Assis dans le large canapé de la famille Griffin, Nuàllan finissait de manger les quelques chips qu'il restait dans le bol qu'il avait piqué à un macchabée. C'était peut-être Taylor Griffin ou Gabriel Oridor. Il ignorait lequel des deux dormait à l'heure actuelle dans la salle de bain et ça ne l'intéressait pas.

Lui il avait l'habitude de ne pas dormir la nuit, car c'était la nuit qu'il se faisait le plus d'argent. Derrière son visage d'ange pâle, Nuàllan était un lycéen tout à fait étrange. Il n'allait qu'assez peu en cours, souvent le matin, rarement l'après-midi. Son mode de vie était aussi dissolu que ses cheveux étaient sauvages. Il ne semblait pas avoir de parents, pas plus qu'il n'avait d'argent.

Son t-shirt était troué ici et là, comme son jeans. Il avait tout du petit punk chic, celui qui se lave tous les jours mais qui cherche à faire genre avec ses DocMartens.
Il est mignon comme tout, là, à moitié avachi dans le canapé devant une émission sur les fourmis. Il les observe avec curiosité. Chez lui, il n'a pas une aussi grande télé, mais il ne se plaint pas, car au tout début, il n'avait même pas de lit. Nuàllan se suffit de rien.

Même là, planté au milieu du salon désert après la grosse fête pour l'aniverssaire de Taylor Griffin, son meilleur ami, il ne dit rien. Il est sage.

Un bruit l'interpelle; il sort de sa torpeur, celle de l'alcool, celle du whisky qu'il sirote à la paille car ce n'est pas un débutant. Il en a vu plus que certains adultes dans sa courte vie. Faut dire qu'il en a fait des choses pas très nettes non plus... Des choses qu'il n'a vraiment pas envie de dire à Jake Griffin, le père de Taylor, qui vient de se pointer à la porte.

Il découvre le massacre : les verres renversés sur le sol, les chips qui jonchent ici et là les tapis, un fauteuil renversé. Il n'y a que Nuàllan dans le salon de la maison, et ses grands yeux noisette se posent sur Jake avec qu'il a un petit sourire félin.

« Bonjour Monsieur Griffin ! »

Il l'a déjà rencontré plusieurs fois, mais cette fois comme les autres, la seule chose qu'il arrive à se dire c'est que Jake est bien conservé pour son âge et qu'il est sacrément grand. Il adore ça les hommes grands. C'est pour ça qu'il ne sortirait pas avec Taylor: il est trop petit comparé à son père.

Et puis l'uniforme... ça fait toujours un petit quelque chose.

Il lève son verre vers Jake, avec un sourire amusé :

« Un verre après le service ? »

Comme souvent, Jake rentrait tard ou, plutôt, très tôt le matin. Cela faisait maintenant quelques mois qu'il avait accepté de prendre les horaires de nuit, tout ça pour dépanner Charlie Yates, qui venait d'avoir un marmot. Oui, Griffin avait toujours été un chic type, un bon flic, un bon père aussi ; en tous cas, c'était ce que prétendait les autres. Lui, il était bien trop humble pour se voir ainsi, de toutes façons. Alors, ce soir, il avait loupé l'anniversaire de son gamin, le dix-septième, mais il se doutait bien que son fils ne le voulait pas dans les parages, en même temps. Comme tous les adolescents, le sien avait besoin de sa liberté et du moins de contact possible avec son père. Il lui avait laissé carte blanche et un billet de 50$ sur le comptoir du salon parce qu'il était ce genre de géniteur qui faisait une confiance aveugle à leur progéniture. En ouvrant la porte, ce matin-là, aux alentours de 5h, il ne peut retenir une grimace ennuyée en constatant les dégâts ; cadavres de bouteilles, chips écrasées sur les tapis et bordel généralisé. Ca aurait pu être pire alors il est quand même rassuré, même quand le meilleur ami de Taylor le fait sursauter en l'accueillant avec un sonore : « Bonjour Monsieur Griffin ! » Il répond à un sourire par un autre, plus distant. « Nuàllan, pas encore couché ? » interroge-t-il, écorchant son prénom comme souvent, incapable de le prononcer avec l'accent qu'il faut. Il retire son ceinturon, le flingue et les menottes qui y pendent, pour les déposer sur le buffet, passant une main lasse sur sa nuque raide avant de se servir un verre d'eau, jetant un rapide coup d'oeil au môme qui tourne au whisky. Il fera l'impasse sur la loi et sur le fait que le gosse n'est pas majeur. « Un verre après le service ? » En temps normal, il aurait sans doute refusé mais Nuàllan interroge si naturellement que c'est sur le même ton de la conversation qu'il répond. « Pourquoi pas ? Sers-moi ce que tu veux, va. » Il retire ses chaussures, qu'il balance dans un coin, après tout, la maison n'est plus à ça prêt, vu le bordel environnant et il se laisse tomber sur le canapé aux côtés du gamin, ses yeux clairs hypnotisés par les images de la télé, regardant sans les voir. « Taylor est en haut ? Avec les autres ? » interroge-t-il en se saisissant du verre tendu par Nuàllan, le portant à ses lèvres. Il grimace car le breuvage est plutôt corsé, qu'il est fatigué et qu'il n'a pas encore mangé. « Tu ne dors pas, toi? »

