La situation Ysrafel Lovenox est un des vampires les plus anciens d'Amérique du Nord, descendant de celle que l'on surnommait avec affection la Reine Vampire. Après des années de silence, Ysrafel est réapparu. En effet, il a appris par quelques murmures que son Infante disparue, qui le fuit depuis des centaines d'années, a engendré. Lui qui en veut toujours à Omphale de l'avoir quitté y voit une occasion de se venger.
Contexte libre.
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Date d'inscription : 24/03/2017
Région : Sarthe, Le Mans.
Crédits : Nobody.
Univers fétiche : Sadique polyvalente.
Préférence de jeu : Les deux
Sha
Lun 12 Juil - 14:14
Every Step You Take
Partie 1
Ysrafel:
Quand je choisis de m’endormir, j’avais le cœur lourd et la tête toute faite de peines. Pas de celles qui attendrissent le cœur et rendent parfois poètes, mais de celles qui font mourir les loups à l’approche de la pleine lune. J’ai choisis de m’endormir, et aujourd’hui tu me réveilles, Maîtresse infidèle, Démone-Reine, tu me réveilles en me crevant le cœur par ton amère disparition. Tu as percé si proche de l’aorte, mais si loin de l’abcès qu’elle avait pu laisser. Ô ma Dame de Nuit, comme j’aurais préféré que ce fut sa perte à elle qui me réveillât. Comme j’aurais aimé la sentir mourir en moi, comme j’ai pu sentir sa sœur mourir, comme j’ai pu la sentir s’échapper au fur et à mesure que je buvais goulument son sang pourri de sa gorge blanche avant d’en capturer à jamais l’âme qu’elle me refusait.
Maintenant, je me sens plein de haine, plein de rage. Je me sens de nouveau si fort, si puissant, comme j’ai dormi bien longtemps… J’arrive Omphale. J’arrive. A ton tour, bientôt.
Après son réveil, Ysrafel alla rejoindre ses frères et sœurs survivants. Le temps ayant fait son œuvre, il trouva Sanguine près d’Hollywood, cachée dans un studio, se complaisant dans un univers de lumière artificiel pour une beauté pourtant bien réelle. Ils passèrent deux longues nuits à retracer l’absence du frère aîné, avant de se rendre compte que la seule chose qui l’intéressait était de savoir ce qu’il en était d’Omphale. Si elle en avait entendu parler, si elle l’avait vu. Et c’est avec une certaine excitation qu’elle lui offrit son sein, mais aussi des secrets, murmurés du bout des lèvres. La Bacchante lui avoua avoir entendu parler d’un gamin, d’un petit garçon du Vermont, aux yeux clairs. Entre deux morsures, elle lui offrit un nom : Gray. Après une pénétration, un prénom : Fennorian. Enfin, dans l’extase la plus fulgurante, une ville : Salem.
Les jeux des deux enfants de Lysbeth prirent fin à l’aurore. Ils se séparèrent après une dernière accolade, franche et sincère, toute en sensualité et en tendresse non dissimulée. Un énième baiser sur les lèvres pour se dire au revoir, et Ysrafel repartait sur les routes jusqu’à la ville maudite, élaborant au grès des paysages des plans de plus en plus cruels pour piéger l’infante échappée à ses griffes.
…*…
Je me souviens vaguement de ton visage. Je me souviens pourtant parfaitement de ta voix, du grain, du timbre, de tes rires, de tes chuchotements au creux de mon oreille.
Je t’avais choisi, Omphale, je t’avais choisi parmi tout le commun des mortels, toute cette mare putride et je t’ai sublimé en t’en extirpant de mes griffes, en t’emportant avec moi vers les hauteurs nocturnes en espérant que tu trouverais la grandeur que tu attendais tant tout là-haut.
Je t’ai d’abord offert mon sang, pour que tu te nourrisses, pour que dans mes veines tu viennes chercher les délices incomparables, pour que tu jouisses d’une extase qui rapidement éclipsa toutes celles que tu avais connues avant. Je t’ai ensuite offert une vie entière à mes côtés, une éternité nichée au creux de ma gorge, à même ma peau, à même mon cœur. Ensemble, je nous ai crus immortels, je nous ai imaginé amants éternels.
La vérité, Omphale, c’est que tu ne m’as jamais vu que comme un outil, comme un moyen. J’étais le mal nécessaire à ton érection – ou devrais-je dire le mâle ? A l’époque, le carcan était si serré autour de tes os. Tu étouffais dans tes gaines, dans tes bouts de tissu dont je t’ai dépouillé des centaines de fois. Tu te sentais à l’étroit dans les corsets qui te dessinaient le corps pour le rendre plus affriolant, quand moi je m’enfonçais en toi, jusqu’au plus profond de ton être, dessinant le contour véritable de tes formes avec mes crocs.
Je t’ai vu, Omphale, grandir, devenir, évoluer, changer, te métamorphoser. Si j’avais su, Omphale, que tu t’envolerais loin de moi une fois le cocon percé, je t’aurai arraché les ailes.
Dans la ruelle, il est une silhouette qui passe inaperçu tout en faisant tourner les têtes. Un homme immense, à la carrure d’acier, emmitouflé dans un long manteau de feutre noir. Son air est grave, ses yeux accablants quand il croise un regard, aussi les badauds se pressent et ne s’attardent pas dans son ombre. Il les maudit en silence, se demande bien quel genre d’existence désuète et anodine ils ont pour se trouver intimider par si peu. Le cœur des hommes s’est ramollit durant son sommeil. Ils sont d’une étrange fragilité, d’un éphémère insupportable. Ysrafel n’a jamais eu trop en considération les êtres qui furent de son espèce, mais à les observer, se bousculer, se bagarrer, il lui semble assister à une scène répugnante d’insectes en masse, grouillant devant lui, dans un vacarme qu’il ne saurait supporter plus longtemps.
J’ose espérer qu’il en vaille la peine, Omphale. La peine de m’avoir trahi, de l’avoir choisi. Pourquoi lui ? Si tu savais comme j’aimerais plonger mes mains à même son ventre, en sortir lentement ses viscères. De sa tête m’en faire un trophée, une cible de mes colères… Ou peut-être devrais-je capturer son âme à lui aussi ? La tenir dans le creux de ma main. La piéger dans un instrument aussi insignifiant que lui. Un triangle d’argent. Quelle ironie…
L’ombre s’immobilise finalement devant une porte d’un appartement. Il penche la tête, caresse du bout des doigts le début de ce qui sera sa vengeance. Il jubile à l’intérieur, si bien qu’il se mord l’intérieur de la joue jusqu’à en faire jaillir quelques gouttes de sang qui marbre aussitôt sa langue et ses dents. La faim se réveille doucement dans son ventre, et pourtant elle fût apaisée avant de partir. Mais la chasse réveille en lui des envies anciennes, des envies infernales.
« Vous cherchez quelque chose ? » L’adolescent croise son regard. Il a un instant de recul, mais l’hypnose du vampire le happe plus vite que son instinct ne lui ordonne de fuir. Dans un silence lourd, il s’approche et déverrouille la porte avant de repartir de là où il vient sans demander son reste, sans se retourner une seule fois.
Parfait. Ysrafel pénètre lentement dans la cage d’escalier avant de refermer derrière lui la porte. Son pas est lourd, hésitant, mais il sait déjà où trouver sa proie. Alors il avance, tranquillement, savoure chaque mètre qu’il avale avec excitation. Ses mains effleurent le métal froid de la rambarde alors qu’il monte.
Où te caches-tu ? Il avance encore dans le couloir avant de lever la tête.
Face à lui, il est là. Leurs regards se croisent, Ysrafel et ses yeux bruns en contrebas, Fennorian en hauteur avec ses iris céruléennes. Ils se jaugent, se toisent, et si Ysrafel est bien plus bas, il paraît tout de même plus grand, comme un monstre s’étant échappé de sous les escaliers.
Sur le moment, sans bien savoir comment, il le sent en lui – le lien.
Sa gorge le gratte.
« Toi ! »
Le sourire d’Ysrafel s’agrandit et dévoile alors ses canines, ses crocs épais et longs. Il aimerait rire, parce que le gamin n’est pas ce à quoi il s’attendait. Il n’est ni viril, ni puissant. Son corps lui paraît malingre. Fragile. Faible. C’est vrai qu’il est mignon, mais depuis quand Omphale s’attardait sur des êtres pliables ? Ou alors est-ce pour ça qu’elle t’a choisi ? Parce que tu lui étais inférieur ?
D’un geste rapide, d’une vitesse inhumaine, il l’attrape par la gorge et le cloue presque aussitôt au mur derrière eux, le ramenant sur le palier de son appartement. Un grognement remonte sur les lèvres ourlées du vieux vampire. Un air de défi, une envie de le dévorer, celui qui souilla son héritage, qui a son sang dans les veines. Celui qu’il ne choisit pas.
« Dis-moi où elle est. »
Ses yeux sont furieux. Mais il y a de la peine, aussi, une déchirure, une colère qui ne naît que dans les eaux noires de la perte.
« Dis-moi où est Omphale. »
T'as-t-elle parlé de moi, mon Infante ? Sais-tu qui je suis ?
Étais-je assez important pour qu'elle te mette en garde ? Ou fût-elle assez ingrate pour taire jusqu'à mon existence ?
Non, ne dis rien, Fennorian. Ne dis rien qui ne rend furie mon sang et me fasse réclamer ta mort sur le champ.
Fennorian:
L’obscurité signe l’heure de la vie, ou du moins tout ce semblant qu’il en reste. Le calme est omniprésent au creux du bâtiment, là où le vampire a élu domicile. Un appartement respectable, loin de la pauvreté mais également du luxe. Non pas que Fennorian manque d’argent mais il ne se voyait pas perdu seul au beau milieu d’un appartement trop grand pour lui. Une nouvelle nuit commence. Une énième nuit à vaquer à des occupations toutes autres puisque le vampire a été amené à travailler une partie de la journée. Non pas qu’il ne soit friand de l’utilisation d’un talisman. Il préfère de loin les éclats pâles de la lune et l’obscurité de la voute céleste. Les choses en sont ainsi faîtes, et ce depuis de nombreuses années maintenant. C’est une énième nuit qui se veut des plus ordinaires, si tant est que tout puisse l’être au sein de Salem. Elle devrait l’être, car rien ne venait troubler les habitudes de Fenn depuis des semaines. Il y avait bien eu les retrouvailles avec Padraig mais pouvait-on réellement parler de trouble au sein de sa non-existence ? Pas vraiment si on lui demandait son avis. Lui avoir fait face avait permis au vampire de se rendre compte que même si le chasseur dégageait toujours cette aura de dangerosité, son apparence faisait décemment bien pitié. Là, seul qu’il était perdu dans son église délabrée à frayer avec ses fantômes et un Christ qui ne viendrait probablement jamais l’aider. Cette pensée lui traverse l’esprit tandis qu’il franchit le seuil de son chez lui, refermant aussitôt la porte derrière sa silhouette. Il est vrai que l’on peut le penser frêle, fragile voir malade mais en réalité il n’en est rien. S’il n’était encore qu’un homme voué à mourir, nul doute qu’il ne pourrait réellement rivaliser avec plus fort que lui, mais c’en était fini depuis cette fameuse nuit où il avait côtoyé la mort pour en revenir. Sans doute alors devrait-il sentir que quelque chose ne va pas ce soir. Sans doute aurait-il dû sentir les effluves d’un lien ancien à la seconde où il arrivait près des marches. Peut-être bien que les pensées volantes vers un fantôme de son propre passé avait empêché ses sens de l’alerter. Car à peine pose-t-il un pied sur les premières marches qu’il est arrêté.
