Prologue introspectif
And I will continue to move forward
Crushing everything, the crusher, annihilator
You're worthless, not me!
Living the life that only I can see
You're worthless to me
Saying that you are something that you'll never be! Cette musique me rend fou ! Le volume est tellement fort que je sens la vibration de cette litanie qui cherche à dévorer mon âme. Je lève le regard dans le rétroviseur et je vois Jolan et Darik assissent sur la banquette arrière s’agitant sur la chanson You Can’t Stop Me du groupe Suicide Silence. Je roule des yeux en serrant les poings sur le volant, je ne me sens vraiment pas d’humeur à faire la fête et à m’amuser. Je jette également un coup d’œil rapide du côté passager pour constater Jax qui suit paisiblement le rythme des paroles comme si c’était une chanson parfaitement calme et détendue. Exaspéré, je repose mon attention sur le chemin désert qui se trouve devant moi. Pourquoi laissé-je mes frères choisir la musique ? Tout ce que j’en retire est un mal de crâne et un saignement de mes tympans à cause de ces chansons deathcore. Encore là, ce n’est plus de la musique rendue à ce stade, c’est une horreur ! Si je voulais écouter un exorcisme, je materais le film des années de 1973.
Ça y est, j’ai mal à la tête. Je n’en peux plus ! Ces voix criardes, graves et incompréhensives m’agressent au plus haut point. J’étire donc mon bras vers la radio de la voiture et remplace le CD par un qui est plus relaxant. Réduisant du même fait le volume, créant ainsi une émeute dans la bagnole.
— Hé ! Pourquoi t’as changé le CD ? C’était de la bonne musique, ça, commence Darik dans l’incompréhension de mon geste, mais amusée en même temps de ma frustration.
— C’est pas parce que t’es le conducteur que tu peux contrôler la musique comme ça te chante, sale con, me lance sérieusement Jolan.
J’ignore leurs interventions enfantines feignant de ne pas les avoir entendus en continuant tout bonnement de regarder par le pare-brise. Malgré cela, je remarque du coin de l’œil mon frère arrogant qui s’est étiré entre les deux sièges pour remettre ce CD de malheur. Restant calme, je lui lance un avertissement en fixant toujours la route.
— Ne touche pas à ce CD.
— Ouais ouais, va te faire foutre.
Je laisse Jolan m’envoyer me faire foutre ainsi que sortir l’autre CD que j’avais mis en guise de remplaçant. Sans le faire paraître, je commence vraiment à bouillir de l’intérieur. Je n’avais aucune envie de sortir ce soir, j’étais fatigué et à la dernière minute mon père nous a mandatés tous les quatre de régler un problème… Pourquoi, ce merdeux de frère doit absolument me provoquer tandis qu’il sait que je vais m’énerver ? J’ai l’impression de vivre dans une famille d’abrutis et d’être le plus vieux de mes frères alors que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas drôle d’avoir à faire la discipline à son frère de 24 ans. J’ai le sentiment que l’on me fixe depuis un moment. Je tourne les yeux vers Jax qui me lance un regard réprobateur. Toutefois, il est trop tard, Jolan saisi le CD de deathcore. Retournant mon attention sur la route, j’agrippe son mohawk dans une poignée de main puis je lui écrase le nez violemment contre l’appui-bras. Il gémit de douleur en camouflant son nez d’une main tandis que son sang gicle partout dans la bagnole. Moi, je termine mon lancé en lui arrachant le CD qui se trouve encore entre ses doigts. Ouvrant la fenêtre, je le balance sur l’autoroute. Puis, je remonte la fenêtre qui d’un coup sec coupe le vent qui entrait. J’entends Jax soupirer en détournant le regard vers sa fenêtre. Darik, lui, fait uniquement garder le silence sans ajouter de l’huile sur le feu. Ensuite, vient Jolan qui commence à se plaindre.
— Tu m’as cassé le nez, fils-de-pute ! Puis le CD, putain… Pourquoi tu l’as jeté dehors, espèce de malade mental ?
— C’est bon, ferme ta gueule Joly et rassois ton cul adéquatement sur le siège arrière. Maman va t’arranger le nez et je vais te racheter ce nase de cd, mais s’il te plait, je veux le silence jusqu’à destination.
Il me scrute quelques secondes d’un air mauvais. Sans broncher, il recule et s’assoit sur la banquette. De ce fait, le silence règne jusqu’à destination.
