Te voir la couvrir de compliments la fait sourire. T’as manqué une occasion de te taire. Tu te flagelles mentalement. Tu fais n’importe quoi. Clairement, t’as l’impression que tout te file entre les doigts et tu ne vois qu’une seule et même personne à l’origine de ce désastre : Charlie Brown. Petite Brown qui roucoule devant tes yeux en jouant avec ses cheveux, tout sourire. C’est que t’as bien du mal à regarder ailleurs. Faut dire qu’elle est assez distrayante, ivre, la petite. Si tu lui souffles dessus, t’es assez certain qu’elle tomberait tant elle semble déjà attaquée par l’alcool. Tu distingues son épaule nue, dévoilée par un t-shirt trop grand qui tombe. Elle va les trouver où ses tenues ? Dans l’armoire de son mec ? Elle manque clairement de classe, et pourtant, tu ne peux pas t’empêcher de regarder dans le détail cette épaule qui dépasse. Ça te parait si… délicat. T’as presque envie de toucher. Heureusement qu’elle se met à parler car tu parviens enfin à regarder ailleurs grâce au rappel de sa voix. « Non. » que tu réponds avec aplomb alors qu’elle te tire la langue, t’arrachant un autre roulement de yeux. Ce qu’elle peut être exaspérante ! « Vous êtes incapable de m’apprécier à ma juste valeur, c’est tout. » Et comment pourrait-elle ? Elle est si éloignée de tout, vous n’avez rien à voir ensemble. Le néant. Aucun point commun. Rien. A part celui de ne pas réussir à vous encadrer, bien sûr. Elle te ressert et tu ne manques pas d’avaler un autre verre cul sec avant de retendre le contenant vide vers elle. A ce rythme-là, t’allais vite finir complètement torché toi aussi et, franchement, tu n’attendais que ça. Plus vite ça viendrait, mieux ce serait. T’avais envie d’oublier l’objet de tes tourments. Ce qui était assez ironique, c’est que la cause de ces mêmes tourments se trouvait juste en face de toi. « Mais évidemment ! De père en fils ! Enfin ! Il n’a jamais, JAMAIS, été question de fille ! » Tu t’emportes, c’est plus fort que toi. Ton entreprise, c’est toute ta vie, et elle semble incapable de le comprendre. Elle doit être un peu retardée pour que tu sois obligée de lui expliquer quelque chose qui te parait si clair et évident. Elle aussi, elle s’emporte, mais t’en as pas grand chose à faire tant tu es occupé par un spectacle auquel tu ne t’étais pas attendu. En se penchant vers toi, son t-shirt s’était mis à bailler dangereusement. Et tu voyais… En fait, qu’est-ce que tu ne voyais pas ? Tu voyais tout. Tout le détail du haut de son anatomie. C’était… saisissant, et l’espace d’un instant t’avais pas su articuler un mot. Sûrement à cause de ton regard insistant -ou du courant d’air sur sa poitrine ?-, elle s’était rendue compte qu’elle se dévoilait un peu trop. Elle avait fini rouge écarlate et était descendue du comptoir pour s’assoir à côté de toi sur un tabouret. Quand enfin tu reprends tes esprits, tu rouspètes : « C’est pas possible, vous devez être une vraie sociopathe. Vous me traitez de salaud mais quand j’essaye d’être agréable, c’est encore pire ! » Tu attrapes la bouteille de vodka et tu te sers toi-même. « Puisque vous y tenez, vous m’invitez alors. » Et le sourire que tu affiches traduit ton sarcasme alors que tu te permets de te servir une double dose. Double dose que tu avales dans la foulée. Doucement, tu commences à ressentir les effets de l’alcool. Tu retires la veste de ton costume pour la déposer soigneusement sur le comptoir en t’assurant quand même qu’il était propre avant. L’alcool ? La paire de seins que t’as encore en tête ? Tu commences à plus trop savoir. « Je ne sais absolument pas de quoi vous parlez. » Tu avais haussé les épaules, éludant totalement la question. Si elle croyait que ça allait être si facile de te faire parler… Il faudrait bien au moins encore cinq verres comme celui-là. « Et vous, pourquoi vous êtes complètement bourrée un jour de semaine alors qu’il est même pas midi ? » Et, habilement, tu déplaces la conversation ailleurs. Tu as horreur de parler de toi et tu es devenu un expert dans l’art d’esquiver les questions.

