Ah ce qu’il aurait aimé trouver sa compagnie ennuyante… S’il avait seulement pu trouver son rire insupportable ! Mais non. Tout était délicieux chez elle… de sa compagnie à son rire en passant par sa conversation. Glen passait un bon moment. Si bon qu’il ne voyait plus le temps passer. Les minutes défilaient, peut-être même les heures sans qu’il n’en tienne le décompte. Evidemment, il se sentait mal par moment… Et puis il oubliait, fasciné par le spectacle qui lui était donné. Il n’avait qu’à se plonger dans son regard et le reste cessait d’exister. Sentait-elle avec quelle intensité il la regardait ? Probablement. A vrai dire, la salle de restaurant toute entière pouvait être témoin de cette alchimie si évidente qu’elle en crèverait les yeux. A l’exception près de ceux des deux protagonistes qui avaient ignoré jusque-là leurs inclinations respectives et mutuelles. Il n’empêche que c’était dur à contrôler et Glen était quelque peu soulagé de pouvoir s’échapper dans le vin. Heureusement, la jolie blonde disait apprécier sa boisson et Glen n’avait pas besoin de troquer son verre de vin contre un soda dont il raffolait que trop peu. « Parfait. » qu’il avait sourit en portant à nouveau son verre à ses lèvres. S’il continuait comme ça, il ne lui en resterait plus pour le diner. Sans compter qu’il pourrait finir enivré par l’alcool et c’était bien là une situation qu’il voulait éviter. En présence de Lullaby en tout cas. Il n’avait rien contre avoir un petit coup dans le nez de temps en temps… Mais l’alcool avait cette fâcheuse tendance à rendre possible l’impossible et c’était affreusement dangereux dans la situation dans laquelle il se trouvait. « Chien ! C’est une très bonne réponse ! » qu’il s’était exclamé, comme si c’était une surprise alors que, plus le temps passait, moins il était surpris par les points communs qu’ils se trouvaient. Et puis c’était au tour de Lullaby de poser une question et Glen leva un sourcil aussi intrigué qu’amusé en direction de la jeune femme. « Rouge, évidemment. » Et il n’avait eu aucun mal à répondre du tac-au-tac, faisant virevolter le précieux nectar dans son verre. « Ok, soyons sérieux maintenant… Parle-moi d’un de tes secrets les mieux gardés. » Et alors qu’il arborait un air de défi, Glen se demanda subitement si son secret le mieux gardé, ce n’était pas les supposés sentiments qu’elle avait pour lui. « Et je parle pas de nous… Enfin… de toi qui… Enfin t’as compris quoi. » qu’il avait balbutié ensuite, gâchant pour sûr l’effet audacieux qu’il avait espéré pour sa requête. De nous... De nous ! Mais enfin, quel nous ?! Il avait perdu la tête.

Lorsque l'homme affirme que chien est une très bonne réponse, la demoiselle esquissé un sourire en appréciant de se découvrir un nouveau point commun avec lui. Un nouveau point commun qui s'ajoute aux autres qu'ils se sont déjà trouvés, qu'ils cumulent, comme si… comme s'il n'y avait finalement aucun doute à avoir sur leur compatibilité, tant ils étaient similaires. Tant ils avaient de raisons de s'entendre l'un avec l'autre. Et le temps d'un instant, Lullaby s'interroge, se demandant combien de ces points communs ils pourraient se découvrir encore, au fur et à mesure de leurs discussions, de leurs rencontres.

”- C'est trop solitaire un chat, pas assez câlin. Ou seulement parfois, par intérêt.” remarque-t-elle, précisant sa pensée. ”Alors qu'un toutou…”

Rouge, il n'hésite pas une seconde, faisant tourner le liquide dans son verre comme pour appuyer ses dires. Lullaby n'avait pas vraiment de doute sur le sujet. Ce n'était pas comme si elle le voyait ramener continuellement une bouteille de rouge chez ses parents, après tout. Il ne faisait que confirmer ce qu'elle savait déjà, donc. Un autre point qu'ils avaient en commun, d'ailleurs, quoiqu'elle ne refuse jamais non plus un petit verre de blanc, au moment de l'apéro.

”- Je suis surprise, vraiment !” plaisante la demoiselle.

L'un de ses secrets les mieux gardés. Glen semble tout à coup se décomposer, à peine a-t-il posé sa question, revenant sur celle-ci pour préciser sa pensée. Exclure les sentiments de la demoiselle de la réponse qu'elle pourrait lui apporter. Et pourtant. C'était certainement son secret le mieux gardé. Mais c'était aussi un secret dont il avait déjà connaissance et qui ne serait pas une révélation. Il n'avait pas vraiment besoin d'en savoir plus, au moins pour le moment.

