L’été, une saison que Hannah n’avait jamais su apprécier, parce qu’il faisait souvent trop chaud, que ça attirait les moustiques et les guêpes et que ça rendait les encore plus cons qu’ils ne l’étaient déjà. Enfin, pas tout le monde évidemment, mais disons que certaines personnes au cerveau déjà bien ramollis le voyait devenir tout simplement liquide durant les grosses chaleurs. Pour autant ça n’avait jamais empêchait la rouquine de profiter de la vie comme la jeune femme d’une vingtaine d’années qu’elle était, avec un atout en plus, celui d’avoir une carte de crédit sans plafond grâce à papa et maman. En effet, sa famille n'avait jamais eu à se plaindre de problèmes d'argent, ses aïeuls ayant su construire un glorieux empire financier et la descendance avait su la faire fructifier. Ce qui n’était pas toujours aisé, cela va sans dire. Toujours est-il que Nana de son petit surnom, jouissait d’un cadre de vie idyllique comme le reste de ses frères et sœurs, elle était à mille lieux des soucis des petites gens devant se serrer la ceinture pour ne pas couler. Ô bien sûr, la belle avait bien des soucis, mais beaucoup moins anxiogène, voir même vitale que les personnes des classes moyennes, voire basses. Bref, Hannah c’était une princesse dans sa bulle en or blanc incrustée de diamants et il y avait peu de chance qu’on la voit un jour en sortir…

En ce début de matinée du mois d'août, une chaleur écrasante régnait sur la grande pomme. Le genre de chaleur qui donnait envie de rester chez soi avec un cocktail frais dans la main, les doigts de pieds en éventail pendant que la clim faisait son job. Pourtant, Hannah et ses amies étaient plutôt de sortie pour une petite séance de shopping, enfin petite non pas vraiment, en général le groupe de donzelles en ressortait avec une bonne dizaine de sacs. Autant dire qu’après une activité aussi intense physiquement que mentalement, ce n’est pas donné à tous de savoir coordonner comme il se doit un jeans avec un petit haut d’été, elles avaient toutes envie de se rafraîchir. Quoi de mieux pour cela que la piscine, et pas la piscine privée non ce n’est pas assez drôle ! C’est plus sympa d’aller à celle tout public pour se la péter avec le dernier maillot de bain de luxe, que personne dans le petit ou le grand bain ne pourra se payer sauf si machin ou truc souhaite ne pas manger ou payer ses factures ce mois-ci. Un p’tit jeu auquel Nana n’aimait pas trop s’adonner, malgré tout elle avait suivi ses amies parce que de un elle avait envie d’aller à la piscine et de deux, même si une ou deux sont parfois garce sur les bords, bah elle les apprécie quand même. Donc, la rousse et son maillot deux pièces Dior à plus de mille cinq cent dollars se dirigeaient tranquillement vers le pédiluve après la douche réglementaire, quand patatra, un type s’étale de tout son long après avoir glissé.

— Vous vous êtes fait mal ? demande Hannah pendant que ses potes se marrent de la scène.

Lui souriant gentiment, la jolie rousse fait quelques pas et commence à se baisser pour venir en aide à ce type qui pataugent dans la flotte du pédiluve, à savoir un truc qui se rapproche du jus de pieds. Cependant le pauvre bougre se relève sans rien dire et s’éloigne sans plus de cérémonie.

— Tu pourrais lui dire merci au moins, connard ! beugle une de ses amies.
— Quel trouduc ! Renchérit une autre.
— C’est pas grave, il aime peut-être pas qu’on l’aide, suppose Hannah en haussant document les épaules. Y a pas mort d’hommes.

Après un dernier coup d'œil à l’homme qui s’éloigne, Hannah suit ses amies qui sont déjà passées à autre chose, autant faire la même chose, ce n’est pas comme si elle allait le revoir.

J’avais la tête complètement ailleurs !
Avec cette chaleur, la journée de travail avait été crevante en plus d’être barbante. En bon petit technicien informatique tout ce qu’il y a de plus banal, j’avais passé la journée à tirer des câbles dans un étage sans clim afin de refaire le réseau à neuf. Tout l’étage avait été racheté par une holding qui allait ensuite le louer à un cabinet d’avocat, de fait, l’entièreté de ce trente-huitième étage était en réfection.