Elle rigole. Tu la fais rire. Certainement pas pour de bonnes raisons mais c’était quand même une amélioration. Jusque-là, t’avais plutôt eu tendance à la faire crier dans tous les sens. D’ailleurs, c’est assez reposant pour tes tympans ce rire. « Exactement. Expérience dont vous manquez cruellement, à ce que je vois. » que tu achèves dans un sourire carnassier. Dans les joutes verbales, t’es plutôt quelqu’un de redoutable. T’aurais fait un avocat génial si ton avenir n’avait pas été déjà tout tracé avant même que tu naisses. Tu n’as jamais vraiment réfléchi à autre chose que de reprendre le business familial. Vu les millions que l’entreprise brasse, t’aurais été carrément dingue de commencer autre chose… Non ? « Ça ne va pas me sauver de la catastrophe mais merci ! Enfin un peu de bon sens. » que tu déclares, absolument pas au second degré comme le faisait Charlie. T’es très sérieux. Tout ça, ce n’est pas du tout une blague pour toi. Ça ne l’est pour personne chez les Feldman à vrai dire. « Aucune idée. » Oh si, tu savais… Un peu. Au fond de toi. Mais il était hors de question que tu te trahisses alors t’avais continué : « C’est sûrement la faute de mon grand coeur. » Et, intérieurement, tu t’étais esclaffé. Tu te trouvais sacrément marrant. C’était sûrement l’alcool qui commençait à te gagner. Peu importe, tu passais étrangement un bon moment. Plus qu’au bureau, en tout cas, et c’était assez rare pour le souligner. Elle trinque avec toi, la petite serveuse, et l’espace d’un instant tu te figes. C’est quoi ça ? Un pacte de paix ? Et puis quoi encore ? Pourtant, tu reprends comme si de rien n’était. Pas de pic assassin ou de remarque acerbe. Tu laisses faire. C’est l’alcool qui te rendait si sympa ? Peut-être. Ça ou le souvenir de sa paire de nibards, encore bien présent dans ta mémoire. Bah quoi ? T’es qu’un homme après tout. « Je suis pas un salaud ! » que tu t’étais exclamé, l’air complètement outré. Bon sang, qu’est-ce qu’elle avait avec ça ?! « Et ne mettez pas le feu chez moi, ce serait dommage de mettre votre charmant derrière dans une prison. » Est-ce que tu venais de complimenter l’arrière-train de la demoiselle ? Eh bien oui. Décidément. Plus rien ne t’arrêtait. L’air de rien, tu lui servis un autre verre avant de remplir le tien. Tu avais levé ton verre en sa direction pour trinquer une nouvelle fois. « Aux bons choix ! » Et le téléphone s’était mis à sonner. Tu écoutais d’une oreille distraite l’échange complètement banal de la serveuse avec ce qui semblait être son fournisseur. C’était pas ton problème. Si c’était ton problème en fait, ce serait déjà réglé. « Plus on a d’argent, plus on a de problèmes. » que tu avais marmonné quand elle t’avait demandé si tu avais des problèmes de ce genre toi aussi. Elle avait ralentit la cadence niveau boisson. Pas toi. Tu continuais d’enchainer et tu commençais carrément à en sentir les effets. Heureusement, t’étais plutôt entrainé comme gars. « Merci à vous ? Bonne journée ? » Tu t’étais juré de pas commenter mais clairement, c’était plus fort que toi. « C’est pas en étant gentille qu’on avance dans les affaires, la vie n’est pas un conte de fées. » Tu lèves les yeux au ciel. « Vous auriez du lui dire à quel point vous êtes énervée… Exiger que son patron vous appelle sur le champ. Et là peut-être que vous auriez eu une ristourne ou même des produits gratuits. » Tu hausses les épaules. Elle avait donc vraiment tout à apprendre ? Il n’y a pas que l’entreprise Feldman qui allait courir à sa perte visiblement, le Bundy aussi. « De toute façon, vous arrivez jamais à ouvrir avec ce que vous vous êtes mis dans la tronche. » Et là pour le coup, t’étais plutôt réaliste. Elle fait quoi, 40 kilos ? Elle avait vomir ses tripes dans les toilettes ce soir.