”- Oui.” acquiesce-t-elle. Elle a compris. ”C'est sûrement le mieux gardé oui…” précise toutefois la jeune femme.

Se plongeant dans ses pensées, Lullaby réfléchit. Quel pouvait bien être un de ses grands secrets, en dehors de ses sentiments pour Glen et tout ce qui pouvait se rapporter à ces derniers ? La question n'était pas évidente, loin de là. Avait-elle seulement des secrets, en dehors de celui-ci ? De vrai secret ? Elle n'en était pas certaine. Rien que sa famille ignore en tout cas. Et Glen ? Elle n'en sait trop rien.

”- Tu me poses une colle là.” remarque la demoiselle. Il fallait bien avouer qu'avec le secret sur ses sentiments, la barre était placée haute. ”Je ne crois pas avoir tant de secret que ça, même pour ma communauté.” continue-t-elle. ”Je suis bélénophobique mais ça tout le monde le sait. Je crois. Quoi d'autre... J'ai une petite cicatrice au genou. Résultat de mon amour pour le fromage ou comment à 3 ans j'ai décidé d'escalader un meuble pour en attraper... Avant de tomber. L'assiette avec." avoue-t-elle. ”Je devais avoir si fière allure avec le genou ouvert et je ne sais quel morceau de fromage entre les doigts.”

C'était à son tour, maintenant, de poser une question. Mais laquelle ? Là était tout le problème. Elle pouvait lui demander un secret elle aussi. Mais c'était seulement lui envoyer la question qu'il avait lui-même posé. Elle hésite, alors. Réfléchit. Et puis se lance, le regrettant déjà.

"- Si je... Si je n'étais pas moi... Enfin tu sais... Est-ce que tu agirais différemment ce soir ?"

C’était du tout vu. Un jour, Glen sauterait le pas et adopterait un chien. Ça irait certainement de paire avec son incapacité à se caser. Il se trouverait un gentil chien pour palier sa solitude. Et si la réponse de Lullaby lui apporte satisfaction, elle ne le surprend pas. Leurs points communs, la manière qu’ils ont de s’entendre, ça devrait être bizarre mais ça semblait étrangement évident. Comme s’ils étaient faits pour s’entendre. Dans un sens, c’était absolument horripilant d’avoir ce niveau de complicité avec une personne qu’il ose à peine envisager. De tous les rendez-vous arrangés -ou non- auxquels il était allé, c’était celui qui se passait le mieux. Et pourtant, Lullaby avait pleuré quelques instant plus tôt. C’est pour dire. « Les chats ont l’air de petits psychopathes à fourrure. » qu’il avait acquiescé en faisant semblant de frissonner, le tout avant d’éclater de rire. Le moment était plaisant, sans doute trop. Glen semblait se détendre chaque seconde un peu plus. L’alcool l’aidait certainement. « Tu vois, pas besoin de trop réfléchir un jour si t’as envie de me faire plaisir… » qu’il avait dit en tout innocence avant de remarquer qu’il se montrait un peu cavalier. Il nuança alors : « Enfin, tu sais… Un anniversaire, tout ça… » Avec ses dents, il tira sur le bout de sa lèvre inférieure. La trace de gêne était minime, preuve manifeste qu’il s’était bel et bien détendu. Désormais, il avait tout le loisir d’écouter Lullaby et ses anecdotes. Et il était attentif quand la demoiselle lui parlait d’elle. Il écoutait les détails, imaginait la scène qu’elle lui décrivait. Imaginer une petite Lullaby n’était d’ailleurs pas très compliqué pour lui : il avait déjà vu des photos d’elle plus petite. « Je suis sûr que même là, tu étais adorable. » Un petit sourire étirait ses lèvres. Il ne devrait sans doute pas la complimenter comme ça mais, bon sang, c’était trop dur de garder ça pour lui. « Ok donc, sushis et fromage. Je note. » qu’il avait rajouté avec un intérêt réel. Il lui arrivait de feindre son intérêt pour les autres, son métier l’y obligeait régulièrement. Pas là. Il était malgré lui bien plus intéressé qu’il ne l’aurait aimé. C’était au tour de la jeune femme de poser une question et en la voyant réfléchir, le coeur de Glen s’était mis à battre plus vite pour finalement partir en chute libre dans sa cage thoracique quand enfin elle prit la parole. « Euh… » Lui qui s’était senti enfin à l’aise commença à perdre pied de nouveau. « Alors déjà, il n’a rien de mal à être toi mais… » Glen soupira. Qu’est-ce qu’il avait fait à la vie pour qu’elle le torture de cette manière ? « Oui. C’est certain. Il y a quelques paramètres qui changent énormément la donne. » qu’il avoua finalement en dissimulant sa gêne dans son verre dont il prit une grande gorgée. « Et toi, tu serai venue me parler avant si je n’avais pas été moi ? » qu’il demanda ensuite d’une voix plus assurée, comme si cette simple question avait suffit à transférer la gêne sur elle.