Mon job n’étant pas considéré comme physique, en opposition aux maçons et autres carreleurs, mon patron m’avait imposé d’avancer sur le chantier. “En plus, t’auras personne pour t’emmerder !” avait-il avancé comme argument.

Le boulot fait et, ayant passé la journée à suer en râlant contre mon employeur, j’étais passé par mon petit trois pièces pour poser mes affaires en vue d’aller piquer une tête à la piscine publique. J’avais pris une douche chez-moi, ce qui n’était pas un luxe, mais la fournaise du métro en effaçait bien vite les bénéfices.

C’est donc la tête en ébullition de cette journée que je passais aux vestiaires pour enfiler mon boxer de bain d’une grande marque de prêt-à-porter soldé à quinze dollars, avant de me diriger vers les douches. Complètement absorbé par l’angoisse de revivre la même journée le lendemain, je ne prêtais pas attention aux panneaux.
New-York, la ville dans laquelle l’on porte plainte contre vous pour un café latté sans lait et moi, je rentre dans les douches des femmes…

Oh ! Merde ! M’exclamais-je en me rendant compte de mon étourderie avant de tourner les talons dans le pédiluve. Aaah ! Laissais-je échapper lorsque mon pied droit glissa sur quelque chose qui m’envoyait immédiatement me vautrer comme un sac dans le minuscule bassin tout sauf hygiénique.
J’étais dévoré par la honte en entendant différents gloussements, ne pouvant même pas apprécier le charme de la seule qui s’inquiétait de ma condition.
Je lui lançais un regard honteux avant de me relever et de filer au bon endroit, désireux autant me soustraire à ce troupeau de pestes que de me laver à grandes eaux de ce sirop pédestre.

A l’issue d’une douche de quinze minutes et de trois savonnages, armé de mon bonnet de bain et de mes lunettes, j’avais nagé un long moment. Cela me détendait et me vidait l’esprit. Je ne suis pas spécialement un grand sportif, mais je suis un bon nageur et je fais un peu de footing, cela permet de garder la forme et d’entretenir ma musculature suffisamment athlétique à mon goût.
Une nouvelle douche et me voici de retour dans le métro.

Plongé dans un polar, j’étais comme n’importe quel quidam dans ce train, ne prêtant pas vraiment attention à ce qu’il se passait.
Cette fois-ci, pourtant, la rame allait décider de changer mes habitudes.

Un brusque coup de frein fit pencher tout le monde vers l’avant pour ensuite renvoyer tout le monde vers l’arrière.
Sauf que quelqu’un, maladresse probablement, se retrouva propulsé sur mes genoux avant que de longs cheveux roux ne me fouettent le visage.

Que ! Vous ? Demandais-je, surpris de reconnaitre la jeune femme de la piscine. J’allais détailler brièvement son visage lorsque nous fûmes plongés dans le noir, seuls les boitiers de sécurité demeurant alimentés.

Allons bon ! Marmonnais-je, la demoiselle toujours sur mes jambes. Ne sachant que faire de mes mains, je les posais sur ma tête afin de ne surtout pas la toucher. Encore les climatiseurs du centre commercial… Ca va vite revenir, ils font une décharge, c’est tout. Précisais-je tranquillement, comme si cela intéressait quelqu’un.
En vérité, cela me permettait surtout de ne pas penser à la femme que j’avais sur moi…

