Louise gara sa voiture dans la rue devant son ancienne maison. Elle prit un instant pour respirer un bon coup tout en se tenant au volant. C'était toujours difficile de revenir ici, même si c'était régulier. Il fallait bien qu'elle voie sa fille, et qu'elle récupère petit à petit ses affaires.

Dans un sens, elle faisait exprès de ne récupérer ses biens lentement. Un peu comme ce dossier à signer pour officialiser le divorce qui restait dans son sac à main, elle n'osait pas encore le donner à sa future ex-femme. Pourtant, elle était d'accord pour divorcer, c'était la meilleure chose à faire, la relation étant morte. Mais c'était difficile de mettre fin à une relation aussi longue, presque 10 ans.

Elle n'avait même pas encore trouvé d'appartement pour elle, elle squattait chez sa mère. C'était complexe aussi, de vivre dans la maison familiale, mais encore une fois, ça rendait les choses un peu moins définitive.

Et en même temps, Louise ne faisait pas grand chose pour arranger les choses. Elle avait perdu sa combativité. Certes, d'une certaine façon, elle aimait toujours la mère de sa fille, néanmoins, c'était accompagné d'une certaine... Distance. Elles avaient grandi, beaucoup, depuis l'adolescence. Enfin, Louise moins que son ex, quelque part.

Alors, elle prenait le temps de soupirer avant d'entrer dans la maison. Une fois cela fait, elle sortit de la voiture, récupérant un petit cadeau pour la petite - un livre sur les dinosaures, elle aimait bien ça. Les cadeaux, c'était pour se faire pardonner d'être partie.

Louise toqua à la porte de la maison, chose qui faisait bizarre maintenant. Mais elle n'attendit pas que quelqu'un lui ouvre pour entrer. Elle posa son sac à main sur la table basse du salon, et se dirigea vers la cuisine - c'était le moment de cuisiner le repas du soir, donc son ex devait probablement y être vu le bruit.

"Hey, je suis là."

Elle était venue car du courrier était arrivé pour elle. Elle n'avait pas fait de changement d'adresse, son départ de la maison datait de trois semaines à tout péter. Mais c'était dur de trouver des choses à dire pour meubler le silence. Donc leur sujet de conversation principal était leur fille. Ou les disputes à la con, genre "pourquoi tu as marché là avec tes chaussures, j'ai passé la serpillère y'a une heure !" ou alors "faut que tu arrêtes de pourrir gâter la petite".

"La petite est dans sa chambre ?"

Louise jeta un oeil à son téléphone, celui-ci ayant vibré - magnifique façon d'éviter le regard de son ex. Sauf qu'au moment où elle leva les yeux, elle sentit un truc bizarre dans son corps. Une sorte de pression qui entourait tous ses membres, son torse aussi. Louise crut bien faire un malaise, elle s'accrocha au plan de travail de la cuisine, puis tomba par terre.

Elle rapetissait, seconde après seconde, et bientôt elle dût lâcher le plan de travail, sinon elle finissait en suspens.

"Mais quoi ? Qu'est-ce que-Aaaaaaah ?!"

Louise finit à quatre pattes, au pied d'une chaise qui paraissait désormais géante comme elle ne l'avait jamais été. Elle paniqua, hyperventila un peu, pour ensuite regarder son téléphone échoué au sol. Il était immense, plus grand qu'elle même.

"Oh putain c'est quoi ce bordel ??"

Gaëlle était en train de préparer le dîner avec une musique de fond pour meubler le silence. Depuis que Louise était partie, quelque trois semaines plus tôt, elle avait du mal à supporter le silence qui régnait dans la maison. 

Elle déposa sur le plan de travail la cuillère avec laquelle elle venait de remuer sa sauce tomate, et prit son grand couteau à viande pour découper les blancs de poulet.

Elle allait préparer des escalopes panées et des spaghettis, le plat préféré de Louise et... 
Non, ne pas penser à Louise maintenant. Elle ne dînait plus avec elles, il fallait qu'elle se rentre ça dans la tête. Pourtant, elle cuisinait toujours pour trois. Elle n'arrivait pas à faire autrement.