La silhouette est massive, comme sortie de nulle part. Il a beau être plus bas dans ces escaliers qu’il connaît par cœur, l’autre n’en demeure pas moins imposant à le dépasser malgré tout en taille. Les billes bleues se posent dans les abysses, scrutant avec attention. Il devrait être impressionné, mais Fenn a toujours été une âme curieuse, cela ne changerait pas. En silence, et parce qu’il analyse, le plus jeune vampire des deux se demande à qui il a à faire quand en son for intérieur ses sens ne le trompent nullement. Il y a un lien. Il sent cette odeur particulière qui émane de lui et sur le moment il craint de comprendre. L’exclamation vole dans le silence de la cage d’escalier et Fennorian fronce lentement les sourcils, une main posée contre la rambarde glacée. Il ne répond rien, toujours occupé à le regarder, décortiquer les traits qu’il est en mesure d’apercevoir tout en notant la présence hostile des immenses canines. Ce sourire, il ne l’aime pas. Et à raison. Il ne faut qu’une fraction de seconde pour qu’à la vitesse de l’éclaire il ne heurte le mur en haut des marches, doigts pressés sur sa gorge. La douleur est vivace, à la hauteur de la force animale en possession de leur race. Mais d’une certaine manière, elle l’est plus encore chez l’autre. Par mimétisme, Fenn sort les crocs et souffle comme un diable, ses doigts s’accrochant à la main qui l’enserre. Dis-moi où elle est. Le jeune vampire gronde en retour, ignorant ce qu’il peut bien vouloir dire étant donné qu’il ne voit personne. Dis-moi où est Omphale.
A l’entente du nom de celle à cause de (et grâce à) qui sa vie s’éternise, les choses s’éclaircissent instantanément. Ou plutôt, ses doutes deviennent de plus en plus tangibles quant à l’identité potentielle de celui qui lui fait face. « Pas ici. » qu’il parvient à articuler entre deux grognements d’avertissement. Omphale n’avait pas mis les pieds à Salem depuis que Fennorian avait rejoint la ville. Il faisait tout pour l’éviter en réalité, ayant préféré se séparer de sa créatrice. « Je ne l’ai pas vu…depuis…des lustres. » qu’il ajoute en enfonçant un peu plus ses ongles dans la peau froide. La beauté de la mort c’est que s’il n’étouffe pas, il a malgré tout un mal de chien étant donné que cela écrase sans vergogne sa trachée. Alors il presse un peu plus sur cette main, sur les os pour tenter de le faire lâcher. Omphale ne lui a rien dit de son créateur, pas même son nom. Il savait uniquement qu’il s’agissait d’un il et non d’un elle. Tout comme il ignorait leurs petites affaires. Ca ne l’intéressait pas. Ne l’avait jamais intéressé pour dire vrai. « Maintenant, lâchez-moi. ». Il grogne de plus belle, donne un violent coup de coude sur ce bras tendu pour se défaire de sa prise. D’apparence frêle, peut-être, mais certainement pas fragile.
Ysrafel:
Il a de petits crocs. Ils ne le sont pas vraiment, mais Ysrafel n’a aucune envie de le voir plus grand qu’il n’est. En réalité, au creux de sa main, il aimerait bien le faire disparaître. Arracher chaque parcelle de sa peau pour la dévorer. Engloutir ses reins, ses poumons, garder son cœur afin de l’offrir à l’Infante. Pour la voir pleurer au moment de le dévorer, comme lui a pu pleurer le soir en se rappelant sa disparition. Il a de petits crocs, Fennorian, mais il s’accroche de toutes ses forces. Il feule comme l’animal acculé qu’il est. Il y a de la fureur dans ses yeux aussi, une envie de vivre que le vieux vampire a connue, jadis. Quand son corps n’était pas seulement une enveloppe silencieuse, lourde comme cent croix damnées. « Pas ici » reprend Ysrafel, sifflant, montrant de nouveau ses crocs.
Son visage s’est approché, félin de nuit, de celui du garçon. Ses canines sont plus épaisses que les siennes, ce qui donne presque l’impression de voir un jaguar imposant face à un chaton. Il suffirait en effet d’une seule morsure pour le laisser raide sur le sol. Il suffirait d’un seul coup de griffe pour lui arracher la tête. Mais Omphale t’a choisi.
Il siffle à la réponse de Fennorian, et se redresse. Ses phalanges serrent plus forts sa gorge alors que son visage se tord dans une moue méprisante. De toute sa hauteur il le toise. Son regard est impénétrable. Ysrafel réfléchit, oui, mais ses pensées sont confuses, multiples. Comme un cerbère antipathique, il s’imagine tantôt le tuer, tantôt le capturer, mais dans tous les cas, ne jamais le lâcher. Parce ce que ne sont pas les habitudes du vieux vampire que de laisser les choses s’échapper. Et sa tendre Infante n’a tout juste eu qu’un peu de chance, qu’un peu de répit. Mais ça ne saurait durer plus longtemps.
Ysrafel grogne en voyant que le gamin s’agite entre ses doigts. Le coup de coude est pris comme un affront. Le violoniste n’est pourtant pas arrogant, mais il y a des choses qu’il ne supporte pas, des choses qu’il ne supporte plus. Alors il le tire vers lui pour mieux l’enfoncer une nouvelle fois contre le mur, d’un geste brutal mais facile. Il grogne de nouveau, et s’il compte continuer sa phrase, la porte du palier en face s’ouvre sur un grand-père qui lève le doigt, ordonnant aux deux vampires de se taire. Il ajuste sur son nez des lunettes, mais à en voir ses yeux plissés, c’est à peine qu’il peut voir avec :
« Messieurs, mon épouse et moi, nous aimerions dormir. A not’ âge… »
Ysrafel détourne le regard dans un nouveau grognement. Il n’écoute déjà plus le laïus du vieillard, et tourne la tête vers la porte de l’appartement. Ses yeux glissent sur Fennorian, et avant même qu’il n’est eu le temps de souffler, l’hypnose le saisit contre son grès. Avec violence, il plonge en lui, et quand sa main relâche sa gorge, le jeune Gray est déjà en train d’ouvrir la porte et de s’excuser. Le musicien, lui, ne dit rien et entre à son tour dans le repaire ni luxueux ni pauvre du garçon. Il prend le soin de fermer la porte à clé avant de libérer son emprise avec cette facilité déconcertante qu’ont ceux qui ont usé et abusé des arts de l’emprise.
Dans l’entrée, il remet calmement les manches de sa veste. Ses yeux font le tour du propriétaire. Détaille en silence l’appartement, le jauge d’un air indifférent. Il doit bien admettre que tout ça ne ressemble pas à Omphale. Il n’y a son odeur nulle part, sa présence n’a jamais souillé le sol. Il le sait. Il en est intimement convaincu.
« Tu es seul. » La voix est grave, chaude comme une caresse d’été, comme du velours en hiver. Ysrafel remet en place une mèche de cheveux et avance, d’un pas dans l’antre de Fennorian. Il lui vole sa prétendue virginité, y apparaît en prince conquérant quand bien même le pouvoir ne l’a jamais intéressé. Ses doigts effleurent les murs, ses yeux comptent les portes, observent d’un air curieux le mobilier.
« J’ignore pourquoi cela me surprend autant… » Maintenant que j’y pense, pourquoi aurait-elle gardé près d’elle son Infant quand elle s’est arrachée à son Sire ? Elle est ainsi, Omphale. Détestable, car elle est de ses femmes qui ne se capturent jamais. De ses femmes qui donnent, mais refusent d’accepter. Qui se laissent caresser pour mieux mordre. « Elle ne pouvait pas t’offrir son éternité. » Tu ne la mérite pas plus que moi.
Le regard du vieux vampire glisse sur Fennorian, avec un sourire qui se veut moqueur, qui se veut dur. Parce qu’il est aussi plaisant de se dire qu’elle n’est pas restée avec lui. Qu’elle ne l’a prise, aussi, que comme un jouet, un passe-temps. Que comme une distraction le temps de quelques années. Sa création est cruelle, mais ne l’était-il pas lui-même quand il la transforma ? Quand il l’aima et la fit mourir entre ses bras, au sommet de l’extase ? Quand elle sentit son cœur s’emballer pour mieux s’arrêter dans sa poitrine pleine ?
« Mais alors pourquoi t’avoir… » Les yeux sombres se plantent en lui. Il est curieux. Curieux de savoir, d’apprendre, de voler tout ce qu’elle lui a laissé. Il lui suffirait de pénétrer en lui, de briser son esprit pour en dévorer la moindre réminiscence d’elle. « Quand es-tu né, Fennorian Gray ? » Dis-moi si elle a fauté aussitôt qu’elle a disparu, ou s’il lui a fallu du temps pour m’oublier.
Fennorian:
Nul besoin d’être devin pour sentir que la menace est réelle. Serait-ce pour cette raison qu’il ne sait rien de lui ? Pour cette raison qu’Omphale n’avait jamais souhaité aborder le sujet et qu’il n’avait, de fait, pas posé de questions ? A en juger par le regard noir que lui lance le vampire, sans doute aurait-il mieux fait de se montrer décemment curieux. Pour autant, Fenn refuse de se laisser démonter. L’autre répète ses dires, visage s’approchant un peu trop du sien et il n’aime guère ça, le jeune, grogne un peu plus tout en persistant à lui faire comprendre que son infante n’est pas ici entre ces murs. Mais c’est à croire qu’Ysrafel est dur de la feuille. Probablement la vieillesse qui pointe le bout de son nez, si tant est que cela soit possible dans leur condition. Les doigts sur sa trachée l’écrasent davantage et ses grognements en deviennent étouffés, voix incapable dorénavant de s’exprimer. Ses ongles s’enfoncent dans la peau pâle mais cela semble ne faire ni chaud ni froid à son vis-à-vis. Le cœur bat plus vite, copie de ce qui serait sûrement l’émotion face à la situation mais il refuse de demeurer ainsi plus longtemps. Son coude s’abat, fort et net contre son bras sauf que cela ne suffit pas. Pire encore, Fennorian se sent quitter le mur pour mieux le retrouver et s’y enfoncer comme une poupée de chiffon. Sonné sur le coup, il souffle comme un chat, ses gestes temporairement trop lent tandis que la porte de son voisin s’ouvre sans crier gare. Il le fusille de ses yeux bleus mais le vieillard n’y voit rien, n’a pas l’occasion d’ouvrir la bouche qu’il est comme noyé au beau milieu des abysses. L’ordre s’empare de son esprit sans qu’il ne puisse rien y faire et le voilà qui se dégage de l’étreinte. « Excusez-moi c’est ma faute M. Sorenberg. ». Il sort les clés de sa poche, ouvre la porte et avance aussitôt comme si de rien était à l’intérieur. Lorsqu’il redevient libre de ses mouvements, il lui faut quelques secondes pour comprendre que le plus vieux a abusé de ses capacités. « Je dois donc ajouter tricherie à votre CV vierge, apparemment. ». Vierge car il ne sait absolument rien de lui, et le voir dans son décor personnel ne lui plaît pas vraiment. L’intérieur est simple, plusieurs pièces fonctionnelles mais surtout une qui lui sert de bureau où traîne un bric-à-brac d’éprouvettes et autres livres éparpillés. Pas un laboratoire cependant, juste un bureau de recherches diverses et variées.
