Ensevelie sous les draps du matelas que j’occupe, j’enfourne ma tête encore plus en profondeur dans l’oreiller miteux, sali par la crasse d’autres prisonniers. Au début, je n’avais même pas osé le toucher, tellement cette immondice me répugnait. Habituée aux couettes et couvertures en laine et soie, j’étais tombée bien bas. Mais comment ces gens pouvaient-ils se contenter de ça ? C’est atroce.
Tremblante, je regarde les murs vides et froids autour de moi. La pièce est exiguë, uniquement composée d’un matelas souillé et d’un seau pour… je ne veux même pas y repenser. J’ai cru y laisser ma dignité à chaque fois que j’ai dû l’utiliser. Le mur face à moi a été remplacé par de larges barres de fer, rendant ma demeure semblable à un cachot.
Pourtant, les gens d’ici ne me font pas de mal. Je suis mal nourrie, mais je suis nourrie. Je ne suis pas attachée et parfois même on me tient compagnie. J’aurais juste aimé… un peu plus de propreté et de richesse. Peut-être une chambre plus grande, des draps plus soyeux…
*
Quelques semaines auparavant
Après avoir souhaité la bonne nuit à mes parents, ma servante m’accompagne dans ma chambre pour me préparer à la nuit. Comme à notre habitude, nous parlons de beaucoup de sujets : de mon futur, du sien, de son passé. Père n’apprécie pas du tout le rapport que nous avons toutes les deux. Il me dit que je ne devrais pas avoir de relation avec une bonne et qu’elle devrait se taire et s’occuper de moi au lieu de discuter de bouffonneries. Ce sont ses mots et je ne les ai jamais vraiment compris. Une servante est la personne la plus proche de sa maîtresse, non ?
Mère dit que je suis encore trop jeune pour comprendre les choses de la vie et les engrenages de la société. Pourtant, elle n’a pas hésité une seule seconde avant de me vendre à un vieil homme à marier. Mais je me dis qu’elle a sans doute raison, que je ne comprends pas encore et que c’est pour mon bien ainsi que le leur.
Alors que la nuit s’entame, je me fais légèrement réveiller par un bruit sourd au niveau de la fenêtre. Mais c’est lorsque je sens une présence inconnue à mon chevet que je me réveille en sursaut. J’essaie de crier mais une large main me barre la bouche. Ses yeux brillants dans l’obscurité me glacent le sang et je crois, à ce moment-là, que je vis mes derniers instants. Pourtant, il ne me fait pas de mal. Il m’enfonce un bâillon entre les dents qu’il noue derrière ma tête, puis m’attache les poignets dans mon dos. Il finit par m’emporter sous le bras en passant par la fenêtre brisée. Je n’ose pas me débattre tout le long du trajet et laisse libre court à mes larmes de terreur.
Si on m’adresse la parole, je n’entends rien. Perdu dans mon esprit divaguant, j’imagine les pires choses qui peuvent m’arriver. Et étant donné que mes parents m’ont toujours appris que les gens de l’extérieur du château sont des monstres qui voudraient ma mort, je suis sur le point de m’évanouir à tout instant.
J’ai ensuite perdu la notion du temps et me suis retrouvée dans cette pièce carrée et barrée, prisonnière de monstres effrayants.
*
Retour au présent
Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte qu’ils n’étaient en rien des monstres. Peut-être un peu effrayants par moment, mais en aucun cas le genre de terreurs sanguinaires dont mes parents me parlaient. Sur qui étais-je tombée alors ? Était-ce finalement des gens du château ? Je ne les avais pourtant jamais vus, et je connais tous les gens du château.
Roulée en boule sur le matelas, je décide de me lever, posant mes pieds nus sur le sol glacé. Je jette un œil à ma robe de nuit qui me donne la nausée. Je ne me suis pas changée depuis que je suis ici ! Il doit émaner de moi une odeur épouvantable.
La mine renfrognée, je serre mes petits poings et m’approche des barreaux. Je sais que l’homme qui m’a enlevée de ma chambre et de ma famille n’est jamais très loin.
« S’il vous plaît ! » Je réitère ma demande jusqu’à temps que quelqu’un fasse surface.
Un air de soulagement se dessine sur mon visage quand il arrive. Pourtant, je parviens à froncer les sourcils et illustrer de la colère sur mes traits.
« Il va falloir que vous me donniez des vêtements propres pour me changer, monsieur. Et je vais devoir me baigner aussi, pour ôter toute cette crasse que vous transportez partout. Et puis, tant que j’y suis, la nourriture que vous me donnez n’est pas vraiment des plus exquises. Si vous voulez, je connais quelqu’un qui cuisine merveilleusement bien ! C’est le cuisinier du château, vous… vous le connaissez ? » Intimidée par le regard qu’il pose sur moi, je baisse le mien vers mes orteils.
« S’il vous plait, est-ce que vous pouvez me ramener chez moi ? »