11 juin 2023, Dores, Écosse

Il faisait plutôt beau en ce dimanche après-midi du mois de juin. Certes, les rayons du soleil restaient encore très discrets, à l'image des  touristes qui commençaient à faire leur apparition. Nous étions encore loin de l'affluence intrusive du mois de Juillet. Nessy pouvait donc encore espérer se reposer, juste un peu, savourant cet instant de paix… De calme avant la tempête estivale qui, à coup sûr, ameuterait tous les amateurs de mythes et de légendes.

Pour ma part, je profitais de cette belle journée pour me balader sur les bords du loch, en compagnie de ma chienne, Tess. Un bel instant de liberté, pour elle comme pour moi où nous pouvions jouer aux aventurières, partant à la redécouverte de ces terres sauvages et pourtant familières… Cette terre, c'est la mienne ainsi que celle de mes ancêtres. Ma famille vit ici depuis des générations et des générations… Aucun de nous n'a jamais pu se résoudre à la quitter. Comment aurions-nous pu partir d'ici ? Impossible…

Après plusieurs heures de pérégrinations, Tess et moi prîmes une pause bien méritée sur une berge isolée du loch. D'ici quelque semaines, l'endroit serait bondé de monde, mais pour l'heure, il n'appartenait encore qu'à nous.

–Tiens ma belle, dis-je à ma chienne avant de lui tendre un morceau de fromage. Du cheddar, ton préféré.

La petite louve ne se fit pas prier et vint doucement saisir le morceau de fromage couleur d'automne. Tess, c'était une petite sheltie au beau pelage tricolore. Elle m'accompagnait depuis déjà quatre ans bien qu'elle fut âgée de six. Je l'avais trouvé devant chez moi, un soir de pluie. Elle semblait perdue et affamée… Je l'ai faite rentrer chez moi, simplement pour lui offrir un abri le temps de retrouver son propriétaire..  Mais personne ne s'est jamais manifesté. Depuis ce jour, nous étions inséparables Tess et moi, pour mon plus grand bonheur.

Je jetais un œil à mon téléphone, même si je savais pertinemment que le réseau ne passait pas ici. Je n'attendais pas d'appel et n'étais nullement intéressée par l'heure… Il s'agissait là d'un geste purement mécanique dont il était difficile de me défaire… Autrefois, je travaillais pour un cabinet d'avocats. N'imaginez rien d'exceptionnel, je n'étais qu'une simple assistante juridique parmi d'autres. Cette vie, je l'ai envoyée balader en même temps que Kelvin, mon ex petit ami ainsi que notre bel appartement du centre ville. J'ai quitté Inverness pour m'installer à Dores, petit village situé à dix kilomètres à peine de la capitale des Highlands où j'ai ouvert un café librairie. Personne n'a cru à la viabilité de mon projet. Qui viendrait jusqu'à Dores pour boire un café ou acheter un livre après tout ? Et bien, apparemment, tous les amoureux du calme en bord de Loch. Mon affaire fonctionnait même si bien que j'ai rapidement dû embaucher du personnel…

J'aimais ma nouvelle vie. J'aimais cette paix intérieure, si douce et chaleureuse que mon sourire ne quittait jamais mes lèvres… Et pourtant… Tout a basculé.

La pluie s'était abattue en fin d'après midi sur les Highlands. Le drap de laine qui me servait de kilt était rabattu sur ma tête mais cela ne servait finalement à rien face à ce qui tombait. Je soufflais, l'air forma un nuage devant ma bouche alors que mes yeux tentait de percer la brume pour déceler le moindre signe des anglais. Ces fils de chiens préférait se la jouer discret. Mais on avait l'avantage du terrain. Sauf ici, en terres inconnues pour le moment. J'étais bien loin du domaine familiale, pour une mission. Mais se balader devenait dangereux et ma tête était toujours mise à prix.

Jusqu'à ce que j'entende d'autres chevaux hennir derrière nous. Tournant la tête, je manque de me prendre une balle de mousquet et donna l'ordre à ma monture de partir au galop. Le tissu quitta ma tête, gonflé par le vent, recouvrant la croupe de l'équidé dévoilant ma tignasse rousse, facilement reconnaissable, même dans la brume. C'est le chaos total. Je suis le dernier dans la course. Mais je sais que je suis le plus gros poisson. Aussi, au dernier moment, je décide de prendre un chemin vers la droite. J'entends qu'on crie, mais je ne relève pas, la détermination est dans mes yeux. Je préfère mourir ici, en héros, plutôt que de laisser ces hommes tuer ma famille. La route devient vite escarpée, et semble descendre. Je continue ma course, évitant un autre tir. Les sabots entrechoquent les cailloux et s'emmêlent dedans. Je tombe, voyant ma chute, je réussis à me protéger suffisamment pour épargner ma vie dans la chute. Mais pas mon épaule. Je siffle de douleur, alors que je sens que mon épaule est complètement cassée. Je me relève, et continue ma route, laissant mon cheval derrière moi.