En dehors du petit incident du pédiluve, ça avait un côté mignon comme appellation, si tenté qu’on puisse qualifier le pédiluve et toutes les bactéries et champignons y vivant de mignons, le moment piscine c’était bien déroulé. Ses amies avaient bien ou craner avec leur nouveau maillot, mais surtout le groupe de filles avait bien rigolé et c’était bien dépensé. De sorte qu’en sortant de la piscine, un petit goûter s'était imposé pour caler l’estomac et tenir juste ce qu’il fallait jusqu’au dîner. C’est sur cette pause gourmande que les filles prennent des routes différentes après un petit câlin de groupe. Hannah ne rentra pas tout de suite chez elle, non, elle devait aller chercher un livre commandé à une librairie spécialisée du coin et pas n’importe quel livre, puisqu’il s’agissait d’un ouvrage sur la décoration d’intérieur. Autant dire qu’elle allait planquer ça avant de rentrer chez elle, pour ses parents cette “lubie” ne devait pas la détourner de ce qui est important, moins elle y consacrait de temps, plus elle en avait pour ses études en business international. Heureusement, Nana était en vacances et pouvait justement prendre le temps, dans le plus grand secret, de se consacrer à sa lubie, dieu qu’elle déteste ce mot.

Son livre caché dans ses emplettes du jour, la jolie rousse rejoint la bouche de métro la plus proche pour rentrer dans l’Upper East Side, pas besoin d’appeler le chauffeur de la famille, elle ira plus vite en transport en commun, d’autant qu’elle n’est pas loin. Son casque sur les oreilles et plongée dans ses pensées, Hannah monte comme beaucoup d’autres personnes dans la rame du train devant l'amener à bon port. Cependant, en vue de la troisième station deux choses se passent. La première étant qu’une notification provenant de son portable l’oblige à retirer sa main du poteau pour se maintenir debout, dans l’optique de récupérer son smartphone. La seconde étant un brusque coup de frein du métro, rien de bien étrange dans le fond, ça arrive parfois. Mais si on secoue ces deux choses, ça donne une rouquine qui bascule en arrière et qui se retrouve sur les genoux d’un pauvre usager qui n’avait rien demandé. Quand l’homme lui adresse la parole, elle le reconnaît instantanément, il faut dire qu’il avait fait forte impression.

— Oh ! Vous êtes l’homme du pédiluve, dit-elle presque joyeusement.

“L’homme du pédiluve”, on dirait le début d’une histoire, type légende urbaine débile qui doit faire sois disant peur. Tout un programme. Puis soudain, plus de lumière et la rame qui ne repart pas du coup, c’est ballot, même si ce serait dangereux de conduire dans le noir de toute façon.

— Une décharge ? C’est quoi au juste ? Demande la rousse en entendant la précision de l’homme.

Ouais, elle tape discute à un type quasi inconnu, si on excepte le bref face à face à la piscine, en étant assise sur ses genoux. Ou il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir paraît-il. D’ailleurs, maintenant qu’elle pense à la piscine…

— Vous vous êtes pas fait trop mal ? A la piscine ? Précise la demoiselle. Vous êtes partis si vite, je n'ai pas pu vous demander.

“L’homme du pédiluve” était devenu mon identité lorsque la jeune femme m’avait reconnue.
Identité dévoilée à voix haute juste avant que la lumière ne s’éteigne, les grognements d’exaspération alors brièvement précédés de quelques ricanements.
Le noir se fit sur cette question énigmatique pour tous les occupants de la rame et m’offrit la possibilité d’étaler mes connaissances du réseau métropolitain de la grosse pomme.

C’est bien moi, oui, mais si pouviez éviter de divulguer mon identité secrète, ce serait bien ! Dis-je en laissant échapper un léger rire.

Je m’étais attendu à ce qu’elle se relève en vitesse, mais la rouquine avait visiblement élu domicile sur mes jambes. Elle semblait bien installée et me questionnait sur la “décharge” avant de me demander si je m’étais fait mal en tomber, un peu plus tôt.
Les mains toujours sur la tête, je répondais un peu gêné par la situation.

Lorsque beaucoup de gros appareils électriques fonctionnent en même temps sur un secteur, les clim du centre commercial à cet endroit, cela génère une forte concentration magnétique sur les câbles. Un peu comme des résidus de courants si vous voulez. Ils s’accumulent dans les câbles et entrain des surchauffes. La décharge, c’est lorsque l’on coupe une partie du circuit pour libérer l’infrastructure de ce trop-plein en le poussant à prendre le câble qui va à la terre. C’est une courte opération, mais ce qui prend du temps, dans notre cas, c’est le redémarrage du réseau après cela.

