Tu laisses le temps de la lecture avant de grimacer sous la nouvelle slave de message. Tu t’enfonces dans le fauteuil, voulant disparaître, parce que tu sais très bien ce qui va être dit. Tu sais très bien que cela va concerner ta meilleure amie. Tu sais très bien ce qui a été dit à ton ex par rapport à elle. Tu ne réponds même pas aux questions que te pose la blonde à tes côtés, anxieux. Tu secoues la tête et tends la main pour récupérer ton téléphone, mais… Tu grimaces et écarquilles un peu les yeux en voyant Alisa répondre d’elle-même au message.

- Non, attends …. Je..

Trop tard, tu la vois appuyer sur envoyer avant de lui rendre le tout et tu passes ton regard rapidement sur les messages, blêmit et perd trois teintes. Et Alisa a lu ça ? Tu déglutis et entends à peine le désolé. Tu redresses la tête pour croiser le regard de ta meilleure amie et secoues la tête.

- Ce.. C’est rien...

Tu passes une main sur ton visage et baisse la tête en voyant une nouvelle notification. Pitié que ce ne soit pas encore elle… Tu es vraiment prêt à la bloquer pour qu’elle te foute au moins la paix sur les réseaux avant de devoir en arriver à porter plainte pour harcèlement. Tu vois la notification.

Conversation avec Andrej:

Tu déglutis et regardes la concernée en soupirant.

- On… On peut annuler le… Le cinéma et… Tu me ramènes chez moi ? S’il te plaît...

Que tu demandes, presque suppliant. Tu ne sais même pas si tu vas arriver à tenir, si tu vas vouloir te jeter sur la nourriture pour te calmer ou juste mourir sous la couette et hurler du trop-plein d’émotions négatives que tu as reçu en pleine tête en l’espace de quelques minutes… Et tu sais qu’Andrej a raison… Mais que jamais tu ne pourras passer le cap… Et avouer que tu l’aimes… La blonde à tes côtés...

La pute frigide. La pute frigide. Mais quelle connasse ! Ce n'est pas comme si c'était sa décision. Ce n'est pas comme si elle n'aimerait pas être comme les autres. Ce n'est pas comme si c'était facile d'être à sa place. Ce n'est pas comme si elle ne voudrait pas pouvoir, comme n'importe quelle autre femme, tomber amoureuse, vraiment amoureuse, kiffer sa vie romantique, sa vie sexuelle, prendre son pied chaque fois qu'elle en a envie, jouir plusieurs fois par nuit. Elle aimerait bien pouvoir s'envoyer en l'air sans se poser de questions et se sentir juste bien, se sentir juste sereine, se sentir... normale.

Sauf que c'est pas ça, sa vie. Sa vie à elle, c'est d'être tristement et désespérément seule, de ne jamais se sentir tout à fait complète, ni en phase, d'avoir constamment un goût d'inachevé, de manque, dans chacune de ses relations et elle ne sait pas pourquoi. Elle ne sait pas ce qui ne fonctionne pas. Mais elle sait qu'elle est bancale. Elle le sait qu'elle ne roule pas droit. Elle n'a pas besoin que qui que ce soit le lui dise. Et encore moins Raakel.

Annuler le cinéma, rentrer chez lui. Alisa glisse un regard triste dans sa direction. Bien sûr qu'elle peut. Evidemment qu'il est possible qu'elle le ramène chez lui et qu'ils reviennent une autrefois mais... Elle n'aime pas le voir comme ça. Aussi fragile. Aussi perdu. Au bord de la limite, cette limite contre laquelle il a toujours tant de mal à lutter. Elle déteste l'idée de le ramener et qu'il soit seul face à ses démons. Seul face à sa rupture.

"- Oui je... Je peux te ramener." souffle la demoiselle en repositionnant ses mains sur le volant. "Tu veux que je reste ? On peut se regarder quelque chose chez toi, tranquilles..." poursuit elle en reprenant la route alors, changeant complètement de direction. "Je te laisserai même choisir le film, si tu veux. Ou le dessin animé. Ou on peut juste… Ne rien faire du tout et… ça me va aussi."