Elle soupira de frustration. Comment une relation aussi belle pouvait-elle se terminer comme ça? La lassitude, les disputes pour un oui, pour un non, avaient fini par prendre le pas sur leur entente pourtant légendaire.

Soudain elle leva la tête. Elle avait reconnu le moteur pétaradant de la voiture de Louise. L'oreille aux aguets, elle l'entendit frapper à la porte avant de pousser la porte et d'entrer. Quelle ironie! Cela faisait des années qu'elle lui rappelait de frapper avant d'entrer, pour ne pas leur faire peur à elle ou Zoey. Il avait fallu qu'elle quitte la maison pour enfin le faire.

Sans se retourner, elle guetta le pas de sa future-ex qui vint la saluer dans la cuisine. 
A quel moment est ce que sa voix avait arrêté de faire bondir son cœur comme c'était toujours le cas avant, quand elles ne s'étaient pas parlées depuis plusieurs heures? Pourquoi ne s'en était- elle pas rendue compte jusqu'à présent?

"Bonsoir, Louise."

Louise, c'est tout. Pas Lou, pas mon amour, ma puce, ma belle...
Aucun de tous les petits noms qu'elle aimait tellement lui donner pendant toutes ces années. Ça fait mal.

"Oui, Zoey est en train de jouer dans sa chambre. On va bientôt dîner, tu veux rester?"

Pas besoin de se retourner pour imaginer Louise en train de plonger sur son téléphone qui vient de vibrer. Elle a l'habitude.
Louise faisait tout pour éviter son regard depuis un moment. Et pour éviter la conversation sérieuse qu'elle lui réclamait depuis ... un moment aussi.

Soudain, Louise se mit à crier, et Gaëlle lâcha d'un coup son couteau qui tomba à ses pieds dans un grand bruit métallique. Effrayée, Gaëlle se tourna d'un coup vers son ex-compagne, sa main frappant malencontreusement la cuillère pleine de sauce tomate qui tomba au sol dans une glissade, laissant une traînée épaisse et rougeâtre, avant d'aller se perdre sous la table de la cuisine.

"Mais qu'est ce que tu as à crier comme ç..."

Mais avant même qu'elle puisse terminer sa phrase, elle ressentit comme un crochet qui l'attrapa au nombril puis une vibration de tout son corps, et elle se mit à rapetisser, rapetisser, avant de tomber au sol à quelques centimètres de son couteau qui était maintenant plus grand qu'un long radeau.

"C'est quoi cette histoire? Qu'est ce que tu as encore fait Louise? 
Et ARRÊTES DE PARLER COMME CA DEVANT LA PETITE, MERDE!"

Elle avait dit merde. Elle l'avait crié, plutôt. Et elle avait dit "la petite". En jetant un œil sur son ex et sur elle-même, l'ironie de la situation lui fit perdre définitivement son self-control.

Elle éclata d'un rire nerveux... avant de se prendre la tête entre les mains et de se mettre à pleurer.

Evidemment, Gaëlle accusa Louise d'être responsable de ce qui était en train d'arriver - un truc totalement lunaire, rapetisser au point de mesurer quoi, 10 centimètres ? Et c'était optimiste comme fourchette. Elle n'était même pas sûre d'être capable de monter des escaliers même en sautant.

"ELLE EST PAS LA, LA PETITE ! Et m'accuse pas, je suis dans la même situation que toi, là, merde !"

Louise regarda autour d'elle, son ancienne maison devenant ridiculement immense. C'était comme dans ce vieux film de son enfance, Chérie j'ai rétréci les gosses ! Sauf que les gosses, là, c'étaient les parents. C'était elle et Gaëlle. Comment était-ce possible ? La magie, ce n'était qu'un conte d'enfant, bon pour les bouquins et les films, pas la réalité ! Il devait y avoir une explication logique à tout ça, simplement, ça échappait totalement à Louise. Elle regardait autour d'elle pour chercher une solution, une réponse, n'importe quoi, quand elle entendit Gaëlle sangloter.

