Apollonia lutte pour garder les yeux ouverts, son corps cherchant à la faire sombrer pour qu’elle ne ressente plus cette douleur insoutenable qui la tenaille. Ses réflexes ne réagissent même pas lorsqu’une masse s’écrase juste à côté d’elle, sauf celui de ses yeux qui papillonne pour se protéger de la poussière avant de s’ouvrir difficilement sur Lucas vers qui elle parvient à tourner la tête. Le jeune homme ne se relève pas. Pourquoi il ne se relève pas..? Il se fait désarmer par l’homme au masque. Non… Elle n’a pas la force de bouger ni de protester. Sa main s’approche néanmoins péniblement de celle du jeune homme à ses côtés, sans parvenir à l’atteindre. Elle ne fait que l’effleurer du revers de la sienne. La force lui manque terriblement et c’est une lutte de chaque instant que de rester éveillé, mais elle y parvient. Il le faut.

Elle ne quitte pas ses yeux, même lorsque les quatre autres mages noirs réapparaissent autour d’eux avec de bien sombres intentions. Son regard ne dévie pas de celui de Lucas, s’accrochant à cette paillette de brillance vivace dans son regard qui lui assure que le jeune homme vit toujours. Elle guette avec une profonde appréhension et un calme résigné, l’instant où celle-ci disparaîtra. La jeune femme sent quelque chose de chaud glisser le long de sa joue, elle ne réalise pas alors que c’est une de ses larmes. Une voix s’élève non loin, celle d’Astoria qui observe leur manège.
— Pas qu’un simple Sang-de-Bourde on dirait… Oh, ma pauvre Apollonia… Endoloris !
Un éclair vert jaillit. Le corps du jeune homme se contorsionne douloureusement sans qu’elle ne puisse rien faire, sinon que d'hurler de toute son âme comme si elle était celle à recevoir le sort. Puis…
— Ça suffit comme ça. Termine-le qu’on en finisse.
Ses paupières s’alourdissent. Elle ne cède pas.
— Avad-
Sa vision se brouille. Elle s’y refuse, restera jusqu’à la fin.
— Expelliarmus!
Elle ferme les yeux, abandonnant malgré elle un peu plus de sa conscience. Elle perçoit à travers celles-ci des lueurs vertes et rouge. Le son d’une baguette qui tombe sur le sol et des sorts fuser. Elle croit reconnaître la voix d’Alec au loin qui l’appelle, mais peut-être l’imagine telle, tandis que les sons deviennent sourds et étouffés. Elle ne voit plus, n’entend plus, ni ne ressent la douleur à sa jambe et celle à sa tête, son esprit parti se retrancher dans un lieu entre la mort et la vie.

Lucas voit trouble. La respiration saccadée, il tourne la tête vers Apollonia et ne lâche pas son visage flou des yeux, sentant son regard sur lui.  

La voix d’Astoria lui parvient, lointaine, suivi d’une douleur intense. C’est comme si chaque muscle, chaque nerf, chaque parcelle de son corps éclataient l’une après l’autre. Le sort dure plus que la première fois. Lucas hurle sans s’en rendre compte, tordu de douleur. Lorsque le sort est enfin rompu, le jeune homme est à bout de souffle. La douleur reste même après la rupture du contact... et plus celui-ci est prolongé, plus le corps met de temps à se remettre. Le policier ne voit et n’entend plus rien, le sang battant à ses oreilles à une vitesse folle et la vue brouillée par les larmes. Il n’entend pas le début du sort funeste, ni son interruption... Hors de la réalité, il s’oblige à bouger pour se trainer à tâtons vers Apollonia. Tout se corps le lance, le moindre mouvement est un supplice, mais cela prouve qu’il est encore en vie...  

Retrouvant un peu de vision, Lucas trouve la main inerte de la jeune femme non loin de lui. Il la sert faiblement en espérant obtenir une réaction, en vain...

Il entend des voix et des sortilèges lancés autour d’eux, mais seule Apollonia compte.  

Un nouveau sort lancé contre lui (Sectumsempra), ou peut-être juste détourné ou mal lancé... mais le fait est qu’il le reçoit de plein fouet. Une nouvelle douleur... Ou plutôt des dizaines de douleurs... Lucas n’a pas le temps de hurler cette fois, il sombre, tenant fermement la main d’Apollonia.