Tel un chat sauvage, Fenn observe son aîné déambuler dans son appartement et scruter jusqu’à chaque mur qu’il trouve dans son champ de vision. D’une certaine manière, ça lui fait froid dans le dos. La veste qu’il gardait encore sur le dos ne tarde pas à glisser de ses épaules pour être accrochée au porte manteau. Pour le côté ironique de la chose, ils avaient visiblement tous deux un faible pour les manteaux longs et noirs, mais ça ne plaisait pas à Fennorian de l’admettre. Tu es seul. Oui, évidemment, comme il le lui avait dit quelques secondes plus tôt ! Sourcils froncés, le plus jeune se rend dans le salon, peu décidé à se montrer agréable. Il s’agissait là d’une intrusion, rien de plus, rien de moins, alors il était hors de question qu’il considère le brun comme un invité. J’ignore pourquoi cela me surprend autant… Fenn écoute en silence, canines toujours dehors et air contrarié figé sur le visage. On dirait un fou. Fou certes, mais dangereux. Elle ne pouvait pas t’offrir son éternité. Il n’est pas certain de comprendre tout ce qu’il veut dire mais il avait bel et bien le créateur d’Omphale devant les yeux. Pourquoi diable seulement maintenant ? Il ne comprend guère plus ce qui lui vaut ce sourire moquer et à la fois satisfait du plus vieux, comme s’il réfléchissait et parlait avec lui-même à haute voix. Oui, c’était certain, le vieux était fou et il fallait qu’il déguerpisse de chez lui. Il avance de nouveau quand la question l’arrête. Il sent le regard abyssal sur lui et ses prunelles claires se reposent sur ce dernier. « Il y a 162 ans. » qu’il répond d’un ton sec, la vie l’ayant quitté à ses 27 années. « En 1858 pour être précis. ». De toute évidence, l’autre ne se contenterait pas de réponses floues et il n’avait strictement aucune raison de mentir sur son âge qui plus est. « En quoi est-ce important ? ». Tant de mystères et de menaces en une seule visite que Fennorian ne comprenait plus rien à tout ce qui se jouait là devant ses yeux. Quel est l’intérêt de tout ça ? « Comme je l’ai dit, je ne sais pas où elle est et je m’en contrefiche. Je ne sais rien de vous, elle ne m’en a pas parlé. ». Mais il n’était pas idiot au point de ne pas avoir compris. « Suis-je supposé vous appeler grand-père ou quelque chose de cet acabit ? ». Sarcasme, cynisme, même combat. La conversation aurait pu être bien plus agréable si Ysrafel ne s’était pas jeté sur lui comme un animal enragé.
Ysrafel:
La grimace est douloureuse, aussi Ysrafel détourne la tête avec sa pudeur. Ses doigts se sont arrêtés à la surface d’un meuble. Il sent les muscles sous son épiderme qui se bandent, qui se tendent, et il lui faut faire un effort monstre pour ne pas simplement relâcher toute cette tension. Il lui faut avaler la couleuvre, la mordre pendant qu’elle gigote entre ses dents. Ça n’empêche que c’est douloureux. 162 ans, c’est à peu de chose près la moitié de sa vie immortelle. C’est presque tout ce qu’il offrit à Omphale. Il lui offrit une moitié de sa vie, une grande partie de son sang et son cœur tout entier, contre quoi ? Pour quoi ? Pour qu’en l’espace de quinze ans, elle en trouve un, plus jeune, plus frêle. Qu’elle s’attache à lui, à sa gorge, à son minois. D’un geste agacé, il passe la main sur le visage, pour en chasser l’émotion. Il lui serait presque plus simple de se séparer de son humanité. De la faire mourir, là, maintenant. De le démembrer, de se repaître de sa chair, et d’attendre qu’elle vienne à son tour. Ça serait si simple, oui, de l’utiliser comme on utilise un appât…
Si je te fais du mal, elle le sentirait. Ça lui ferait mal aussi. Comme quand j’avais mal. Comme quand elle s’ouvrait tout le corps pour me faire plaisir, pour alimenter ce besoin viscéral de sentir pour exister. A-t-elle eu peur ces soirs là ? Je ne sais plus…
Ysrafel se redresse lentement et se retourne, cette fois pour lui faire face. D’un geste simple il dégage de ses épaules le manteau qui est lourd, plus lourd encore que l’atmosphère. Signe qu’il ne s’en ira pas tout de suite. Il le laisse choir sur un dossier de chaise juste à côté de lui. « Ysrafel », répond-t-il assez simplement, « ça sera suffisant. » Il n’y a qu’elle pour m’appeler autrement, quand avant elle m’appelait encore.
Il a l’impression de parler d’une morte. De découvrir soudainement qu’il est père, qu’il l’a toujours été, et qu’il ne l’a jamais su. Mais Omphale et lui sont stériles, et il ne peut être question d’amour filial. Comment pourrait-il en être venant d’un homme n’ayant jamais eu de regards que pour ses Muses ? Il n’a jamais rêvé de descendance. Contrairement à sa mère, Lysbeth la Reine-Vampire, il ne compte qu’une seule Infante. Une seule. Mais elle, combien en a-t-elle fait ? Des enfants-vampires derrière son dos ? Il sert les dents. Et si… et si Fennorian n’était pas seul ? Sanguine ne lui a rien dit à ce propos. Elle est restée évasive, comme à chaque fois.
« Raconte-moi. » Le vieux vampire s’approche du plus jeune. Comme tous les enfants de Lysbeth, Ysrafel a cette façon d’être, cette attitude provocante, sensuelle, cet air de serpent. On dirait un prédateur quand il approche de Fennorian, et quand il s’arrête devant lui, qu’il le darde, il a une chaleur sans flamme dans les yeux. « Raconte-moi ton histoire. Pourquoi t’a-t-elle choisi, toi. Pourquoi… » …ne t’a-t-elle rien dit à mon propos ?
De nouveau, il ne lui laisse pas le choix. Sa main se glisse dans son dos et l’invite à se rapprocher de lui. Le musicien n’est pas le maître des lieux, mais il y ressemble. Il remplit l’espace comme un roi le ferait, de cette carrure dessinée dans la roche, mais aussi de ce port qui se veut altier. Rien ne semble aller contre sa volonté, et s’il ne dit pas un mot, son regard est impératif, implacable. Ysrafel relève légèrement le visage, laissant traîner son regard sur Fennorian, le toisant.
« Fais-le sincèrement, ou je tricherais encore. »
Le sourire du vampire est tiré, mélange de moquerie et de menace sous couvert de charme. Il est bien de l’espèce des reptiles des enfers, de ce vers d’écaille qui alla se nicher contre le sein d’Eve et la poussa à la faute. Il a cet air, fait de silence et de tempête. Ce regard chaud qui ne dégage aucune flamme mais qui a couvert les plus grands incendies. Il est paradoxal, Ysrafel, en prenant presque soin de ne pas le froisser alors qu’il ne rêve que de le briser en mille morceaux. De faire disparaître la preuve de la faute, la preuve de la trahison.
Fennorian:
Il ignore ce que tout cela veut dire, ainsi que la raison pour laquelle son aîné semble des plus contrariés face à ses réponses. Peu certains de réellement vouloir le savoir, il semblait a priori indéniable qu’il ne se retrouve mêlé à ces affaires. Tout ça parce qu’elle était celle qui lui avait fait cadeau de cette vie d’après. Cette éternité vouée à circuler dans ses veines à jamais si la chance lui souriait. Le silence s’immisce entre eux deux, un silence déjà bien lourd d’une conversation qui n’a absolument rien d’agréable, ni pour l’un ni pour l’autre. Fennorian se contente de le regarder retirer sa veste, ses bras se croisant d’indignation face aux agissements éhontés de l’autre. Ainsi donc il comptait rester encore ? Levant les yeux au ciel, le plus jeune crispe la mâchoire d’une contrariété évidente, bien décidé à demeurer aussi froid que celui qui lui fait face. Probablement que l’on aurait pu comparer ça à un trait de famille, Ysrafel respirait le bonheur. Ysrafel. C’était donc là son nom. Hochant d’un signe de tête, Fenn n’espère pas en avoir plus de toute manière et si la blague ironique avait franchi le seuil de ses lèvres, pas sûr qu’il réitère l’expérience face à la silhouette massive de celui qui pourrait en effet être considéré comme son grand-père de vampirisme. Raconte-moi. Par réflexe, le plus jeune se remet à gronder de le voir s’approcher, réminiscences de mur heurté venant foudroyer ses souvenirs les plus récents. Tout dans l’attitude d’Ysrafel hurle danger, menace latente et risques insoupçonnés. Le plus jeune est tout sauf idiot, il en avait vu des vertes et des pas mûres, c’était là d’ailleurs une raison pour laquelle il esquivait ses semblables en temps normal, préférant s’amuser des âmes humaines. Peut-être même que cette envie de demeurer seul était hérité d’Omphale, elle qui n’avait pas rechigné quand il était parti. Un temps elle a voulu qu’il revienne. Une seule fois elle a réussi à lui remettre la main dessus, puis elle est retournée vaquer à ses occupations plus intéressantes. Toujours attirée par la nouveauté, Omphale.
Raconte-moi ton histoire. Pourquoi t’a-t-elle choisi, toi. Pourquoi… Il a décroisé les bras, souhaitant néanmoins marquer la distance, mais l’autre agit comme s’il était maître des lieux. La main glisse dans son dos et Fenn a comme une vague de souvenirs indésirables qui passe fugacement devant ses prunelles. Il grogne de plus belle, plaque sa paume contre le corps d’Ysrafel en vue que la distance ne se brise pas davantage, la seule longueur de son bras faisant barrage. Fais-le sincèrement, ou je tricherais encore. Il n’aime pas cette proximité, la méprise pour une raison qui lui est inconnue. Sûrement un écho de trop. L’utilisation du mot tricherie n’est pas anodine et le vampire le sait. D’une grimace, Fennorian se mord l’intérieur de la joue, Omphale aussi usait de ce stratagème. C’était peut-être de lui qu’elle le tenait en fin de compte. « Probablement que je l’amusais sur le moment. Ou qu’elle s’est lassée de ne pas avoir d’animal de compagnie. Je ne croyais pas aux légendes, elle a voulu me faire céder vers ce côté de la barrière, me prouver que j’avais beau nier les faits, les légendes n’en étaient pas. Qu’en sais-je au fond ? Elle a toujours été évasive sur la question, alors je me suis créé mes propres explications. Et je pense que ça l’amusait oui. Mais à ma connaissance je suis le seul à qui elle a offert ce privilège. ». Il n’ose pas même hausser les épaules, se contentant de le fixer tout en maintenant la distance car il se sait faire face à un serpent plus habile de ses mots qu’autre chose. Fenn n’avait aucun intérêt de mentir, et si cela pouvait lui épargner une énième tricherie alors il le faisait sans hésiter. Il ne devait rien à sa Sire, certes il vivait grâce à elle, mais c’est une chose qu’il n’avait pas demandé, qui lui était tombé dessus car il s’était un peu trop brûlé les ailes du côté d’hollywood et de ses milles lumières. Une époque de débauche, vraiment. « En revanche j’ai déjà senti votre odeur sur elle. ». Ou elle irradiait d’elle, il ne savait plus très bien. Il était encore jeune à l’époque, instable en quelques sortes. Et assailli par une multitude d’odeurs différentes. « Le passé est quant à lui demeuré irrémédiablement secret et parfaitement gardé. Mais à n’en pas douter aujourd’hui, j’aurais probablement mieux fait d’insister. Ça m’éviterait ce genre de… Déconvenue. ». Parce qu’il persiste à sentir que tout ceci lui échappe, qu’il ne suffit que d’un pas de travers pour que tout s’arrête et il n’aime pas ça. « Est-ce que j’ai suffisamment répondu à la question ? ». Car il ne sait pas quoi lui dire de plus. Leurs chemins se sont séparés alors qu’il se trouvait encore en Californie à profiter inlassablement des nuits. Il l’avait fait plusieurs fois avec elle, la fête, et l’on voyait bien le résultat aujourd’hui. Mais quand il en a eu assez, Omphale n’a pas compris et l’a regardé partir. Ou plutôt, n’a pas eu le choix, car Fennorian était parti sans laisser de trace ni même l’en informer. Une forme de déjà vu pour l’Infante qui avait fait de même avec son propre Sire. Sire qui se trouvait dorénavant bien trop près du jeune vampire à son goût. « J’aimerais pouvoir respirer. ». Sarcasme. Etant donné qu’ils n’ont tous deux pas besoin de respirer.