Louise se sentit totalement désarmée à l'entendre pleurer. Pendant quelques secondes elle resta les bras ballants, ne sachant pas quoi faire. Avant, elle l'aurait prise dans ses bras et aurait attendu que Gaëlle puisse parler, pour ensuite arranger les choses. Mais c'était fini ça, maintenant c'était autre chose. Avec une pointe d'agacement. Alors, elle parla sans réfléchir :

"Non mais pleure pas, on peut pas se le permettre là. On est complètement minuscules !"

Elle disait ça, mais en même temps, Louise avait un peu envie de pleurer. On aurait dit un cauchemar. Elle se pinça même pour tenter de se réveiller - si ce truc marchait vraiment, elle n'en savait rien. Sa spécialité c'était surtout de faire des insomnies, les réveils c'était bien difficile.

Elle eut soudainement un éclair, un moment de stress intense.

"Zoey, merde, elle est dans sa chambre ? Ca va pas le faire si on est coincées comme ça."

Mais elle ne savait pas quoi faire. Sa gamine était désormais pratiquement seule, avec personne pour la nourrir, la protéger, la coucher. A tous les coups, la petite allait descendre parce qu'elle avait faim, ne pas voir ses mères, et paniquer. Il fallait faire quelque chose, mais quoi ?

"Qu'est-ce qu'on fait pour Zoey ? Elle peut pas nous voir comme ça, elle aura peur !"

Si encore Zoey les voyait. C'était pas donné, avec leur petite taille, elle ne les entendrait même pas. Voire même elle les écraserait sans s'en rendre compte de prime abord. Et ce serait une catastrophe. En plus, les traces de sauce tomate donnait l'impression d'une vraie scène de crime. On pouvait facilement imaginer ce qu'une personne penserait en arrivant dans la cuisine, en pensant que les deux femmes avaient disparu.

Gaëlle s'était mise à pleurer d'un coup. La présence de Louise - et la distance entre elles -  la panique de ce qui venait de leur arriver, la peur en se découvrant toutes deux aussi minuscules que les figurines avec lesquelles Zoey aimait jouer. Et surtout l'angoisse pour Zoey! Leur fille risquait de vraiment avoir très peur en se retrouvant d'un coup toute seule dans la maison.

- Elle ne va pas tarder a venir voir si le repas est prêt, hoqueta-t-elle, elle doit avoir faim.

En regardant autour d'elle, elle frissonna. La traînée de sauce tomate juste à côté du couteau paraissait d'autant plus effrayante vue de leur taille liliputienne. Il ne fallait pas que la petite vois ça! Il fallait absolument  trouver une solution et vite! Gaëlle avait du mal à se reprendre, elle aurait eu besoin de réconfort, mais on aurait dit que Louise avait oublié les gestes qui étaient si naturels, autrefois. Bizarrement, ce fut son ton dur qui calma Gaëlle d'un coup. 

- Il ne faut pas qu'elle entre dans la cuisine, tu as une idée comment l'en empêcher? demanda-t-elle en séchant ses larmes d'un revers de manche. Et il faudrait aussi qu'on éteigne le feu sous la sauce tomate, sinon elle va brûler et il va y avoir de la fumée dans toute la pièce!

De nouveau elle regarda autour d'elle en levant la tête, et la distance entre elle et les boutons de la cuisinière lui parut soudain insurmontable. Elles n'avaient aucun moyen de se hisser à une telle hauteur rapidement. Et il n'était pas sûr que le jeu en vaille la chandelle. Elle essaya de déplacer le couteau géant pour le cacher sous une chaise, mais elle réussit à peine à le bouger de quelques centimètres avant de s'essouffler. Elles étaient mal barrées!!

- Ce truc pèse une tonne, je ne m'en étais jamais rendu compte! Et on ne peut pas le pousser de l'autre côté, on risquerait d'être tranchés en deux par la lame géante. 