****

D’abord les sons... des éclats de voix, des bruits étranges... Puis la lumière, à travers les paupières closes, éblouissante... Lucas ferme plus étroitement les yeux. Mais les sons se font plus forts, plus dérangeants, et la lumière plus vive...

Il finit par ouvrir les yeux, les clignent à plusieurs reprises le temps de s’habituer. Il est étendu dans un lit dans une grande pièce qu’il ne connait pas. Il a mal à la tête... en fait il a mal absolument partout...

Il referme les yeux pour essayer de faire le point, de se rappeler... se rappeler quoi ? Ses derniers souvenirs sont si flous...

”Concentre toi...”

Mais il se rendors avant d’avoir pu faire le point, sombrant dans un sommeil agité duquel il se réveille en sursaut et en hurlant.

"Apollonia !"

Assis dans son lit, haletant, il jette un regard paniqué autour de lui. Une dame en tenue d’infirmière accourt aussitôt vers lui et tente de le calmer d’une voix calme mais ferme.

"Apollonia... Où est-elle ? Je dois la voir !"

- Calmez-vous jeune homme ! Vous n’êtes pas en état de vous agiter ainsi !

Pas en état... mais de quoi parle-t-elle ? Et où est-il ?

Le policier regarde plus attentivement les lieux et l’informations atteins peu à peu son cerveau endoloris : il est à l’hôpital...

"Comment... Que s’est-il passé ?"

L’infirmière l’oblige à se rallonger et lui explique que des Aurores l’ont amené il a quelques jours avec une jeune femme. Quelques jours...  

"La jeune femme, où est-elle ? Est-ce qu’elle va bien ?"

Mais l’infirmière n’a pas le temps de répondre. Quelqu’un vient d’entrer dans la salle et s’approche d’eux...

Alec avait éprouvé une sensation de plénitude lors de sa première rencontre avec Apollonia Black. Bien qu'initialement réticent à l'idée d'épouser une étrangère, le portrait de la jeune femme qu'il avait reçu dans sa vingtaine avait éveillé en lui des émotions qu'il croyait inaccessibles. Rencontrer Apollonia en personne, après des années de correspondance, avait matérialisé l’objet de ses sentiments. La beauté froide de la jeune femme aurait pu glacer le cœur de n'importe qui, mais un seul de ses sourires suffisait à faire fondre celui d’Alec. De plus, elle possédait une lumière intérieure qui la distinguait. Tout comme lui, elle aspirait à se libérer de l'emprise de la pureté du sang qui avait façonné leur enfance. C'est pour redorer le blason des Lestranges qu'il avait choisi de devenir Auror, le premier de sa lignée, et de se rapprocher d'Apollonia qui travaillait à Londres, en rejoignant son Ministère. Bien que la jeune femme ait retardé leurs fiançailles en raison de ses responsabilités et ambitions durant plusieurs années, sa patience avait finalement porté ses fruits. Dans deux semaines, elle serait sa femme, et Alec se sentait comblé.

Cependant, force était de constater qu’une ombre au tableau avait récemment assombri leur bonheur. La découverte des restes de Colt Tauris, un enfant disparu dans les années 80 avait  semblé profondément troublée Apollonia. Elle s'était impliquée dans l'affaire sans le consulter, mettant délibérément sa vie en danger malgré ses avertissements. Elle avait enquêté en dehors de ses fonctions et sans aucun renforts. Le cœur d'Alec avait cessé de battre en recevant le message de détresse de son patronus, et d'autant plus lorsqu’il la trouva inconsciente sur le sol du manoir des Nott.

Il se rappelait encore de l'instant où il avait trouvé Apollonia dans le repère de la secte... Le jeune policier s'était trainé à bout de force jusqu’à sa promise, et avait glissé sa  main dans la sienne avant de n’avoir pu prévenir l’assaut d’un sortilège ricoché. Qui était cet homme ? Se connaissaient-ils ? Alec comptait bien mettre cette histoire au clair. Si on l'avait envoyé à St-Mangouste pour interroger le policier sur l'affaire en cours, il comptait bien lui rendre quelques comptes personnels.