Ysrafel:
Comme tous les enfants de Lysbeth, Ysrafel est sensuel. Il a cette façon de toucher, d’être. Son corps est et ressent, et cela se sent, cela se voit, dans sa façon d’observer Fenn, de sentir sur la pulpe de ses doigts la tension qui le parcourt quand il le touche. Le vampire ne sait pas exactement ce qui le trouble – est-ce parce qu’il est un homme ou parce qu’il lui fait peur ? Est-ce que la diablesse ne lui aurait rien appris de l’amour et du sexe ? Le vieux vampire ne dit rien. Il écoute seulement, avec attention, boit les paroles comme s’il pouvait voir les souvenirs défilaient devant ses yeux. Pendant quelques secondes, il est curieux, il découvre une histoire, mais l’histoire n’est pas joyeuse, l’histoire est triste. Elle est furie dans ses veines, excitation du myocarde. Elle est défaite aussi. Echec d’avoir réussi à créer cet Ange qui aurait pu être sa rédemption, qui aurait caressé ses cheveux au crépuscule et qui aurait chuchoté à son oreille ses louanges.
Fennorian ne lui apporte que des souffrances, que des coups de poignard. Mon odeur sur elle. Mon odeur dans ses cheveux, dans sa peau. Fut une époque, je voulais mordre chaque coin et recoin de son corps pour qu’à jamais il soit mien. Je voulais l’avoir à moi et à moi seul, l’avoir toute entière, qu’elle ne soit plus qu’un avec moi… et puis j’ai oublié. Son visage, son odeur. Il ne me reste que le son de sa voix. Et demain, peut-être, l’aurais-je oublié également – son rire. Il se dit qu’elle avait peut-être encore sur elle son collier. Son cadeau. Peut-être qu’elle ne l’avait jamais arraché de sa gorge, et qu’elle avait gardé sur elle un de ses manteaux, un de ses vêtements d’époque, pour se souvenir. Peut-être l’aimait-elle encore. Peut-être avait-elle seulement eu peur.
La main du vampire se retire doucement du dos du plus jeune. Ysrafel se tend de nouveau. Dans ses yeux, des orages se préparent. Les éclairs naissent au fur et à mesure que les informations sont distillées dans la mer agitée de sa mémoire. Il y a cette main sur son torse qui lui rappelle avec douleur les griffes matriarcales qui lui arrachèrent jadis la vie. Ses griffes qui laissèrent sur son épiderme les traces du passage de la Reine.
« Les vampires n’ont pas besoin de respirer. » Si le sourire se veut moqueur, la main qui vient de nouveau le prendre à la gorge ne cherche pas à faire rire. Elle s’accroche de nouveau à la trachée, et d’un mouvement simple force Fennorian à soulever son visage vers l’ancien qui le jauge et le juge sous toutes les coutures. Il le toise, mais rien dans le garçon ne semble l’inspirer. Il a beau chercher sous la peau, sous le tissu de son derme, il ne voit rien d’autre qu’un petit garçon minable et pathétique dans un habit d’humain.
« Mais j’imagine que c’est la proximité qui te dérange… » Il se penche en avant et vient humer cette fois son visage, et notamment sa joue qu’il effleure du bout de son nez. Les yeux sont sombres mais brillants dans la pénombre. « Pourquoi avoir si peur ? Je ne t’ai encore rien fait. »
Il gronde doucement. Sa main tient toujours la gorge du plus jeune alors qu’il l’approche de nouveau de lui, avec cette arrogance, et ce sourire qui se fait lupin. « Que crois-tu que je vais faire ? » Silence, minuscule, mais pesant. « Te faire mal ? » Le sourire grandit, et avec lui la lueur de folie qui est logée dans le fond de son regard. « Te tuer ? Pire encore ? »
D’une main puissance il le jette finalement sur le côté et le voit glisser sur le sol avant de percuter de plein fouet le premier mobilier rencontré sur le chemin. Il ne peut s’empêcher un petit ‘humpfr’ amusé, avant de détourner le regard, sans craindre une contre-attaque qui serait probablement suicidaire. Au lieu de ça, il se dirige calmement vers le salon, et plus exactement vers la fenêtre. Il s’y poste, écarte le lourd rideau du bout du doigt pour jeter un œil à l’extérieur.
« Non. Tu vas me servir. » Le musicien penche la tête, quelques secondes. Dans la rue il n’y a pas un chat. Le quartier a l’air tranquille. Du moins, la nuit. Pas énormément de vampire dans les environs, ce qui l’arrange… oui, ce qui l’arrange énormément. Moins il sera vu, mieux les choses seront. Il n’a pas envie de rentrer dans des guerres puériles de pouvoir ou de vendre son sang comme certains débauchés font. Non. Il ne veut qu’une chose – retrouver Omphale et essuyer son erreur. Ensuite, il rayera également Fennorian de la carte. Et ainsi sa lignée sera de nouveau propre et il pourra se reposer, assuré de ne plus jamais partager ça – ce lien, si particulier, si délicat, avec une autre. « J’ai besoin de toi pour retrouver Omphale. » Le vampire détourne le regard, jetant un regard à Fennorian, un regard amusé. « De ton lien avec elle. »
Parce qu’on ne transforme pas n’importe qui. Même Lysbeth qui engendra des centaines d’infant se sentait investit auprès de chacun. Je le sais bien. Je l’ai détesté pour ça. Parce que j’aurais aimé qu’elle m’aimât comme j’ai pu aimer Omphale. Comme j’ai désiré qu’on m’aime un jour seulement.
Fennorian:
Si Ysrafel insuffle toutes sortes de choses de par son attitude, Fennorian ne le craint pas. Pas tout à fait du moins, car il ne reste que cette part de doute. Il ignore les réelles intentions du vampire et c’est en cela qu’il demeure irrémédiablement tendu et en alerte. Ce qui le dérange n’est pas le fait d’être touché, c’est le fait que l’autre puisse se croire tout permis. Permis de prendre ce qu’il souhaite sans même demander. Elle est là, la réminiscence désagréable qui fait écho au sein du plus jeune. Celle-là même qui l’empêche de retirer sa main imposant la distance. Une distance qu’il souhaite encore plus grande et dont il en fait expressément la demande un peu plus tard, n’hésitant pas à user de sarcasme pour ce faire. Mais quelque chose lui dit que l’aîné n’en a pas terminé. De ce qu’il pense en deviner, Ysrafel cherche sa Sire pour des raisons qui ne regardent que lui et il pensait la trouver ici à Salem auprès de son infant. Bien belle erreur étant donné qu’elle était tout sauf ici. Une chance pour Fenn sûrement qu’Omphale ne soit pas passée récemment chez lui, car il aurait été bien dans la merde si le plus vieux avait senti ne serait-ce qu’une bribe de parfum au sein de son appartement. Mentalement, il se remerciait d’avoir coupé les ponts. Quand bien même l’on ne coupe jamais réellement les ponts avec son ou sa Sire. Les tons changent au sein des deux abysses qui le scrutent, mais il continue de l’observer en retour, sans baisser les yeux. Alors la main dans son dos se retire, soulagement perceptible dans son corps qui se détend. Il y a certains réflexes qui demeurent malgré les ans. Il hésite un instant, se demandant s’il est judicieux de retirer la sienne qui fait encore office de maigre blocage. Ysrafel sourit, véritable mystère à lui tout seul qui fait froncer d’incompréhension les sourcils de Fennorian. Evidemment que les vampires n’ont pas besoin de respirer, il le sait bien mais ce n’était certainement pas une raison pour revenir écraser ses doigts contre sa trachée. Il déglutit, visage levé vers le sien, ses doigts s’accrochant au haut du brun pour toute réponse à la nouvelle surprise de ses gestes. Bordel, mais qu’est-ce qu’il voulait de plus ? Agacé, le plus jeune lui lance un regard noir de colère mais aucun grognement ne s’échappe du fond de sa gorge cette fois malgré une violence sous-jacente qui attend son heure pour exploser. Mais j’imagine que c’est la proximité qui te dérange… Très certainement.
Il frémit malgré lui lorsque la proximité devient insoutenable, que l’autre se met à humer son odeur sans vergogne. « Je n’ai pas peur. » qu’il souffle. Ce n’était pas ça le problème. L’aîné avait beau en jouer cela ne changerait pas, au contraire, cela ne faisait qu’attiser les flammes de sa violence intérieure. Plus vieux ou non, il finirait par attaquer. Ce n’était qu’une question de minutes. « Essaie seulement pour voir. » qu’il grogne aux paroles d’Ysrafel, n’ayant pourtant pas vraiment l’intention de mourir aussi bêtement. Que crois-tu que je vais faire ? Il ne répond rien, se contente d’observer les billes obscures qui sont les siennes d’un air mauvais. Le silence continue de cette façon, seulement brisé par les palabres du plus grand des deux. Une énigme tandis que Fenn se force à réfléchir, à tenter de deviner ce qu’il peut bien attendre de lui exactement vis-à-vis de sa Sire. L’idée aurait dû lui sauter aux yeux en réalité, chemin se faisant au creux de sa caboche, mais sûrement était-ce l’adrénaline ou la violence sourde qui l’empêchait d’y voir clair. C’était pourtant aussi limpide que l’eau de roche. Toutefois, avant qu’il n’ait le temps de lui balancer son poing dans les côtes, le sol se dérobe sous ses pieds et en un éclair il se retrouve au sol. Le geste a été si rapide qu’il n’est pas certain d’avoir compris ce qui lui arrivait. La seconde d’avant il gardait les yeux rivés sur la folie pure, celle d’après une douleur lancinante parcourant sa colonne vertébrale, ayant heurté de plein fouet l’un des meubles sur le chemin du salon. Dans un grognement, il se redresse, peu importaient les bleus ou potentielles blessures, elles disparaîtraient rapidement. Si l’autre avait voulu le tuer il serait déjà mort. Non. Tu vas me servir. Canines dehors et poings serrés, le plus jeune ne l’entend pas de cette oreille. J’ai besoin de toi pour retrouver Omphale. De ton lien avec elle. Il souffle, s’avançant dans sa direction. « Et pourquoi le ferais-je sans rechigner alors que depuis le début de cette entrevue, tu ne fais que t’imposer. Je ne suis pas du genre à obéir à un ordre. Surtout pas lorsque l’on s’introduit chez moi sans y avoir été invité. ». Il fulmine de l’intérieur Fennorian, rage sourde qui s’exprime dans sa voix grondante d’énervement quand le calme avant la tempête sévit encore vu de l’extérieur. L’air amusé sur les traits d’Ysrafel ne fait que renforcer cette colère. « Si tu es son Sire, tu devrais être capable de la retrouver sans mon aide, non ? ». Il n’a pas demandé à faire partie de la balance ou même de l’échiquier. « Je ne vais certainement pas attendre que tu me réduises en charpie pour te faire pisser le sang sur mon tapis de salon. ». Il pourrait se ruer sur lui, là, tout de suite, mais il a senti l’âge dans la poigne de l’aîné et ce n’est pas une attaque qu’on lance à la légère. Mais Fenn est tel un chat qui se prépare à riposter sévèrement, mesurant chaque pas contre le parquet…
Ysrafel:
Le gamin ne se plie pas comme il le voudrait. Il n’est ni obéissant, ni docile. Il est à l’image de tout ce qu’Ysrafel déteste. Un petit entêté ne sachant pas sa place. L’œil du Sire se fait plus acérer alors qu’il se redresse quand Fennorian s’approche, le nez légèrement froncé.