Elle lui adresse un nouveau regard, appréhendant les réactions de son visage, les émotions qu’il manifeste, se sentant elle-même en vrac de le voir comme ça et maudissant, une fois de plus, la connasse qui s’en rendait responsable et qui, en prime, avait le culot de l’accuser, quand elle ne sait simplement pas gérer sa propre frustration et son incapacité à croire en l’amitié fille-garçons.

Quand elle sort de chez Andrej, plusieurs heures après y être arrivée, elle sait déjà qu'elle ne pourra pas rentrer chez elle. Pas tout de suite. Elle sait que son ami lui a demandé de ne rien dire à Hannes, de ne pas lui révéler qu'elle sait tout, maintenant, mais elle ne peut pas faire comme si de rien était, comme si elle n’avait pas apprit ce que Drej lui a révélé ce soir. Elle a besoin de voir son meilleur ami. Besoin de lui parler. De poser les choses avec lui. Et de comprendre, aussi, certaines choses, certaines questions que tout ça soulève.

Il est bientôt chez lui, disponible à partir de dix-huit heures, et elle jette un regard au 17h40 affiché sur son écran. Ça lui laisse un peu de temps. Pour faire quoi ? Elle n’en sait trop rien. Se reprendre un peu, peut-être, pour ne pas arriver chez Hannes les yeux trop rouges ou les joues encore striées des traces de ses larmes. Pour ne pas l'inquiéter tout de suite. Pour ne pas lui faire comprendre à quel point elle est bouleversée. Alors elle marche dans la ville, sans réel but, attendant juste que le temps passe, que ce soit l’heure de partir retrouver Hannes, parce qu'elle n’a tout simplement rien d'autre à faire. Aucune envie de faire du lèche-vitrine. Pas la moindre petite faim. Rien qu'une cuisante absence de but et le besoin de simplement se vider la tête.

Elle arrive plus vite qu'elle ne l’aurait voulu devant l'immeuble de son meilleur ami et attend patiemment au pied de celui-ci jusqu'à ce que son téléphone affiche 18h15, juste histoire d’être sûre. Et de prendre son courage à deux mains. Un courage qui s’amenuise à mesure que l’ascenseur l’entraîne dans les étages. Déjà, alors que les portes de celui-ci s’ouvrent, elle sent qu'elle s’effondre. Que tout s’enlise. Pourtant, elle sonne à la porte de son meilleur ami, son cœur tambourinant dans sa poitrine et, quand il ouvre, les larmes coulent déjà de nouveau sur ses joues.

”- Jsuisdésolééééjesavaispasetjesaispassi…”

Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’incident du cinéma et la rupture avec Raakel… Tu avais pu retrouver tes marques, seul, chez toi. Andrej avait fini par récupérer tes affaires et le double des clés laissés chez elle, sans recevoir de cris ou de coups de sa part. Tu avais aussi repris le rythme du travail et de repas logique. Tu reprenais des quantité un peu normales, mangeant trois repas par jour. Andrej trouvait encore que c’était trop peu, mais il n’y avait pas de raison qu’il vienne pour te faire manger de force. En soit, tout allait bien… Ou presque…

Tu avais reçu des textos de la part d’Alisa, inquiétant. Elle voulait te parler… Non, elle avait BESOIN de te parler. Tu ne savais pas pourquoi, à propos de quoi, mais elle avait besoin de te voir. Tu avais proposé de lui prendre un truc à manger, mais rien. Tu commençais légèrement à ne pas comprendre la situation. Tu attrapes ton téléphone et essayes après la fermeture de la médiathèque d’en savoir plus. Tu grimaces en marchant, répondant aux messages, de plus en plus nerveux, te rongeant la peau des ongles.