« Nuàllan, pas encore couché ? »
« Toujours au poste, mon colonel ! »

Il ricane de sa connerie. Il ne sait plus vraiment pourquoi il dit ça, mais ses yeux ne perdent pas une seule miette de l'étrange manège que lui offre Jake. Dans d'autres conditions, dans une autre situation, Nuàllan aurait pu croire qu'il s'agissait là de préléminaire. Il faut dire que retirer flingue, menottes et ceinture devant lui, c'est un peu justement ce qui précède le passage à l'acte.
A cette idée il a un petit rire idiot qui n'a aucune raison d'être, mais on mettra ça sur ses yeux qui dévient vers la télévision, comme pour chasser ses vilaines images qui lui montent dans le crâne... Est-ce qu'il pouvait vraiment faire ça à Jake ?
Finalement, il reprend, d'un air joyeux car c'est ce qu'il est soudainement :

« Un verre après le service ? »
« Pourquoi pas ? Sers-moi ce que tu veux, va. »

Le gamin a un petit sourire et se lève tranquillement. Il connaît un peu la maison donc c'est sans mal qu'il trouve une bouteille et sert un whisky bien sec au patron. Il a l'habitude de servir et de l'alcool, ça se voit dans sa façon d'être, de tenir la bouteille et de ne pas hésiter sur la dose. Il faut dire que c'est un gamin des rues, un gamin qui s'est élevé comme il a pu, et avec ce qu'il avait. C'est à dire pas grand chose, mais dans la vie, on était toujours heureux d'avoir un petit quelque chose, même quand c'est pas grand chose.

« Taylor est en haut ? Avec les autres ? »

Nuàllan fait une pause comme il semble réfléchir. Taylor... Jordan... Judson... Kyle et Gordon... C'est son cerveau qui marche au ralentis ou... ?

« Tu ne dors pas, toi? »
« Nah, j'avais pas sommeil, 'suis pas un pédé » qu'il répond d'un air désinvolte, le cul bien serré au chaud, les jambes collées à son torse de façon à avoir ses pieds sur le rebord du canapé, « et pour les autres, je dois avouer que j'ai pas trop vérifié qui était où. J'crois que les jumeaux Jordan et Judson ont fini dans leur tente, dehors... Kyle et Taylor doivent être quelque part entre la salle de bain et la chambre. On a perdu le soldat Ryan dans la bataille, et Terrence est rentré chez lui à 22h car il se sentait pas très bien. »

Après cette énumération, il se rend bien compte qu'il est tout seul, qu'ils sont tous morts et endormis depuis moins de trois heures, soit aucun risque qu'ils se réveillent d'ici l'heure suivante. A cette idée, une illumination soudaine éclaire son cerveau embrumé par l'alcool. Nuàllan a un grand sourire, mettant un coup de coude amicale à Jake :

« Ça veut dire qu'on est plus que tous les deux ! » Il a l'air joyeux quand il dit ça. Il n'a pas oublié les menottes et le ceinturon, mais il n'en parlera pas. « Pas trop dur cette nuit ? Vous avez arrêtés des méchants ? Des prostituées ? Des dealers de drogue ? »

Il a un petit sourire en coin. Il a déjà été arrêté une fois, mais il n'a jamais été jusqu'au commissariat. Nuàllan avait fini par convaincre l'agent Grisby qu'il valait mieux l'avoir à quatre pattes devant lui que sur ses deux jambes dans une salle d'interrogatoire. Puis entre nous, il ne risquait rien. C'était qu'un gamin, un mineur, alors... alors rien.
Il sirote de nouveau son whisky à la paille, d'un air distrait, même si ses yeux observent de temps à autre Jake. Il n'avait jamais vu à quel point il était plutôt bien conservé. L'alcool doit aider - c'est ce qu'il pense - ou alors l'alcool lui fait oublier qu'il s'agit du père de son meilleur ami.

