Aider à choisir sa robe de mariée , c'est un peu ce qu'on appelle une tradition dans la famille. Une habitude à laquelle on ne peut pas couper. Ma mère s'est tout de suite montrée très enthousiaste à l'idée de perpétuer la tradition familiale , elle-même ayant eu l'aide des femmes de la famille pour choisir sa tenue pour son jour où elle a dit oui. Quant à moi...J'ai un peu plus grimacé.
Maman bien sûr , n'a rien remarqué , faut dire que ce n'est pas la personne la plus à même d'observer un quelconque trouble chez ses enfants. Carlos , lui , par contre...Fort heureusement pour moi , il n'a pas saisi ce qui me perturbait réellement...

"Tu sais...t'es pas obligée si ça te fait remonter trop de souvenirs . Je comprendrai."

Mon frère c'est...vraiment le plus attentionné. Ca fait 10 ans que Saiorse est décédée , mais c'est peut-être le seul de la famille qui se souvient qu'on avait déjà commencé à regarder nos tenues de mariage , à planifier certaines choses. Logiquement , il pense que ces souvenirs font encore trop mal pour me donner corps et âme dans cette tradition. Bien sûr , il y a une part de moi qui y pense , mais davantage avec mélancolie que douleur , la peine s'étant atténuée au fils des ans.
Non , ce qui me trouble , c'est ma future belle-soeur , et c'est bien un détail , plutôt gros détail , que je ne dirai jamais à mon frère. Parce que je ne peux pas lui faire ça. C'est tout.
Et , c'est sûrement pas réciproque , de toute manière. Je m'étais dit que le mieux, serait d'éviter Alba le plus possible jusqu'à la cérémonie.
Histoire de ne pas souffrir inutilement.

Néanmoins , quand j'ai vu combien cela tenait au coeur de Carlos sachant que Alba n'avait personne de sa famille pour l'accompagner, et notre mère qui trépignait d'impatience...J'ai finit par accepter de les accompagner à ces essayages. J'aurai juste à regarder, donner deux trois avis, et je pourrais rentrer. Rien de plus.

Maman peste sur un poids lourds , alors que je traîne sur mon portable , comme une adolescente. Repousser le moment, ça m'arrange. Quand on arrive enfin , je garde le silence , me contentant de sourire à Alba , et de retenir mes tremblements quand on se fait la bise.
Allez....première étape de passer.

C'est long...Maman est à fond , moi j'essaie de ne pas dévorer Alba du regard quand elle défile. Histoire de ne pas me faire remarquer par la vendeuse, trop enthousiaste, et qui nous lance de nombreux coups d'oeil. Malgré mon affection pour Carlos, force est de constater que je n'arrive pas à me sentir sincèrement heureuse pour lui.

Est-ce que ça fait de moi une mauvaise soeur ?
Ingrate, après tout ce qu'il a fait pour moi ?

"C'est joli..." , je commence à dire , un peu en retrait , les bras croisés , mais ma mère s'emballe déjà :

"Mais oui tu es magnifiques dedans ! Elle rehausse ton teint..."

"Comme toutes les robes blanches qu'elle va porter accessoirement..." , maman me lance un regard à la limie de l'outrage ce qui me fait rire , autrement dit ça l'énerve encore plus. J'ai rien dit de méchant pourtant ? "Je voulais juste ajouter , que même si tu es très belle dedans Alba , je l'a trouve un peu...Trop simpliste ? Trop banale ? J'imaginais qu'on pourrait te trouver une robe qui sorte un peu du lot , qui restera dans les mémoires." , je lui adresse un clin d'oeil , tout naturellement , avec le sourire en coin.

"Croyez-moi , j'ai ce que vous recherchez !" , s'empresse de dire la vendeuse , avec une chaleur non feinte , s'apprêtant sûrement à sélectionner d'autres robes.

"Je n'en doute pas." , je souffle , gardant enfin mes yeux sur Alba plus de trois secondes.

Alba serait belle dans n'importe laquelle des tenues de mariage présentes dans cette boutique, ça ,j'en suis certaine. Reste à trouver la robe qui lui plaira, la mettra en valeur, et qui la fera se sentir à l'aise également.
Mieux vaut ne pas choisir une tenue qui te gêne parce qu'il faudra se la coltiner la majeure partie de la journée. Sinon toute la nuit...

Je crois que j'aurai grand mal à me déplacer tout ce fameux jour avec une robe qui traîne par terre, ça me rendrait assez vite dingue...J'avais choisi une tenue assez simple à l'époque où...Hum.
Saiorse elle, avait opté pour quelque chose de plus volumineux, d'assez marquant, ça correspondait à sa personnalité, à son envie de marquer le coup.
Nous n'avons jamais terminé les achats de toute manière.

"Evite d'être si grossière lors de sa prochaine robe !"

"Je n'ai rien dit de déplacé, maman."

"Bien sûr que si ! Cette robe lui allait très bien !", je lâche un soupire, un brin excédé.

"Mais je n'ai pas dit le contraire ! Tu ne veux quand même pas qu'on ressorte en cinq minutes ?!"

Ah tiens là, elle ne trouve rien à redire !
A quoi ça sert de se réserver toute une après-midi d'essayage si c'est pour repartir avec la première robe essayée en quelques secondes ?

Je ne suis pas une spécialiste ,je veux bien, mais cela se réfléchit, plusieurs robes mises de côtés, on regarde laquelle va le mieux...Enfin.
Maman a toujours été du genre impatiente, ça ne devrait pas m'étonner.
Elle est tant excitée à l'idée que son fils se marie, puis elle adore Alba !