Et encore une fois, la petite serveuse te traitait de salaud. Heureusement que t’étais pas du genre à douter de toi. Elle te tire la langue et tu lèves les yeux au ciel. Combien de fois est-ce que tu avais déjà levé les yeux au ciel aujourd’hui ? Sûrement beaucoup trop, faudrait que tu commences à faire attention si tu veux pas rester coincé comme ça. « Côtoyer la crème de la crème, ce n’est pas donné à tout le monde. » que t’avais rétorqué sans même faire semblant d’être modeste. Tous tes détracteurs peuvent te tomber dessus, tu n’en as que faire. Personne n’a besoin de croire en toi, à part toi-même. C’était l’avantage de ton mode de vie plutôt solitaire. Pas de femme, pas d’enfant, personne qui t’attend le soir et donc personne à décevoir. C’était confortable. Et puis elle commence à te regarder bizarrement la petite et tu te demandes ce qu’elle te veut. Tu hausses un sourcil, comme pour l’interroger du regard et pouf, elle fait comme si de rien n’était. Elle devait être un peu perchée. Ou carrément bourrée. Quoi qu’il en soit, t’avais déjà oublié quand elle s’était mise à rire à gorge déployée. T’avais fait aucune blague mais, visiblement, tu n’avais jamais rien dit d’aussi drôle de ta vie. Complètement stoïque, tu la regardais faire. Bien sûr que t’as un coeur. Fallait un peu gratter pour le trouver… Peut-être beaucoup, mais t’as un coeur. Et puis elle avait recommencé ce truc bizarre avec ses yeux. Non mais elle jouait à quoi ?! Et pourquoi ça te faisait sourire comme ça ? T’étais comme captivé par ses cils de trois mètres de long et sa bouille d’oisillon tombé du nid. C’était ridicule. Et puis elle rigole encore, te demande de prouver que tu n’étais pas un salaud. Tu cherches. Après tout, t’avais bien un exemple à donner qui faisait de toi quelqu’un de bien ? Il fallait croire que non parce que tu ne trouves pas. Sûrement ton cerveau qui commence à se ramollir avec l’alcool. Quoi qu’il en soit et tant mieux pour toi, la jeune serveuse se morfond maintenant en excuses. Elle doit être un peu bipolaire mais, pour le coup, ça tourne plutôt à ton avantage. Ah ! Voilà ! Tu avais fait énormément de bien au Bundy et à sa famille. Si ça, ça ne faisait pas de toi quelqu’un de bien hein ! Tu aurais pu t’en vanter mais tu n’en fis rien. T’avais à peine arboré un sourire de vainqueur. « C’est rien. » que tu t’étais alors contenté de dire, déjouant tous tes réflexes d’homme vantard. Le pire, c’est que t’étais sincère. T’aimais bien le père de cette fille et peut-être que tu l’aimais bien elle aussi. Bon, t’étais pas prêt de l’admettre mais… Elle avait au moins le mérite d’être la fille de quelqu’un que t’aimais bien. « Les midinettes comme vous ce sont les pires ! Vous ressemblez à des anges mais vous êtes des démons. » Franchement, elle ferait presque flipper avec son oeil malin ! Mais t’avais rigolé de bon coeur, appréciant de plus en plus ce moment inattendu. T’allais avoir du mal à retourner au boulot tout à l’heure, il était sans doute préférable que tu appelles ta secrétaire pour lui dire que t’étais malade. « Je suis concerné par le sort de tous les charmants postérieurs de cette planète… A condition qu’ils appartiennent à un sujet féminin. » que tu avais déclaré en feignant le plus grand des sérieux. L’alcool avait toujours eu un potentiel comique déroutant sur toi. Et vous aviez trinqué, avalant encore une dose d’alcool qui ne vous était clairement pas nécessaire. On ne t’arrêtait plus. Quelque chose t’avait ému dans la manière qu’avait eu Charlie d’être gênée par son inexpérience. Sans que tu saches trop d’où ça vienne, tu avais eu envie de l’aider. Sans lui demander son avis, tu avais attrapé le combiné pour appeler le dernier numéro entrant. Tu t’étais fait passer pour le gestionnaire des stocks du bar, titre qui n’existait évidemment pas, mais ça avait fait son effet. T’étais dans ton élément. Ce genre d’histoires, c’était ton quotidien. On s’était excusé, on t’avait promis que le grand patron allait t’appeler au plus vite. T’avais raccroché, plutôt content de toi. C’était encore une bonne action de faite. A croire que t’étais vraiment quelqu’un de bien. Pendant ce temps-là la frêle serveuse titube et tu la sauves d’une chute de justesse. A cette distance, tu te rends compte qu’elle sent incroyablement bon. Tes yeux dans les siens, tu te surprends à désirer connaitre la saveur de ses lèvres. Ça doit être l’alcool, c’est sûr, parce que tu la rapproches doucement de toi. Elle est ridiculeusement petite à côte de toi et… tu aimes bien ça. Tu crois. « Fermez les yeux si je peux vous embrasser. » Bah oui, le consentement c’est important. Mais tu t’étais déjà rapproché un peu plus, comme s’il était impossible qu’elle te repousse.  