Mal élevé. Je vois qu’elle ne t’a rien appris. Elle n’a fait que caresser ton âme en pensant peut-être que tu y prendrais goût… Un chat de gouttière, voilà ce que tu as ramassé ma douce. Un chat de gouttière que tu n’auras pas pris soin de dresser. Un chat de gouttière qui ne sait pas quand il faut rentrer les griffes. Quand il faut abdiquer. Pour survivre.
Le musicien n’aime pas l’air que le plus jeune prend avec lui. Du grondement qui tonne dans sa voix jusqu’à la gestuelle qu’il s’applique à maîtriser mais qui trahit la rage qu’il réprime. Il sait bien qu’il ne pourra que s’écorcher contre le Maître, mais il ne peut s’en tenir là. Il ne peut accepter l’autorité, et c’est bien dommage, parce que c’est tout ce qu’Ysrafel a à offrir jusqu’au retour d’Omphale. Le gamin ne l’intéresse pas. Sa survie – encore moins. Surtout pas quand il se montre insolent et lui crache à la gueule tout ce qu’il n’a pas envie d’entendre. Bien sûr qu’il peut la sentir, bien sûr qu’il pourrait la retrouver, si seulement elle ne se cachait pas de lui… Si seulement elle n’avait pas choisi de courir plus vite qu’il ne la trouve, de se parer de déguisement saugrenu pour passer inaperçu, de se fondre dans le monde des hommes pour échapper aux griffes nocturnes. Omphale avait bien réfléchi à son plan avant de partir. Ysrafel ne pouvait que le lui concéder. Il avait mis au monde un être ambivalent, doué, capable du pire comme du meilleur. Elle n’avait pas seulement disparu pour lui, mais également pour tous les rejetons qu’il côtoyait à l’époque. Tout le monde connaissait l’histoire d’Omphale. Il avait pensé qu’en disparaissant à son tour, elle finirait par sortir de son trou, mais il s’était trompé.
Le plus étonnant finalement, c’était l’apparition d’un infant. C’était une mise en danger qu’elle n’avait jamais prise auparavant. Un pied de nez, presque, à son propre Sire. Comme une insulte à leur relation, comme une insulte à ce cadeau qu’il avait pu lui offrir. Une insulte qui ne se contentait pas d’être ; qui mordait, qui menaçait.
L’œil d’Ysrafel brille d’un sombre dessein en observant d’un air sévère le garçon qui s’approche.
« Je pourrais en effet la retrouver, mais elle ne me laissera jamais approcher. Elle est bien trop intelligente pour ça. Elle me connaît aussi très bien. » Un sourire fugace passe sur les lèvres du vieux vampire, puis une grimace. « Je ne serais pas davantage qu’un petit garçon courant après un oiseau ou un papillon. »
Il avait souvent cru la tenir au bout de ses doigts, pour seulement saisir d’elle qu’un fil de ses cheveux, qu’un écho de son rire.
Lentement, Ysrafel lève la main et tend le doigt, juste devant les yeux de Fennorian.
« Si je suis avec toi, elle devra choisir. Elle devra te libérer, ou t’abandonner. Te sauver, ou te laisser mourir. » Le sourire s’allonge sur les lèvres du vampire alors que son œil brille. « Ta vie est sienne. »
L’hypnose est instantanée. Le jeune vampire a essayé – il l’a senti, cet élan de colère et de rage qui traverse – mais sa seule volonté ne saurait aller à l’encontre de l’esprit du plus ancien. Un rire traverse d’ailleurs Ysrafel. Lentement, il croise les bras sur son torse et repose son attention sur le jeune Gray qui lutte, il le sent, contre l’emprise qui ne lui laisse rien de plus que le contrôle de son regard et le prive de toute sa motricité, aussi rapide et surhumaine soit-elle.
« Je n’ai jamais été un grand guerrier, vois-tu. Je m’y connais assez en épée et j’ai une certaine dextérité naturelle, mais j’ai toujours été bien plus doué pour les… mh, disons la maîtrise et le contrôle de l’esprit. »
Comme il le dit, la main de Fennorian se dirige dangereusement vers son torse et notamment vers son cœur. Ses doigts forment comme une cloche, toutes griffes dehors, et ces dernières viennent s’appuyer fermement contre l’épiderme, comme si elles voulaient attraper quelque chose. Il ne faut que quelques secondes aux griffes pour pénétrer le derme et faire jaillir quelques gouttes de sang – juste assez pour confirmer le geste. S’il le voulait, il pourrait tout simplement lui faire s’arracher le cœur et le voir en mourir juste devant ses yeux. Ce serait un spectacle parfait pour cette fin d’année, mais il sait également que s’il le fait, il met également une croix que l’espoir de revoir son infant.
Alors Ysrafel approche finalement, avale les trois derniers pas qui les séparaient, et il fait en sorte que la main de Fennorian se retire de sa peau et qu’il la tende vers lui.
D’une bouche gourmande, il vient lentement suçoter les doigts sanguinolents, dans un geste qui se fait plus érotique qu’il ne le veut. Un grognement agréable passe sur ses lèvres.
« Ceci n’est qu’une mise en garde, et cela réponds également à la première de tes questions.
Tu feras l’appât sans rechigner, sinon je t’arracherai le cœur et je dévorerai chaque pan de ton corps. Car si je dois perdre l’espoir de retrouver ma seule et unique infant, alors je ne souffrirai pas une seule seconde de plus ton existence. »
Le regard est doux, mais d’un doux violent, plein de hargne et de tempête silencieuse.
Fennorian:
Mal élevé n’était pas le bon terme. Disons plutôt que Fennorian avait récupéré le temps perdu à n’être simplement qu’à la botte de ses parents. Que n’avait-il pas fait pour eux et le besoin de l’auberge avant de décidé qu’il finirait par s’en séparer. Que l’affaire finirait par couler ou être revendue au plus offrant. Dans un soupçon d’ironie, il aurait adoré refourguer la chose à Padraig étant donné qu’il semblait tant l’apprécier, mais les choses ne s’étaient déroulées ainsi. Fenn était parti dès qu’il en avait eu l’occasion et n’était plus jamais revenu. Forgé seul sur le reste du chemin et en plus d’une centaine d’années, il avait fait des erreurs, comme tout être humain qu’il était alors, ivre de jeunesse jusqu’à tomber sur celle qui précipiterait sa chute mais également sa renaissance. Peut-être qu’au fond il était dorénavant tout aussi blasé que le laissait sous-entendre Ysrafel devant lui. En revanche, le chat de gouttière ne pouvait décemment pas apprécier de se faire marcher dessus. Il en était ainsi, que cela plaise ou non au plus vieux.
Je ne serais pas davantage qu’un petit garçon courant après un oiseau ou un papillon. Les mots sont savamment employés, le plus jeune ne peut le nier, tout comme l’aura qui se dégage de l’aîné est difficile à réellement sonder. C’est là tout ce qui rend ce Sire dangereux et pourtant Fennorian ne baisse pas les yeux, bien décidé à en découdre. Ce n’était pas le programme de la nuit qu’il avait envisagé de prime abord, et rien que pour cela, il détestait l’intrus. Si je suis avec toi, elle devra choisir. Elle devra te libérer, ou t’abandonner. Te sauver, ou te laisser mourir. Aux palabres et grands mots, le vampire fronce les sourcils de contrariété. Soit Ysrafel avait un égo surdimensionné, soit Omphale l’avait véritablement mis en colère. « Que diable a-t-elle dont f… ». Question qui ne va pas au bout, tout comme son élan de rage envers le plus vieux. Ses pieds sont comme ancrés dans le sol, corps refusant de lui obéir délibérément. L’autre use encore de tricherie. Fenn tente d’annihiler l’hypnose qui l’immobilise mais il n’est pas bête, sait pertinemment que le poids des années pesait très nettement dans la balance lors de ce genre de situations. Désagréable. L’expérience est désagréable tandis qu’il peste un peu plus de l’intérieur. Il lutte un moment pour la forme, puis finit par laisser tomber à la seconde où Ysrafel reprend la parole, contraint et forcé de l’écouter car ne pouvant rien faire d’autre. Lorsqu’il sent sa main bouger sans que cela ne soit son choix, il gronde dans le fond de sa gorge, seule chose dont il est capable en cet instant, les billes bleus rivées sur celles plus sombres. Il comprend instantanément la menace qui pèse lorsqu’il sent la piqûre de ses propres griffes commencer à traverser sa peau pour y rester. Il suffirait d’un rien pour que tout s’arrête, ici, maintenant, et ce ne serait pas le sang de l’aîné sur son tapis de salon. Non. Uniquement le sien et puis… L’obscurité.
Perturbé par le fait de n’avoir aucune maîtrise sur son propre corps, Fennorian prend un peu plus conscience du piège qui vient de se refermer sur lui. Il ne partirait pas tant qu’il n’aurait pas eu ce qu’il voulait, à savoir le passage d’Omphale. Il voulait retrouver son infante et n’hésiterait pas à se servir de son lien avec elle pour la forcer à venir. Le fait est que Fenn lui-même ignorait si elle serait capable de venir. Probablement que oui, car bien qu’il ait déserté, il avait toujours cru déceler une forme d’attachement dans le regard de sa Sire. Après tout, elle avait tenté de le convaincre de lui céder plusieurs fois avant que le drame n’arrive et ne l’emporte dans les ténèbres. Il ignorait avoir fait subir à Omphale ce qu’elle-même avait fait subir à son propre Sire, celui-là même qui se trouvait à moins d’un demi-pas de lui. Ses griffes relâchent alors la pression, lentement tandis qu’il est en mesure d’observer les gouttes de son propre sang s’écouler doucement de ces dernières. La caresse de la langue du Sire contre ses doigts se fait inattendue et le laisse perplexe. Si respirer lui était toujours nécessaire il en aurait eu le souffle coupé, le mimétisme seul venait de faire arrêter le mouvement de fausse respiration. En silence, car ne pouvant faire autrement, il le fixe, un frisson désagréable le parcourant tout entier. Tu feras l’appât sans rechigner, sinon je t’arracherai le cœur et je dévorerai chaque pan de ton corps.Car si je dois perdre l’espoir de retrouver ma seule et unique infant, alors je ne souffrirai pas une seule seconde de plus ton existence. Au moins le message était-il clair, avouer qu’il n’était pas certains qu’elle vienne serait donc une très mauvaise idée de sa part. Si tant est qu’il fût en capacité de bouger les lèvres. Ne restait qu’à attendre de voir ce qu’Ysrafel planifiait le concernant… Pour faire venir son infante jusqu’à Salem.
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Date d'inscription : 24/03/2017
Région : Sarthe, Le Mans.
Crédits : Nobody.
Univers fétiche : Sadique polyvalente.
Préférence de jeu : Les deux
Sha
Lun 12 Juil - 15:08
Every Single Day
Partie 2
Ysrafel:
« Que diable a-t-elle dont f… »
Il l’a entendu, mais il n’y répondra pas. Au lieu de ça, il continue son jeu, de chat, de souris, alors que son esprit se perd déjà à l’idée de le faire hurler – de douleur, seulement. Avant, il aurait pu avoir quelques affections pour des visages de tous les âges, de tous les sexes, mais la passion n’a-t-elle pas une limite en temps ? Le temps est dépassé. Il ignore pourquoi il pense ça, puisqu’il brûle encore d’une haine sans flamme, sans fumée pour Omphale. Parce qu’elle lui a arraché tout ce qu’il lui avait offert – son cœur le premier. Elle est partit avec. Elle est partit avec, mais sans lui. Juste ce petit morceau de chair. Voilà ce qu’elle a fait. Elle a fait de lui un mort vivant, une âme damnée, un pauvre spécimen émasculé, au sens métaphorique du terme seulement, mais c’est bien assez.