Conversation avec Andrej:

Tu continues de marcher en attendant la réponse, qui ne semble pas venir. Tu vérifies ton téléphone plusieurs fois, attendant qu’Andrej te réponde, avec la sale impression que quelque chose se passe sans que tu puisses y faire quoi que ce soit. Tu finis par te figer devant ton immeuble en te rongeant la peau de ton pouce et montes tranquillement les marches avant d’entrer chez toi pour prendre une douche, te mettre à l’aise et attendre la réponse de ton meilleur ami, qui ne semble pas venir. Tu finis par le relancer

Conversation avec Andrej:

Mais tu n’as pas le temps de rajouter quelque chose qu’on sonne à la porte. Tu poses ton téléphone sur la table et tu ouvres la porte avant de recevoir une flopée d’émotion devant de la part de ta meilleure amie. Tu écarquilles les yeux en la prenant dans tes bras, sans vraiment comprendre ce qui lui arrive. Tu n’arrives même pas à entendre sa phrase au complet. Tu la ramènes contre toi, ferme la porte derrière elle et la berce doucement.

- Hey.. Hey… Calme… J’ai absolument rien compris… Respire doucement et reprend-toi…

Elle a besoin de le voir, de lui parler, de poser les choses à plat avec lui. Elle a besoin qu'ils discutent tous les deux pour savoir quoi faire. Quelle décision prendre. Celle qui sera la plus juste pour tous les deux. Il est évident qu'elle ne peut pas forcer ses sentiments pour Hannes. Mais elle ne peut pas non plus continuer de le faire souffrir. Pas maintenant qu'elle se sait être la cause de sa douleur, de ses tourments, même si ce n’est pas de son fait. Seulement le fait de sa sexualité atypique, de son absence de vie amoureuse. Enfin, pas qu'elle n’en ait pas, mais s'il est question de sentiments… elle n’a aimé aucun des hommes qui ont partagé sa vie. Pas comme elle aurait dû, en tout cas, dans le cadre normal d'une relation. Pas qu'elle n’ait pas voulu essayer, mais elle n’en a jamais eu le temps. Trop compliquée pour eux. Trop peu empressée. Trop frigide. Ils avaient pas eu la patience d’attendre que, peut-être, elle puisse les aimer.

Alors elle a besoin de le voir, besoin de lui parler, parce qu'il la connaît mieux que quiconque, mieux que personne, qu'il sait exactement quels sont ses blocages. Et comme l’avait dit Andrej, son asexualité était bien le cadet des soucis d’Hannes. Ce n'était pas un problème pour lui. S’en était un pour elle, cependant. Et, plus que tout, son incapacité à tomber amoureuse l’inquiétait. Mais ça ne voulait pas dire qu'elle pouvait faire comme si elle n'avait rien entendu aujourd'hui et enfouir tout ça sous un tapis. Ce n'était tout simplement pas possible. Pas pensable.

Quand elle est sûre qu'il est chez lui, elle se décide à monter, se manifeste à sa porte et attend, plus ou moins patiemment, que la porte s'ouvre. Quand enfin la silhouette de son meilleur ami se découpe dans l'encadrement de celle-ci, elle explose, elle implose, elle fond en larmes et s'excuse, sans qu'il ne puisse la comprendre. Alors il se contente de la prendre dans ses bras, d’essayer de la calmer, lui demandant de respirer et de répéter plus doucement. Elle essaye. Elle ferme les yeux, souffre, essaie de dominer les battements de son cœur et essuie ses joues avant de le regarder.

"- Je sais… que t’es amoureux d’moi… et je suis désolée." elle renifle. "Et j'ai besoin… qu'on en parle. Qu'on…" elle renifle encore. "Parce que tu sais que je suis… pas normale. Mais… mais je veux pas te perdre… juste parce qu'on laisse… pourrir tout ça."