Un peu des deux ?

Alors qu'il l'interroge sur le fait qu'il soit toujours réveillé, Nuàllan lui répond avec cette désinvolture qui lui avait longtemps déplu, quand il le voyait avec son fils. « Nah, j'avais pas sommeil, 'suis pas un pédé. » Au début, il avait maintes et maintes fois tenté de convaincre Taylor de renoncer à cette amitié, à ce gamin qu'il jugeait infréquentable. Malgré tout, son gamin avait tenu bon et Jake avait fini par apprécier le meilleur ami en question. Enfin, apprécier était un bien grand mot mais en tous cas il avait fini par arrêter de le considérer comme un parasite accroché à son gosse. « Et pour les autres, je dois avouer que j'ai pas trop vérifié qui était où. J'crois que les jumeaux Jordan et Judson ont fini dans leur tente, dehors... Kyle et Taylor doivent être quelque part entre la salle de bain et la chambre. On a perdu le soldat Ryan dans la bataille, et Terrence est rentré chez lui à 22h car il se sentait pas très bien. » « Okay. » Les autres ne l'intéressent pas vraiment, à vrai dire, mais il a cru bon de demander, par politesse, ses lèvres trempant de nouveau dans le breuvage dosé. Il hausse un sourcil en sentant le coup de coude dans ses côtes, reportant son attention sur le mioche. « Ça veut dire qu'on est plus que tous les deux ! » Nuàllan a l'air un brin trop joyeux à l'idée mais il ne relève pas vraiment. Après tout, il ne voit pas pourquoi ça le réjouirait. « Pas trop dur cette nuit ? Vous avez arrêtés des méchants ? Des prostituées ? Des dealers de drogue ? » Le flic laisse échapper un petit rire cristallin, frottant ses paupières lasses avant de remuer la tête de gauche à droite, amusé. « Rien de tout ça... Deux ou trois chats écrasés, un SDF ivre en cellule de dégrisement... » Il baille, s'étirant mollement avant de finir son verre d'une traite. « J'pense que tu as une vision faussée de mon boulot, Nuàllan, j'suis pas le genre de flic que tu vois dans les films. » Il n'était ni inspecteur, ni flic fédéral et il était bien plus souvent relégué aux faits divers qu'aux enquêtes criminelles, quand on y pensait. La plupart de sa nuit, il la passait en compagnie de son coéquipier, le stéréotype même du flic gras qui se gavait de donuts, à tourner dans les rues de Phoenix en voiture. « J'viens de passer huit heures assis dans une bagnole inconfortable au possible, j'suis complètement courbaturé... Et en plus de ça, j'ai loupé l'anniversaire de mon fils. » Il soupire, haussant les épaules. « Bon, il aurait sans doute pas voulu de moi ici, mais quand même... » Un autre sourire un peu vague comme il regarde l'heure sur la montre à son poignet. Il devrait sans doute prendre une douche et aller se coucher...

« Rien de tout ça... Deux ou trois chats écrasés, un SDF ivre en cellule de dégrisement... »

Nuàllan a un petit « hawn » déçu sur le moment. Il faut dire que pour lui, on n’a pas besoin d’un flingue et de menotte pour « juste » un clochard. Il en connaît pas mal dans la rue d’ailleurs, des mecs qui n’ont plus rien et qui ont un jour tout eu. Il en a fait partit aussi à une époque. A dormir contre des murs avec la peur au ventre de se faire réveiller par un autre que lui, plus violent, plus ivre.
Heureusement pour lui, il n’avait jamais eu de problème. Il avait été même apprécié par ses collègues de nuit, et encore aujourd’hui, il leur disait bonjour et partageait avec eux le peu qu’il avait à manger. C’était sa façon de remercier la rue maintenant que sa vie était un peu plus « normale ».

« J'pense que tu as une vision faussée de mon boulot, Nuàllan, j'suis pas le genre de flic que tu vois dans les films. »

« Taylor a pourtant dit que t’étais une sorte de héros » rajoute le gosse avec un air mutin.
C’est vrai que Taylor idéalisait énormément son père. En fait, Nuàllan l’enviait un peu quand il en parlait. Lui son père n’avait rien fait de bien, pas même plantait la graine qui avait fait naître ce chérubin blond.