Après ma séance de natation, je commençais à souffrir de garder les bras en l’air, surtout que j’avais tiré pas mal de câbles dans la journée.

Quant à ma chute, non, j’ai surtout eu mal à mon égo… Merci de vous être inquiété pour moi d’ailleurs, même si je me suis sauvé comme un voleur.

La situation était plus qu’étrange. Je sentais son poids sur mes jambes, ses fesses sur mes cuisses, son visage tout près du mien, son odeur qui me chatouillait les narines… Mentalement, l’image imparfaite de son visage essayait de s’imposer à moi lorsque la lumière revient.

Ah ! C’est mieux, on progresse !

Imaginant qu’elle allait se relever, je gardais toujours les mains sur la tête, ce qui devait me donner l’air parfaitement ridicule. Qu’à cela ne tienne, je profitais de quelques secondes pour détailler son visage.
Un peu plus jeune que moi, une belle chevelure rousse, elle était tout simplement belle. La chaleur qui émanait d’elle m’irradiait le corps et, pour la première fois, je n’avais pas envie qu’elle se lève.

Je descends dans deux stations, je peux vous inviter boire un café ?

C’est le chlore qui me fait oser ? Fichtre !

Maintenant qu’elle y pense, “l’homme du pédiluve”, ce n’est pas très flatteur, même si sur le coup c’est venu assez naturellement à la jeune femme. Cependant, il est vrai que comparer cet homme à un petit bassin ou macére du jus de pied, on a déjà vu plus sexy. Fort heureusement son inconnu ne prend pas mal sa façon de le nommer, mieux encore, il prend plutôt cela à la rigolade. C’est signe qu’il a de l’autodérision, non ? Hannah esquisse donc un sourire, avant de rire doucement pour lui montrer qu’elle trouve sa répartie amusante. Le wagon étant plongé dans le noir, impossible pour lui de voir sa frimousse.

— Peut-être que vous devriez d’identité secrète, suggère la demoiselle. Je l’ai quand même trouvée bien facilement, après, il est vrai que vous m’avez fourni un gros indice.

Hannah rit plus joyeusement, avant de lui demander plus de détails sur cette histoire de décharge, plutôt curieuse, elle aimerait bien comprendre ce qu’il voulait dire par là. L’écoutant avec attention, la rousse se fait la réflexion que soit il s’y connait vraiment, soit c’est un sacré menteur. Cependant, elle penche d’instinct sur la première option. Elle trouve que ses explications sont bien trop visuelles pour être un mensonge, ou alors, elle est juste trop bonne spectatrice.

— Honnêtement, je n’ai pas tout compris mais je crois avoir saisi le principal. Vous êtes électricien ou quelque chose du genre ?

Encore une question, mademoiselle Brown est bien trop curieuse. Ce qui se confirme d’ailleurs lorsqu'elle lui pose une troisième interrogation, mais cette fois dans le but de savoir si oui ou non il s’était fait mal à la piscine.

— Il paraît que le ridicule ne tue pas et que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, je suis sûr que votre égo va s’en remettre, répond la rouquine toujours armé de son grand sourire. Ne me remerciez pas et ne vous en faites pas, beaucoup de personnes auraient réagi comme vous.

Finalement, la lumière revint enfin, ce qui voulait dire que le train allait sûrement pouvoir reprendre sa course et l’emmener à bon port. Et sûrement que l’homme serait soulagé de ne plus devoir subir un interrogatoire en règle de sa part. Quand il reprend la parole, Nana tourne la tête vers lui pour découvrir son visage, le premier truc qui la frappe en premier c’est la couleur de ses yeux, un joli bleu. Dans un second temps, s’il n’est pas un canon de beauté comme on peut voir dans les magazines, il n’en reste pas moins qu’il a beaucoup de charme et parfois le charme est beaucoup plus appréciable et ça vieillit mieux qu’une bombe sexuelle. La troisième chose, c’est qu'il lui fait l'effet d’un nounours qu’on a envie de câliner, elle ne sait pas d'où ça lui vient, mais ça fait naître un grand sourire sur son visage. Sans doute qu’elle devrait arrêter, il va croire qu’elle se paie sa trogne.