Elle pleurait… C’était rare de la voir ainsi et tu n’aimais pas ça spécialement. Tu ne savais pas trop comment réagir non plus alors tu essayais de la rassurer en lui caressant le dos et la berçant avant de la guider vers ton salon. Tu essayes de faire en sorte qu’elle puisse se poser tranquillement, essayer de s’exprimer et tu baisses la tête vers elle, une main sur son dos, pour entendre ce qu’elle a à te dire. Tu attends alors qu’elle reprenne sa respiration, qu’elle ferme les yeux avant de revenir à toi en essuyant ses larmes. Les mots te parviennent et tu écarquilles les yeux.

Elle sait. Elle sait tout, apparemment. Tu encaisses doucement en croisant son regard avant de baisser la tête, reculer en retirant a main. Tu serres les dents, tritures tes doigts et essayes de suivre le reste de la conversation. Elle veut quoi ? En parler ? Tu clignes lentement des yeux, interdit, serrant les dents alors que mille questions te martèlent le cerveau. Tu inspires profondément, passant une main sur ton visage avant de te masser la nuque. Non… Andrej n’aurait pas… Tu trembles un peu et te mords la lèvre, voulant en savoir plus, mais… En même temps, tu savais que cela ne pouvait être que lui.

Personne d'autre ne savait… On pouvait le deviner, mais jamais tu n’avais mis les mots dessus avec quiconque…

- Co… Comment tu…

Tu grimaces un peu avant de détourner le regard, commençant à pleurer sans que tu ne le veuilles réellement. Tu ne sais pas si c’est à cause de ton angoisse de vivre la situation, la frustration de ne pas avoir été capable de lui dire toi-même ou juste la colère contre ton meilleur ami qui avait juré de ne rien dire. Elle ne veut pas laisser pourrir ça qu’elle te dit alors que ça fait plus de quinze ans que tu essayes de nier les faits. Tu renifles doucement, alors que les larmes coulent le longs de tes joues en silence. Tu déglutis.

- Que… Qu’est-ce que…. Qu’est-ce que t’as dit Andrej ?

Il retire sa main, se reculant, et elle panique, lançant la sienne pour essayer de le rattraper, le retenir.  La peur de le perdre, la peur que tout se fracture, qui se manifeste dans la petite exclamation qui s'échappe de ses lèvres, de ce mouvement précipité. Elle ne peut pas s'y résoudre. Elle ne peut pas accepter ça. Elle ne peut tout simplement pas supporter que tout se termine comme ça. Pas après toutes ces années. Pas lui.

Il triture ses doigts, quand elle pose sa main dessus, ayant besoin de maintenir un contact, de le soutenir, de se soutenir, de se rassurer, aussi. Parce que ce qui se passe là, ce dont ils s'apprêtent à discuter, c'est tout sauf quelque chose de simple. Tout sauf une conversation qui ne risque pas de les briser l’un et l’autre.

Comment sait-elle, demande-t-il, hésitant sur ses mots, buttant, se coupant en plein milieu. Il n’a pas besoin de finir sa phrase cependant pour qu'elle comprenne ce qu'il veut dire, ce qu'il veut demander. Pas besoin de poser sa question pour qu'elle comprenne ce qu'il demande, ce qu'il a besoin de savoir. Et en même temps, elle ne sait pas comment lui répondre. Elle voudrait ne pas avoir à vendre Andrej. Mais elle sait qu'elle ne peut pas vraiment l'éviter. Elle pourrait parler des SMS de Raakel. Mais ça n’est sûrement pas suffisant et ça fait déjà quelques temps. Il trouverait curieux qu'elle ne comprenne que maintenant.

"- Lui en veut pas… Je… je comprenais juste pas ce qui se passait. Pourquoi j’me sentais aussi nulle et incapable de t’aider. Pourquoi j’te voyais toujours aussi… mal… sans pouvoir rien y faire. Pourquoi vous me cachiez des trucs, tous les deux." s’empresse-t-elle de murmurer, quand il demande ce qu’Andrej a dit. "J'avais besoin de savoir. Tu… tu pouvais pas rester comme ça encore des années… à… te taper des p’tites connes et faire des transferts à la con… et t’rendre malade comme ça…"

De son pouce, elle caresse la main sur laquelle la sienne s’est arrêtée, un peu maladroitement, son cœur battant la chamade. C'était une chose de sortir avec des types dont elle ne se souciait pas vraiment, avec la pensée que peut-être un jour, elle pourrait ressentir plus, si on lui en laissait le temps. S’en était une autre d'évoluer sur une corde raide, sans harnais de sécurité, avec son meilleur ami, l’un des seuls qu'elle ne voulait pas perdre.