***
Je stationne la voiture sur le bord d’une rue bondée de maisons et je coupe le moteur. Je regarde l’heure sur ma montre : 2h28. Je déclenche ma ceinture puis me tourne de façon à ce que nous puissions tous nous capter.
— Là, on fait vite. On entre, on trouve le mec et sa femme, on réclame ce qu’ils doivent. Aucune négociation on n’a pas le temps pour ça et on évite de les frapper si possible. Tout ça doit être réglé en dix minutes, pigé ?
Tout le monde acquiesce en silence.
— Dernière chose, ils ont une petite fille. À cette heure ils doivent tous dormir, on ne fait aucun bruit durant notre visite surprise. On doit en aucun cas réveiller la jeune. Soyez professionnels pour une fois. C’est important qu’on ne crée pas d’agitation et qu’on soit sérieux. Je vais m’occuper de surveiller la chambre de la petite. Vous autres, vous faites ce qui a à faire. Jax, tu vas, s’il te plait…
— T’inquiète, je vais maintenir l’ordre. Je suis l’aîné, non ?
Comme si ça changeait quelque chose qu’il ait 29 ans…
— Parfait, terminé-je en ignorant sa question peu utile. Et Darik, n’oublie pas de prendre le sac.
Je sors de la bagnole, accompagné de mes frères qui font de même. J’accueille avec joie le petit vent frais de la nuit qui m’enveloppe. Je saisis une grande inspiration en fermant les yeux une fraction de seconde. Je contourne la voiture, déterminé sans toutefois être optimiste, en me dirigeant vers la maison dans laquelle habitent les gens qui sont le problème à régler pour mon père. Je traverse la pelouse de la cour et me rends à l’arrière de celle-ci avec les gars qui me talonnent. Vu le quartier, aucun de ces domiciles ne risque d’avoir d’alarmes. C’est un quartier de classe moyenne. Alors je casse simplement la poignée avec la pince à talon dont Darik a extrait du sac. J’ouvre ensuite la porte puis pénètre avec les autres à l’intérieur. Comme de fait, aucune alarme ne se fait entendre. Je me tourne vers mon frère et je prends le sac qu’il trimbale pour en sortir des paires de gants destinées à chacun d’entre nous, question de ne pas mettre d’empreintes partout. Ensuite, je prends une lampe de poche et l’allume éclairant la pièce qui se trouvait dans l’obscurité. Je peux deviner que nous sommes dans la cuisine. Je fais la rotation de la pièce avec ma lampe. Il n’y a personne et je ne capte nul son. Tout le monde semble dormir à l’étage vu le silence qui règne. Avant de m'aventurer en haut, je lance un regard vers mes acolytes pour leur faire savoir de se préparer. Dans un même élan, nous vérifions nos flingues et nos poignards avant de les remettre là où ils étaient dissimulés sur nous. De la sorte, on se précipite sans bruit dans les escaliers qui mènent à l’étage des chambres. Plus je gravis les marches, plus je me demande pourquoi je n’ai tout bonnement pas refusé quand mon père m’a quémandé d’aider mes frères avec ce boulot. D’ailleurs, tandis que c’est une partie de plaisir pour eux d’être ici, moi ça ne l’est clairement pas du tout. À la pensée qu’il y ait une fillette dans cette maison, j’apprécie encore moins la perception de foutre la merde pour les conneries de mon paternel. Je déteste que des personnes innocentes payent pour les erreurs et les obscénités des autres. Déjà qu’on ait à menacer cet homme ne m’enchante guère aussi.
— Est-ce que je peux m’occuper de lui donner la chienne de sa vie s’il coopère pas? demande soudainement Jolan excité à l’idée.
— Chut, ferme là, lui soufflé-je durement.
Parvenu en haut, je jette un coup d’œil rapide aux portes qui s’offrent à nous. Une en face, une autre à droite et à gauche.
— Je regarde derrière la porte de droite. Darik et Jolan, celle du milieu. Jax, celle de gauche. Compris ? articulé-je dans un chuchotement à l’intention de mes frères.