— Un café ? Répète- t-elle non sans surprise face à la proposition. Le problème c’est que je n’aime pas le café.

Hannah descend finalement des genoux de son inconnu, ou elle semblé avoir élu domicile, ce qu’elle aurait dû faire dès le départ en vérité. On n’a pas idée de rester assise sur un homme qu’on ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam.

— Mais un milk-shake je veux bien, reprend la jolie rousse tout en ramassant ses affaires. Je descend à la prochaine station, ça vous va ?

L’homme du métro ? Cela peut être bien comme identité secrète, vous pensez ?

Même une fois dans le noir, elle n’avait pas cessé de rire et de plaisanter, à part pour écouter mes explications. Si c’était agréable, le fait qu’elle soit perchée sur mes genoux demeurait perturbant.
Pas désagréable, mais perturbant.

Technicien dans l’informatique, mais j’aime bidouiller alors, je me suis aussi formé à l’électricité. Précisais-je.

Elle enchainait en affirmant que mon égo ne devait pas souffrir bien longtemps et que ma cascade pouvait bien arriver à n’importe qui. Finalement, elle me dit ne pas avoir mal prit ma réaction, estimant que de nombreuses personnes auraient agi de la sorte.

Probablement, oui. Mais ce n’est pas une façon très sympa de montrer sa gratitude. Riais-je.

La lumière fut alors de retour et, ayant le même réflexe que moi, nos regards se croisèrent alors que nous détaillons tous deux le visage de l’autre. Son joli minois en plus du fait qu’elle ne semblait pas vouloir bouger de son perchoir commençait à faire naître en moi une légère attirance pour cette jeune femme. Je passais, in fine, un moment aussi improbable que sympathique et n’avais pas plus que cela envie que cela s’arrête.
Elle était le premier truc chouette de cette foutue journée et je voulais avoir l’occasion de ne pas la voir disparaitre dans les méandres tentaculaires de la City.

Elle ne cacha pas sa surprise quant à mon invitation, annonçant cependant qu’elle n’aimait pas le café. Elle se relevait alors que la rame s’ébranlait et je me levais à mon tour, baissant enfin les bras tandis qu’elle me demandait si une autre boisson était possible.
Je lui servais un sourire amusé et un brin taquin.

J’ai proposé un café de la même manière que j’aurai pu proposer une bière, un soda ou une vodka. C’était surtout histoire de ne pas vous inviter à “boire un truc”, je n’aime pas cette formulation. Peu importe ce que vous buvez au final. Et la prochaine station, c’est parfait !

Après être enfin sortie du métro, nous avons pris place dans la salle climatisée d’un pub que je connais bien. A l’étage, il y avait une série de petits box qui offraient un peu d’intimité aux personnes et c’était exactement ce que je visais.
Je commandais finalement une bière bien fraiche avant de, moi aussi, poser quelques questions.

Alors, je peux vous appeler la Rouquine, mais vous préférez peut-être que je vous appelle par votre prénom ? Moi, c’est Franck.

Les mains jointes sur la table devant moi, je lui lançais un sourire.

D’ailleurs, nous pouvons peut-être nous tutoyer non ?

— Honnêtement, je trouve que ça fait un peu pervers, comme un rôdeur ou quelque chose du genre, en revanche le sauveur du métro, c’est bien plus engageant.

Par là, elle faisait référence à son atterrissage sur ses genoux, alors qu’elle était complètement partie en arrière quand l’engin avait freiné. D’autant plus qu’il aurait pu lui dire de dégager de là, ce que beaucoup aurait fait, mais pas lui, ce qui peut sembler étrange en vérité. Cependant, il n’avait rien tenté et elle n’avait sentie aucune protubérance suspecte, globalement et aussi candide que ça puisse être sa voix lui inspirait confiance.

— Et vous aimez bien l'informatique et bidouiller des trucs ?