Et visiblement, Alec avait déjà une idée de la réponse, car en arrivant dans la salle aux lits d'hospices alignés, l'homme semblait tout droit émerger et n'avait qu'un seul nom en bouche : celui de sa fiancée. Il s'approcha le pas assuré et fort confiant. Il savait leur amour réel, mais aussi conscient du pouvoir d'attraction de sa future femme, il était prêt à remettre ce jeune galopin à sa place.
— Apollonia s'est remise de ses blessures. Elle va bien », informa Alec en tirant une chaise non loin de là et en s'asseyant près de lui, son regard perçant fixé sur le jeune homme. Une vague de mépris l'envahissait. Était-ce de la jalousie ? Il souffla profondément pour se recentrer. « Elle n'aurait pas dû être là... Elle aurait dû avertir le Ministère au premier signe de magie noire dans l'enquête… mais ma fiancée se retrouve face à cinq mages noirs avec un policier… inexpérimenté à ses côtés. » Ses mots étaient durs, sévères et pleins de reproches. Quelque chose lui disait que cet homme était en partie responsable de cet incident qui aurait pu coûter la vie à son aimée. « Pouvez-vous m'éclairer sur les événements, Mr. Artwood ? » demandait Alec d'un ton tranchant et acerbe, fixant ses yeux durs dans ceux du jeune homme. Il se pencha un peu plus sur sa chaise. Sa question avait un double sens : il voulait connaître non seulement les faits, mais aussi la raison de la présence du policier aux côtés d'Apollonia et la nature de leur relation. L'infirmière le réprimanda du regard. Il l'ignora.

Alec Lestrange... Lucas le connait sans le connaitre, à savoir qu’il sait qui il est mais ne l’a jamais rencontré personnellement. Ils auraient pu être collègues si Lucas ne s’était pas interdit le poste d’Auror...  

Apparemment, il a entendu le policier et lui assure sans attendre qu’Apollonia se porte bien. Le jeune homme ne peut cacher son soulagement, se détendant enfin un peu sur ses oreillers.  

L’Auror s’installe prêt du lit et, sans lâcher Lucas des yeux, reprend la parole. Ses mots font serrer les dents du policier qui se redresse aussitôt en grimaçant, sous le regard désapprobateur de l’infirmière, et fusille Alec du regard.

"Votre... fiancée... n'aurait pas dû être là en effet, mais vous savez pertinemment que je suis loin d’être inexpérimenté !"

On lui court après depuis assez longtemps pour qu’il rejoigne les rangs des Aurors... et pour ce qui est du lien qui unis Apollonia et monsieur Lestrange... Le mot “fiancée” arrache clairement la gorge de Lucas lorsqu’il le prononce.

Appuyé contre les oreillers, le policier sert les poings alors que l’Auror lui demande de détailler les évènements qui les ont amenés là...

Le jeune homme soupire entre ses dents.

"Elle n’en a fait qu’à sa tête, voilà ce qui s’est passé !"

Elle a voulu se la jouer solo... Au péril de sa vie... et une fois encore Lucas s’est retrouvé presqu’impuissant pour la défendre...  

Détournant les yeux, il prend une grande inspiration pour ravaler la boule qui se forme dans sa gorge. Il doit reprendre contenance, il ne peut pas laisser paraitre ses émotions face à ce... type...

Assurant sa voix, le policier reprend.

"C’est moi qui lui ai dit d’appeler les Aurors. Nous avons été submergés... Elle n’était pas sensée revenir au manoir après son message..."

Il s’en sortait bien avant qu’elle ne revienne... tant qu’elle était loin du danger... Mais il a fallu qu’elle revienne...

Lucas se crispe et grimace de nouveau de douleur. C’est comme si tout son corps avait été incendié de l’intérieur...

Conscient qu’Alec attend un peu plus de détails, Lucas réfléchi à comment le contenter sans trahir la raison qui a poussé Apo à agir seule. Ce secret et ce lien qui affaiblissent encore aujourd'hui le policier...  

Ramenant son regard sur l’Auror, le visage désormais fermé, il reprend d’une voix neutre.

"L'enquête à prit une tournure inattendue et Apollonia s’est précipitée sans réfléchir. J’ai fait de mon mieux pour la suivre malgré ses nombreuses tentatives pour m’éloigner. Nous devions travailler en binôme, mais elle semble encore plus réticente que moi au travail en équipe..."

Quel pieux mensonge... et pas certain qu’Alec y croit... A quel point l’homme connait-il sa future femme ? Que lui a-t-elle avoué de son passé ? Comment est-elle avec lui ?

