Shovkhalovs avait attrapé la perche que je lui avais tendue. C'était bête, mais cette petite conversation aussi insignifiante soit-elle sur la bière et le champagne, leur permettait vaguement de converser.

— Cela m'arrive parfois mais... Entre nous, enfin, avec mes amies, on préfère boire quelque chose de... plus coûteux, avouai-je.

Je le regardai avec cet air presque fautif, en haussant légèrement les épaules. Comme si cela semblait être une évidence... La bière ne m'avait jamais intéressée. L'effluve qu'exhalait cette boisson avait plutôt tendance à me dégoûter, alors je me voyais encore moins en boire. De plus, il était vrai que cela ne correspondait pas vraiment à notre classe sociale, nous qui aimions les denrées rares et chères... Les cocktails fruités et rafraîchissants, voire les whiskys si nous voulions réellement nous rendre « pompettes ». Mes soirées estudiantines n'avaient probablement rien à voir avec celles qu'avait pu vivre mon garde-du-corps... Sans compter que j'étais certainement la plus sage et la plus modérée sur ce pan-là.

— Pour les rares fois où je fais une sortie de ce genre, précisai-je encore.

Je me tus, pour me concentrer momentanément sur ma vie virtuelle. Quand je déposais mon téléphone sur la table, Shovkhalovs répondit à ma petite raillerie par une autre. J'affichais un sourire pincé.

— Certainement.

Repenser à Piotr remua une certaine colère en moi. Celle-ci se dissipa rapidement à l'arrivée de nos plats. Mon garde-du-corps me rendit un bon appétit, avant d'ajouter une petite boutade. Je levais un instant les yeux de mon plat pour le scruter. Oui... Pour ce qui nous attend tout à l'heure. Oserais-je vraiment ?

Je pris l'excuse d'avoir faim pour manger mon plat, tout en réfléchissant à un moyen qui me permettrait peut-être d'éviter cette soirée sans paraître grossière ou couarde. Mais depuis quand devrais-je m'excuser auprès de mon garde-du-corps de ne pas en avoir envie ?

En plein doute, je continuai de manger mon repas en silence. Mais une pensée en amenant une autre, je finis tout de même par me poser une question.

— Qui... était cet homme qui vous avait salué ? demandai-je pleine d'hésitation à Suli.

Je ne m'offusquerai pas, s'il refusait de répondre mais... La question me taraudait tout de même. Probablement que cet inconnu connaissait bien mieux Shovkhalovs que n'importe qui d'autre dans mon propre entourage... Car Suli, c'était bien le nom que cet homme avait utilisé pour désigner mon garde-du-corps, me semblait être une énigme à lui tout seul.