Soudain, ses yeux se posèrent sur le téléphone de Louise, tombé avec elle lors de sa chute. Ses yeux s'éclairèrent: il leur suffisait d'appeler quelqu'un à l'aide! Peut-être son père, son frère, ou la mère de Louise. En leur expliquant l'urgence de la situation - et son étrangeté - l'un des trois viendrait rapidement à leur secours, et à celui de Zoey. Elle se précipita vers le téléphone, tellement heureuse d'avoir une solution à portée de main, qu'elle mit le pied dans la giclée de sauce au sol. Elle ne s'arrêta pas pour autant, et grimpa sur le téléphone de Louise. Mais, sa chaussure humide de sauce la fit déraper sur une touche - le A - et elle glissa sur l'écran. Elle se pencha en avant pour se rattraper, et ses doigts appuyèrent sur des smileys, sans doute les derniers utilisés par Louise. Elle réussit à se rétablir, son pied appuyant sur "envoyer".

Incrédule, elle regarda le message qu'elle venait malencontreusement d'envoyer: "AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA "

- Oh mon Dieu, je ne sais même pas a qui ca a été envoyé, sans doute ton dernier contact.

Tout d'un coup, la luminosité de l'écran faiblit, une photo de Louise et Gaëlle clignota quelque secondes, avant que le téléphone ne s'éteigne. Gaëlle en eut le cœur serré. Elle avait reconnu la photo. Les deux jeunes femmes se tenaient enlacées, leur regard se croisant, des étoiles plein les yeux. C'était peu après la naissance de Zoey. Un moment particulièrement heureux. Et c'était la photo que Louise avait mis comme écran de veille - récemment, elle en était sûre: avant de quitter la maison, elle en avait une autre. 
Une image de leur bonheur perdu.

Gaelle fut incapable de parler pendant une longue minute, les yeux rivès sur l'écran du téléphone qui venait de leur faire défaut.
Partagée entre son envie de se replonger dans la magie de cette photo pleine de tendresse, et l'agacement que lui inspirait a présent la mère de sa fille.

- Ta batterie est vide c'est ça? Tu oublies de la recharger j'imagine, maintenant que je ne suis plus là pour le faire à ta place? On avait notre salut au bout des d... des pieds. Quel gâchis! 

Gaëlle se calma au moins un peu, assez pour dire que Zoey allait descendre pour voir si le repas était prêt. Il fallait donc l'empêcher d'une façon ou d'une autre d'entrer dans la cuisine, autant pour éviter cette vision de carnage que pour ne pas être vues. Avec en plus de ça qu'on éteigne le feu sous la sauce tomate qui allait brûler sous peu.

Trop. De. Choses. A. Faire. Louise perdait la tête déjà. Elle paniquait, cherchant quoi faire en premier. Pendant qu'elle restait prostrée, réfléchissant, Gaëlle avait tenté de déplacer l couteau. Il était trop lourd pour être déplacé à elle seule. Louise allait venir l'aider, essayant de prioriser les choses à faire, quand Gaëlle fonça sur son téléphone.

"Attend, j'ai quasi plus de-..."

Louise n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'elle vit son ex tomber sur l'écran du téléphone, envoie c qui était visiblement un SMS, pour qu'il s'éteigne finalement.

"... batterie."

Louise avait vu son fond d'écran de veille s'afficher sous les yeux de Gaëlle, et se sentit extrêmement gênée. Elle l'avait mis un peu par nostalgie - ce qui arrivait parfois. Parfois, la relation qu'elle avait avec son ex-femme lui manquait. Les moments de complicité, ce qu'elles avaient construit, leur maison, les soirées dansantes, les netflix and chill. Mais cette relation-là n'existait plus depuis un moment. La lassitude, la routine, peut-être même l'amoindrissement des sentiments, tout ça avait envoyé valser leur mariage.

Mais Louise ne fit aucun commentaire. Si on en parlait pas, ça n'existait pas, n'est-ce pas ?

Gaëlle déclara qu'elle ne savait même pas à qui ça avait été envoyé. Louise, elle, en avait une petite idée.

"Je pense que tu l'as envoyé à ma cousine. Tu sais, Annie."