Je n’attends pas qu’ils me répondent et je m’oriente vers la porte que je me suis destiné à ouvrir pour voir ce qui s’y trouve derrière. Je pousse celle-ci tranquillement, mais malgré cela, elle grince. Je grimace face au bruit. La laissant entrouverte, j’y glisse ma tête repérant une petite veilleuse au pied d’un lit. Détournant mon regard vers la forme qui dort toujours paisiblement dans son lit, je distingue que c’est la petite fille. Je régresse tranquillement en dehors de la chambre pour voir ce qui en est du côté de mes frères. Darik et Jolan me fixent d’un sourire moqueur.
— Quoi ?
— La porte du milieu, c’est simplement des chiottes, m’explique Darik.
— C’est pour ça que vous vous marrez ? Franchement, lancé-je exaspéré avant de me tourner vers Jax. La chambre du couple, je suppose?
— Exact, on y va ?
— Allez-y, et en silence. Il ne faut pas réveiller la fillette. Emparez-vous de ce dont vous avez besoin dans le sac. Puis il ne faut pas que la femme crie, occupez-vous d’elle en premier. Et je répète, on ne les blesse pas si possible, faite ça proprement sans mutinerie. Tout ça en moins de dix minutes.
Je lance le sac que j’avais pris à Darik plus tôt en direction de Jax qui l’attrape naturellement. Pendant que je me positionne entre l’extérieur et l’intérieur de la chambre pour surveiller de tous les bords; Jax, Darik et Jolan pénètrent dans celle du couple en refermant derrière eux. Maintenant, je dois simplement espérer que Jolan reste tranquille et qu’il ne fasse pas des siennes. Je veux uniquement que tout se passe bien et qu’on fiche le camp au plus vite.
Je scrute l’enfant qui dort encore dans son lit. La bouche entrouverte, le souffle court et les yeux clos avec un bras qui dépasse de son matelas. Je la regarde dormir calmement et je pense au fait que j’envie sa plénitude. Depuis que ma véritable mère est décédée, m’obligeant à vivre avec mon père, je ne me souviens pas d’avoir connu l’innocence de l’enfance dans laquelle elle se trouve, ni de m’être déjà senti autant en sécurité derrière de simples couvertures avec une petite lumière qui me protège contre des monstres. Mon enfance avec ma mère s’est effacé avec le temps pour être remplacé par celle que mon père m’a donné. Je me remémore juste mon père qui nous a élevés à la dure et sans pitié, mes frères et moi. « Les monstres ne sont pas dans ton placard, jeune crétin. Ils sont dehors parmi nous. Et toi aussi, tu es un monstre de cette société. Assume seulement ton rôle et tu comprendras le sens de tout ça. » Voilà ce que me répétait mon père à chaque fois que je lui disais que j’avais peur dans le noir à cause des monstres qui s’y cachaient. Effectivement, aujourd’hui, je sais ce qu’il voulait dire. Je n’ai jamais désiré faire partie volontairement des méchants, mais mon éducation a été plutôt très spéciale, violente, brutale et dans la part obscure de ce monde.
Mes pensées sont coupées par un bruit lourd venant de l’autre chambre. À l’intonation de ce bruit, la fillette tourne dans son lit en soupirant. Putain, qu’est-ce qu’ils font comme bordel ? J'examine ma montre, ça fait déjà huit minutes qu’ils sont là-dedans. Moins de deux minutes et ce sera le temps maximal que je leur ai fourni. C’est pourtant simple de respecter les délais et consignes, il me semble. Un cri sourd se fait entendre de la chambre. J’étouffe un juron empli d’irritation. Lançant un dernier coup d'œil vers la petite qui dort à poings fermés, je clenche silencieusement sa porte puis me dirige vers celle qui derrière devient trop mouvementée à mon goût. Je l’ouvre rapidement, entre à l’intérieur et me précipite pour refermer doucement derrière moi. Je m’autorise donc à regarder ce qui se passe. La lumière de chevet allumée qui éclaire légèrement la pièce me permet de distinguer la merde totale qui s’y trouve.
