferme la porte à clé, je fais les cent pas dans la longueur de la petite pièce et commence à me tirer les cheveux de stress.
« P-Pourquoi il fait ça, je suis gentil avec lui… » Kyle m'a toujours haï mais jamais au point de m'enfermer avec une personne inconnue. Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Je ne veux pas l'approcher. Elle risquerait de se mettre très en colère, encore pire que maman. Elle doit avoir très peur, mais je pense être effrayé davantage. Mon corps s'affaisse jusqu'au sol et je me mets en boule, réfléchissant la tête entre mes mains moites.
Qu'est-ce que je fais ? Il faut la détacher. Mais si elle crie ? Est-ce qu'elle va me dénoncer ? Il faut que j'aille voir Kyle, ou maman. Non mauvaise idée, elle me traiterait de fou et me jetterait des insultes à la figure. Je ne veux pas de ça. Alors qu'est-ce que je dois faire ? Appeler moi-même la police ? Mais s'ils pensent que c'est de ma faute ? Comment pourrais-je m'en sortir après ça ? Je ne veux pas causer de soucis à maman. Il faut que je la détache. Non elle restera attachée, comme ça elle ne pourra pas s'enfuir et dénoncer ma famille. Je vais au moins lui enlever ce scotch. Je ne veux pas l'approcher. Mes discussions intra personnelles ne menant à rien du tout, les larmes commencent à monter. Je ne suis qu'un bon à rien, je ne peux aider personne. Je décide alors de ne rien faire et m'allonge en boule près de la porte fermée à clé.
« Je veux pas. Je veux pas. » Pourquoi continuer à vivre ? Il vaudrait mieux que je crève, ça ferait de la place dans ce bas monde. Tout commence à devenir flou et je m'endors doucement.
Josh.
Je me lève après quelques secondes de silence, j'essuie mes joues et époussette mon pantalon plein de poussière. La discussion n'était vraiment pas facile, mais finalement j'ai su prendre les choses en main. Cette jeune fille ne sortira pas d'ici, elle ne peut pas. En tout cas pas tout de suite. Je m'approche d'elle doucement et me pose en tailleur à ses côtés, le visage habillé de mon plus grand sourire.
« Bonjour ! Je suis désolé de te voir comme ça, et que tu ai dû voir tout ça, c'est… faut pas y faire attention. Écoute, je suis un peu paumé là. Je comprends pas grand chose à ce qu'il se passe. Tu vas peut-être pouvoir m'aider ? Si je t'enlève le scotch, tu cries pas ? Les bruits forts, on aime pas trop ça, ça pourrait faire sortir quelqu'un de moins sympa que moi. Ok ? »Je n'attends pas forcément de réponse et lui enlève d'un coup sec ce qui la rendait muette. En la regardant de plus près, je lui trouve quelque chose de très charmant.
Elle est jolie la dame. Je lève les yeux au ciel en souriant de plus belle.
« Alors, que s'est-il passé ? »