Honnêtement, je ne savais pas où j'étais. Mais pour le moment, je devais échapper à ces anglais. A travers la forêt, qui se trouvais en flans de montagne, j'aperçus alors une petite clairière et des rochers. Je me dirige vers le lieux, espérant y trouver une cachette. Je fus surpris de trouver des dolmens, qui semblaient être oubliés de tous. C'est là que je me tournais, et m'appuya sur l'une d'elle, me laissant glisser contre elle, mon épaule douloureuse et ferme les yeux un instant.

Quand je me réveille, le temps a complètement changé. Plus de pluie, plus de brume. Ni même de forêt. Les abords d'un lac mais les dolmens sont toujours bien présents. Je ne comprends pas ce qui se passe. J'observe tout à côté de moi. Je me redressais mais mon bras ballants et inutile n'aidait en rien. Je marchais alors vers le lac. Si je pouvais trouver un village, je pourrais demander un médecin et me faire soigner.

C'est là qu'un chien se dirigea vers moi, courant à vive allure. J'observais l'animal. Il semblait en parfaite santé. Les poils longs et colorés ne passait pas inaperçu. Je m'accroupis pour être à niveau de l'animal qui renifla mes mains puis mon visage avant de repartir d'où il venait en aboyant. Si il y avait un chien comme ça, si bien entretenu, c'est que son maitre n'était pas très loin. Peut être pourra-t-il me montrer la direction du village et d'un ... Qu'est ce que c'est que ça ?

J'avais marché dans ma réflexion, dans la direction que l'animal avait prit. Jusqu'à ce que je tombe sur une jeune femme, accoutrée vraiment très étrangement. Et SURTOUT en pantalon. Je fronçais les sourcils, me tenant mon épaule fracturée, alors que je me dirigeais vers la femme accoutrée étrangement.

11 juin 2023, Dores, Écosse

–Tess ! Appelais-je d'une voix qui se faisait de plus inquiète.

Nous étions confortablement installées près de l'eau. Tess, allongée sur le dos, savourait les gratouilles que je lui offrais, sur le thorax, ses préférées. Et, d'un coup, d'un seul, elle était partie en courant et en aboyant bizarrement. Je l'avais rappelé, évidemment… Mais elle n'était pas revenue. Pourtant, elle a toujours eu un excellent rappel. Je l'ai sifflé plusieurs fois. J'ai crié son nom tout en essayant de la suivre… C'est que ça court vite un chien… Puis, finalement, au bout de plusieurs minutes, je la vis revenir… Et derrière elle, un homme en kilt… Mais pas les kilt que certains portent encore aujourd'hui, je parle de ces anciens kilt très épais.

L'homme me dévisageait étrangement, un peu comme si… je le dégoûtait. Il me semblait perdu et vu son état et la crasse qu'il affichait, il devait l'être. Il se tenait l'épaule et je réalisais alors qu'il était blessé … Honnêtement, il me faisait sacrément peur ce type.

– Euh… Bonjour… bafouillais-je. Seriez-vous perdu ? Êtes-vous blessé ?

J'observais la jeune femme, alors que je me rendis compte que le chien se dirigeais vers elle. Etait elle la propriétaire ? Je ne savais pas quoi répondre, quoi dire. Et son anglais était vraiment très bizarre, différent de ce qu'il pouvait entendre dans les Highlands et même de la part des anglais. Mais heureusement c'était assez similaires pour qu'il puisse comprendre le sens. Elle lui avait demandé si il s'était perdu. Et si il s'était blessé.

« Aye, j'aurais besoin d'un médecin. »

Il était incapable de bouger son bras. Il observa les vêtements étranges de la femme. Elle semblait seule et jeune. Bien qu'il ai reçu une éducation écossaise, il savait que se balader seule pour une femme pourrait être dangereux.

« Conduisez moi à la ville la plus proche. Les anglais patrouillent par ici. On peut tomber dans une embuscade. »

Il observa la jeune femme, interrogatif en espérant qu'elle accède à sa requête. Il ne reconnaissait pas l'endroit où il se trouvait et pourtant tout lui semblait familier. Etait ce la douleur qui le faisait halluciner ?

Étrangement, je semblait être la seule à me sentir décontenancée devant cet inconnu. Tess se contentait de le renifler tout en remuant la queue un peu… un peu comme si elle venait de retrouver un vieux copain. Pour ma part, ce type-là ne me disait rien du tout. Je ne l'avais jamais vu, sinon… honnêtement, je m'en serais forcément souvenu avec sa tignasse rousse et ses yeux… Bref, je divague. L'espace d'un instant, je supposais qu'il faisait partie du groupe de passionnés qui s'amusait à reproduire certaines batailles pour amuser les touristes. Après tout, nous nous trouvions sur des terres historiques… Mais dans ce cas, pourquoi serait-il seul ici ? Pourquoi était-il trempé ? Pourquoi était-il blessé ? Et pourquoi s'exprimait-il ainsi ? Je sais bien que les acteurs aiment rester dans leur rôle entre les prises pour ne pas perdre le fil… sauf que là, il demandait à voir un médecin, pas un metteur en scène.