Imaginer le couple au quotidien sert le cœur meurtri du policier, mais il n’en montre rien. Il doit se reprendre...

Le jeune homme est farouche. Plus qu’il n’en a l’air, et force est de constater qu’une tension particulière semble les habiter tout deux. Notamment que prononcerer le mot « fiancée » semble lui être bien pénible au jeune policer... C’est maintenant au tour de Alec de serrer des dents. Mais avant de poser quelques questions d’ordre plus « personnelles », il se doit de s’informer des derniers événements auprès du policier pour les rapporter au ministère, Apollonia n’étant pas en état de le faire. Car non, il avait quelque peu menti, Apollonia n’allait pas bien. Si ses blessures s’étaient remises et les sortilèges lui avaient évité de nouvelles cicatrices sur la blancheur de sa peau, la jeune femme semblait torturée dans l’âme pour quelques obscures raisons qu’elle refusait de lui partager et s’était depuis murée dans un silence pesant.
— Têtue, elle l’est. » concède Alec, un regard réprobateur à l’égard du jeune policier de pester ainsi contre sa future épouse. « Cependant, ce n’est pas dans ses habitudes de prendre de tels risques… » Laisse planer Alec, le regard chargé de soupçons et épiant la réaction du policier sans s'en cacher.

Néanmoins, celui-ci semble au contraire se fermer et reprendre d’un ton plus détaché que plus tôt. Ce changement de comportement surprend quelque peu Alec et lui donne la conviction qu’il y a bien anguille sous roche. Quelque chose ne tourne pas rond dans cette histoire, notamment l’inquiétude démesurée que le jeune homme semble porter pour Apollonia. Son réveil exalté en s’écriant son nom lui à confirmé la chose.

Alec tente de ne pas dévier du sujet principal et ce pourquoi il était là, pour remplir ses fonctions. Il ferme un instant les yeux, se retenant une vague de questions déferlante et finit par expirer bruyamment son agacement.
— Comme vous le savez, au moindre signe de magie ancienne ou d’implication de mage noir, le dossier doit immédiatement être transféré à notre département. Ainsi, je vous demanderai de me transmettre tout ce que vous avez appris ces derniers jours qui ont fait avancer ou non l’enquête jusqu’à votre altercation au manoir des Noth. Mes collègues et moi-même prendrons le relais à partir de là.

L' Auror attend ainsi de recevoir les informations demandées de la part du policier, s’efforçant d’écouter attentivement et d’enregistrer tous les détails de l’enquête.

Lorsque cela est enfin fait, Alec se penche un peu plus sur sa chaise. Intime du regard à l’infirmière de les laisser, ce que la jeune femme conscent de faire.
— Bien, maintenant revenons aux choses sérieuses. » son regard charbonneux semble s’embraser à ces mots, mais sa posture demeure néanmoins calme et dans la retenue. « Vous connaissez ma fiancée... » Ce n’était pas une question. « ... vous vous inquiétez d'elle et visiblement c'est réciproque. Pourtant, elle ne m'a jamais parlé de vous. » fit-il songeur. « Je n’irais pas par quatre chemins, Mr. Artwood. Entretenez-vous une liaison avec Apollonia ? »

Alec ne pouvait s’empêcher de repenser à la proximité apparente dont a fait preuve le jeune homme pour sa fiancée au manoir lors de l’attaque, et à leurs mains entrelacées, même si retranchés dans leur inconscient. La situation le tiraille, plus qu’il ne le laisse paraître. Il a mal. Il ne croit pas capable Apollonia d’une telle chose… mais les risques qu’elle a en effet pris en retournant au manoir sans attendre les renforts le laisse perplexe. C’est un comportement insensé de sa part qu’il ne lui explique pas.  

L’homme ne semble pas ravi de la façon dont Lucas parler de sa future femme, mais le policier n’en a que faire. Il soutient le regard soupçonneux d’Alec sans ciller, retenant un rire sec lorsque ce dernier affirme qu’il n’est pas dans les habitudes d’Apollonia de prendre des risques de la sorte. S’il s’avait... Il ne connait apparemment rien de la jeunesse de la jeune femme à l’école...