La chambre est suffisamment grande, mais à six nous sommes assez entassés. Avec un ruban adhésif sur la bouche, le couple est assis par terre dos à dos, les mains attachées derrière eux. J’observe la femme d’une trentaine d’années aux cheveux courts d’un bond platine. Les yeux imbibés de larmes et bouffis à cause des pleurs, son regard est complètement tétanisé. Elle a également une coulisse de sang qui descend de son sourcil à sa joue. Je peux donc deviner qu’ils n’ont pas esquivé la violence si possible comme je l’avais exigé. Cette constatation me fait virer du rouge aux cramoisies. Bande d’idiots sans cervelle ! J’examine à son tour le mec qui a les cheveux mi-long noirs. Je remarque qu’il détient de l’assurance et du courage dans ses yeux, mais il craint pour la sécurité de sa femme et il n’a aucune confiance en nous. Ils n’ont pas fait de plaies ouvertes à cet homme. Par contre, je ne serais pas surpris qu’ils l’aient frappé. Mon attention se porte ensuite sur les dégâts dans la chambre. Je constate que le couteau de Jolan est planté dans le bois de la table de chevet devant un cadre enfermant la photo d’une petite fille souriante. De surcroît, ils ont également déchiré les couvertures du lit avec un canif, car les déchirures sont sur une longueur complète et en ligne droite. Il y a de la mousse partout sur le lit ainsi que sur le plancher. Pour finir, je vois les vêtements de leur placard dégouliner d’un liquide qui forme une flaque au sol. Je devine que c’est forcément de l’urine.
Je vais les tuer ! J’écarquille les yeux devant ce foutoir et je tourne la tête vers mes trois frères qui me regardent en silence. La mâchoire me contracte avant que je parle d’une voix basse mais sévère et horripilée.
— Putain de merde ! Mais qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans « Vous n’avez que dix minutes, faites cela proprement, aucun bordel et ne pas les blesser », hein ? Vous êtes cons ou cons ?
— T’as dit : « ne pas les blesser, si possible », rétorque Darik en mettant l’accent sur les deux derniers mots.
— Ah oui ? Et c’était pas possible, peut-être ? Crétin !
— Ne crie pas, tu vas réveiller la gamine.
— Oh oui, puis toi, t’étais censé maintenir l’ordre, l’aîné, craché-je sur un ton sarcastique dans le but de reprendre ce que Jax m’avait répondu plus tôt dans la voiture.
— Va chier ! J’ai fait ce qui était nécessaire.
— Comme pisser dans leur penderie, par exemple ? dis-je en pointant le placard suivi d’un hoquet de rire désappointer par la situation.
— C’est Jolan, ça.
— Oui, ça, c’est une évidence, fais-je en levant les bras dans les airs, abandonnant l’obstination.
Jolan sourit comme un gamin devant l’attention que je viens de porter à son geste déplacé, inutile et puéril. Darik me regarde avec décontraction ainsi qu’indifférence. Puis Jax dans un calme total, attend que je poursuive. Affligé, je prends ma tête à deux mains.
— Bon, dis-je plus pour moi-même que pour les autres, façon à me motiver un peu plus.
Avoir du temps à perdre, j’aurais presque envie d’envoyer Jolan laver les vêtements sur lesquels il a pissé comme un enfant de quatre ans. À cette réflexion, je lance un regard dur à celui-ci qui sourit encore de son comportement fouteur de merde. Je pointe du doigt ce dernier comme à un gosse qui mérite de se faire sermonner et je lui pique une paire d’yeux qu’il appréhende immédiatement. De ce geste, je détourne mon attention de ce débile pour l’apporter sur le couple duquel je m’approche et vais m'accroupir devant l’homme.
— Je vais retirer le collant et je ne veux pas vous entendre crier. Est-ce que vous me comprenez ?
L’homme hoche la tête.
— Parfait. Je vais l’enlever et ne criez pas. Vous ne voulez quand même pas réveiller votre petite fille qui dort. Je me trompe ?
Cette fois il secoue la tête. Je lui dérobe doucement le ruban adhésif en surveillant ses réactions faciales. Une fois le collant arraché, l’homme prend une grande inspiration essayant de neutraliser son souffle saccadé. Il a chaud et de la sueur perle sur son front. De l’autre côté, je vois les épaules de sa femme se soulever sous les sanglots étouffés.
— Ne faites pas de mal à ma famille, je vous en prie.
— C’est pas l’intention de ma visite. Néanmoins, il faut coopérer. Ensuite on pourra partir et vous oublierez ce malheureux inconvénient. Excusez le comportement de mes frères. Ils sont maladroits et manquent d’éducations dans leurs manières. Vous acceptez mes excuses pour eux ?
— Oh, oui-oui. Il n’y a pas de problème, je vous le jure, se précipite-t-il de répondre avec conviction d’une voix tremblante et craintive.