Annie, c'était la cousine un peu chiante qui se mêlait de tout. Elle avait tendance à toujours tout critiquer, mais l'air de rien. Leur mariage, leur voiture, leurs études, leurs métiers. Discuter avec Annie, c'était vivre un véritable interrogatoire.

"C'est pas terrible pour appeler à l'aide, mais connaissant Annie, elle va me harceler d'appels, voir que je réponds pas, et appeler ma mère. Et elle va faire chier ma mère pour qu'elle vérifie que j'aille bien. Pratique. La question qui reste est combien de temps ça va mettre. Ah, et est-ce que ma mère va la prendre au sérieux, aussi."

D'après ses estimations, Louise pensait que ça prendrait probablement... Une heure ? Peut être deux. Sa mère ne vivait pas trop loin mais elle n'était pas du genre à s'inquiéter très vite. Donc il était même possible qu'elle envoie balader Annie. Louise se sentit agacée - encore - par les récriminations de Gaëlle.

"Hey, j'ai bossé toute la journée, j'ai pas pensé à prendre le chargeur, voilà, ça arrive hein ! Bordel, t'es pas ma daronne !"

Mais il fallait reconnaître que la situation était vraiment incertaine, avec aucun moyen de savoir. A moins que… Mais oui ! Louise leva la tête, cherchant si elle trouvait le téléphone de Gaëlle. Elle était persuadée de l'avoir vu quelque part en arrivant. Genre, un coup d'oeil au hasard pour ensuite oublier où.

"Ta musique, elle vient d'où ? De ton téléphone ?"

Louise entendait de la musique, qui continuait depuis tout ce temps. Le son venait de... De la table de la cuisine. Elle essaya de s'approcher de la chaise, tenta d'estimer s'il était possible de grimper. Mais elle n'arrivait pas à trouver un passage qui permettrait d'accéder au téléphone.

"J'ai pas l'impression qu'on puisse monter jusque là. Merde."

Louise soupira, et croisa les bras sur sa poitrine. Elle se sentait submergée. Tant de choses à faire ! Empêcher Zoey d'entrer dans la cuisine, éteindre le feu sous la sauce tomate, accéder au téléphone de Gaëlle, cacher le couteau...

Vu l'odeur qui commençait à devenir légèrement compliquée, il fallait peut être commencer par le feu. Louise ouvrit un placard - difficilement mais elle y parvint. Avec les étagères, elle pouvait grimer si Gaëlle lui faisait la courte échelle. Après ce serait un peu plus touchy.

"Bon. Tu te rappelles les cours d'escalade qu'on a pris y'a des années ? Bah, je pense que va falloir s'en rappeler maintenant."

Gaëlle releva enfin la tête pour croiser le regard de Louise. Elle y lu un malaise qu'elle ne sut s'expliquer. Comme si elle s'en voulait d'avoir changé de fond d'écran pour remettre cette vieille - et si belle! - photo. Ou plutôt comme si elle aurait juste préféré que Gaëlle ne soit pas au courant. C'est vrai que cela faisait plusieurs semaines que Gaëlle n'avait plus eu accès au téléphone de son ex. Mais elles n'avaient pas le temps de s'attarder sur ce genre de considérations pour le moment. Elles avaient une situation de crise à gérer. Ensemble. Et elles n'avaient plus fait face à ce genre d'événement depuis longtemps. Enfin, surtout pas ensemble.

Essayer de réfléchir rapidement. Et sereinement. Et sainement surtout, pour ne pas que le ton monte entre elles inutilement. Mais c'était vraiment dur quand les problèmes surgissaient à une allure ahurissante. Comme apprendre qu'on avait peut être alerté la personne la plus hystérique de la famille avec un message ambigu.

- Annie?! Oh non, non, c'est pas possible! Juste elle, mais quel merdier! Non, mais attends, t'as repris contact avec elle depuis... 'Fin dernièrement?