Il sert les dents, finit sa tirade, ses menaces, son jeu de théâtre grandiloquent. Il veut seulement que le gamin l’écoute et se plie à son autorité. Il veut seulement en finir, et pour ça, il a besoin de lui, de sa soumission, de sa tolérance. Ensuite, seulement, il le fera disparaître, car dès lors il n’aura plus besoin de rien et sera alors soufflé la dernière Flamme du plus ancien des Infants de Lysbeth Quinn.
...*...
(La nuit fut courte pour Fennorian, aussi courte qu’Ysrafel l’avait décidé. Il le garda en effet à sa merci une grande partie de cette dernière, debout et figé, à devoir le contempler pendant que le plus ancien faisait le tour du propriétaire, s’invitait à droite et à gauche, maugréant en voyant la dernière poche de sang dans la portière du frigo. Gracieusement offerte par le centre de la ville, à n’en pas douter. Ysrafel n’avait fait aucune remarque, son visage s’en était chargé pour lui. Quand il eut dit tout ce qu’il avait à dire, ou du moins le plus important, il relâcha Fennorian de son emprise et laissa le garçon rejoindre son « lieu de travail », lui assurant au passage qu’il serait gravement puni s’il ne revenait pas.
La menace ne manqua pas, ou du moins quelque chose ramena le plus jeune dans l’appartement où se tenait toujours le plus ancien, assis dans le canapé pour mieux regarder une émission quelconque.)
« Tu ne rentres pas tard » souffle Ysrafel, posant avec délicatesse la télécommande sur la table basse, « à mon époque, le travail était plus difficile, plus long… on ne rentrait que rarement avant la nuit. »
Son air serein le rend plus aimable que la veille, moins menaçant aussi. Il croise seulement les jambes, jetant un œil à ce que porte son « engeance » mais aussi à son visage qu’il torpille de son regard noir, s’amusant de cet air effarouché que Fennorian arbore toujours. Il lui trouve un air comique, comme un chat sauvage surpris dans son terrier.
Lui est comme un dragon ancien, reposant sur son trésor, d’un air las et cynique. C’est que l’âge attaque généralement la volonté, celle qui est propre à l’humanité, qui brille dans le cœur de tous les enfants d’Adam. Ysrafel n’en est plus un. Peut-être n’en fut-il jamais un, à bien y réfléchir, lui qui s’appela aussitôt comme un ange. Sa tête est lourde, pleine d’un désespoir qui s’accroche à sa peau, qui lui fait un costume lugubre et pèse sur ses épaules comme le monde sur celles d’Atlas. Est-ce assez pour le faire mourir ? Pas encore, non.
Parce qu’il nourrit encore l’espoir de la voir. De la retrouver. D’écraser sa gorge entre ses doigts, de broyer son cœur entre ses phalanges.
Il sourit, annonce, nonchalant :
« Je me suis permis de fouiller un peu puisque je commençais à avoir faim. Tu n’as jamais ramené quelqu’un ici ? » La question semble saugrenue, et pourtant, il n’hausse pas même un sourcil. Cela lui ressemble naturel, encore plus quand il ajoute : « Tu ne te nourris qu’à travers ses poches de sang ? Tu n’as aucun Calice ? Aucun… récipient quelconque ? »
La moue est tordue, reflet du sentiment désagréable qui lui vient à l’idée de percer de sa superbe canine une poche faite de plastique. Le progrès n’aura rien amené de bien en définitive.
Fennorian:
Il est resté figé, toute la nuit. Incapable de bouger ne serait-ce qu’un muscle, seule possibilité de regarder à droite à gauche ou en face. A la fin, il aurait presque pu jurer que chacun de ses membres étaient aussi raides que du bêton à force de demeurer parfaitement immobile. Figé dans son expression de contrariété. Son seul loisir, observer Ysrafel passer devant lui, grimacer à la seule poche restante dans son frigo ou encore face à ses goûts en terme de décoration. Puis l’aîné vampirique était parti vaquer à ses occupations et Fennorian était resté là jusqu’aux premières lueurs du jour. Lorsque, enfin, l’emprise mentale se relâcha, il manqua en tomber à la renverse, les membres endoloris. Mais il s’était remis debout, avait écouté les avertissements et pris la direction du laboratoire, veste attrapée rapidement au passage.
Pendant toute la matinée, il ne fit que ressasser ce qui s’était passé. Il avait débarqué chez lui, menaçant et presque tout crocs dehors pour rechercher son Infante. Omphale. Sa Sire. Et il ne comptait pas repartir de sitôt. Si Fenn avait ne serait-ce qu’un numéro de téléphone où la joindre, il n’aurait pas hésité. Tout pour que l’autre quitte son appartement. Mais le vampire avait tout fait pour ne plus être en contact avec elle. C’était un véritable serpent qui se mordait la queue, cette histoire. Si bien qu’il se demandait ce qui avait bien pu pousser Omphale à partir comme lui l’avait fait une centaine d’années plus tôt. Les similitudes n’étaient peut-être pas anodines.
***
Pour la première fois de sa non-vie, Fennorian n’a jamais été aussi heureux de quitter le laboratoire après sa matinée. Collier caché sous ses vêtements mais dont il sentait le poids contre sa peau (il n’aimait guère en abuser), il reprit la direction inverse, s’arrêtant au passage récupérer quelques poches de sang car il était évident qu’il ne vivrait pas seul avant un petit moment. En réalité, le vampire venait les chercher pour faire bonne figure ou en guise de dépannage car il détestait ça. La loi faisant cependant, il camouflait au mieux ses incartades et jusqu’ici il avait réussi à passer inaperçu. Ce n’est qu’une fois arrivé aux pieds de son immeuble que Fenn fit la grimace et soupira de lassitude. Il n’avait guère envie d’être de nouveau immobile comme une statue au beau milieu du salon… Malgré tout, et parce qu’il n’était déjà pas homme – par le passé, à laisser tomber, il monte les marches unes à unes et passe la porte de son appartement. Il meurt de faim.
Comme escompté, Ysrafel est toujours présent mais paraît plus calme que la veille. A croire que les émissions télévisées avaient eues une certaine emprise sur lui. Sac réfrigérant posé délicatement par terre, il commence par retirer son écharpe qu’il dépose sur le porte manteau, rapidement suivie de sa veste. Puis suivent les gants qu’il pose sur la commode avant de s’intéresser à nouveau à son sac, prenant la direction de la cuisine. « Je travaille la nuit en temps normal, les jours où je suis du matin sont rares. Je préfère utiliser mon talisman le moins possible. ». Il avait d’ailleurs eu du mal à l’obtenir. Rangeant ses réserves dans le frigo, il tourne le dos à son aîné, n’entendant que le sourire dans sa voix à sa remarque. Sac vidé, Fenn daigne enfin se retourner vers Ysrafel et le fixe d’un sourcil haussé, son expression renfrognée au visage. Il n’était pas énervé pour autant, l’amabilité du plus vieux étant d’une certaine manière contagieuse. Aussi surprenant que cela puisse lui paraître sur le moment, le plus jeune ne peut que comprendre ce qu’il sous-entend. Si bien que Fennorian ne se voit pas mentir. D’une certaine manière, ils sont parents, n’est-ce pas ? « Je les considère comme du dépannage. Je vais les chercher pour qu’ils croient que tout va bien et qu’ils ont la main mise. Mais en réalité je déteste la sensation du plastique. Et boire dans une tasse ne m’intéresse pas plus. ». Non, il connaissait les sensations et le goût du sang chaud glisser entre ses dents jusqu’à sa langue. La morsure en elle-même était déjà jouissive, si bien qu’il ne pouvait nier avoir traîné dans des coins peu luxueux, juste pour qu’on lui serve une gorge fraîche à se mettre sous la dent. Il comparait ça à des orgies d’une certaine façon. Probablement même qu’il en avait déjà faites, pour de vrai. Perdu dans ses pensées, il ne s’est pas rendu compte avoir gardé le silence un moment. Il reprend. « On ne peut pas dire que je sois très catholique et respectueux de la loi de ce côté-là. Mais je n’ai pas de Calice, non. ». Il allait traîner dans ces endroits comme l’on irait traîner aux putes, pour tout avouer.
Après s’être rempli une tasse de sang – toujours mieux que rien, il passe à côté du canapé pour venir prendre place dans l’un des fauteuils et scrute le plus vieux en croisant les jambes. « Tu as utilisé les mots à mon époque, quel âge as-tu ? Si ce n’est pas indiscret. ». Et… Pourquoi Omphale est-elle partie ?. Cette question revenait en boucle dans sa tête.
Ysrafel:
Un talisman protecteur. Voilà qui est étrange. Le vieux vampire n’en dit rien. Ses yeux suivent méthodiquement le mouvement de Fennorian, comme on jugerait presque un enfant à qui on a donné un ordre. Après un moment, Ysrafel détourne le regard sur l’écran LCD qui affiche une chaîne quelconque du câble, qu’il n’a pas vraiment suivi. La technologie lui échappe. Le progrès aussi. Il ne se souvient pas avoir vu le quart de ce monde avant de s’endormir, et s’il comprend bien que son sommeil n’a pu cesser la lente rotation de la Terre, il se sent dépassé. Dans le sens humain du terme. L’âme vampire, elle, n’a jamais été plus obscure, plus dense qu’aujourd’hui. Tout ce qu’il ne comprend pas de l’humain moderne, c’est un peu plus d’humanité perdue au fond de lui, un peu plus de sa vieille âme grignotée par le chaos distordu et noir. Il est les abysses infernales, différent encore du gouffre qui engloutit sans cesse les marrées d’esprits sacrifiés au nom de la nouvelle religion à la mode – l’économie. Elle n’est pas vraiment nouvelle, il le sait, mais il est aussi vieux. C’était mieux avant, forcément.
« Boire dans une tasse, c’est comme forniquer avec une aisselle. Quel intérêt de remplir un vide qui ne saurait être comblé dans un simulacre dégradant ? »
L’idée le fait grimacer, et il ne se rend pas compte de l’étrangeté de sa métaphore. Ne lui reste que ce sentiment abject d’être un animal à qui on aurait donné sa pitance, car c’est ce qu’il en comprend. Qu’on lui donne comme on ferait la charité, alors même qu’ils leur ont empêché de prendre ce qui leur était dû. Qui a fait ses Lois ? Il le sait, mais il ne les reconnaît pas. Ce qu’il sait en revanche, c’est qu’il boirait bien à la gorge d’une âme, de la basse ou de la haute classe qu’importe, pourvu qu’il lui soit doux.
Il se jure que jamais ses crocs ne perceront une poche de sang. Quand bien même la faim le gratterait jusque dans les tréfonds de son estomac, quand bien même il finirait probablement par perdre pieds comme ce fut le cas par le passé, lors de réveils inopinés.
Ses yeux finalement croisent ceux de son engeance qui boit dans une tasse. L’odeur de l’hémoglobine est fraîche, désagréable. Il la préfère chaude bien sûr, mais il a longtemps bu à la gorge de sa Mère, longtemps bu aux poignets de ses sœurs ou même à leurs seins indécents. Le laisserait-il boire à sa gorge lui aussi ? Difficile à dire, mais il y a peu de chance. Ysrafel glisse ses doigts sur sa joue, comme pour soutenir sa tête rendue trop lourde. Il aimerait, pourtant, qu’il le laisse faire. Qu’il le lui propose, comme on proposerait un café ou un thé à un invité de marque.