— Monsieur, je ne veux pas que vous ayez peur de moi. Je ne vous veux aucun mal personnellement. (Je regarde l’heure sur ma montre, 13 minutes découlées). Mais j’ai largement dépassé le délai que j’avais fixé pour ma visite chez vous, j’aimerais donc hâtivement clore le sujet. Ce qui nous amène à Ray. Vous avez eu affaire à son intermédiaire avec lequel vous avez conclu un accord pour ce qui est de l’assassinat de votre père. L’argent…
Je m’interromps lorsque sa femme lâche un cri de surprise étouffé derrière le collant sur sa bouche. Elle tourne sa tête vers son mari, balbutiant en charabia des choses qu’elle ne peut prononcer à cause du ruban. Elle essaie de se débattre ainsi que de frapper son mari avec des élans. Elle a soudainement arrêté de pleurer et semble maintenant très en colère. Distinguant qu’elle ne se calme point, Jax s’avance et mobilise la femme en la prenant par les épaules avec force tout en lui lançant un regard sévère. La femme se tranquillise aussitôt. Seule sa respiration irrégulière reste. Je concentre de nouveau mon attention sur l’homme qui a baissé ses yeux enduits de culpabilité vers le sol, je peux donc comprendre que sa femme n’avait pas été informée de l’entente. Ignorant ce mélodrame familial, je poursuis.
— La moitié de l’argent que vous avez donné à Ray a été falsifié. C’est du bon boulot puisque que ç’a pris du temps pour s’en apercevoir. Suffisamment de temps, pour avoir fait le travail que vous ne pouviez pas faire et auquel vous avez demandé son aide. Mais Ray est un homme de parole et il n’aime pas qu’on lui poignarde dans le dos. Il est professionnel dans ce qu’il entreprend avec les gens. Le fait que vous avez essayé de lui passer une petite vite sous le nez en croyant que ça n’allait rien faire prouve votre naïveté, monsieur. Enfin bref, où est-ce que l’on peut avoir le reste de cet argent?
— Je l’ai pas.
— Cette réponse n’est pas valide parmi celles que vous pouvez me donner.
— Si j’avais eu l’argent au total, je lui aurais transmis. Mais j’avais pas les moyens.
— Vous êtes encore plus stupide dans ce cas. C’était à vous de vous abstenir de faire arrangement avec un tueur à gages. Il réclame son dû et je ne peux pas sortir d’ici sans satisfaction à ramener à Ray.
— Assez les niaiseries ! intervient Jolan en hurlant.
Il s’avance d’un coup rapide pour frapper le mec à la tête avec son arme avant de pointer son beretta suivi du déclic en guise de préparation sur la tempe de sa femme qui débute à s’agiter et fait réagir du même fait le mari pris de panique.
— Non, ne faites rien !
— Où se trouve le putain de fric ? continue-t-il de crier après l'homme.
Je me soulève de ma position accroupie tandis que Darik s’en mêle discrètement concernant le comportement de Jolan.
— Jo, baisse d’un ton, merde. Tu vas réveiller la gosse si tu continues.
Mais mon frère est parti dans un délire total et ne diminue aucunement le volume.
— Il y en a marre qu’il nous prend pour des cons. Je vais buter sa femme et on va voir s’il va être plus loquace après ça.
La femme se met à sangloter de façon hystérique et à crier de terreur autant qu’elle en est capable. L’homme, lui, essaie de se débattre en suppliant d’épargner sa femme pendant que Jolan lui beugle de fermer sa gueule et de nous dévoiler où est caché le pognon manquant. Ajoutant Darik qui tente de le calmer d’une voix neutre. Plus Jax qui commence à changer de couleur. Et de ce fait, il décide de sortir son poignard en direction de quiconque fait chier. De la sorte, il ne reste que moi, face à l'obligation de remettre de l’ordre dans la pièce. Je fais signe de la main à Jax de demeurer posé quelques secondes. Je recule Darik loin de Jolan duquel j’empoigne le poignet qui maintient le flingue, je le soulève vers le haut d’un coup sec et ensuite de côté en tournant son bras pour que l’arme tombe par terre. Je lui abats par la suite mon poing dans l'estomac. Son corps plie en deux sous le coup qui le coupe le souffle. Je termine en élançant mon genou sur son nez douloureux que j’ai déjà fracassé plus tôt. Tandis que Jolan gémit d’affliction en entreprenant de tenir son visage de nouveau en sang entre ses mains, j’entends la porte de la chambre grincer. Pivotant vers celle-ci, je distingue la fillette pas plus âgée de dix ans dans le cadre de chambre.