Pas étonnant que tout aille de travers dans leur couple si Annie s'en mêlait. Elle n'avait jamais pu s'entendre avec Gaëlle, dont elle n'appréciait pas le... la... Bah rien, en fait. Elle ne pouvait pas la supporter sans qu'on puisse savoir ce qui la dérangeait exactement. Louise avait longtemps gardé ses distances avec son exécrable cousine pour le bien de leur petite famille. Gaëlle n'osait imaginer ce qui avait pu conduire Louise à reprendre contact. Elle devait être vraiment désespérée pour vouloir sa détestable compagnie. Ou alors il y avait autre chose. Mais le moment était mal choisi pour s'attarder sur la question alors que tout allait de travers.

Gaëlle respira profondément pour se calmer, et pour éviter de faire monter la tension entre elles pour le moment. Ça ne ferait pas avancer le schmilblick. Elle devait rester concentrée.

- Bon, bah c'est une bonne chose si elle alerte ta mère. Sauf que... est ce que ta mère savait que tu passais à la maison? Parce que sinon elle ne pensera pas forcément à venir te chercher ici. Tu es déjà passée cette semaine...

Tiens, d'ailleurs, c'est vrai. Louise était déjà passée en début de semaine. Pourquoi était- elle revenue aujourd'hui? D'habitude elle venait une fois seulement. Elle devait languir la petite. Ce constat serra le cœur de Gaëlle, et elle se radoucit, ne relevant même pas le langage de son ex.

- Mon téléphone est sur la table. Mais aucun moyen de grimper sur les pieds des chaises ou de la table, c'est beaucoup trop haut et raide. On n'aura aucune prise. 

Louise croisa les bras sur sa poitrine et Gaëlle eut l'impression de voir les rouages tourner dans sa tête. Elle même se sentait submergée par autant de tension, et la musique à tue-tête commençait à vraiment lui taper sur le système. Pourtant, c'était pas si fort tout à l'heure... 

Avec reconnaissance, elle observa Louise prendre les choses en main - pour une fois! - et entreprendre d'escalader les tiroirs de la cuisine. Si elle avait peur de voir Louise tomber, elle reconnaissait qu'il fallait bien commencer quelque part. Elle vint se placer derrière Louise, à deux pas de la porte du placard qu'elle venait d'ouvrir, et joignit ses mains pour en faire un appui.

- Vas-y, grimpe sur mes mains, et accroche-toi à une étagère. Fais attention à ta prise, pour pas glisser. Prends ton temps, il s'agirait pas que tu te casses la gue... que tu tombes. On n'a pas vraiment accès à l'armoire à pharmacie, la, ajouta-t-elle dans un pitoyable effort d'humour.

Louise grimaça quand Gaëlle lui demanda si elle avait pris contact avec Annie, pour simplement répondre avec un haussement d'épaules. C'était surtout Annie qui avait repris contact avec elle à peine le divorce prévu avait fait le tour de la famille. Elle passait son temps à dénigrer sa future-ex femme, et Louise ne savait pas trop si elle devait défendre son ex ou être d'accord. C'était compliqué. Bref, pas une partie de plaisir non plus.

"Je n'ai rien dit à Maman mais je pense qu'elle se doutera que je suis ici. J'espère, parce que sinon, on est foutues."

Malheureusement, il n'y avait pas de possibilité d'aller chercher le téléphone de Gaëlle, donc il fallait passer à autre chose. La sauce tomate. Alors, elle commença à grimper, avec l'aide de la femme, essayant de ne pas perdre l'équilibre ou sa prise.

"J'essaye mais oh, je n'ai pas fait de sport depuis si longtemps !"

Louise rit légèrement quand on parla de la pharmacie qui n'était pour l'instant pas disponible. Puis elle s'arrêta en se rendant compte d'avec qui elle rigolait. Ca faisait bizarre, ce n'était pas arrivé depuis longtemps.

Elle grimpa étagère par étagère, doucement, pour arriver au niveau de la barre de la porte du four. A partir de là, ça devenait un peu plus acrobatique : grimper sur le bord supérieur de la porte du placard en sautant un peu, puis aller sur le four, et enfin, arriver au niveau des plaques électriques. Ca pressait un peu, l'odeur devenait étouffante à son niveau.