”- Ils sont toujours prêts pour te donner un coup de griffe au moment où tu t'y attends le moins !” acquiesce la jeune femme.

Bon, clairement, elle ne voulait pas de chat. Elle préférait nettement prendre un chien. Si les gens pensaient souvent au félin comme animal de compagnie, principalement pour les personnes âgées en leur trouvant un côté tranquille, ces derniers étaient au goût de la blondinette beaucoup trop indépendants pour être appréciables. Les chats faisaient leurs vies sans trop se soucier de leur humain. Les chiens en étaient incapables. D'une grande fidélité. Et s'ils étaient souvent foufous, ils étaient aussi très câlins. C’était le genre d’animal parfait pour tromper la solitude, combler un vide. Et si un chien pouvait faire plaisir à Glen, Lullaby ne manquerai pas de lui en offrir un. Elle n’avait même pas besoin que cela soit son anniversaire pour ça, d’ailleurs. Pas non plus besoin d’attendre noël. Il n’y avait pas besoin d’attendre une bonne occasion pour avoir envie de lui faire plaisir.

”- Tu as une préférence pour la race ?” demande-t-elle, essayant d’adopter un ton léger, presque plaisantin.

L’observant tirer sur sa lèvre inférieure, la demoiselle détourne le regard, préférant chasser de son esprit l’air parfaitement irrésistible que l’homme avait eu à peine quelques secondes plus tôt. Pourquoi fallait-il donc que Glen Holloway soit toujours aussi beau, séduisant, quoiqu’il fasse ? pourquoi fallait-il donc qu’il lui fasse cet effet là à chaque fois ? C’était insensé. Parfaitement insensé.

”- J’aurais dis pathétique, plutôt…” renchérit la blonde, esquissant une petite moue à l’évocation de souvenirs d’enfance.

Si Glen songe qu’elle devait être adorable après sa tentative d’escalade pour chaparder du fromage, Bee pour sa part ne partirait pas là-dessus. Pas avec ses larmes, son genou pissant le sang, son malheureux bout de fromage écrabouillé entre ses doigts, dans la terreur de la chute. Ce jour-là, elle avait fait une peur bleue à ses parents. Curieusement, après, elle n’avait plus jamais essayé d’aussi périlleuses entreprises. Et ses parents n’avaient plus laissé de fromage traîner à sa vue, aussi.

”- N’oublie pas le vin !” précise la blondinette, comme l’homme énumère ses péchés mignons, plaisirs coupables. ”Je ne suis pas trop difficile, tu vois.”

Mais en parlant de difficulté, la question qu’elle lui pose à présent l’était certainement. Aussi bien pour lui que pour elle, à vrai dire. Quelque part, elle redoutait la réponse qu’il pourrait lui faire. Sans savoir quelle option était préférable, souhaitable. Préférait-elle une réponse positive ? Ou négative ? Elles avaient, l’une comme l’autre, leur lot de conséquences.

”- Tu sais ce que je veux dire…” souffle-t-elle.

Bien sûr, si elle n’était pas qui elle est, l’homme se comporterait différemment ce soir, vis à vis d’elle. Sans toutefois spécifier dans quel sens. Se montrerait-il plus proche, plus tactile, si elle n’avait pas été elle ? Ou au contraire, ne se serait-il pas même donné la peine de passer la soirée avec elle ? S’il avait avoué à demi-mot ne pas être insensible à la blonde, cette dernière avait encore du mal à s’y faire, du mal à y croire.

Et elle ? S’il n’avait pas été lui, lui aurait-elle parlé plus tôt ? Aurait-elle pris son courage à deux mains il y a quatre ans déjà ? La jeune femme se perd dans ses pensées quelques secondes, réfléchissant à la question posée. S’il n’avait pas été lui, comment les choses se seraient-elles passées ?

”- Oui. Je pense que oui.” finit-elle par admettre, croisant son regard avant de le fuir. ”Je crois… Que je n’aurais pas eu aussi peur de… me faire envoyer bouler.”