— Oh putain, la merde, constate Darik désappointé de voir l’enfant devant ce chaos.
La petite fille au longs cheveux noirs ébouriffés se trouve paralysée devant la scène qu’elle perçoit. Dans son pyjama de fées, elle nous regarde avec les yeux écarquillés de peur ainsi que la bouche entrouverte. Elle nous observe sans comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons là, mais elle sait que nous ne sommes pas ici en visite de courtoisie. A ce moment précis, elle fait un pas en arrière, se détourne et s’apprête à fuir à la hâte. Par contre, Darik ayant prédit qu’elle allait réagir de cette manière, est déjà derrière elle pour la soulever de terre et la ramener dans la chambre en fermant à leur suite. L’enfant se met à pleurer en se tortillant ainsi qu’en tonitruant. Avant même que j’aille le temps d’intervenir pour calmer la petite avec amabilité, Darik extrait son couteau en l’ouvrant dans un petit clic et lui place sous la gorge effrayant ainsi la gamine qui commence à trembler, mais qui arrête de crier et de gigoter.
— Ne bouge plus ou ça va mal se terminer pour tes parents et pour toi, lui ordonne-t-il odieusement.
— Range ton couteau, tu lui fais peur ! réagis-je, n’ayant pas la conscience tranquille de voir cette enfant dans un état de choc si intense.
— Daeron, ferme ta gueule ! Tu vois pas que rien ne se passe comme prévu ? Il faut mettre de l’ordre ici. Et j’ai décidé qu’on allait changer de tactique. Fini les méthodes bisounours.
J’allais rétorquer que si cela ne se déroulait pas comme prévu, qu'il était entièrement question de leur faute à tous les trois, mais un coup de feu retentit fortement derrière moi. Je sursaute en baissant la tête de surprise. Je me retourne précipitamment pour voir que Jax venait de tirer une balle dans le crâne de l’homme qui se trouve maintenant inerte accompagné d’une mare de sang qui se répand autour de lui et de sa femme se trouvant en pleine crise de panique face à ce qui vient de se produire. Elle essaie en vain de s’éloigner du cadavre de son mari qui git derrière elle. La femme hurle et pleure comme jamais. Je perçois qu’elle est terriblement apeurée.
Elle fixe soudainement en direction de sa fille qui sanglote. Je lis dans ses yeux inquiets que tout ce qu’elle désire est la survie de son enfant. Son regard vient me pétrifier de l’intérieur. Je n’ai jamais vu autant d’amour que dans les familles normales et aimantes comme celle-ci contrairement à la mienne. Je culpabilise de ce qui arrive en ce moment. J’aurais dû mieux maintenir l’ordre que cela. Jax place le flingue sur la tempe de la femme et au contact de l’arme sur sa peau, elle tourne son attention sur moi et me supplie d’un regard profond et sincère. Je peux comprendre à travers ses yeux qu’elle me sollicite de faire quelque chose.
— Jax, attends…
PAW! Plus d’homme, plus de femme. Plus de couple, seulement une enfant désormais orpheline.
— Quoi ? Tu voulais quand même pas que je la garde en vie, si ? J’ai tué son mari, elle connaissait les motifs de notre visite, elle a entendu nos conversations, remarquée nos visages. C’était un trop un gros risque à prendre.
— Pourquoi t’as tué l’homme justement ? vociféré-je.
— Papa m’a dit, que si ça niaisait le chien, de simplement tous les buter. Pour l’exemple.
— Il t’a dit ça ? Pour l’exemple ?
— Ouais, me lâche-t-il d’une voix ironique pour se moquer de moi.
Mon père est conscient que je peux mener à bien une opération avec mes frères et de façon à ce que tout se passe calmement, pacifiquement et proprement. Toutefois, il sait que si ça tourne mal, il peut se fier à Jax pour exterminer les problèmes avec la solution rapide qui est de tous les tuer. Ça me frustre et m’attriste. Je voulais sincèrement que tout se déroule bien et qu’on ressorte d’ici aussi bien qu’on a réussi à entrer.
Jolan sourit devant mon air, satisfait de voir que leur mort perturbe ma conscience, car les autres et lui n’en ont pas plus qu’une poule à des dents. Il en profite pour me provoquer puisque tout est un jeu pour lui.
