couic ! zip ! crac ! tac-tac-tac ! crac ! crac ! bzzz !

vingt-trois heures cinquante quatre, je suis en train d'ouvrir le corps de la victime. elisabeth, âgé de trente-cinq ans, corps découvert devant la station d'épuration de black creek valley sans vie, sans aucune trace létal ou de lutte. je m'apprête à ouvrir la cavité crânienne en priorité.

victor choisit la lame de huit afin de mieux glisser sur la peau et de ne pas abîmer l'épiderme de la victime. c'était le second corps qu'on lui demandait d'ouvrir en tant que médecin légiste fraîchement diplômé. son père travaillait pour le service de chirurgie de l'hôpital central et comme ses notes avaient décidé d'entamer une chute libre malgré sa spécialisation dans le juridique, son poste était clairement la réalité de son échec dans la médecine. le pater vance voulait donc le garder à l'oeil afin d'agir sur sa carrière... putain, il aurait voulu être peintre ! ou participer aux jeux olympiques ! ou même juste flâner et vivre de l'argent de ses parents... non, quand on est un vance, on bosse dur et on est exemplaire, mais victor n'avait clairement pas la fibre scientifique au grand dam de papa.
le voilà à découper un corps pour gagner sa vie et c'était clairement pas la vie qu'il imaginait mener. il démarrait un métier pitoyable à ses yeux, relégué à la morgue, là où les morts ne parlent pas mais où des morts-vivants pourraient surgir pour le bouffer jusqu'à la moelle. quel enfer.
alors victor observe le cerveau parfaitement intact d'elisabeth en décrivant les moindres détails à son microphone. on aurait pu croire le début d'un film d'horreur : lumière tamisée, corps ouvert, un silence... de mort. mais non. un ennui mortel pour victor et un corps sans vie sur la table, rien de bien enivrant.

bon bon bon. il était temps d'attaquer la partie la plus importante de ce travail, celle du buste. c'était la deuxième fois que victor s'en chargeait en solo. auparavant, il était supervisé par des professionnels mais aujourd'hui, c'était lui, ce gars. il souffle fort du nez au risque de faire voler des microbes sur un corps qui ne risque plus de souffrir d'infection et entaille alors avec son scalpel le buste en forme de Y pour ne pas déchirer la peau et avoir une meilleure fluidité dans son analyse. quel ne fut pas sa surprise la plus totale quand il se rendit compte que la cage thoracique était vide ainsi que la partie inférieure. pas de coeur, pas de poumons, pas d'intestins, pas d'estomac, de rate, de foie, de vessie, de reins... bref. la liste est encore longue mais la cavité était complètement vide. propre, en fait. comme aspiré de tous les fluides, toutes les veines, tous les détails composants un corps. le haut le coeur qu'il retint aurait pu faire rire un enfant tant le bruit qu'il effectuait était pathétique mais sa curiosité d'artiste fut attiré par une bouteille chose... transparente... avec... mais qu'est ce que c'était que ce machin ?! il tirait avec une pince une bouteille en verre, comme celle de shooter de vodka, avec un papier à l'intérieur. un vrai délire, un truc complètement barré. il la tournait dans tous les sens mais elle glissait de la pince pour atterrir dans un bruit gras et gluant sur la colonne vertébrale visible du corps de la victime.
un regard vers le visage.
un regard vers le ventre.
victor était persuadé d'avoir vu elisabeth ouvrir les yeux et les refermer ! OH. BOR-DEL.
enlevant ses gants sans jamais quitter des yeux le cadavre énigmatique, victor se saisit de son téléphone pour composer, trembler, le numéro du centre de thanatopraxie qui prendrait la suite. il n'avait aucune idée du pourquoi il réagissait ainsi mais c'était tout ce qu'il parvenait à faire.
euh... oui... faut venir là... non je... oui pardon, docteur vance, hôpital central de seattle, médecine légale. vous pouvez... ah ! elle a boug... ah non, c'était une mèche de cheveux. possible de m'envoyer quelqu'un pour un corps là ? oui je sais qu'il est minuit, c'est urg... non, je n'ai pas bu. envoyez moi quelqu'un ! pard... oui merci, désolé d'avoir crié.
la panique était son arme la plus pitoyable puisque le voilà en train de chercher une caméra dans la morgue, peut-être qu'on lui faisait une blague ?  
il s'écoulait environ trente-cinq minutes quand la double porte battante s'ouvrit enfin pour laisser apparaitre quelqu'un qu'il ne connaissait pas.