L’Auror “craque” le premier, fermant les yeux un instant avant de reprendre avec ses questions. Lucas, exaspéré, relève le menton en inspirant profondément et expire entre ses dents. L’homme à raison, le dossier doit passer aux Aurors... Il n’a pas le choix...

Le policier lui raconte alors ce qu’ils ont découvert, Apollonia et lui. Les parchemins, les sectes de sang, les soupçons sur les tests de sang pur... Il parle même de Colt, sans préciser qu’il était présent au moment de sa mort, bien évidemment.

Lorsque le policier a terminé, Alec se penche vers lui et fait sortir l’infirmière d’un regard. Lucas la regarde partir avant de reporter son attention sur l’Auror qui reprend la parole. Et sa question le fige une seconde avant qu’il n’éclate de rire, rire qui se change rapidement en grimace de douleur. S’il savait...

"Je connais Apollonia en effet. Nous étions à l’école ensemble. Mais je vous rassure, monsieur Lestrange, nos rapports sont purement... professionnels."

S’il pouvait lui-même s’en convaincre, ce serait encore mieux...

Lucas laisse aller sa tête en arrière, soufflant lentement, comme pour évacuer la douleur qui le tiraille, tant physiquement que moralement...

Il tourne à nouveau les yeux sur Alec et reprend d’une voix neutre.

"Je ne vois pas pourquoi elle aurait parlé de moi étant donné que nous n’étions même pas dans la même maison et ne... fréquentions pas les mêmes gens..."

L’amertume qui transparait dans sa voix pourrait passer sur le compte du dégout de Lucas envers les amis d’Apollonia, mais la réalité est tout autre... C’est le dégout de lui-même qui lui serre la gorge. Le souvenir que ces paroles font remonter, le mensonge qui lui écrase le cœur... Oui, voilà ce qui le dégoute réellement...

Pris d’un haut le cœur, Lucas lutte pour rester impassible. Son regard se fait fiévreux le temps d’une seconde avant qu’il ne reprenne contenance.

"Maintenant, si vous le permettez, j’aimerai me reposer. Vu que vous reprenez l’enquête, vous pouvez partir rassurer sur le fait qu’Apollonia et moi n’auront probablement plus à nous côtoyer prochainement... "

Et cela est surement mieux ainsi...

Alec parvient à soutirer l’information qu’il était venu chercher dès son arrivée en ces lieux. Cependant, une fois cette tâche accomplie, il ne peut réprimer sa curiosité quant à l’étrange lien entre le jeune policier et sa future épouse. Même si le jeune homme nie farouchement, Alec sait ce qu’il a vu. L’image désagréable de cette main étrangère tenant fermement celle de sa fiancée, ainsi que l’animosité palpable face à sa simple présence, alors qu’il ne fait que son devoir, en dit long.

Il n’en faut pas plus à Alec, qui préfère mettre fin à la discussion avant qu’elle ne prenne une tournure périlleuse. Il discerne dans les mimiques et les gestuelles affectées du jeune policier que ses paroles ne sont pas tout à fait sincères, même si ce dernier semble nourrir des ressentiments étranges à l’égard de sa femme sans en comprendre la source. Il décide de s’adresser à la principale intéressée : Apollonia. Se redressant, il se lève promptement de sa chaise, puis la remet tranquillement en place avant de répondre au jeune homme effarouché.
— En effet. D’autant plus que nous quittons Londres. Mais puisque vous vous connaissez si peu en fin de compte, je n’ai pas à lui transmettre vos adieux, j’imagine ? le teste-t-il finement une dernière fois. Dans deux semaines, il y aurait son mariage et ensuite, Apollonia avait consenti à s’installer avec lui en France, dans le domaine des Lestrange, loin du tumulte de la vie politique. Quoi qu’il en soit, la jeune femme serait sienne, même s’il souhaitait d’abord éclaircir quelques zones d’ombre de son passé. Avec du recul, il se doutait que ce policier désœuvré n’était somme toute pas un rival.
« J’aimerais pouvoir vous remercier d’avoir protégé Apollonia… mais visiblement, sans notre intervention, je ne peux qu’imaginer le pire qui lui serait arrivé, alors je vais m’abstenir. » dit-il en lançant un regard sévère et chargé de reproches, avant de tourner les talons et quitter les lieux.  « Portez-vous bien, M. Artwood. »

Artwood… Ce nom, à la fois inconnu et si familier. Le souvenir du jeune homme lui revient en un éclair. Il avait entendu parler d’un certain Artwood, un duelliste talentueux qui aurait refusé le poste d’auror. C’était une première. Il sourit avec amertume et refoule cet étrange sentiment qui le hante. Quelque chose lui intime que des événements bien plus graves le lient à sa future épouse.