« J'viens de passer huit heures assis dans une bagnole inconfortable au possible, j'suis complètement courbaturé... Et en plus de ça, j'ai loupé l'anniversaire de mon fils. Bon, il aurait sans doute pas voulu de moi ici, mais quand même... »

« T’aurais été tout seul » note Nuàllan, glissant légèrement vers Jake, comme s’il s’enfonçait dans le canapé lui-même, « mais tu aurais vu mon excellente danse du ventre et celle – un peu moins bien – de Kyle ! »

Il rigole de bon cœur. Kyle le suivait toujours dans ses délires, c’était un bon pote même s’il avait le cerveau cramé au cannabis. Taylor était fils de flic, mais ses connaissances étaient bien moins glorieuses – comme un pied de nez à une éducation bien dans les clous.

Le petit blondinet pencha la tête, fixant Jake avec une certaine insistance. Ses yeux brillaient d’une lueur moqueuse et joueuse. En réalité, d’ici, le père de Taylor était même plus que bien conservé. C’était peut-être l’alcool dans ses veines ou juste l’effet du ceinturon et du flingue, mais une idée germa dans le tout petit cerveau de Nuàllan Lochan.

« T’as l’air tendu. T’es sûr que c’est juste les courbatures… ? » Sa bouche rose thé s’élargit, lui donnant un air de petit diablotin. « Tu veux que je t’aide à te détendre ? Je sais super bien masser ! J’ai d’autres méthodes mais elles sont bien moins… raisonnables. Le massage donc ! »

Il était un peu trop enthousiaste encore une fois, mais c’était l’attitude normale de Nuàllan. Un petit garçon joyeux en apparence seulement, euphorique pour ses amis même.
En disant cela d’ailleurs, le blondinet se leva d’un bond, d’un air amusé.

« En plus y a aucune nana à rendre jalouse, alors… ! »

C’était un excellent argument.

Il a un sourire doux en entendant Nuàllan dire que Taylor le considérait comme un héros. Pour sa part, il estimait n'être qu'un flic comme les autres, ni plus ni moins que ses collègues. Mais, bien sûr, avoir la considération de son fils était important. Il déplore malgré tout son absence à sa fête d'anniversaire, le meilleur ami de son gosse ne tardant pas à lui confirmer ce qu'il avait su depuis le début. « T’aurais été tout seul mais tu aurais vu mon excellente danse du ventre et celle – un peu moins bien – de Kyle ! » Jake ricane légèrement, se servant un autre verre et en buvant une longue gorgée qui brûle sa gorge. « Ouais, ça devait être quelque chose... » Ces gamins et leurs idées stupides... Il ne remarque pas vraiment le regard insistant du gamin, ses propres prunelles perdues dans l'ambre de son verre, pensives. « T’as l’air tendu. T’es sûr que c’est juste les courbatures… ? » Le flic revient à la raison, haussant un sourcil interrogateur et se fendant d'un simple « Mh ? » teinté d'incompréhension. Ses idées commencent à n'être plus si claires, l'alcool et la fatigue n'aidant pas le moins du monde. « Tu veux que je t’aide à te détendre ? Je sais super bien masser ! J’ai d’autres méthodes mais elles sont bien moins… raisonnables. Le massage donc ! » Il ouvre la bouche pour relever son évocation de méthodes bien moins raisonnables. De quoi est-ce qu'il parlait, au juste ? A son âge, ça ne pouvait pas être ce que Jake avait eu en tête en premier lieu. Non, vraiment pas... Et surtout, même s'il avait vu juste, Nuàllan n'en aurait sans doute pas parler au père de son meilleur pote. Tu te fais des idées, Jake, lui souffle sa conscience mais, déjà, le gosse se lève avec enthousiasme et l'aîné a bien du mal à le stopper. « Nuàllan, je ne pense pas que ce soit très c... » commence-t-il en guise de protestation mais le mioche y coupe court aussitôt. « En plus y a aucune nana à rendre jalouse, alors… ! » Bon certes, Beth s'était barrée depuis longtemps, lui laissant un marmot et un crédit immobilier sur les bras mais là n'était pas vraiment la question. « Oui, mais ce n'est pas... » Les doigts du jeune homme se posent sur ses épaules, imprimant une légère pression et la fin de la phrase de Jake se perd dans un geignement de plaisir qui ne le rend plus crédible du tout à la moindre protestation. Il gronde de satisfaction une fois de plus, alors que les gestes de Nuàllan se font plus assurés, comme il voit sans doute qu'il ne le repousse pas. Les paupières du brun se ferment quelques longues secondes, appréciant la sensation procurée par ces doigts de fée. Il doit le reconnaître, le gosse est doué, qu'il se dit en vidant son deuxième verre de whisky avant de se laisser retomber sur le canapé, entre ses mains expertes. « T'es doué pour ça, gamin... Ça fait un bien terrible. » Envolées vaines protestations et ennuyeuses mises en garde, Jake, anesthésié par l'alcool, la fatigue et ces doigts apaisants, se laisse complètement aller.