Elle serait partie sans statut handicapant. Elle aurait pu alors tenter quelque chose. Lui parler sans crainte. L’invité à prendre un café. S’il n’avait pas été lui, elle n’aurait pas attendu quatre ans pour lui ouvrir son cœur. Pour le laisser découvrir ses sentiments. Lui faire comprendre qu’il lui plaisait.

”- Ce serait différent… comment ?” souffle-t-elle finalement, le questionnant de nouveau, avant d’ajouter. ”Rien de ce qu’on dit ici n’en sortira…”

Glen gloussa comme un adolescent de quinze ans quand Lullaby approuva son opinion sur les félins. Le pire, c’est qu’il n’avait même pas remarqué qu’il agissait comme un ado attardé de quarante ans. C’était l’effet Lullaby. Plus il la regardait, plus il l’avait l’impression de régresser. C’était périlleux. Il le savait. Et il aurait tout le temps de se le dire une fois qu’il aura retrouvé le confort solitaire de son appartement mais, pour l’heure, il ne semblait pas avoir envie de le voir. Il était bien. Trop bien. Cette conversation était facile. Beaucoup trop facile. « Te moque pas mais… J’aime les petits chiens. Et quand je dis petits chiens, je parle de chiens qui questionneraient ma virilité comme les Spitz nains. Ou les Teckel. Je te jure, je m’y vois tellement avec mon petit toutou au bout de la laisse… Je pourrais même avoir un sac pour l’emmener partouuuuut. » qu’il avait répondu sur le même ton plaisantin que la jeune femme avait adopté. Et il marqua ensutite une pause pour guetter la réaction de son rencard. Il savait que sa passion pour les petits chiens pouvait être légèrement risible. Pour autant, il n’en avait pas honte. Il l’assumerait parfaitement. Interrompant momentanément leur discussion, la gérante des lieux arriva avec leurs plats et Glen s’était surpris à les avoir oubliés tant il était captivé par sa conversation avec Bee. Le temps de remercier la gérante pour son service, Glen se focalisa de nouveau sur la petite blonde en face de lui. Il secoua la tête quand elle lui affirme avoir été pathétique. Impossible. Il ne le formula pas à voix haute mais c’était tout bonnement impossible. Il doutait sincèrement qu’elle ait seulement un jour eu l’air pathétique mais il eut la bonne idée de le garder pour lui. Pas la peine qu’elle ait conscience de la fascination qu’elle exerce sur lui, il avait déjà bien du mal à se l’avouer de toute façon. « Promis, je n’aurais pas oublié. » qu’il avait gloussé à nouveau quand elle précisa la liste de ses péchés mignons. A nouveau, il garda pour lui la réflexion qu’il s’était fait ensuite. Elle n’était évidemment pas difficile puisqu’elle en avait après lui. L’ami trop âgé de son père. De tous les jeunes hommes qui seraient parfaits pour elle, c’est sur lui qu’elle avait jeté son dévolu. Clairement, Glen n’était même pas sûr d’être assez bien pour elle de toute façon. Et puis la conversation dévia sur un sujet sur lequel Glen était nettement moins à l’aise. Ce changement d’ambiance le poussa à s’intéresser à son assiette. Depuis quand est-ce qu’il ne touchait pas directement à son plat quand celui-ci lui était servi ? Est-ce que c’était déjà froid ? L’air de rien, il promena sa fourchette dans son assiette sans même la porter à sa bouche une seule fois. « Je vois. » qu’il avait répondu d’un air distrait avant d’enfin parvenir à avaler une bouchée de son plat… avec laquelle il manqua de s’étrangler en écoutant la question qui avait suivie. Intérieurement, c’était la panique. Et extérieurement… Eh bien, il se concentrait pour ne rien laisser paraitre. Autant dire que c’était loupé. « Bah… J’en sais trop rien… » Est-ce que c’était un mensonge ? Un peu. Il n’avait pas vraiment envie de lui dire la vérité, elle était à peine avouable à ses yeux. « Je ferai sans doute moins attention. » A ce qu’il dit… Parce que, Dieu merci, il n’avait rien fait. « Je pourrais me laisser aller plus facilement… sans avoir peur de semer le chaos dans une famille que j’apprécie sincèrement. » Et c’était seulement le premier point qui bloquait Glen. La différence d’âge en était un autre mais il ne serait sûrement pas aussi important si le premier n’existait pas.