— Oh, tu ne vas pas te mettre à chialer pour deux petits morts, Jésus ? Tu peux leur faire une prière de repos éternel ou écarté les jambes de la connasse et la lui mettre bien profond pour le plaisir, c’est comme tu préfères. Personnellement, la deuxième option est plus marrante.
Insulté, je serre le poing et m’apprête à combler le vide qui nous sépare, mais Jax s’élance entre nous deux, nous empoignant par le collet de nos vêtements.
— Ça suffit ! Vous réglerez ça à la maison, mais on n’a pas le temps pour ce genre de bêtise. Et Jolan, ferme juste ta sale gueule, c’est vraiment pas le moment pour tes conneries.
Je décide de ravaler ma hargne en feignant de redevenir calme pour éviter que la situation empire. Laissant Jolan avec son sourire niait, je vais rejoindre Darik qui tient encore la fillette qui pleure en fixant ses parents gisant dans leur sang.
— Qu’est-ce qu’on fait d’elle ? questionne-t-il dans notre intention.
— On la tue.
— On ne la tue pas, réponds-je en harmonie avec Jax.
Je lui lance un regard désapprobateur en constatant qu’il a le même regard que moi. Durant cette fraction de seconde où l’on se toise en chien de faïence, Jolan prend les devants et décide pour nous tous de l’action à faire en commettant ce que je ne voulais strictement pas. Il arrache son poignard à l’endroit où il se trouvait encré dans la table de chevet puis plante celui-ci dans l’estomac de la jeune fille.
Son souffle s’entrecoupe avant qu’elle ne reprenne une grande inspiration difficile. Son visage se déforme sous l’affliction à travers un hoquet de douleur qu’elle laisse échapper de sa bouche.
— Jax, t’as dit qu’on n’avait plus le temps pour des conneries.
Jolan retire le couteau et le renfonce à un endroit vierge de sa peau.
— Alors, terminé les conneries. Problème réglé, finit-il avec désinvolture en ressortant le poignard pour la deuxième fois.
Darik lâche la petite fille qui tombe instantanément au sol puis il s’extirpe de la chambre avec indifférence. J’entends ses enjambées dévaler les escaliers. Jax me tapote l’épaule puis sort à sa suite. Il ne reste plus que Jolan qui pour une fois me regarde sans un sourire d’accrocher au visage. Nous nous scrutons quelques secondes avant qu’il ne parte aussi à son tour pour rejoindre les autres qui ne sont sûrement déjà plus dans la maison. Je me retrouve seul dans la chambre tamisée. Seul avec deux cadavres et une jeune fille qui suffoque au sol. L’odeur métallique et âcre du sang se fait déjà sentir durement. Celui du couple s’est étendu à une grandeur immense dans la chambre tandis que celui de la gamine se répand lentement à son tour.
Je m’accroupis à ses côtés. Les jambes repliées sous moi, je prends sa tête et la dépose sur mes cuisses. À mon geste, elle tente de fuir en voulant ramper. Je sais qu’elle a peur de moi. J’essaie donc de la rassurer d’une voix douce et posée.
— Chut, ne bouge pas. Je ne veux rien te faire, promis.
La jeune fille se calme à mes paroles et me fixe droit dans les yeux. Ses yeux bleus sont parsemés de désarrois laissant les larmes coulées sur le côté de son visage. Malgré sa respiration saccadée elle trouve la force de parler ce qui me prend au dépourvu.
— Pourquoi vous avez fait ça? me demande-t-elle faiblement.
Je ne sais clairement pas quoi lui répondre.
— Je voulais pas faire ça.
— Alors, pourquoi l’avoir… fait ? demande-t-elle en toussant.
— Parce qu’on me l’a exigé. On était censé simplement discuter, mais ç’a très mal tourné. Pardonne-moi, j’ai vraiment essayé d’être gentil. Je voulais que personne ne soit blessé, lui avoué-je le cœur serré.
Je ne désire pas qu’elle meurt dans la peur. Discuter est la seule chose que je peux faire tandis que son temps s’écoule.
— Il faut que tu te pardonne en premier, parce que le pardon vient de nous et non des autres. Mon père… m’a répété… souvent ça.
Soudainement, je me retrouve, en train de réfléchir aux paroles d’une enfant d’environ 10 ans. J’ai tant de choses à me pardonner à moi-même, tant de culpabilité qui me ronge depuis tout petit. Je ne sais même pas par où commencer.