Tu aurais pu faire ça encore longtemps, te quereller avec Charlie Brown. Ça avait quelque chose d’agréable. Tu t’étais totalement pris au jeu, bien malgré toi. C’était divertissant. Bien plus divertissant qu’une gonzesse qui serait uniquement à ton bras pour que tu lui payes le champagne et l’hôtel. Ta relation avec Charlie Brown était tumultueuse et compliquée mais elle avait au moins la qualité d’être vraie. C’était sans doute même ta seule vraie relation humaine dans la vie. C’est pour dire à quel point il n’était pas simple d’être toi. Vous n’aviez eu de cesse de vous renvoyer la balle, un ping pong de répliques bien senties et de sarcasme. Ça aurait du vous mener à vous étrangler. Mais c’était loin d’être le cas. A la distance où se trouvait Charlie, tu n’avais qu’une envie : l’embrasser. Alors tu guettais sa réaction quand tu lui avais demandé la permission de l’embrasser. Elle avait juste à fermer les yeux et tu la dévorerais sur place. Tu blâmerais l’alcool, bien sûr. Quoi d’autre pourrait te donner envie d’embrasser la petite serveuse ? C’était ridicule. Et pourtant, quand enfin elle avait fermé les yeux, tu ne t’étais pas fait prier pour rapprocher ton visage du sien… mais tu n’avais pas eu l’occasion de gouter à ses lèvres. Comme si le Seigneur avait décidé d’interrompre ce moment, la sonnette du bar avait sonné. Sans déconner. Tu avais poussé un long soupir de frustration alors que Charlie s’était sauvée pour rejoindre la personne qui venait d’entrer. Tu n’avais pas mis longtemps à comprendre. A la manière dont son visage s’était illuminé, tu savais. C’était son fiancé, celui à qui elle disait je t’aime au téléphone. Il était là, tout clinquant dans son uniforme de pompier et, franchement, il te donnait la nausée. C’était bizarre ce sentiment qui s’emparait de toi alors que tu la regardais retrouver ses lèvres à lui et non pas les tiennes comme tu l’avais espéré quelques secondes plus tôt. Enchanté. Enchanté ? Non, tu ne l’étais pas du tout, toi. Même pas un peu. T’avais envie de renvoyer monsieur Parfait de là où il venait et avec un coup de pied au cul. Il t’avait carrément coupé la chique. Qui fait ça ?! « Monsieur Feldman. » que t’avais voulu préciser, pas fan de l’idée que monsieur Gonflette t’appelle par ton prénom. Vous avez pas élevé les cochons ensemble quand même. « Trop cool. » que tu avais marmonné dans ta barbe, plus pour toi-même qu’à l’intention du couple. D’ailleurs tu ne peux même pas les regarder les tourtereaux tant ils te donnent envie de vomir. Surprise, bisous, rien qui ne t’intéresse effectivement. T’avais jamais fait tout ça et tu comprenais bien pourquoi. C’était affligeant. T’avais même regardé ta montre, regrettant finalement d’avoir atterri ici. Peut-être que c’était une erreur, peut-être que tu ferai mieux de partir. Et puis il était reparti, monsieur Bidon, et Charlie était revenue près de toi. Elle avait l’air de ne plus savoir où se mettre. Même les mots ne franchissaient plus la barrière de ses lèvres. Elle bégayait, incapable de dire quoi que ce soit. « Vous avez fermé les yeux. » Tu avais haussé les épaules. Elle se triturait les doigts nerveusement. Est-ce que ce n’était qu’une folie passagère ? Tu ne tarderais pas à le savoir. « Vous étiez d’accord. » Tu t’étais levé. T’étais prêt à partir, à fuir cette situation désastreuse. A moins que… « Je peux partir, si vous voulez. Mais… » Tu t’étais approché, surplombant la demoiselle de toute ta hauteur. « Mais si vous fermez de nouveau les yeux, je promets de ne pas vous décevoir. » Et comme ça, elle n’avait qu’un tout petit effort à faire. Bouger ses paupières… Ou non.  