En arrivant à l’appartement, Alec Lestrange retrouve sa promise observant l’horizon, le regard fixé par delà la fenêtre sur un point invisible. Elle ne semble même pas remarquer sa présence, jusqu’à ce qu’il l’interpelle doucement. La jeune femme se retourne, un peu perdue, comme sortie d’un rêve. Son visage, terne, ne dégage aucune chaleur malgré le sourire tendre qu’elle lui adresse. Elle le regarde sans vraiment le voir. Depuis plusieurs jours, elle est ainsi, et Alec attribue cet état au traumatisme des récents événements, alors il demeure patient. Mais cette fois-ci… quelque chose le taraude.
— Apollonia… Connaissais-tu Lucas Artwood avant l’enquête ?
La jeune femme semble surprise un instant, puis entrouvre les lèvres, mais aucun son ne sort immédiatement, ce délai le peine.
— Nous avons tous deux fréquenté Poudl…
— Je ne parle pas de ça ! s’impatiente-t-il malgré lui. Il souffle puis reprend contenance. Il ne veut pas l’accuser, mais il veut en avoir le cœur net. As-tu déjà entretenu une relation avec ce policier ? Que ce soit par le passé ou… en ce moment même…
Son cœur se serre de devoir poser cette question, mais l’attente et le silence qui suit manquent de le briser encore plus. La jeune femme semble hésitante, puis, se redressant légèrement, elle finit par lever son regard froid vers lui. Elle aussi semble blessée par une telle question.
— Oui, finit-elle par dire. Nous n’étions que des enfants, une rébellion de ma part contre mes parents, c’est tout. Ça n’a pas duré longtemps…
L’auror sent son visage se raidir à cette annonce, alors la jeune femme s’empresse d’ajouter :
« Je ne t’ai jamais rien dit parce que j'avais peur que tu me renierais d'apprendre que j’ai fréquenté un né-moldu ! Alec… Je te le promets, je n’ai rien à te cacher. »
Apollonia s’approche doucement, ses mains se posant prudemment sur son visage pour en dégager les quelques mèches rebelles qui s'y trouvent. Il pose sa main contre la sienne, sans la déloger de sa joue, mais n'ose la regarder dans les yeux.
— L’as-tu déjà aimé ?
Apollonia secoue lentement la tête en signe de négation. Le mensonge lui est si aisé depuis qu’elle se noie dans cette potion tue-émotion. Alec repousse tendrement sa main, mais quelque chose continue de le tirailler.« Apollonia… J’ai besoin de savoir. As-tu des sentiments pour cet homme ? »
Les yeux de la jeune femme s’illuminent d’inquiétude et de mansuétude. De nouveau, elle encadre son visage de ses mains, s’assurant de capturer son regard. Un doux sourire étire ses lèvres.
— Bien sûr que non, enfin ! J’étais jeune et idiote. Alec, il n’y a que toi que j’aime.
Alec se déconfit sur place en relevant son regard sur elle tant elle est belle, et se laisse submerger par la chaleur d’un baiser qu’elle appose avec délicatesse sur ses lèvres. Il bafouille quelques excuses maladroites pour l'avoir accusé de la sorte même si indirectement, avant d’être de nouveau emporté par ses baisers passionnés. Et ainsi, il s’abandonne au silence, préférant profiter de cet échange enflammé qui laisse vite place à la passion.

Au réveil, même si Apollonia n’est plus dans leur lit et semble déjà partie au Ministère, il est l’homme le plus heureux du monde.

Alec Lestrange se lève sans insister plus et, avant de partir, indique au policier qu’Apollonia et lui vont quitter Londres. Cette information fige un instant les traits du jeune homme qui détourne aussitôt les yeux afin de cacher son trouble.

"Pas besoin non..."

Elle sera surement soulagée de ne plus avoir à faire à Lucas... Et cela devrait en être de même pour lui mais... mais son cœur de pierre se serre pourtant à l’idée qu’elle parte...