"La revoilà !"

Je relève les yeux de mon téléphone, que j'avais sorti pour éviter le regard furax de maman et...
Je me fige.
Littéralement.
J'observe de haut en bas Alba, croyant presque voir un fantôme.

"Iris, tu n'as pas de précieux commentaires à nous faire cette fois-ci ?"

Alba est belle, bien entendu. Elle le serait dans toutes les robes...Elle est réellement...canon.
Je mentirai si je disais que ce n'est pas ce qui me fait presque baver devant elle mais...ce n'est pas que ça.

Mon problème là tout de suite, c'est de me retrouver projeter presque 11 ans en arrière.
D'un seul coup.
J'ai l'impression qu'on vient de me retirer tout l'air de mes poumons, que je vais étouffer, alors que les souvenirs affluent tel un ourgan dans mon esprit, qui rafle tout sur son passage.

- Alors t'en penses quoi ? J'suis belle dedans ?
"Tu es belle tous les jours ma chérie."
- Moooh. T'es adorable mon coeur ! Tu crois que le rouge m'irait bien ?
"C'est pas un peu trop flash le rouge ?"
- Tsss faut que j'illumine le public nan ?
"Je préfères te garder pour moi..."
- T'es possessive dis donc !

Alba porte à peu de choses près la même robe.
Dans le style avec peu de détails, plus dans la grosseur du tissu. Et, elle est magnifique dedans, même si je n'ai pas le sentiment que ce soit une robe qui lui plaise plus que ça.

"Iris ? Est-ce que ça va ?", la voix de maman se fait plus inquiète cette fois-ci alors qu'elle pose une main sur mon épaule. C'est à cet instant que je remarque que je regardais dans le vide depuis plusieurs secondes, avec les yeux qui se sont trop embués pour prétexter la fameuse poussière dans l'oeil.

"Je...faut que j'aille prendre l'air. Je reviens."

Je distingue enfin une lueur de compréhension dans le regard de la femme qui m'a mise au monde. Je ne prends pas le temps de m'expliquer, je fuis. Je sors de la boutique, et trouve un côté un peu caché pour m'assoir sur le bord d'un mur.
Je me sors un mouchoir, j'essaie de me calmer.

Et moi qui disait qu'après 10 ans ça ne me faisait plus rien ! Tu parles.
Le deuil, ça revient toujours par des putains de vagues qui te laissent sans force.

Et t'as cette petite voix blessante dans ma tête qui me rappelle que je suis vraiment conne de laisser mon frère se marier avec Alba, en restant les bras croisés, comme si ça ne m'atteignait pas....
Mon coeur sait me rappeler cent fois que j'aimerais être à la place de Carlos...Ca ausi ça me donne envie de pleurer.

Peut-être que c'était un peu hautain de croire que je supporterai ces essayages sans douleurs. Honnêtement, je ne m'attendais pas à fondre en larmes, pas après 10 ans. Pourtant, ce n'est pas la première fois que ça m'arrive.

Il y a quelques mois encore, j'avais eu la gorge serrée, les larmes aux yeux, en voyant une pâtisserie que mon ex fiancée aimait tout particulièrement sur un marché.
C'est comme ça le deuil.
On en guérit partiellement, mais il te saute au cou de temps à autre. Je ne souffre plus en continu de cette perte, ce n'est pas comme dans les premières années, où j'avais cette affreuse sensation de mourir à petit feu. Chaque geste, chaque heure étaient douloureux. Sans mon frère, j'aurai probablement fini par faire une connerie, peut-être irréparable.

Je m'en veux d'avoir perturbé ces essayages. Cela devait être un bon moment pour Alba, maman et moi, autant que possible en n'ayant d'yeux que pour elle mais passons, et finalement j'ai l'impression d'avoir tout gâché. Je n'aime pas me montrer sous ce jour, je n'ai pas envie d'avoir à parler de ce que j'ai vécu, pourtant je sais que je vais devoir quand je vois Alba me rejoindre, toujours dans sa robe.
Je finis de m'essuyer les yeux avec mon mouchoir, ravalant mes dernières larmes, n'ayant aucune envie de pleurer devant ma future belle-soeur (bien que le simple fait de la désigner par ce fait me donne envie de recommencer à verser des larmes).

"Evidémment il a fallut qu'elle te raconte.", je soupire. Ma mère ne pensait sûrement pas à mal, puis je me doute qu'Alba a du poser des questions. Dans un sens, j'aurai préféré aborder le sujet avec Alba dans un autre contexte. "Carlos ne pensait pas à mal, ne t'inquiètes pas. On en a parlé pluieurs fois, lui et moi. Il m'a dit à de nombreuses reprises que je n'étais pas obligée, t'sais c'est sans doute celui qui me comprend le mieux , qui m'a le plus soutenu. C'est juste que je ne pensais vraiment pas me sentir mal comme cela.", j'arrive à lui sourire un peu. "Cela fait plus de 10 ans c'était pas censé...Bref. Puis je savais que ce moment ne t'enchantait pas vraiment, alors je me suis dit que ça te ferait plaisir que je sois dans les parages...", toute seule cela aurait été un peu triste, et même si on ne se parle plus comme avant.... En tout cas, je ne veux surtout pas qu'elle en veuille à Carlos, il ne m'a forcé à rien du tout, bien au contraire. Il s'est toujours montré bien plus chaleureux que notre mère par rapport à ce sujet.