Tu t’en moquais bien de son petit fiancé. Il te dérangeait quand il était là mais dès qu’il s’éclipsait, tu n’avais aucun soucis à l’oublier. C’est sûrement dans ce genre de cas de figures qu’on reconnait que tu n’es pas forcément quelqu’un de recommandable. Alors, dès qu’il avait quitté le bar, t’as attaqué de nouveau. Tu avais quelque chose en tête et tu avais un mal de chien à te la sortir de là. Il fallait que tu saches. Pour ça, elle devait être d’accord. Un sale type, pourquoi pas, mais pas un violeur. Elle rougit et tu devines qu’elle y songe sérieusement. Elle t’aurait déjà envoyé balader autrement, non ? Elle met du temps à te répondre. Elle se mordille la lèvre et tu peux voir à quel point la situation la gêne… et ça n’augure rien de bon. Plus le temps passe, plus elle peut réfléchir et se dire que ce n’était pas une bonne idée. Et comme prévu, elle te repousse. Avec une main sur ton torse, elle met une barrière entre vous. Elle te pousse pour rétablir une distance entre vous. Génial. Un sourire mauvais se dessine sur tes lèvres. Te faire éconduire, tu n’aimes pas ça. C’est le genre de choses que ton égo surdimensionné a beaucoup de mal à vivre. Les yeux dans les yeux, elle accuse l’alcool et t’annonce que c’est une mauvaise idée. Evidemment que c’était une mauvaise idée, c’est sans doute pour ça que ça t’avait tant emballé. On ne t’y reprendra plus. Furieux, tu ne peux pas empêcher un rire de s’échapper de tes lèvres. Oh t’es pas amusé du tout. C’est le rire d’un vilain dans les films ça. Puisqu’elle voulait que tu partes… Tu allais le faire. Sans dire un mot de plus tu attrapes la veste de ton costume et tu déguerpis de là. Et le reste de la journée tu t’étais enfermé dans ton bureau pour faire passer les effets de l’alcool. Ce que t’avais été con… Tu t’étais juré de ne plus jamais fraterniser avec l’ennemi. On ne t’y reprendra plus.


Le reste de la semaine était passée avec une lenteur absolument effroyable. Chaque minute de chaque heure, tu revoyais ses grands yeux d’oiseau tombé du nid qui te regardaient avec envie. Il fallait absolument exorciser ça. Alors t’avais enchainé les rendez-vous amoureux. Enfin, amoureux, c’était un grand mot que tu n’employais bien évidemment jamais. Ce n’étaient que des filles de passage… Sauf pour une, de loin la plus belle, que tu comptais bien te garder sous le coude pour ta soirée d’inauguration du week-end. Pour toi-même, tu t’étais persuadé que tu l’utilisais comme faire-valoir mais en vérité, tu l’avais courtisé pour de toutes autres raisons. L’éventualité que Charlie Brown puisse se pointer à l’évènement t’avait effleuré et tu t’étais dit que ce serait une bonne manière de jouer avec ses nerfs. Ou d’au moins lui montrait que tu n’en avais rien à faire, que ce qui n’était pas arrivé entre vous t’indifférait au plus haut point. Le pire, c’est que t’avais même réussi à t’en persuader. Alors tu te pavanais à travers les invités, avec ta sublime blonde au bras qui était vaguement célèbre grâce à son métier de mannequin. Vous vous connaissez à peine mais elle avait l’air ravie de donner le changer à tous ces gens sur votre prétendue rencontre fantastique et ce coup de foudre réciproque. Bien sûr… La vérité, c’est que tu ne l’écoutais que d’une oreille. Ton attention était portée ailleurs. Tu guettais la moindre arrivée, cherchais à travers la foule un visage que tu connaissais bien. Comme quoi, tu retenais pas la leçon. C’est au bar que tu as enfin mis la main sur Charlie Brown. Oh, t’avais eu un peu de mal à la reconnaitre. Faut dire qu’elle avait fait des efforts et t’étais loin d’y être habitué. Elle était sublime et, l’espace d’un instant, tout ce qu’elle t’avait inspiré c’était un sourire niais. Sourire qui s’effaça bien rapidement quand tu t’étais souvenu de l’humiliation qu’elle t’avait infligé. Tu t’étais raclé la gorge en arrivant à sa hauteur, entrainant avec toi la créature de rêve qui te servait de petite amie. « Vous faites le service ce soir ? » que tu n’avais pas pu t’empêcher de lui demander avec un brin de condescendance tout à fait typique chez toi. « Vous vous connaissez ? » qu’avait demandé ta charmante compagnie du soir. « Magda, je te présente Charlie. C’est juste… une serveuse. » Juste une serveuse, exactement. T’étais pas peu fier d’avoir placé quelque chose d’aussi dégueulasse. Le con. T’avais un sourire jusque derrière les oreilles. « Oh, enchantée, je peux avoir un Cosmo s’il vous plait ? » Et ton sourire s’était agrandit. C’était parfait. Totalement parfait… alors pourquoi est-ce que tu te sentais si vide de l’intérieur ?