Masque sur le visage, retroussant tes gants jusqu’au poignet, tu t’apprêtes à nettoyer avec soin le corps du défunt devant toi. Avec l’aide de ton robot assistant, tu suis minutieusement les étapes enregistrées dans ta cervelle depuis que tu fais ce travail étrange. Pourtant, tu n’as jamais eu de soucis à manier ces corps sans vie, leur redonner un semblant de vie, leur donner l’impression qu’ils sont morts paisiblement, permettre aux vivants de faire un premier pas vers un long processus de deuil certain. Tu soupires en voyant que celle là possède de belle cicatrices récents, des marques de violence…

Tu n’as pas eu le dossier complet, juste qu’il s’agit d’une jeune femme d’à peine dix-neuf ans. Les ecchymoses sur son visage sont ignobles, les marques sur son ventre montre de l’acharnement et en voulant nettoyer son intimité, tu soupires, voyant qu’elle avait peut-être été souillée. Tu serres les dents, conscient de l’atrocité de l’humanité en dehors de ce lieu silencieux, enrobé d’une bulle temporel au ralenti… Un endroit où la Mort n’est plus qu’un souvenir entre tes mains. Tu prends une minute pour que le corps se repose de ton processus et commence ensuite l’embaumement. Tu vois le sang coagulé qui s’en va, tombant dans un récipient que tu rendras aux petits rats de la bio-contamination.

Qui sait ce qu’ils en feront ?

Et alors que tu es en train de terminer, que tu commences à habiller la pauvrette pour commencer à la maquiller, cacher ses défauts pour lui redonner un teint paisible, ton téléphone sonne. Tu grimaces, comme nerveux à l’idée que l’on puisse te déranger maintenant. Tu te retournes, posant délicatement ce que tu avais en main. Mais tu ne réponds pas. Tu attends. Tu attends d’écouter le message vocal et fronces les sourcils. Vance ? Que veut-il ? Tu soupires un peu et termines d’habiller ta cliente avant de retirer tes gants, laver tes mains et ranger ton tablier. Tu prends ta veste et ta montre, remontant à l’étage d’au-dessus.

Tu grimaces, traversant les couloirs sombres et vide. Tu n’as pas peur de marcher dans le noir, ayant d’autres démons à affronter qu’un manque de lumière. Tu attends quelques secondes devants la porte avant de l’ouvrir restant droit comme un i devant ton collègue.

- Et bien. Que t’arrive-t-il ?

Que tu demandes, naturellement. Tu regardes rapidement ta montre, voyant qu’il était minuit passé. Tu fronces légèrement les sourcils avant de te redresser pour avancer vers ton interlocuteur, jetant un rapide coup d’oeil à sa cliente à lui.

- Il est tard, je pensais les légistes chez eux à cet heure-ci. Tu as reçu un patient tardif ?

Victor n'était pas nécessairement le plus dégourdi de tous les hommes. Il était clairement dans un manque constant d'organisation et sa maladresse légendaire lui avait donné le triste surnom, en fac de médecine, d'agent double zéro. Il passait de justesse sur la barre des rejetés de l'académie et s'en sortait sans que personne ne comprenne. Le pire ? Il avait toujours craint la vue du sang mais force est de constater qu'il avait trouvé le bon filon avec un poste où ce dernier ne s'écoulait plus. Ses heures passées devant les films d'horreur le rendait complètement insensible à toute idée zombiesque qui puisse arriver. Cependant, ce qui se passait actuellement le rendait perplexe et il sentait grandir en lui une petite pointe d'angoisse qu'il essayait de ne pas associer avec sa pop culture. Warm bodies ou 28 jours plus tard n'avaient qu'à bien se tenir, il ne revivrait pas ses oeuvres horrifiques de son vivant ! Quand Hunter poussa la porte, Victor ne put s'empêcher de rebondir en lâchant un petit cri bien aigu, histoire de réveiller les morts avec la pitié et le ridiculte d'une petite fille effrayé par le croque mitaine. Une main sur la poitrine, il reprenait son souffle. Tu m'as foutu les jetons ! et il appuyait ses mains sur ses genoux, penchés en avant, pour apaiser son palpitant affolé.
Il finit par se redresser au bout de quelques secondes. Il fallait bien évidemment se rendre compte que la situation pourrait paraitre ridicule pour n'importe quel personne qui ne venait pas de son monde. Il tirait la  scialytique au-dessus du corps de la défunte pour offrir une meilleure visibilité à son partenaire et de sa main libre prit la pince pour tirer la peau et ainsi offrir une belle vue d'ensemble au corps de la victime. On me l'a amené tard et puis... j'ai oublié de faire les courses pour manger chez moi alors j'suis resté là pour tuer le temps.