Son doigt passe sur ses canines, dans un geste qui n’est pas calculé, mais qui a faim. Avant de se concentrer sur la question, et de réfléchir. Il n’est plus si facile pour le vampire de se souvenir de sa vie d’avant. Il est comme un adulte essayant de se souvenir de son enfance, de ses pièces lointaines, qui lui semblent pour certaines incohérentes entre elles.
Qui fût-il, Ysrafel, que le fils d’une putain venue cherchée un peu d’argent et de gloire dans les colonies américaines ? Il se souvient de sa voix, ténue, comme un secret, mais plus du visage ou du sourire de sa mère. La pensée lui glace le sang comme à chaque fois, mais il n’y peut plus rien, il le sait. C’est la malédiction du don Obscur qui le rend ainsi. Il ne lui reste alors que cette sensation, cette extase qui le traverse à chaque fois qu’il repense à ses premiers concerts, à cette envie ivre et folle qui le prenait quand il frappait brutalement du pieds la scène en faisant hurler les cordes comme un diable déchaîné. S’il y avait eu à l’époque un Démon assez fou pour venir lui proposer un pacte en échange du succès, l’aurait-il non seulement accepté mais entièrement embrassé, comme il avait fini par s’accrocher corps et âme à Lysbeth ?
Il a un sourire maigre, guettant un instant la tasse dont l’odeur le rebute autant qu’elle l’appelle.
« En 1660. Je suis né en 1660. »
Il le martèle calmement, l’articule, comme s’il devait aussi s’en convaincre, comme s’il s’agissait d’une formule magique un peu étrange, un peu cosmique, visant à asséner un peu plus son autorité ou sa sagesse. Il n’en est rien. Il l’articule seulement parce qu’il se souvient vaguement de cette époque, mais des choses lui en restent, des choses se sont gravées dans son corps – les griffes de Lysbeth, de cette forme apportant la Calamité. Elle le trancha au moment de leur première danse.
Il aurait pu mourir ce jour-là, mais la Mort n’a pas voulu de lui. Il aurait pu mourir ce jour-là, et ainsi il n’aurait jamais eu à rencontrer d’Omphale ou de Fennorian Grey. Le monde ne s’en serait que mieux porter.
« Omphale est arrivée bien après. J’ai eu d’autres infants avant, qui ne furent que d’horribles déceptions. J’en ai eu peu, contrairement à ma Sire, mais j’en ai eu. » Il marque un temps de pause, se remémore de chacune de leurs griffes, de ses caractères qu’il avait choisi toujours furies, toujours monstresses de nuit, en espérant peut-être qu’elle serait avec lui déesse délicate, l’acceptant dans leurs bras. Il ne demandait même pas d’être leur Maître, seulement leur Amant. « Mais Omphale était différente… du moins, je le croyais. »
Car au final, Elles m’ont toutes trahi.
Fennorian:
L’on ne peut pas dire qu’Ysrafel ait totalement tort lorsqu’il évoque l’idée que boire dans une tasse est peu reluisant. Fennorian ne saurait le contredire, quand bien même il vienne s’asseoir, tasse en main non loin du plus vieux. S’il n’avait pas faim, nul doute qu’il prendrait plus de temps pour préparer tout ça, peut-être même que s’il n’avait pas été forcé de rentrer il se serait arrêté quelque part. Mais d’une certaine manière il était coincé là, à devoir siroter du sang trop froid à son goût. Après avoir posé ses questions, il trempe ses lèvres rapidement rougies dans le liquide. C’est tout juste s’il parvient à empêcher ses canines de sortir et heurter la porcelaine. « Il n’y en a pas. » qu’il lâche malgré tout d’un ton monocorde et contrarié de, en effet, devoir se contenter de ça pour l’instant. Il a toujours préféré la chaleur, ce n’était pas pour rien qu’il avait vécu une partie de sa vie et non-vie du côté de la côte ouest. De temps à autre, Fenn pose ses billes bleues sur la silhouette immense, l’observant de biais comme un animal sauvage, notant au passage l’apparition des canines, somme toute plus imposantes que les siennes. Il n’y avait pas photos, et pourtant le plus jeune des deux n’était plus non plus dans la catégorie des bébés vampires. Intérieurement, il se dit qu’Ysrafel finirait par ne pas avoir le choix. S’il ne comptait pas quitter cet appartement, il faudrait bien qu’il se résigne à boire tout comme lui était obligé de le faire faute de mieux pour le moment. Cela n’effleurait pas même l’esprit du plus jeune de se proposer en tant que poche vivante, n’ayant jamais pratiqué la chose et étant encore sur la défensive malgré le fait que l’amabilité du Sire soit plus visible que la veille. Il restait encore un étranger à ses yeux, malgré qu’il ne puisse nier cette forme de lien. En 1660. Je suis né en 1660. Si vieux que ça, donc ?
Il y avait tout un monde entre la naissance d’Ysrafel et l’ère actuelle. Aucun doute là-dessus. Fenn lui-même avait bien eu du mal à apprécier la modernité mais il avait fini par en adopter certaines coutumes tout en y voyant quelques intérêts. A choisir, il préfèrerait sans doute avoir arrêté le temps bien des années auparavant, les choses étant plus simples et surtout non régies par ces lois grotesques. Mais le monde en était ainsi fait et il essayait simplement de poursuivre sa route aussi tranquillement que possible, quand bien même cela soit devenu compliqué. Intéressé, Fenn continue de siroter lentement son maigre met tout en l’écoutant et se léchant les lèvres. Omphale est arrivée bien après. J’ai eu d’autres infants avant, qui ne furent que d’horribles déceptions. J’en ai eu peu, contrairement à ma Sire, mais j’en ai eu. Mais Omphale était différente… du moins, je le croyais. Il y a une certaine mélancolie qui émane de sa voix mais aussi de son être tout entier à l’évocation d’Omphale et ça pourrait presque mettre Fennorian mal à l’aise s’il n’était pas suffisamment intrigué pour simplement l’écouter. Il connaissait assez sa Sire pour savoir qu’elle n’avait pas un caractère facile et qu’elle paraissait inatteignable. Longtemps il l’avait lui-même cru jusqu’à ce qu’elle ne finisse par s’intéresser à lui au point de demander plus. Et au final, vouloir garder la main mise sur son infant. Sans doute avait-elle comprit à ce moment-là ce qu’elle avait visiblement elle-même fait subir à son propre Sire. Mais Fenn ignorait qu’elle avait fui. Il ignorait encore ce qui était arrivé. « D’horribles déceptions, dans… Quel sens du terme ? ». Il ne voyait pas pourquoi il n’oserait pas poser les questions. En soi, Ysrafel répondait ou ne répondait pas il s’en fichait. Se taire aurait donc été probablement bien plus stupide. Il reprend une gorgée de sang. « Si pour une raison ou une autre cela peut te rassurer, je crois qu’Omphale n’a eu que moi. ». Et c’était sûrement bien assez à dire vrai. Cette fois, Fennorian ne peut s’empêcher de finir sa tasse et d’en lécher lentement les bords en vue de ne pas en perdre une seule goutte. S’il s’écoutait, il irait en ouvrir une deuxième, mais il se retient, se contentant de garder les jambes nonchalamment croisées, soudainement plus focalisé sur sa tasse que sur l’autre présence. Ce n’est qu’une fois terminé qu’il se penche pour poser la tasse vide sur la table basse et s’installe confortablement dans son fauteuil en léchant ses canines. « Est-ce qu’au moins, la nuit t’a permis de réfléchir sur le comment tu allais la faire venir jusqu’à mon appartement ? Non pas que je sois idiot au point de croire que tu ne comptes pas utiliser des manières peu recommandables, mais je m’interroge tout de même. ». En réalité, il cherchait surtout à savoir combien de temps Ysrafel comptait-il rester chez lui à occuper tout l’espace comme s’il était le roi de la savane et le propriétaire des lieux. « Qui plus est, je dois bien admettre que tout cela me rend curieux. Je veux dire, techniquement, ton sang circule dans mes veines… ». Un drôle de constat, d’ailleurs.
Ysrafel:
Le regard d’Ysrafel passa lentement sur les traits de Fennorian. Il a un instant d’hésitation, ou plutôt, de retenu. Il ne sait pas quoi dire, parce qu’il n’y a rien à dire. Il est pudique, le vieux vampire, quand il s’agit de toucher à des choses aussi profondes, aussi importantes que ses sentiments. Il faudrait s’ouvrir la cage thoracique, en sortir les ronces épineuses qui ont fait de son ventre leur sanctuaire, pour expliquer pourquoi il est si important pour un vieux vampire comme lui d’être encore capable de ressentir la peine, l’angoisse, la joie ou encore l’euphorie. Pourquoi il est si important pour un homme qui n’a pas choisi d’être ce qu’il est d’être encore homme, juste encore un peu, juste encore une seconde. Pourquoi n’a-t-il jamais fait le choix, même après trois échecs, d’oublier simplement son humanité, de l’enterrer dans le plus profond des cimetières ?
Le vieux vampire a le visage qui se tort, doucement, dans une expression douloureuse, une réflexion intense qui le fige un instant dans ses pensées. Alors il est là, le visage suspendu, porté par sa main, le regard hagard. Ça ne dure qu’un instant, mais c’est assez long pour qu’il se projette loin en lui, profond en ses abîmes silencieuses.
Je suis confus, Fennorian. Je n’arrive plus à savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Qu’aurais-je préféré à son intime et indéfectible loyauté ? Qu’elle en fasse des comme toi, par centaine, par millier ? Ou qu’elle n’en fasse qu’un, si différent de moi, si cher à son cœur ? Je l’ignore. Je crois que j’aurais préféré que vous soyez une marée, une écume noire et bouillante sous laquelle elle se serait cachée, comme Lysbeth parfois le faisait lors de nos bacchanales. Lorsque sous l’épiderme, on ne savait plus où la Mère commençait, où elle finissait. On la savait là seulement, on frissonnait de la savoir tantôt en nous, tantôt nous en elle, sans avoir le besoin de la voir. J’aurais aimé qu’elle soit davantage comme Lysbeth. J’aurais pu lui pardonner. Mais elle est comme moi. Et si elle est comme moi, alors toi, tu dois être comme elle…
Une main épaisse passe sur le visage du vieux vampire. Du bout des doigts, il glisse encore sous les canines arides, se pique la pulpe sans sourciller, avec un plaisir simple et léger. « Est-ce vraiment une bonne chose » murmure-t-il finalement, plus pour lui-même que pour le plus jeune.
Les yeux sombres d’Ysrafel se posent quelques secondes sur la tasse vide. L’odeur de l’hémoglobine remonte jusqu’à ses narines, et il doit avouer avoir de plus en plus envie de plonger ses crocs dans un corps qui se voudrait mou mais agréable, dans lequel on sentirait encore la vie, aussi corrompue, aussi distordue soit-elle, glisser. Sa canine perce davantage son pouce, ou du moins, c’est le pouce qu’il empale un peu plus sur la dent, d’un air pourtant sage et contenancé.