« Oui, mais ce n'est pas... »

Il a l’habitude de ceux qui rechignent. Il en a beaucoup dans le mois, de ces mecs bien habillés qui sont assurés de ne pas aimer l’étroitesse des hommes. Il faut dire que c’est une grande partie de sa clientèle. Il ne s’en plaint pas. A ses yeux, ceux sont les plus agréables, les plus doux aussi. Ils ont souvent peur de lui faire mal, et une fois qu’il pose ses mains sur eux, les loups se transforment en agneau.
Légèrement penché comme ça, ses mains ondulant sur les épaules tendues de Jake Griffin, il ressemble à un jeune incube aux yeux clairs. Il est doux, suave, presque trop pour être viril. Les yeux mi-clos, il appuie légèrement, imprime ses doigts dans la peau même de Jake, fort et tendre à la fois.
Il y a un certain plaisir chez Jake, et il le ressent aux tressaillements qui remontent son échine.

« T'es doué pour ça, gamin... Ça fait un bien terrible. »

Nuàllan a un petit sourire fier en coin mais ne répond rien. Il se fait la réflexion qu’il ressemble vaguement à une courtisane d’une autre époque.
Il continue quelques instants, ses yeux en profitent pour observer le torse de Jake qui se soulève machinalement. On dirait un pendule hypnotisant.

« Tu aimes ? » murmure-t-il du bout des lèvres au bout d’un moment, et sa voix sonne comme une caresse de velours.

Il a cette faculté à se rendre tout à fait désirable.

« Kyle a fait un gâteau si tu veux. Il est sur la table… si jamais t'as faim… »

Un petit sourire se dessine sur son visage serein. Bien sûr il ne dira rien sur le fait que c’est un spacecake, et que c’est peut-être la raison pour laquelle ils ont perdu un copain en route. Lui-même en a un peu mangé, et c’est peut-être pour ça qu’il se sent aussi… électrique.

Bien sûr, Jake ne réalise pas que la situation n'a rien d'appropriée. Enfin, si, il le sait, mais il choisit de l'ignorer. Après tout, ni l'un ni l'autre ne pense à mal, pas vrai ? « Tu aimes ? » murmure le gosse sur un ton doux et caressant qui pourrait presque faire frissonner le flic, s'il n'avait pas eu autant de scrupules. Les doigts de Nuàllan s'activant toujours sur ses muscles, il se contente de soupirer d'aise en acquiesçant d'un léger mouvement de tête, les paupières presque closes. Oui, le gamin était vraiment doué à ça et il était parvenu à détendre sa carcasse rouillée en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. C'était vrai, il se sentait foutrement bien. « Kyle a fait un gâteau si tu veux. Il est sur la table… si jamais t'as faim… » La proposition le réveille tout à coup, lui offrant une échappatoire bienvenue avant que tout cela ne finisse par déraper ou donner lieu à des choses qu'ils regretteraient sans doute, tous les deux. « Un gâteau ? Ah... bonne idée... J'espère au moins qu'il est bon... » Sans plus attendre, il se lève, presque trop heureux d'échapper à l'étreinte diablement agréable du lycéen, s'en découpant une part honorable avant de l'engloutir, en restant debout. C'était sans nul doute plus sage. Et puis, se disait-il, manger un peu l'aiderait à éponger l'alcool déjà ingurgité, sans imaginer un seul instant que ce qu'il dévorait avec tant d'appétit allait finir par causer sa perte. Bien peu habitué à consommer de la drogue, sous quelques formes que ce soit, il fallait dire que son dernier joint remontait à l'université, c'était dire si c'était loin, tout cela lui monte bien rapidement à la tête. Il fronce les sourcils, comme il essaye sans doute de lutter contre cette sensation d'engourdissement qui le prend, ses jambes en coton et sa vision qui se trouble légèrement. Il se met même à ricaner, tout à coup, sans la moindre raison et il se sent idiot alors il s'arrête presque aussitôt, un air contrarié sur le visage. « J'ai p'tet un peu trop bu... Pourtant, je tiens plutôt bien le whisky d'habitude... Vous l'avez amélioré ? » Oui, parce que connaissant ces foutus gosses, ils étaient tout à fait capable de mélanger les alcools pour en accélérer les effets. Il rigole à nouveau, se laissant retomber sur le fauteuil le plus proche, à distance respectable du gamin, parce que même dans le brouillard, sa conscience reste en veille. Déjà ses paupières papillonnent, prêtes à se fermer ; il aurait tout bonnement pu s'endormir là, sur son fauteuil préféré, si la présence du jeune homme ne s'était pas fait, soudainement, plus proche. « Tu fais... quoi ? » qu'il demande d'une voix pâteuse et ralentie par les substances ingérées. « Si tu me masses encore, je vais me sentir obligé de te donner un billet. » Il ricane à nouveau, comme fier de sa blague, s'allumant, avec difficulté, une clope, avant de tendre son paquet en direction du môme.