Il tirait alors avec cette même pince la fiole de verre et la posait à côté, sur le chariot en inox à côté de lui puis le poussait vers Hunter. Voici la bizarrerie du soir... Je te laisse juger par toi-même mais clairement, elle a... REGARDE ! il était persuadé d'avoir vu du mouvement sous ses paupières et de son doigt ganté, il pointait son index vers les yeux fermés du corps. Attends, attends... j'te jure que j'suis pas fou. Elle va le refaire... LA ! Il aurait du se pencher par curiosité scientifique pour soulever la peau qui recouvrait son oeil mais il était tremblant de peur. Ecoute, à la base, j'aurais du te filer le corps après mais là, j'suis incapable de comprendre ce qu'il se passe. Il voulait de l'aide. Ou alors qu'on prenne le relais. Ou se barrer. Une petite curiosité (vraiment petite) venait s'immiscer parmi ses questionnements. Mais pour l'heure, il voulait juste ne pas être le seul à flipper.

Apeuré. C’est le mot parfait pour décrire le pauvre légiste en face de toi. Apeuré. Il se met même à crier en te voyant alors que bon… C’était bien lui qui avait demandé à ce que tu sois là. Tu fronces les sourcils en le voyant aussi pâle, comprenant bien que tu venais de lui faire peur avec ton arrivée. Il pourrait se confondre avec sa clientèle comme ça. Tu soupires et essayes d’en savoir plus, jetant de légers coups d’œil à la pauvrette allongée sur sa table. Tu vois rapidement, le regard balayant cette dernière, qu’il avait à peine commencé son analyse.

Apparemment, là-haut, ils l’auraient amené tardivement et Vance n’avait pas envie de rentrer chez lui pour manger et voulait donc avancer son nouveau dossier. Tu soupires.

- Tu sais que commander un repas sur le lieu de travail est autorisé, et même recommandé par nos supérieurs ?

Tu secoues la tête avant d’aller te laver les mains et chercher des gants pour pouvoir l’aider avant qu’il ne s’excite avec la fameuse trouvaille, le pourquoi du comment il t’avait tiré de ton bureau à toi. Gant mis correctement, tu attrapes les pinces pour observer la fiole tranquillement avant de te tourner vers le visage de la jeune femme entre vous, mais… Tu lèves les yeux vers lui, voyant bien que le cadavre n’affichait aucun mouvement. D’accord. Tu regardes d’ailleurs l’intérieur, vidé et lèves un sourcil avant de reposer ton attention sur la fiole.

- Calme toi...

Que tu dis, simplement, reposant la fiole dans le bac en inox.

- Déjà, prend en photo pour le dossier, note tout… Si tu veux je continue avec toi le reste de la procédure. Et après, si tu veux, soit on donne la fiole aux scientifiques, soit on l’ouvre nous-même. Et tu te commanderas à manger. D’accord ?

Que tu dis, avant de voir… Bah ce qu’il craignait. Les paupières du cadavre qui se soulèvent d’un coup, montrant les yeux bleu de la jeune femme, sans vie. Tu as un mouvement de recul, surpris et bascules la tête sur le côté.

- Ah ! Alors… Normalement, les nerfs optiques ne peuvent plus agir à ce niveau d’arrêt cérébral.