Aux derniers mots de l’Auror, Lucas relève un regard noir sur lui, se retenant de lui dire que c’est de sa faute à elle... qu’elle ‘n'avait qu’à pas revenir... L’effet qu’elle a sur lui le déconcentre, l’affaibli d’une certaine façon... C’est quand même dingue de se dire qu’il n’est même pas capable de protéger la seule personne qu’il n’a jamais aimé...

Serrant les poings, il regarde Alec partir en silence. Salopard...

Une fois seul, le policier se rallonge en grimaçant et fixe le plafond. Toute la douleur qu’il ressent n’est rien comparée à sa culpabilité. Il n’a pas pu protéger Apollonia, non... tout comme il n’a pas pu protéger Colt à l’époque...

De rage, il se redresse soudain, attrape le premier objet qui lui tombe sous la main et le lance contre le mur. L’infirmière intervient aussitôt, mais à peine l’interpelle-t-elle qu’il s’effondre, au bord de l’évanouissement. Si faible...

Il faudra attendre trois jours avant qu’on ne le laisse sortir de l’hôpital. Il est écarté pour un mois, le temps de se remettre psychologiquement. Ils ne se rendent pas compte que c’est la pire des choses à faire... car s’il ne travaille pas, cela lui laisse le temps pour cogiter, et ça... ce n’est pas ainsi qu’il va retrouver ses esprits...

Après deux jours à tourner en rond dans son quartier, le policier ne tient plus. Cela va faire plusieurs jours qu’il n’a plus vu Apollonia. Elle se marie bientôt... Ca ne peut pas... Il doit la revoir avant... Il ne peut pas rester sans rien faire... Même si c'est une mauvaise idée, même s’il n’est pas lui-même en sa présence... ou plutôt si... il n’y a qu’avec elle qu’il est vraiment lui... Ce garçon faible qu’il hais tant...  

Cette prise de tête le rend dingue. Ses pensées le rendent dingue. Il finit par lui transmettre discrètement un mot lui demandant de le retrouver dans l’appartement de la dernière fois, le soir même. Celui où ils s’étaient retrouvés quelques années plus tôt.  

Il y arrive à l’avance et patiente, nerveux, en espérant qu’elle vienne. Il sait déjà ce qu’il va lui dire, mais en sera-t-il capable ? Saurat-il se mentir à lui-même une dernière fois ?  

Il pense à son mariage tout proche, à ce type qui l’a pris de haut et qui sera bientôt aux côtés de la jeune femme pour le restant de leurs jours...

Sa jambe tressaute de plus bel alors qu’il est assis sur l’accoudoir d’un canapé miteux.  

"Pitier, qu’elle vienne... "

Ou pas... le policier n’est pas certain de ce qui est le mieux, au final...

Apollonia s'était réveillée dans la chambre conjugale, ses souvenirs embrouillés par sa chute au manoir Noth. Son réveil soudain avait arraché un petit cri de surprise à la jeune infirmière de garde, veillant à son chevet. Tandis que le nom d’Alec résonnait dans les couloirs de l’appartement, signalant son réveil tant attendu, un autre nom avait surgi dans l'esprit d'Apollonia : Lucas. Ses derniers souvenirs étaient flous, mais malgré tout, un visage s'était péniblement dessiné dans son esprit, déclenchant une panique qui l'avait fait redressé du lit en sueur.

Les jours suivants avaient été marqués par des maux de tête persistants et d’un retour de conscience terrible de ne pouvoir se rappeler si Lucas avait survécu. On lui avait expliqué qu'elle avait subi une hémorragie interne à la suite de sa chute, et que sa jambe était maintenant entièrement rétablie, mais personne lui donna des nouvelles du policier qui l'avait accompagnée lors de son enquête. Alec, aux petits soins et toujours présent à ses côtés, elle n’osait soulever la question à l’infirmière qui demeurait à leur domicile par précaution, ni le lui demander directement.

Le désespoir d'Apollonia de ne pas savoir si Lucas était sain et sauf la rongeait, et elle peinait à dissimuler son trouble. Quand Alec lui demandait ce qui n'allait pas, elle blâmait sa petite mine sur son état de santé. En réalité, son cœur se déchirait de ne pas savoir ce qu'il était advenu de Lucas. Car s'il avait survécu, n'aurait-il pas cherché à la retrouver depuis tout ce temps ?