Alors elle compta... Un... Deux... Trois...

Saut !

Elle s'accrocha de justesse au bord de la porte du placard. Il fallait qu'elle se réhausse pour monter dessus.

"Imagine que c'est comme grimper de la piscine, imagine que c'est comme grimper de la piscine..."

Elle força sur ses bras pour soulever son poids, principalement ses jambes. Ca ne marcha pas de suite. Louise poussa un soupir de frustration. Ca la motiva particulièrement, lui donnant de l'adrénaline, pour retenter de jeter ses jambes vers la porte. Et cette fois-ci, ça fonctionna.

Elle se glissa une jambe de chaque côté, et avança ainsi, à cheval, vers le meuble. Pour aller sur la porte du four, qui était un peu plus haut, il fallait sauter encore. Ce qu'elle fit, en refusant de penser au risque de s'exploser la tronche si elle échouait.

Et heureusement, cette fois-ci, elle se rattrapa comme il fallait. C'était juste un peu glissant.

Elle se mit debout, et en levant les bras, elle grimpa sur les molettes de commande, puis enfin. ENFIN. Sur le plan de travail. Soulagée d'être arrivée, elle se posa un instant allongée. Ses bras lui faisaient mal, ça brûlait. Mais cela dura à peine quelques secondes. Pas le temps, il fallait éteindre. Alors elle appuya sur les boutons tactiles, espérant qu'avec ses petites mains, ça fonctionne. Et ça fonctionna.

Elle se leva et regarda en bas pour crier :

"Ok, c'est bon ! C'est éteint !"

Elle regarda autour d'elle. Maintenant, la question était... Descendre. Il fallait qu'elle prenne une pause avant d'y retourner, histoire de ne pas se claquer un muscle dans le rush. Sauce tomate, fait. Téléphone de Gaëlle, pas possible. Déplacer le couteau, peut être qu'à deux ça fonctionnerait. Et empêcher Zoey de venir dans la cuisine...

Gaëlle remarqua la grimace de Louise a la mention du nom d'Annie et elle ressentit une douleur diffuse dans tout son corps. Qu'elle et Louise passent leur temps à se disputer était une chose, mais qu'Annie la critique, pire! la dénigre non-stop devant la femme qu'elle avait aimée, et prenne plaisir a en faire des gorges chaudes lui faisait mal. Et elle se demandait si Louise prenait encore sa défense, ou si elle avait baissé les bras. Et c'était cela, surtout qui était douloureux. 

- Oui, j'ai bon espoir que ta mère comprenne que tu as dû passer ici, et qu'elle viendra aux nouvelles tôt ou tard. 

En dépit de sa relation difficile ces derniers temps avec Louise, Gaëlle savait qu'elle pouvait compter sur sa belle-mère. De toute la famille - a part peut être son propre père - c'est surement d'elle qu'elle était le plus proche. Malgré les tensions dans leur couple, la mère de Louise n'avait jamais pris partie. Gaëlle savait que la mère de sa presque-ex compagne l'aimait beaucoup, et aimait énormément Zoey, sa petite fille. Malgré le divorce qui se profilait à l'horizon, elle savait qu'elle pourrait toujours compter sur elle pour être là pour elles deux.

- On dirait bien qu'on va rattraper toutes les séances de sport qu'on n'a jamais faites depuis des mois.

Malgré son ton léger, Gaëlle se sentait tétanisée par la peur en regardant Louise escalader les étagères de l'armoire. Sa peur atteint son paroxysme lorsqu'elle la vit se balancer, accrochée au bord de la porte du placard dans un effort pour faire remonter ses jambes. Quand enfin elle arriva sur le plan de travail et s'y allongea pour se reposer, le cœur de Gaëlle manqua un battement. Si Louise tournait de l'œil, elle ne pourrait rien faire pour l'aider! Elle se sentait plus inutile que jamais. Enfin, Louise se releva et après d'autres efforts parvint à éteindre le feu sous la casserole de sauce tomate. Il était moins-une, une odeur de brûlé commençait déjà à se répandre au-dessus de la casserole.