– Je peux vous conduire à l'hôpital mais, ma voiture est garée à plusieurs kilomètres. Pourriez-vous marcher aussi longtemps ? lui demandais-je, réellement intimidée.

De toute façon, nous n'avions pas d'autres choix. Il fallait absolument nous rapprocher de la route si nous voulions, au moins, croiser quelqu'un qui pourrait l'aider avant que nous puissions parvenir jusqu'à ma voiture.

– C'est par ici, lui dis-je tout en l'invitant à me suivre.

L'espace d'un instant, j'envisageais de lui proposer à boire ou à manger, mais je me souvins que ce n'était pas recommandé. Après tout, l'homme pouvait avoir à subir une anesthésie… Non ? … Si ?

– Dites, vous venez d'où au juste ? lui demandais-je tout en marchant. Quelle bataille êtes vous en train de préparer ?Y'a plus vraiment d'anglais en patrouilles dans le coin… Plus depuis des siècles du moins, pouffais-je gentiment. Je ne vous ai pas demandé votre nom. Voulez-vous que je contacte l'un de vos proche ? J'ai mon téléphone sur moi… Bon, il n'y a pas trop de réseau par ici, mais près de la route, ça passe très bien…

Oui, quand je suis stressée, je parle beaucoup…Trop.

Je fixais la jeune femme. Je lui avais demandé de l'aide. Mais elle me parla de... voiture ? Cela ressemblait à un moyen de locomotion. Peut être était ce le nom que l'on donnait ici aux calèches ? Elle me fixait, alors que son chien me reniflait les jambes sous toutes les coutures. Mais je commençais à m'agacer. Mon épaule me faisait mal et je n'avais aucune envie de traîner ici.

« Marcher n'est pas un problème. J'ai l'épaule blessée, pas les jambes. »

Elle m'indiqua après un temps la direction, m'invitant à la suivre. Je lui emboitais le pas. Et sur le trajet, elle prit la parole, me posant énormément de questions. Et je ne comprenais rien à son charabia. Réseau ? Téléphone ? Qu'était ce ces choses ? Je me demandais sur l'instant si elle n'était pas une espionne des anglais. Mais je réalisais que cela ne pouvait pas être possible. Pour la simple et bonne raison qu'elle ne ressemblait pas à une anglaise avec son accoutrement étrange et les mots employés étaient différents de ceux que les anglais utilisaient. Après un silence, je finis par lui répondre.

« Je suis James Alexander Malcolm MacKenzie Fraser. Je suis originaire de Lallybroch en Ecosse. Et détrompez vous, les anglais sillonnent ces higlands. Il serait imprudent de prendre une route pour aller à la ville. »

Je fixais tout autour de moi mais je ne reconnaissais rien et cela me frustrait de plus en plus. Pourtant, l'Ecosse était ma patrie, mon pays. Mais c'est comme si tout avait changé tout en restant terriblement familier.

« Je dois d'abord soigner mon épaule. Il doit y avoir un coursier en ville, je lui demanderai de transmettre un message à Lallybroch pour prendre des nouvelles. »

J'imaginais que c'était de ça dont elle parlait avec son ... réseau ?

Tout en progressant, j'écoutais ses présentations et le semblant d'explication qui allaient avec. Un nom à rallonge, le genre que plus personne n'employait de nos jours… Le nom d'un château dont je n'avais jamais entendu parler et qui se situait… en Écosse. Mais que racontait-il au juste ? Nous étions précisément en Écosse, dans les Highlands… et encore cette histoire étrange à propos des anglais…

– Dites, êtes-vous sûr de ne pas avoir pris de coup sûr la tête ? lui demandais-je après m'être brutalement retournée.

Il était certes bien plus grand que moi, mais je me trouvais sur une bute. Ainsi, mes yeux et les siens se faisaient face, ce qui me permit d'observer ses pupilles de plus près. Mais ces dernières étaient d'une taille et d'une réactivité tout à fait normales… Ce qui indiquait qu'il n'avait certainement pas consommé de stupéfiants et qu'il ne souffrait pas d'une commotion cérébrale… Enfin, c'était là ce que j'avais pu lire dans un livre…

Une question presque aussi étrange que cette situation me vint alors à l'esprit… Elle me semblait tout particulièrement stupide et, pourtant, elle me brûlait les lèvres.

– En quelle année pensez-vous être, exactement? lui demandais-je très sérieusement avant d'ajouter. Nous sommes bien en Écosse, non loin d'Inverness… Mais cela fait plus de trois-cent ans que la guerre avec l'Angleterre est terminée et que le pays est rattaché à la Grande Bretagne. Nous sommes en 2023 et nous ne sommes plus en temps de guerre depuis des lustres…

Waouh… Je me sentais incroyablement ridicule." Lynn, ma fille, tu lis beaucoup trop de livres…"

Tess se mit à aboyer joyeusement. Visiblement, pour elle, la promenade avait été suffisamment longue. Je ne sais toujours pas pourquoi mais c'est à ce moment-là que je décidais de sortir mon téléphone. Le réseau ne passait toujours pas mais cela constituait une preuve de ce que j'avançais même si… Bon sang, c'était totalement ridicule.