Un petit chien, comme un Spitz nain ou un Teckel ? Bee lève un sourcil surpris face à cette affirmation. Cela semblait tellement improbable. Pourtant, en disant cela, il semblait on ne peut plus sincère, comme s’il se voyait réellement avec un petit chien qu’il pourrait mettre dans un petit sac et emmener partout. Et après tout pourquoi pas ? Elle pouvait parfaitement comprendre qu’il apprécie les Spitz, de petites boules de poils pleines d’amour. Le teckel, en revanche, la surprenait tout à fait, tant elle n’avait pas l’habitude de l’entendre cité au rang des toutous favoris, en général. Elle aurait compris qu’il évoque un Jack Russel, ou un petit Beagle, quoi que ce soit déjà un peu plus gros que les précédents. Elle aurait encore plus compris s’il avait parlé d’un Yorkshire, probablement la race qui la faisait elle-même le plus craquer, quand bien même beaucoup les prenaient pour des chiens de mamies. Mais un Teckel ?

”- Un Teckel, vraiment ?” demande-t-elle comme pour être sûre, non sans un petit sourire. ”Tu veux dire l’espèce de saucisse sur pattes là ?” plaisante-t-elle, avant de poursuivre. ”Un Spitz nain, je note !”

A vrai dire, il pouvait aimer ce qu’il voulait, qui était-elle pour le juger ? Peu importe que ces goûts ne soient pas considérés par la société comme virils. La perfection de Glen à ses yeux ne se mesurait pas à de telles considérations. Elle n’attendait pas de lui qu’il coche tous les critères de la société comme un bon petit mouton dans son moule. Seulement qu’il soit lui-même. Si lui-même c’était rêver d’un petit chien, alors c’était parfait ainsi.

”- Je ne pense pas que je pourrai avoir un gros chien. La plupart sont trop énergiques en plus, je n’aurai pas assez de temps pour m’en occuper. C’est beaucoup plus facile de s’occuper d’un petit, surtout qu’on peut l’emmener partout avec nous oui !”

Un petit ne prenait pas de place, n’effrayait en général pas les équipes… C’était le meilleur choix possible dans leurs vies à cent à l’heure, hyper sociales. Plus d’une fois, déjà, la demoiselle y avait pensé pour elle-même sans franchir le pas. Si elle le faisait pour Glen, peut-être se déciderait-elle enfin à le faire aussi pour elle.

”- Je n’en attendais pas moins de toi.” assure-t-elle amusée.

Si l’homme précise qu’il n’aurait pas oublié le vin, la demoiselle s’en doute bien. Elle le connaît, à vrai dire. Et son amour pour le jus de raisin amélioré n’est plus à démontrer, d’autant plus qu’ils en ont déjà discuté un peu plus tôt dans la soirée, relayant ce sujet au second plan pour en aborder d’autres, plus délicats, en quête de réponses lui faisant oublier jusqu’aux plats qui viennent de leur être servis. Aussi bien elle que lui avaient encore pas mal d’interrogations sur leurs comportements respectifs, sur les blocages qu’ils avaient eu. Trop de questions pour ne pas les poser.

Moins attention. Glen s’empêchait-il d’être tout à fait lui-même ce soir, pour ne pas risquer de causer du tort à la famille Watson ? Il semblerait que oui, comme il avoue être sur la retenue. Sans cela, comment se comporterait-il avec elle ? Difficile à dire. Elle n'était pas sûre qu'il finirait par le lui dire. Ce n'était peut-être pas la peine d'insister. Pourtant, cette confession soulevait un point essentiel.

”- Tu sais… si on veut que notre essai soit… disons concluant, pas biaisé… je pense qu'il faut que nous soyons honnête aussi bien l'un envers l'autre que vis-à-vis de nous même.” objecte la blondinette, perdant son regard sur son plat avant de le regarder de nouveau. ”Enfin… ce que j'essaie de dire c'est que…” elle cherche ses mots. ”Je ne sais pas comment l'expliquer. Mais on ne peut pas… tricher. En quelque sorte. Enfin j'veux dire…” elle soupire. ”Soit juste… toi-même. D'accord ?” reprend-elle. ”Ils n'ont pas besoin de savoir pour ça…” assure la jeune femme. "Juste le nécessaire en temps voulu. S'il y a lieu.”

Et si leur tentative était un échec, ils n'en diraient tout simplement rien aux Watson. Affaire réglée. Quant à l'autre solution… ils auraient le temps d'y réfléchir, s'il advenait que ça marchait entre eux.