"- J’ai besoin de savoir… C’que toi tu penses… pas ce qu’Andrej dit, même s'il est sûrement très bien informé, mais ce que toi tu as à dire…"

Elle revient chercher le contact en posant sa main sur les tiennes. Tu hésites alors à reculer une nouvelle fois, mais tu t’en sens incapable. Alors tu te figes, tu te tends avant d’attendre sa réponse qui était exactement celle auquelle tu t’attendais. Andrej est le responsable de tout ça. Il a vendu la mèche et tu ne sais pas encore comment la discussion est arrivée entre eux… Et au final, tu n’es pas sûr de vouloir le savoir. Tu te doutes aussi que le brun sait qu’il devra te rendre des comptes après avoir fini ici avec elle. Tu te mords la joue intérieure.

- Lui en veut pas…

Qu’elle demande avant d’expliquer pourquoi elle avait eu l’info, pourquoi elle avait tiré les vers du nez de votre ami. Un besoin de savoir, apparemment, ce qui se passait. Tu serres les poings sous sa main, tu serres les dents et commence à trembler de la jambe. Tu frissonnes sous sa caresse, son pouce sur ta peau. Tu as un sursaut alors que ton cœur déconne un peu plus qu’au début de la discussion. Elle te dit que tu ne pouvais plus rester comme ça encore longtemps, n’avait pas à t’infliger ça, faire des transferts. Tu fermes les yeux en inspirant, espérant trouver un moyen de te calmer, mais…

Elle veut savoir ce que toi, tu ressens. Et c’est la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Tu fais un mouvement qui doit l’obliger à retirer sa main, te lèves d’un coup et commence à marcher dans ton salon, dos à elle. Tu t’arrêtes au milieu, te grattant le coude, la tête baissée avant de te pincer les lèvres pour trouver tes mots…

- T’étais pas… Censée l’savoir… J’voulais pas…

Tu secoues la tête, place tes mains sur ta nuque que tu serres un peu avant de respirer profondément en serrant les dents. Tu te retournes vers elle, croisant les bras sur ton torse, sur la défensive.

- Tu veux savoir quoi ? Hum ? A quoi ça sert ? A quoi ça TE sert ?

Tu trembles, tu grimaces, le ton de ta voix commence à monter, sans raison, ne sachant pas comment réagir.

- Tu veux vraiment savoir ? Là ? Maintenant ? Que j’ai été trahi par mon meilleur ami ! J’avais mes raisons de ne rien te dire ! Je voulais pas… Pas de ça ! Ce regard que tu me fais… Ton obstination à vouloir trouver une solution… J’voulais pas …

Tu te renfrognes un peu, baissant la tête, les larmes t’aveuglant peu à peu.

- J’voulais pas parce… Bah y a pas de solution…

Il se retire d'un coup, fuyant son contact, se levant au milieu du salon pour faire les cent pas, tourner en rond sans la regarder, tout à ses pensées qui le bouffent. Il met quelques minutes à parler. Et quand il le fait… Elle sait que la conversation sera difficile. Mais elle ne sait pas encore à quel point elle le sera.

Elle n'était pas censée savoir, parce qu'il ne voulait pas qu'elle apprenne tout ça. Il ne voulait pas qu'elle ait connaissance de ses sentiments à son égard. Il ne voulait pas qu'elle sache qu'il était amoureux d’elle. Oui, ça, elle a cru comprendre. Elle a cru comprendre puisque Andrej lui a demandé au début de ne pas lui en parler. Mais ce n’était pas possible de faire comme si de rien était. Ce n'était pas possible de faire mine qu'elle n'était au courant de rien, pas après cette bombe qui avait été lâchée, qui lui avait pété au visage.

