Dix jours se sont écoulés depuis la fin de la Rakuten Fashion Week, à Tokyo, et je commence enfin à retrouver un semblant de paix dans mon quotidien. Durant plusieurs jours, j'ai dû enchaîner différents shooting photos pour plusieurs marques de lingerie et même de vêtements. Certains diraient que je n'ai pas à me plaindre car moi, au moins, est appelé pour participer aux évènements. Je ne connais que très peu d'accalmie par année.

Depuis toujours, j'ai un train de vie hors du commun. Repérée très jeune dans la rue, autour détour d'un stade de glace en compagnie de ma mère, j'ai très vite été choisie pour représenter une marque de vêtement pour enfant. Et là, tout s'est enchaîné. Pubs, magazines, créateurs, tous se disputaient pour arriver à décrocher mon contrat. Mais la rançon de la gloire ne s'est pas faite attendre bien longtemps. Découverte beaucoup trop jeune, cela a attisé la jalousie des autres élèves des établissements que j'ai pu fréquenter au cours de ma scolarité. Harcèlement, jalousie, brimade... la célébrité n'avait pas d'intérêt pour eux hormis le bénéfice qu'ils pouvaient se faire à vendre des clichés volés ou même leur satisfaction de se sentir supérieur le temps d'un instant. Pathétique n'est-ce pas ?

Pour tenter de remédier à ce carnage, mes parents trouvèrent une école réputée mais aussi très onéreuse, habituée à accueillir les idoles et leur offrir une scolarité plus ou moins ordinaire. Chanteurs, danseurs, modèles, sportifs... tout le gratin y était réuni et leurs fans clubs aussi.
Il s'agissait de la plus grande école du pays. Elle accueillait toutes les spécialité possible afin d'éviter à ses élèves de devoir s'aventurer dans tout le pays afin de trouver LA spécialité de ses rêves. Pour ma part, à côté du mannequinat, j'avais opté pour le conservatoire de piano. Mozart, Beethoven, Vivaldi, De Bussi, Ravel et j'en passe, étaient les meilleurs pour me faire oublier le temps d'un instant, la pression que je pouvais éprouver. Laisser glisser mes doigts sur le clavier était pour moi, le plus doux exutoire qui puisse exister. Ça et le shopping bien sûr ! Comme tous top modèles qui se respectent, j'ai une garde robe bien garnie.

Âgée de 20 printemps maintenant, le monde à mes pieds, rien ne pouvait m'arrêter. Rien ? Hormis cette fameuse lettre tant redoutée. Ma mère m'appela, la voix tremblante, pour m'indiquer qu'elle était arrivée au courrier de ce matin. Sur le coup, je sentis mes jambes devenir du coton.


Mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine. Si fort que j'eus l'impression que l'infarctus allait venir. Les mains moites. Le souffle haletant. Les larmes aux yeux. Je me posais un instant dans cette sombre cage d'escalier pour reprendre ce qui me restait d'esprit. Ce n'est pas possible... ma vie va s'arrêter. Je suis... ma... je peine à prononcer ce simple mot pourtant si lourd de sens.

Cinq avril deux mille vingt-trois, mon célibat prend fin. Ce fameux jour où l'on célèbre le Hanami à son paroxysme. Où les fleurs de Sakura ont toutes éclos. Me voici donc lié à un homme, ce parfait inconnu qui m'attend quelque part. Des milliers de questions fulminaient dans mon esprit. Comment était-il ? Était-il beau ? Le connaissais-je ? Quel âge pouvait-il avoir ? Son métier ? Les pires scénarios m'envahissèrent. Et si... c'était un proxénète ? Non pire, un homme criblé de dettes et accroc aux jeux d'argent ou l'alcool. Que vais-je devenir ?

La journée continuait son cours et au fur et à mesure que les heures défilèrent, le moment fatidique de rentrer arriva. À contre coeur, je me dirigeais au domicile familial.

Je suis rentrée. Criais-je avec une voix tremblante prête à se briser à tout instant.

Personne. Aucun bruit. Aucune réponse. Je posais mes affaires à l'entrée du salon et vis la fameuse enveloppe sur la table. Là. Elle m'attend. Les battements de mon coeur étaient si intenses que j'eus le sentiment que mon coeur était remonté jusque dans ma gorge. L'estomac noué, je me saisissais de ce fameux courrier qui allait changer le cours de mon existence. Lentement, très lentement, je commençais à ouvrir cette lettre. Les mains tremblantes et moites, je dépliais cette feuille qui me semblait interminable.


Voici donc l'identité de la personne choisie. Sur le coup de la panique, je n'avais reconnu l'identité de l'un de mes body guards. Dépitée, je laissais la feuille en vrac sur la table et mes affaires dans l'entrée du salon pour aller m'aplatir comme une crêpe dans mon lit pour déprimer sur mon triste sort.

Mes parents rentrèrent et j'ai pu entendre des bribes de leur conversation. Ils avaient lu le dit courrier maudit. La dépression me tenant par les tripes, je ne compris pas leur réjouissance. Je pris ça comme le fameux ils veulent se débarrasser de moi . Le très légendaire "si tu n'es pas content, prends tes affaires et va-t'en. Trop occupée à me lamenter sur ma petite personne et le destin qui m'attendait, je ne pris pas la peine d'écouter les supplications de mon estomac ni les appels de mes parents pour m'inviter à me sustenter. C'est donc le ventre vide que Morphée m'accueillit dans ses bras.

Exténuée de cette horrible soirée à pleurer toutes les larmes de mon frêle corps, c'est en retard que je me levais. Rapidement, je me vêtit, me maquilla, kidnappa une tartine de confiture et mon déjeuner puis je me mis à courir à toute jambes en direction de la Fac. Les yeux pleins de cernes et encore gonflés de la veille, malgré une veine tentative de camouflage à coup de maquillage, c'est derrière des lunettes de soleil que je me cachais. Enfin, c'est ce que je pensais. Un paparazzi égaré me reconnu très rapidement sur le coup et dégaina son appareil photo. Tartine à la bouche, lunette de soleil, il flaira le scoop. Je pris mes petites jambes à mon cou et détalla aussi vite que possible loin de lui. Au détour d'une rue, sans prendre la peine de regarder si un individu ou un véhicule pouvait débouler au même moment, je m'y engouffrais et rentra dans un inconnu. Ma tartine vola quelques mètres plus loin. Adieu petit-déjeuner. Bonjour mal au popotin. Et bonjour... monsieur qui a la tête entre mes jambes. Cette scène était tellement surréaliste, digne d'un film grotesque, que je ne pus hurler. Cet homme releva la tête aussitôt et sans prendre la peine de le dévisager, je me cachais à côté de la poubelle juste à côté. Le paparazzi vit l'homme au sol et la tartine un peu plus loin. Il ne lui fallut pas longtemps pour en conclure de la situation. Du moins, pas autant que n'était la réalité. Mais sans photo de ma personne dans une posture inconvenante, aucun scoop n'a pu voir le jour. La presse à scandale ne m'aura pas aujourd'hui.

- Il est parti ? Dis-je la tête entre mes jambes, assise juste à côté de la poubelle.