Glen aurait été déçu que Lullaby le juge ou le dévalorise par rapport à ses goûts en matière de canidés. Mais elle ne l’avait pas fait. Ou, en tout cas, elle n’avait rien dit bien qu’elle se soit gentiment moquée. « Lullaby, tout le monde a le droit à l’amour… Même les Teckel. » qu’il avait fait semblant de dire d’un air grave avant d’exploser de rire. Mais, oui, il était très sérieux. Il aimait les chiens de grand-mère, il aimait les chiens miniatures qu’on pouvait transporter dans un sac et qu’il pourrait traiter comme ses enfants… à défaut d’en avoir. Etait-ce dans cette même optique que Lullaby pourrait considérer avoir un chien ? Probablement pas. Elle n’avait même pas trente ans. Elle ne souffrait probablement pas en ce moment de ne pas avoir de descendance. Glen, lui, commençait sérieusement à penser qu’il allait louper quelque chose de grand dans sa vie. « Les gros chiens, ça prend trop de place sur le canapé… » qu’il avait acquiescé en s’imaginant avec son petit toutou de salon, confortablement installé sur le divan. Le toutou qu’il aurait un jour, bien sûr. Est-ce qu’il avait projeté Lullaby dans ce petit fantasme ? Oui, bien malgré lui, elle était là. Et si c’était plutôt agréable, c’était également dérangeant. C’était si facile de l’inclure dans un futur hypothétique, c’était si simple de se projeter alors que rien ne s’était encore passé entre eux. Ça ne devrait pas. Si Glen parvenait à rester dans la retenue dans ses actions, il avait bien du mal à ne pas laisser sa cervelle gamberger. Et c’est pour ça qu’il ne pouvait pas suivre son conseil quand elle lui proposa d’être simplement lui-même. Il avait doucement secoué la tête, l’air triste malgré sa détermination à ne pas laisser les choses allaient trop vite. « Je comprends bien ce que tu veux dire… Je t’assure. Dans une certaine mesure, ça fait sens. » qu’il commença après s’être raclé la gorge. Son regard s’attarda dans celui de la jolie blonde en espérant y déceler aucune trace de tristesse. Il ne voulait pour rien au monde la blesser. « Mais c’est pas si simple… C’est pas que par rapport à ta famille… Il y a toi aussi, je veux pas te faire de peine. C’est compliqué… Je passe un bon moment et tu peux pas savoir comme je m’en veux ! Quelque part, j’aurais préféré que ce ne soit pas le cas… » Glen resta un moment en suspend en se rendant compte de ce qu’il venait de dire. Il avait envie de se coller une gifle. Quel débile. Il aurait mieux fait de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. « Pardon. C’est pas ce que je voulais dire. » Enfin, si, un peu quand même. Tout serait bien plus simple s’il n’y avait aucune affinité entre eux. Pourtant, Glen était bien obligé de voir les faits en face : ça matchait. L’attirance qu’il ressentait depuis un moment envers Lullaby prenait tout son sens : ça semblait couler de source. Mais ça lui était interdit, ou presque. « Tu… Tu goutes pas ton plat ? » qu’il tenta péniblement de demander dans le but de faire diversion.

Lorsque Glen prend soudainement un air sérieux, affirmant que tout le monde a le droit à l’amour, y compris les teckels, Lullaby ne peut pas s’empêcher de rire en même temps que lui. Bien sûr, ils avaient le droit d’être aimés. Il n’en restait pas moins qu’ils étaient des saucisses sur pattes. Des razmokets. Pour autant, il avait le droit de les apprécier, elle n’avait rien à dire sur ce point - ni sur aucun autre, à vrai dire - si ce n’était que pour sa part, si elle venait à lui offrir un chien, elle choisirait un spitz nain. Peut-être parce que cette race qu’il aime se rapprochait, vaguement, d’un Yorkshire. Deux peluches pleines de poils longs. Et peut-être qu’un jour, ce petit Spitz serait à elle, aussi. Cette pensée, toutefois, ne devait pas s’installer ainsi dans son esprit et la demoiselle la chasse alors rapidement, acquiesçant comme l’homme affirme que les gros chiens prennent trop de place sur un canapé. C’est vrai. Il n’aurait alors plus la possibilité de l’inviter sur celui-ci. Ce serait évidemment dommage. Et évidemment une réflexion qu’elle ne partage pas avec lui, se morigénant au passage de l’avoir ne serait-ce que pensé.

”- Et ça te retourne l’appartement quand tu oses t’absenter plus de deux heures.” complète la demoiselle.