Il parle plus brusquement qu'elle ne s’y serait attendu, voulant savoir à quoi ça lui servait de savoir ça. À quoi ça pouvait bien lui servir de savoir ce qu'il pensait. Comme si elle n'était pas sa meilleure amie. Comme si elle ne passait pas son temps à vouloir savoir ce qu'il pensait, s'il allait bien, comment il se sentait. Comme si ce n'était pas normal qu'elle veuille lui donner la parole, qu'elle s'inquiète pour lui. Elle pince les lèvres, baisse la tête. Ça fait plus mal qu'elle ne s’y attendait, de parler de tout ça. Et ils n'ont pourtant fait qu'effleurer la surface du sujet.

Le son de sa voix qui monte, ses tremblements, son allure renfermée, avec ses bras croisés sur sa poitrine… Elle a l’impression de découvrir une version de lui qu'elle ne connaît pas, qu'il lui montre si rarement. Et c'est difficile. C'est perturbant. D’autant plus perturbant qu'elle sent qu'elle a merdé vis à vis d’Andrej. Que les garçons se brouillent ? Ça n’a jamais été son intention. Jamais. Elle pince les lèvres, accusant le coup, s'interdisant de dire que d'une certaine manière, eux la trahissent depuis quinze ans et le laisse parler, sortir tout ce qu'il a sur le cœur, évacuer ses pensées, même si c'est douloureux.

”- Tu penses vraiment que c'était mieux que je ne sache rien ? Que je sois là à te regarder être mal sans vraiment savoir pourquoi, sans savoir quoi faire ?” elle soupire, se lève à son tour, le rejoint et essaie de le prendre dans ses bras. ”Tu crois que c'était facile ? Tu crois… que ça me rendait service d’être mal de te voir mal sans… sans rien comprendre ?”

Elle essaye de venir vers toi, te prendre dans ses bras. Tu recules un peu, trop effrayé à l’idée de craquer complètement, montrer ta véritable vulnérabilité. Est-ce c’était mieux qu’elle sache, au final ? Pas sûr. De ton point de vue, non. De son point, c’est autre chose. Tu baisses la tête alors que tu l’écoutes parler. Tu recules encore un peu en serrant les dents Tu fermes les yeux, inspire et détourne le regard. Tu ne veux pas de ça.

- Parce que tu penses que ça va mieux maintenant ?!

Que tu demandes avant de trembler, lever les yeux, noir de colère, empli de larmes. Tu secoues la tête alors que tu sais que tout ça n’est pas forcément contre elle. Toutes ses émotions sont contre toi, ton incapacité à avoir réussi à masquer tout ça, l’oublier. Contre Andrej aussi, même si tu comprendras plus tard qu’il voulait juste t’aider, essayer de désamorcer cette bombe entre vous qui semblait vouloir exploser à chaque instant. Tu grattes ton coude, alors que tu ne te rends pas compte que tu recules au moins de t’approcher dangereusement du mur le plus proche. Tu butes contre, manque de sursauter et grognes.

Tu secoues la tête, te prenant le haut du crâne avant de te laisser glisser contre, accroupi au sol et grognes.

- Laisse moi !!!

Que tu oses dire, hurler, alors que tu commences à sangloter, laisser aller ce surplus, mélange horrible d’émotions et situation que tu craignais, comme un cauchemar qui se réalise enfin. Et comme un enfant effrayé par le noir, tu espères qu’ainsi, coincé dans ta position, tout disparaîtra. Tu serres tes poings, attrapant quelques mèches de cheveux au passage, inconscient, incapable de savoir si tu les arrachais ou non. La douleur est ailleurs. La douleur est latente, à l’intérieur et pourri lentement.

- Laisse moi… Lili….

Que tu arrives à murmurer entre tes pleurs… Vieux surnom d’enfance oublié…