« Un gâteau ? Ah... bonne idée... J'espère au moins qu'il est bon... »
« Il est super bon » ricane doucement Nuàllan, sans vraiment se douter qu’il le pousse par la même occasion à sa perte.

Pendant que Jake déguste le spacecake de Kyle, gâteau qu’il a lui-même goûté en début de soirée et qu’il a trouvé plutôt bon bien qu’un peu relevé, il coule dans le canapé et attrape un coussin, pour se lover un instant. Ses yeux hagards se perdent sur une émission qui tourne à la télé : il y voit des fourmis et des coléoptères. Il ne sait pas vraiment ce que ça signifie car son cerveau tourne au ralenti, mais ça n’a pas l’air facile d’être un coléoptère tous les jours. C’est pas non plus facile d’être Nuàllan Lochan tous les jours cela dit.

Ricanant bêtement à cette pensée, il attrape un verre et boit de nouveau, un peu, du bout des lèvres, son whisky coca qui traînait là. Ses yeux serpentent un instant le long des jambes de Jake, qu’il trouve fortes et musclées, même si ce n’est rien d’autre que la carrure d’un mec qui a dépassé les quarante balais. Il en a vu plusieurs des comme lui, mais sa libido est furieusement en ébullition, résultat de mélanges incertains tout au long de la soirée, et il lui semble sur le moment que Jake est sa proie la plus à portée… parce que la seule réveillée.

« J'ai p'tet un peu trop bu... Pourtant, je tiens plutôt bien le whisky d'habitude... Vous l'avez amélioré ? »
« Le gâteau ? Kyle y a mis des herbes » Nuà rigole comme un idiot, et comme si ce n’était pas assez, il en rajoute : « de Provence, je crois, ou du Mexique, je sais plus »

Jake étant de nouveau sur le canapé, il se rapproche doucement, félin et ronronnant. Son air réjoui n’indique rien de bon, ni ne présage quelque chose d’intelligent. Son œil brille avec malice et sournoiserie. Il se retient de se jeter sur lui, parce que ce n’est de toute façon pas son genre. Il est plus délicat et sensuel que ça – il vaut mieux que ça.
Il s’arrête quand leurs mains s’effleurent et qu’il se penche vers lui, assis tout à côté du flic. Il a un petit sourire en coin alors qu’il penche la tête, hésitant.

« Tu fais... quoi ? »
« Moi ? » murmure-t-il sur le ton le plus bas du monde.
« Si tu me masses encore, je vais me sentir obligé de te donner un billet. »

Le gosse a un petit rire alors qu’il attrape le paquet de clope, prenant également d’une main forte le briquet et allume tour à tour la cigarette de Jake puis la sienne. Il ricane, glissant contre Jake, son épaule contre la sienne, et ses grands yeux clairs cherchant le regard du policier. Il frissonne car la peau du père est chaude, et qu’elle semble n’appeler que lui… ou peut-être que tout ça, ce n’est que son imagination malsaine ? Sans doute, conclut-il, sans rougir.

« Je fais bien plus que ça pour un billet » Nuàllan a l’air sérieux, même si son ton de voix est plus grave et chaud que la moyenne.

Quand Jake le regarde, il darde son regard dans le sien, d’un air qui se veut mi-sérieux mi-provocateur. Il n’a pas peur de ce qu’il peut lui faire. A vrai dire, il a plutôt peur qu’il ne fasse rien, car lui en meurt d’envie.