- Fais gaffe à la fumée, Louise, éloigne toi vite de la cuisinière! Et prends une pause avant de redescendre, tu dois être épuisée. Il faudrait pas que tu te fasses mal en voulant aller trop vite.

Gaëlle ressentait une réelle inquiétude pour Louise en imaginant les dangers qu'elle allait courir pour redescendre. Ensuite, il faudrait parer au plus urgent. Tant pis pour le couteau et le téléphone, elles n'auraient pas le temps ni la force de s'en occuper. Il valait mieux qu'elles sortent de la cuisine et essaient d'intercepter Zoey quand elle descendrait.

-  Essaye de redescendre plutôt par les tiroirs que les étagères. Aide toi des poignées de tiroir comme d'une échelle, je vais mettre un torchon en dessous pour amortir ta chute si tu tombes. Mais sois prudente, je t'en supplie! Vérifies bien que tes chaussures ne glissent pas!

Gaëlle courut vers le crochet ou était pendu un torchon, et se mit sur la pointe des pieds pour l'attraper. Une fois qu'elle en tint le bout - de justesse! - elle se mit à sauter pour le décrocher. Cela lui demanda plus d'une minute à se tordre le cou et à le tortiller avant de réussir à le faire tomber. En soufflant et en haletant, elle réussit à le tirer en dessous des tiroirs et à le replier pour lui donner plus de volume.

- Dès que tu te sens prête, Louise! lui cria-t-elle quand ce fut fait. Pourvu qu'elle ne tombe pas, ajouta-t-elle dans un murmure.

Descendre plutôt par les tiroirs que les étagères, ok, bien reçu. Louise avait regardé l'heure sur l'horloge posée sur le mur en face d'elle, c'était urgent qu'elle descende pour rejoindre Gaëlle et la petite.

Donc Louise se montra quelque peu... pressée. Elle se laissait glisser petit à petit sur les poignées. Au début tout se passa bien, plutôt bien même. Alors, tandis que son ex disposait un torchon sous sa zone d'arrivée au cas où - la confiance règne hein... Louise alla un poil plus vite. Elle n'avait pas attendu que Gaëlle finisse d'installer le torchon pour amorcer la descente.

"Je sais pas si le torchon est assez épais pour me réceptionner après une chute, mais bon, c'est toujours mieux que rien..."

Essayant de ne pas regarder en bas - ce qui était difficile quand tu devais baisser les yeux afin de repérer la prochaine prise - elle tenta de ne pas avoir le vertige. Louise n'en souffrait pas vraiment d'habitude, mais le maximum qu'on lui ai jamais demandé était de tenir debout sur une chaise. Facile. Là, toute proportion gardée, on avait l'impression d'être au dessus d'un gouffre, au bord d'une falaise.

Probablement n'importe qui se sentirait mal à cette hauteur.

Son coeur battit un peu plus fort, la tête commença à tournr. Mais elle ne pouvait pas se permettre de tomber maintenant, c'était trop haut, même avec le torchon comme nid d'accueil, elle se pèterait quelque chose. C'était certain. Alors elle se secoua la tête comme pour revenir à la réalité

Tant qu'elle était minuscule, l'hôpital était hors de question. Donc... Il fallait poser le pied là... Tenir avec les mains les bords du tiroir... Lâcher doucement... Et ainsi de suite plusieurs fois d'affilée.

... Et Louise glissa, comme on s'y attendait depuis le début.

Elle poussa un cri de surprise, puis de peur. Elle allait tomber sur ce fichu torchon. Est-ce qu'il allait remplir sa fonction ?

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Tirage du dé :

Si réussite : Louise atterrit sur le torchon et malgré une légère douleur dûe à l'impact de la chute, elle parvint à se lever sans trop de problèmes.

"Ok j'avoue, bien pensé le torchon."

Elle s'étire, et ça repart comme en l'an quarante

Si échec : Elle atterrit lourdement sur le torchon, se cognant la tête. Elle perd connaissance. Elle ne le sait pas encore mais elle a réussi à se fouler une cheville.