Les personnes vivant de leur passion ou aimant leur travail ça l’avait toujours fasciné et ça la rendait aussi envieuse, parce que ce n’est pas quelque chose qui lui risquait de lui arriver en étudiant le business à l’international. Toujours est-il que Nana haussa doucement les épaules, franchement, elle avait vu pire que ça en termes de démonstration de gratitude, alors qu’il ait pris la fuite de l’avait pas irritée.

— Rassurez-vous, vous venez parfaitement de vous rattraper avec cette seconde rencontre, vous m’avez sauvé la vie, conclut joyeusement la rousse.

Bien vite, Hannah put mettre un visage sur son sauveur et elle remarqua avec amusement qu’ils se regardaient en silence, mais sans gêne aucune. En tout cas, de son côté, elle ne ressentait pas d'embarras à observer les traits de son via-a-vis ou les détails qu’elle notait ici et là, elle prenait même à certains plaisir à le découvrir. Pour autant, elle n’alla pas plus dans son observation, car de un elle venait de recevoir une invitation aussi surprenante que plaisante et de deux, il était plus que temps qu’elle quitte le confort des genoux de son inconnu. C’était d’ailleurs étrange que Nana ait pu trouver les genoux d’un quasi inconnu si agréable…

La réponse de l’homme à sa propre réponse lui fait se rendre compte qu’elle s’est montrée beaucoup trop sérieuse alors qu’au contraire, elle voulait faire de l’humour en disant ne pas aimer le café. Pour autant, loin de se démonter, il lui offrit en même temps que sa réponse un sourire amusé et un chouia taquin.

— Oui, oui j’avais compris, c’est juste que…

Hannah fait un peu la moue, cherchant comment s'exprimer correctement.

— J’ai tenté de faire de l’humour en disant que je n'aimais pas le café, mais j’avais saisi que vous vouliez m’inviter à boire une boisson ou une autre. Mon humour est incompris, c’est drôlement triste.

Une fois sortie de la rame du métro, elle se retrouve en compagnie de son inconnu dans ce pub, le genre d’endroit qu’elle n’a pas l’habitude de fréquenter de sorte qu'elle regarde vraiment partout pour s'imprégner de l’ambiance. Commandant son milkshake à la fraise, ce fût au tour de son sauveur de lui poser quelques questions.

— Enchantée Franck moi c’est Hannah, et vous…enfin tu peux, corrigea t-elle en riant. M’appeler aussi Nana, ou la Rouquine si tu préfères.

Leur commande arriva bien vite, il faut dire qu’il était encore tôt pour que les pubs et autres lieux nocturnes se retrouvent bondés de monde.

— Tu invites souvent à boire des jeunes femmes qui sont tombées sur tes genoux ? Qu’elle questionne avec humour.

Alors, c’est demandé sur le ton de la plaisanterie, cependant c’est aussi une façon comme une autre de voir quel genre d’homme est Franck. Est-il du genre dragueur invétéré ? Ou cette invitation avait-elle été donnée sous une impulsion sincère ? Si elle découvre qu’il est dans le premier cas, elle ne donnera jamais suite, dans le second cas, tout dépendra comment ce moment dans le pub va se dérouler.

J’étais donc devenu Franck, le sauveur du métro new-yorkais. Riant à cette farce, je notais cette anecdote et ses circonstances dans mon crâne.
Finalement, je précisais que, si j’étais passionné d’informatique, mon métier était essentiellement alimentaire. Souriante, elle m’assurait que j’avais corrigé ma fuite impolie du pédiluve en la sauvant cette fois.

Je me sentais gêné lorsqu’elle clarifia qu’elle avait cherché à faire de l’humour en avouant ne pas aimer le café.

Oh ! Désolé ! Je… Au moins, vous savez faire dans l’autodérision, c’est bien ! Tentais-je médiocrement de relever.

C’est donc ainsi que nous avions pris place au pub, dans une alcôve tranquille et que j’avais engagé la conversation avec mes propres questions. Hannah, donc, acceptait de laisser tomber ce vouvoiement pompeux, même si elle a eu un loupé de prime abord.
Me voulant taquin, sans trop savoir pourquoi, je lui fis un grand sourire.