Une de ses amies avait eu la mauvaise idée de prendre un husky. Plus d’une fois, depuis, l’animal lui avait démonté l’appartement, ne supportant pas d’y être enfermé lorsque sa maîtresse était au travail. L’évidence même. Et quand bien même ils vivaient dans une maison avec jardin, c’était le genre de toutou à vous dégommer tous les parterres de fleurs, pour passer le temps jusqu’au retour de son maître. De parfaits petits tyrans de pelouses, destructeurs de jardins et grandes terreurs des nains ornementaux, quoiqu’elle puisse comprendre le désamour des toutous pour ces décors douteux.

En comprenant que Glen ne se permet pas d’être tout à fait lui-même, qu’il conserve une certaine retenue vis-à-vis d’elle en raison de qui elle est, Bee dessine sur son visage une petite moue. S’ils devaient, avant toute chose, être sûr d’eux avant d’envisager d’aller plus loin, cela passait nécessairement aux yeux de la demoiselle par un besoin d’honnêteté, aussi bien l’un envers l’autre qu’envers eux-même. C’était la base. D’une importance capitale. Sans cela, ils partiraient sur des fondations instables, lesquelles pourraient totalement biaiser leur pensée, à terme. C’était du moins ainsi que la demoiselle voyait les choses. Lui, en revanche, beaucoup moins. La retenue restait de mise, à l’évidence. Pire encore, puisqu’il avoue s’en vouloir de passer un bon moment, faisant naître une ombre dans le regard de la jeune femme, alors. Lui avait-elle fait du tort aujourd’hui, par l’idée fomentée avec sa meilleure amie ? L’avait-elle, de quelque manière que ce soit, blessé en lui réclamant de lui accorder cette soirée, le contraignant à nourrir quelques remords, malgré l’intérêt qu’il avait pour elle, qu’il lui avait avoué ?

”- J’comprend.” souffle la demoiselle, la voix un peu étranglée.

Le temps ferait peut-être son affaire. Elle l’espérait, en tout cas, de sorte qu’ils puissent être totalement honnêtes dans leurs mots comme dans leurs gestes. Une honnêteté qui leur permettrait d’être vraiment sûrs de leur coup plus tard, comme il l’avait proposé un peu plus tôt. Ce soir, à bien y penser, ils avaient déjà fait de grands pas. Et comme l’homme s’inquiète de ne pas la voir toucher à son assiette, Lullaby s’empresse d’y plonger sa fourchette pour goûter. Délicieux. Un très bon choix.

”- C’est bon !” confirme-t-elle, comme pour le rassurer quant à ses conseils. ”Quel est le dernier film que tu es allé voir au cinéma ?” demande-t-elle finalement, cherchant à relancer la conversation avant d’ajouter, non sans humour. ”Au siècle dernier du coup, si j’ai bien suivi !”

Et rire ensemble était si naturel que Glen avait du mal à accepter à quel point ça lui était interdit. Il savait bien qu’il était en train d’alimenter des sentiments qui ne devraient pas exister entre eux. Sauf qu’il était là, étrangement envoutée par chacun des sourires de Lullaby et plus fasciné encore par son rire. Des fois, il était tellement absorbé par sa contemplation qu’il devait s’y reprendre en clignant des yeux, comme pour rompre le charme, et de toute évidence ça ne marchait pas. Le charme était là, qu’il le veuille ou pas. Il suffisait d’un rien pour qu’il projette cette relation, qu’il imagine Lullaby dans un autre contexte, et c’était un peu effrayant. Comme pour cette histoire de chien. C’était quelque chose qu’il s’était toujours vu faire seul et il n’y avait absolument aucune raison pour qu’il inclue Lullaby à ce stade de leur relation… Et pourtant. Il l’avait fait. Elle s’était assez sévèrement incrustée dans sa tête, dans ses pensées, et Glen se mettait à avoir peur du vide qu’elle laissera dans sa vie quand il ne se passera rien entre eux. Parce qu’il ne se passera rien. Ça, Glen avait l’air de le croire encore possible. « Exactement ! Si je voulais quelqu’un pour ruiner mon canapé blanc, je ferai des enfants. » qu’il avait rigolé, feignant se moquer d’avoir des enfants. C’était plus facile comme attitude à adopter à son âge, ça donnait l’impression que c’était voulu. Mais ça ne l’était pas, ce n’est pas comme ça que Glen avait imaginé sa vie. Il aurait terriblement aimé père déjà, même si ça l’aurait contraint à changer de canapé. Sur le visage de la jolie Bee, Glen guette désormais la peine qu’il pourrait lui procurer avec ses paroles maladroites. Il lui semble l’apercevoir quand elle lui dit qu’elle comprend. Pour simple réponse, Glen avait hoché la tête avec un air reconnaissant. Il ne pouvait pas mettre de côté tous ses principes aussi facilement que ça. Leur relation n’avait pas fini d’être un casse-tête et Glen s’en faisait la réflexion avec le coeur lourd. « Génial ! » qu’il avait acquiescé en se forçant à se montrer enjoué quand elle lui avait dit que c’était bon. Ils allaient bien manger, c’était déjà ça. Sur ce constat, Glen avait lui aussi avalé une fourchette de son plat. « Comment oses-tu ! » qu’il avait lancé avec un rire soulagé quand Lullaby reprit la conversation où ils l’avaient laissé pour recommencer à se poser mutuellement des questions. « Ça doit être… Bohemian Rhapsody. Edifiant. Et c’était y’a pas si longtemps, je crois… Trois ou quatre ans. » qu’il avoua dans un sourire. Et c’était bien parce que la fille qu’il tentait d’impressionner à l’époque était une fan de Queen, détail qu’il n’énonça pas. Autrement, Glen préférait le confort de son canapé et du streaming. « Et toi ? » Après trois bouchées de son assiette, il enchaina sur une autre question : « Ça me fait penser… Chanson préférée ? » Et pitié, qu’ils ne soient pas sur la même longueur d’ondes là aussi, ce serait trop étrange.