La petite fille se met à cracher du sang arrêtant de ce fait mes pensées. Sa main agrippe fermement mon bras qui l’entoure. Je sais qu’elle est effrayée et qu’elle a mal.
— Ça va aller, tout va se terminer bientôt, je te le jure.
— Je vais… mourir?
Comment dire à une enfant que c’est exactement ça, qu’elle va mourir, qu’elle ne verra pas demain ? Je sais ce que mon père lui aurait dit, mais je sais que je ne veux pas prendre ses paroles destructrices. Je tente de mon mieux d’être honnête sans l’effrayer davantage.
— Tu vas simplement retrouver tes parents dans un endroit vraiment génial. Ça fait pas mal. Tu verras, tes parents t’attendent impatiemment.
— Vraiment ?
— Bien sûr, t’inquiète pas.
L’enfant expulse une nouvelle fois du sang de sa bouche, et à chaque fois elle se cramponne après moi. Son visage se tord de souffrance. Je continue de garder le contact avec ses yeux bleus. Je la regarde calmement. J’ai une peine immense pour elle. Je me sens horrible. Je suis un monstre de cette société, mais jamais je ne pourrai assumer ce rôle. J’aimerais sauver des vies et non les enlever, pourtant ça me semble plus facile de les ôter que de les préserver. Malgré mon désir de vouloir faire le bien, je n’arrive à rien d’autre que faire le contraire. Ce soir, j’ai voulu épargner de blesser une famille, mais sans même que j’aille eu besoin de faire quoi que ce soit, ils sont tous morts ou en train de mourir. Je me sens dans l’échec. Un échec inexcusable. J’aurais dû empêcher tout ça ! Ce n’était pas censé se passer de cette manière. J’ai clairement et lamentablement échoué. Je regarde l’enfant de nouveau. Cette dernière crache une fois de plus du sang. Je devine qu’elle s’affaiblit davantage.
— Ne me laisse pas s’il te plait… J’ai peur toute seule dans le noir.
— Je suis là, ferme les yeux et essaie de dormir.
La petite fille fait exactement ce que je lui dis. Elle clôt les paupières et se détend. Quelques secondes passent et je sens son corps s’alourdir tandis que sa respiration disparait.
Lorsque celle-ci est complètement éteinte, je dépose doucement sa tête par terre et me relève, imbibé de son sang. Je fuis la chambre tranquillement, me dirigeant au premier étage pour trouver la sortie et émerger dehors. Il est tôt et la couleur matinale se fait subtilement distinguer dans le ciel encore sombre. L’air est humide et frais, ce qui pourrait me faire un bien fou si je ne sentais pas mon cœur qui se compresse dans ma poitrine avec douleur. Face contre la maison de briques, j’accote ma tête contre le mur et je frappe à coup de poing dans celui-ci à répétition tout en hurlant de colère. Je ne sais pas durant combien de temps je cogne, mais je le fais jusqu’à ce que les briques déchirent mon gant et que j'éprouve une douleur permanente sur mes jointures. Lorsque je cesse de me mutiler la peau, je me laisse tomber à genoux et j’éclate en sanglots. Si tantôt j’étais enragé, j’ai en ce moment vraiment mal lorsque je me remémore cette petite fille. Les mauvais souvenirs refont surface sans que je l’aie volontairement voulu, car la fillette me rappelle ce que mon père a fait à mon meilleur ami d’enfance.
Je ferme les yeux et me concentre sur ma respiration. Après quelques minutes à contrôler mon souffle et mes pensées, j’ouvre à nouveau les yeux beaucoup plus posés. Me soulevant sur mes jambes, je distingue un cabanon au fond de la cour. Arrivé à celui-ci, je m’introduis à l’intérieur et en moins d’une minute je suis de retour dans la maison. Je déverse de l’essence dans toutes les pièces de la demeure avant de ressortir. Près du porche, sortant un paquet d’allumette de ma poche de pantalon, je fais flamber le tout en jetant le bout de carton en flamme à l’intérieur.
Je marche en direction de l’avant-cour où se trouve encore la voiture qui est stationnée sur l’accotement. Je distingue mes frères assis paisiblement à l’intérieur en riant tandis que la maison prend pleinement feu. À ce moment, je sens une haine atroce envers eux. Je les déteste et je vais leur faire savoir rudement.