Je peux t’appeler Nana la Rouquine aussi ! Mais il est hors de question de m’appeler Francky-Bidouille ! M’esclaffais-je ! Hannah, ce sera très bien ! Décidais-je alors que nos boissons arrivaient. Je laissais le serveur repartir avec un billet de dix, lui lançant empocher les deux dollars vingt-cinq de trop.
Alors que j’allais lui proposer une ânerie, elle me déstabilisa avec une question aussi directe que pertinente et aussi gênante qu’imprévue.

S’offrait alors à moi deux possibilités, faire de l’humour en paraissant sûr de moi ou bien avouer qu’une petite attirance m’avait poussé à franchir le pas.
Mon cerveau ne cherchant pas à établir de stratégie, mais plutôt à ne pas rester silencieux, je lançais la première chose qui me vient en tête.

Seulement lorsqu’elle y reste assez longtemps pour que je puisse inviter ! En général, elles se relèvent bien vite !

Je bus une gorgée de bière avant de lui retourner la politesse.

Et toi, tu restes souvent assise sur les genoux des hommes sur qui tu tombes ?

Un métier alimentaire, voilà qui était un concept totalement inconnu pour Hannah, il faut dire qu’avec sa condition de petite princesse elle n’avait pas à penser à ce genre de chose. Au contraire de Franck pour qui c’était loin d’être un concept, mais une réalité bien vive, la jeune femme se demandait d’ailleurs si l’homme le vivait bien, cependant, la question était hyper intrusive. Elle se garda donc de lui demander quoi que ce soit.

— Visiblement nous avons un point commun, nous sommes doués pour l’autodérision, dit-elle en repensant à la façon dont il avait accueilli son nouveau titre d’homme du pédiluve.

Peut-être avaient-ils même d’autres points communs qui sait. Sans doute que Nana le découvrirait au cours de ce moment avec lui dans le pub, ce qu’elle put déjà noter après quelques minutes d’échanges, c’est que Franck aimait bien rire et sourire. Comme elle, même si elle a facilement la banane en vérité, en tout cas elle aime beaucoup rire c’est quelque chose de très agréable, ça donne la pêche.

— J’aime bien Nana la Rouquine en vérité, ça fait un peu héroïne d’aventure, je l'imagine espiègle avec deux tresses rousses bien sûr et avec un bon crochet du doigt, explique la miss en laissant voguer un peu son imaginaire. Pas de Francky la bidouille alors… Hum, Francky la Foudre alors ? Ça fait un peu super héros, ce que je trouve parfait vu que tu sauves déjà des nanas dans le métro.

La conversation fût brièvement interrompue par le serveur et leur commande, d’ailleurs, Hannah n’eut pas vraiment l’occasion de payer sa part que Franck avait déjà sorti un billet, et que le serveur s’en était reparti s’occuper d’autres clients. Pourtant avec ses sacs de marque de luxe, ça se voyait qu’elle avait les moyens de payer un milkshake, ou alors Franck voulait se montrer gentleman ? La prochaine fois, si tenté qu’il doit y en avoir une, c’est elle qui paiera, foi de Nana. Toujours est-il que son côté curieuse refit surface et la jeune femme lui posa une question qui lui permettrait de voir un peu de quel bois était fait Franck. Question qui le fit réfléchir quelques instants, la rousse en profita pour prendre quelques gorgées de sa boisson en attendant le verdict, qui la fit beaucoup rire.

— Très beau salto arrière mr Franck ! S'exclame-t-elle avec gaieté. Enfin, dommage pour elles alors, tant mieux pour moi.

Est-ce que ça flirte ?

— Seulement lorsque les genoux en question sont confortables ce qui n’est arrivé qu’une seule fois, aujourd’hui d’ailleurs, c’est étrange non ?

Oui, oui, ça flirte !

— Mais en dehors de ça… Je ne me suis pas sentie en danger, bien au contraire… Ça doit te paraître étrange, non ?