Malgré ses mots sur les enfants et son canapé blanc, la demoiselle ne croit guère l'homme dans sa tentative de diversion. Peut-être parce qu'ils en ont déjà parlé. Peut-être parce qu'elle sait ce qu'il en est réellement. Son désir de devenir père. Un désir qu'elle comprend. Un désir qu'elle partage. Aucun canapé blanc ne vaudra plus que le plaisir de la maternité à ses yeux. S'il en plaisante, la demoiselle comprend malgré tout le sous-texte. Elle parvient à lire entre les lignes. Devait-elle le rassurer ? Elle l'avait déjà fait une fois. Et il semblait délicat de rappeler qu'il y avait bel et bien près de lui une jeune femme partageant ses rêves de parentalité prête à les réaliser avec lui. Inutile de le perturber plus qu'il ne l'avait déjà été aujourd'hui. Devait-elle alors marcher dans sa plaisanterie ? C'est la décision qu'elle décide de suivre, esquissant un sourire.

”- C'est exactement pour cette raison que le miens est bleu marine !” annonce-t-elle. ”Ce qui ne le protège pas des chats.” concède la demoiselle.

Et qui exclu tout chien à poils clairs. Mais elle ferait une exception pour un Spitz nain sans problème. Elle ne demandait même que ça, finalement. Ils en étaient loin toutefois et la demoiselle repousse cette pensée loin dans son esprit. Elle allait finir folle à trop laisser parler ses fantasmes et désirs enfouis. Complètement folle. À moins qu'elle le soit déjà, à la longue. Depuis le temps qu'elle rêvait de lui…

Génial. S'il le dit. La demoiselle ne relève pas. Parle-t-il du plat, ou de cette battue en retraite qu'elle a préféré exercer pour le ménager ? Elle ne saurait trop le dire. Prenant une nouvelle bouchée de son plat, elle se perd alors dans ses pensées quelques instants, avant de le questionner de nouveau, se risquant à une plaisanterie pour renverser de nouveau la tendance du dîner. La rendre plus agréable.

”- Ah ouai. Moins de dix ans. Quel effort !” remarque la demoiselle, sourire en coin.

Et elle-même ? Quel film est-elle allée voir récemment au cinéma ? Le dernier en date ? Elle réfléchit, se questionne. À vrai dire, elle a oublié. Et puis ça lui revient. D'un coup. Un Nolan. Il n'y a pas si longtemps en plus. Moins d'un an. Et elle serait presque allé le revoir si elle avait eu le temps.

”- Tenet ! Été 2021 !” annonce la demoiselle.

Nouveau coup de fourchette dans son assiette que la demoiselle porte à ses lèvres rapidement, de nouveau songeuse comme elle passe en revue les questions qu'elle a à lui poser. Réflexion dont il profite pour la devancer, orientant la discussion sur la musique.

”- Can't help falling in love.” répond la demoiselle sans même y réfléchir avant d'ajouter. ”Et ensuite Stranger in paradise. Have you ever seen the rain. Stand by me...” admet elle. ”Et toi ?”

Et comme parler musique lui fait penser au patinage, Lullaby trouve d'office sa question suivante. Une question quelle n'oublie pas de teinter d'humour encore une fois.

”- Ton sport préféré ? Hormis le lever de coude du verre de vin ?”