Profitant de son arrêt de travail et de la reprise des activités de son fiancé quelques jours plus tard, Apollonia s'était rendue à Sainte-Mangouste pour en avoir le cœur net. Quel ne fut pas son soulagement de retrouver Lucas, allongé dans l'un des lits de l'hôpital. Incapable de se contenir, elle avait tiré les rideaux entourant l'espace de Lucas pour plus de discrétion et s'était assise à son chevet, espérant son réveil. C’est durant ces heures d’appréhension mêlé au silence, qu’un bourdonnement d’émotions l’avait saisi à la gorge. Ce n’était pas arrivé depuis si longtemps… Elle réalisait que même si leur lien s'était affaibli au fil des années, il ne s’était jamais réellement rompu. La preuve en était qu'elle était là, sa main glissée dans celle la sienne, lui déposant des baisers affectueux comme si elle avait toujours été à ses côtés.

Lucas ne s'était pas réveillé ce jour-là, et Apollonia avait dû se rendre à l'évidence. Si elle l'aimait vraiment, elle devait lui rendre sa liberté. Le poids de son crime resterait toujours une ombre écrasante pour le jeune homme hanté par son souvenir, et même son affection ne suffirait pas à l'écarter. Il ne pouvait surmonter la perte de Colt, ni lui pardonner d'en être responsable. Presque suicidaire, Lucas se dirigeait vers sa perte. Alors, sa décision fût prise.

Nature Boy:

Elle arrive en retard. Apollonia a failli ne pas venir et ignore toujours pourquoi elle se trouve là, devant cet appartement délabré, hésitant encore à franchir le seuil. En réalité, elle est terrifiée par ce qu’elle s’apprête à faire. Dehors, une pluie battante s'abat sur elle, mais elle ne cherche même pas à s’en protéger, perdue dans ses pensées. Ou plutôt, cette « absence » de pensées. Ses cils perlent d’eau et son cuir chevelu brille sous la lumière lunaire, pourtant, elle reste immobile. Elle ne se sent pas elle-même, comme si on lui avait arraché l’âme. Elle a pris de nouveau cette potion qui anesthésie ses vagues à l'âme et ses émotions. Pourtant, cela ne suffit pas à rompre le lien qu’elle tente de noyer depuis tant d’années, car la voilà, venue au rendez-vous malgré les effets de celle-ci.

Lorsqu’elle entre enfin dans l'appartement, trempée jusqu’aux os, Apollonia n'est pas venue les mains vides. Dans ses mains, elle tient une petite boîte en bois noir contenant deux petites fioles, chacune renfermant un de ses cheveux. Ses souvenirs, qu’il peut utiliser à sa guise. Pour l’inculper s’il le souhaite. Pour comprendre les raisons qui l’ont poussée à agir ainsi tout ce temps. Pour qu’il puisse enfin la haïr pour tout le mal qu’elle a causé. Pour se délivrer d’elle, de son souvenir et de toute cette souffrance. Dans cette petite boîte noire à l'apparence inoffensive, elle lui offre sa chute.

En le découvrant là, bien vivant devant elle, au milieu de ce salon démeublé, elle se fige un instant. Si ce n’était pas pour cette maudite potion, elle courrait sûrement déjà se jeter dans ses bras, pleurer un torrent de larmes et, peut-être même, l’embrasser à s’en surprendre elle-même. Elle finit par s’avancer dans la pièce et dépose la petite boîte sur la table basse devant Lucas. Elle ne dit rien en se redressant. Seul le bruit de l’eau s'égouttant de ses vêtements, de ses cils et de ses cheveux trouble le silence pesant. Apollonia ne se sent pas elle-même, comme si elle avait reçu un coup à la tête et ne parvient pas à se souvenir des raisons de sa présence. Comment est-ce possible ? La potion ne devait pas se limiter aux émotions ? Peut-être a-t-elle abusé du breuvage… Pour lutter contre ses sentiments face à lui. Elle ferme un instant les yeux pour reprendre contenance, mais en les rouvrant, son visage demeure placide et ses yeux plus ternes encore. Elle se tourne enfin vers Lucas, mais c’est comme si elle ne le reconnaissait pas. Elle se contente donc de l’observer, sans émotions particulière. Pourtant quelque chose la pousse à rester là, mais quoi ?