Il ne peut s’empêcher de sourire à sa dernière question, venant suçoter calmement le bout de son pouce le temps qu’il se referme, soit à peine quelques secondes. Après quoi, sur ses lèvres s’étire un air moqueur. Un sourcil qui se hausse le rend plus impitoyable encore :
« Tu n’as pas l’air de savoir grand-chose du lien qui te lie à ta Sire. » Il penche doucement la tête sur le côté, détaillant maintenant la position de Fennorian. Ses jambes croisées, ses chevilles, la coupe du pantalon… « Ma Sire était une Originelle. Contrairement à Omphale ou à toi, je n’ai pas été choisi par elle. Je n’étais qu’un spectateur de son massacre, qu’une pièce toute petite, infime, qui s’est retrouvée à survivre pour on ne sait quelle raison. » Il se souvient de la douleur – de ses griffes qui labourent son torse, le déchiquète. La mort ne lui rendit pas la beauté de sa peau. Certaines nuits, il peut l’imaginer, la sentir, encore à côté de lui. Quand elle le surplombe alors qu’il meurt. Quand elle l’embrasse quand il vit. « Mais elle m’a aimé dès mon premier souffle. Elle m’a chéri, et nous avons partagé des choses incroyables. Des guerres, mais aussi des secrets, des confidences. Ce fut une époque étrange, et j’ai dû apprendre à laisser de la place à l’empire qu’elle fit, à ses innombrables autres qui se rangèrent devant, derrière, à côté de moi. De ses centaines d’infants qui firent de Lysbeth Quinn la Reine Vampire. » Ses yeux grimpent lentement, passe sur la taille respectable, le pli du tissu qui met en valeur le dessin de la hanche. La faim lui tiraille la gorge. « J’ai aimé Lysbeth, et je ne regrette pas une seule seconde ce que je fis pour elle, et ce qu’elle fit de moi. Cependant, très rapidement, j’ai également fait un choix. J’ai décidé d’infanter à mon tour, mais de choisir un être, un seul, en tout état de cause. De lui offrir la beauté, la puissance, et mon éternité. Et c’est ce que je fis. »
Il y eut d’abord Electre. Tu aurais dû la voir, elle était si belle, si puissante. Assise à son piano, elle me souriait toujours avec timidité. Comment aurais-je pu savoir qu’il se cachait une vipère derrière ses grands yeux de jade ? Comment aurais-je savoir qu’elle finirait par se détourner de moi pour mieux persifler sur d’autres têtes couronnées ? Comment aurais-je pu ne pas la châtier ?
« Alors un jour, j'ai choisi Omphale. Je la voulais, elle, seulement elle. »
Le silence est pesant. Les sentiments sont intacts, même après plus de deux siècles. Ils sont intacts, encore en morceaux, et si le vieux vampire ne pleure pas, sa voix plus grave, plus profonde, le trahit pour autant. Il ne déglutit pas, il ne tremble pas. Il édicte, seulement, la vérité. Le constat de ces nombreuses années, de ces trop nombreux échecs, qui ne lui laissent que ce goût aride sur les lèvres.
« Et un autre jour, elle a disparu. Elle est partie, comme ça, sans rien me dire. Elle s’est cachée de tous mes frères, de toutes mes sœurs. Comme un songe d’une nuit d’été, elle s’est évaporée, et j’ai vécu avec la certitude de l’avoir connu, de l’avoir serré contre moi, et en même temps, j'étais bien persuadé de l'avoir rêvé tant elle était parfaite et douloureuse... J'ai hésité, longtemps, entre la réalité et le songe, au point de ne plus savoir si j’étais fou ou malade, ou seulement blessé. »
Ses yeux arrivent enfin à la gorge du jeune homme. A cette gorge blanche où pulse en effet son sang, son héritage, sa force mais aussi ses faiblesses. Amusant, quand on y pense.
« Il est vrai que tu portes mon sang. Et c’est la première fois depuis le début de mon existence qu’il existe plus d’une âme dans ma lignée. Ce qui fait, globalement, une âme de trop. »
Le message est comme une menace sous–jacente, une pique dangereuse à l’existence contre-nature et indésirable de Fennorian Gray. Il inspire profondément, avant de détourner les yeux, reprenant plus bas :
« C’est les pouvoirs que renferment ce sang traître que je vais utiliser. Si elle ne veut pas venir d'elle même, alors... je me verrais obliger de la forcer à se montrer. »
Et c’est dans ce sang impur que je laverais les affronts de ta Sire – de mon Infante.
Fennorian:
La douleur semble soudainement irradier sur les traits de son aîné. Pour le coup entièrement pure, et forte de sens. D’une véritable force brute. Immobile dans son fauteuil, Fennorian ne quitte plus Ysrafel des yeux, buvant littéralement ses paroles. Cette histoire qui est sienne et dont peut-être que certains détails sont cachés. Cela n’est en rien gênant, car le principal est dit, pour ne pas dire avoué telle une véritable confession. C’est un nouveau visage qu’il découvre comparé à celui de la veille. Et il y a quelque chose d’intriguant dans la manière dont il raconte les choses, le tout mêlé à une forme de tristesse qui le surprend. Il ne perd pas une miette du spectacle qui se joue sous ses yeux, le pouce lentement transpercé par la canine, le murmure qui s’échappe de ses lèvres et qu’il ne comprend pas. Pour autant, Fennorian n’interrompt nullement le fond de sa pensée, simple spectateur attentif et patient. Car il en a souvent été ainsi, plus observateur qu’autre chose. Ce n’était pas pour rien qu’il adorait la recherche et la solitude des laboratoires. L’air moqueur que se met à arborer le Sire ne le contrarie guère, pas même sa remarque ne le contrarie car elle n’était pas totalement fausse. Omphale lui avait bien expliqué le principal mais il y avait certains détails qu’avec le temps il avait fini par omettre. Le regard d’Ysrafel sur lui est sans doute un peu trop appuyé mais il ne bouge ni ne dit mot, se contentant de l’observer en retour mais pas dans les détails à la différence de celui-ci. Il est plutôt focalisé sur les mots, chaque syllabe qui roule aux lèvres de l’autre. Chaque émotion à peine voilée et pourtant maîtrisée. Ainsi donc voilà que Fenn descendait d’une haute chaîne vampirique sans même le savoir, détail qu’Omphale avait visiblement tut. Surpris, l’expression de son visage se détend dans une image de surprise contenue mais qui demeure belle et bien présente. Lysbeth, la reine vampire. Cela paraissait totalement saugrenu, et il ne comprenait donc pas ce qui avait bien pu pousser Omphale à s’intéresser à lui au point de vouloir lui offrir la vie damnée éternelle, engeance d’une lignée particulière. Des centaines d’infants. C’est ce qu’il venait de dire.
En silence, Fennorian déglutit, captivé. Ses billes bleues probablement plus turquoises que la vision qu’il avait pu offrir la veille. Reflet de ses tempêtes intérieures. Alors un jour, j'ai choisi Omphale. Je la voulais, elle, seulement elle. Il ne voit même plus les regards que lui lancent le plus vieux et qui auraient pu lui révéler un danger d’un nouveau genre. L’un de ceux quasi insoupçonnés. Et un autre jour, elle a disparu. Elle est partie, comme ça, sans rien me dire. Comment ne pourrait-il pas voir la ressemblance frappante avec ce qu’il avait lui-même fait ? Ce côté identique lui fait doucement plisser le nez. L’on pourrait croire que c’est d’indignation vis-à-vis d’Ysrafel mais en réalité il est perturbé par la ressemble tenace. Etait-ce le destin qui avait voulu qu’Omphale subisse la même chose que sa Sire ? Ou était-ce simplement l’ironie du sort ? Une pure coïncidence. Fenn s’enferme un instant dans le silence, comme pour ne pas briser le moment des aveux, mais le regard plus insistant de l’autre ne le met pas foncièrement à l’aise, quand bien même l’une de ses barrières se soit brisée. Ysrafel avait été trompé d’une certaine manière, il comprenait donc mieux ses réactions. Du moins le pensait-il.
Une âme de trop. Il ne faut pas être un crétin pour savoir ce que c’est censé vouloir dire. La mâchoire du plus jeune se crispe légèrement, canines rétractées depuis un moment. Omphale seule avait décidé, il aurait beau venir en disant pareille chose, Fennorian ne comptait pas simplement disparaître de la carte pour apaiser les souffrances d’un vieillard aux dents longues. Enfin, l’aîné répond à sa question, et Fenn n’est pas certain de l’apprécier. Sourcils froncés, c’est en chien de faïence qu’il repose son regard sur Ysrafel qui, lui, a détourné les yeux en avouant son plan. « Tu ne l’as donc pas revue en plus de cent ans ? », qu’il ose demander tout en entendant résonner dans sa tête les mots sang traître. Puis il soupire, car ce qu’il s’apprête à dire ne plaidera pas en sa propre faveur. « Elle ne viendra pas, elle ne sait pas où je suis. Je te l’ai dit. ». Il ne surestimait toutefois pas ce qu’Omphale pourrait faire pour son infant. Sans doute était-elle bien plus accrochée à Fenn que lui ne l’était à elle au bout du compte. Bien sûr, il y avait ce lien qu’il ne pouvait nier, mais les années l’ont amoindri, surtout du côté de l’infant. « Ce n’est pas comme si j’avais son numéro de téléphone ou quelque chose du genre. ». Je suis parti. Qu’il manque d’avouer, se reprenant néanmoins et évitant probablement ainsi qu’Ysrafel ne comprenne trop vite la ressemblance entre son infante et lui. « Pour ce qui est de l’âme en trop, ce qui est fait est fait et j’estime ne pas être un poids pour toi. T’aider d’une certaine manière, ok, mais je ne compte pas disparaître. ». Ceci étant dit, ses prunelles s’assombrissent à nouveau.
Ysrafel:
« Jamais depuis ce jour » répond-t-il simplement, passant désormais son pouce sur ses lèvres, pour en éparpiller la saveur ferreuse du sang, sinon je ne l’aurais plus jamais laisser repartir.
Le vieux vampire est calme, pourtant il se sent comme transporter par la présence de son engeance. Comme si le corps l’appelait, la gorge lui ordonnait de venir le saisir. Ce ne sont que les désirs lubriques d’un vieillard. Ysrafel le sait, mais la tentation est grandissante, et le sang qui teinte sa bouche ne l’aide pas à calmer les ardeurs anciennes et leur virulence incroyable. Comment un corps mort depuis si longtemps peut-il encore exiger avec autant de hargne ? Il baisse les paupières, laisse se taire le sang qui fustige, qui s’offusque, qui réclame, impérieux comme un prince, mais sans le titre, sans la couronne. Il n’en veut pas. Il veut seulement Omphale, sa vengeance, son sang.
Mais le garçon parle et réveille la bête. Il l’agace, un peu, à le contredire. Comment peut-il affirmer quelque chose ? Non, bien sûr qu’elle viendra. Il l’ignore peut-être, mais elle doit déjà savoir qu’ils sont tous les deux ensemble. Elle doit savoir qu’Ysrafel a retrouvé son Infant, parce qu’elle est comme lui, aussi possessive, aussi obsessionnelle. Elle a dû l’aimer assez pour le laisser partir, mais pas assez pour le libérer d’elle, de ses griffes malsaines. Comme un présage sinistre, elle le surplombe, il le sent, il s’en doute. Non, elle viendra. Même sans téléphone, même sans technologie, car il y a un quelque chose de puissant et de magique en eux, dans la magie de ce sang unique et romantique comme rarement fut d’autres nocturnes.
Le vieux vampire a un petit rictus finalement, laissant choir sa tête sur le côté alors qu’il lui jette un regard moqueur, le détaillant une nouvelle fois, de la tête aux pieds. Il se fait plus nonchalant dans le canapé, capable d’un moment à l’autre de s’avachir sur le flan.
« Je crois que tu ne comprends pas, mais ce n’est pas très grave, parce que je sais qu’elle, au contraire, sait exactement de quoi il est question. Je ne doute pas une seule seconde qu’elle sait déjà que je suis réveillé, et je suis à peu près certain qu’elle sait également depuis peu que je suis avec toi, dans cet appartement. » Parce que l’Infante a tout pris de son géniteur, jusque dans sa façon de suivre dans les ombres ses proies, de les observer avec amour, de les aimer de loin. Parce qu’Omphale est une prédatrice, une âme sournoise et avide… Parce qu’elle tient à lui, tout simplement. « Je lui laisse dix jours, disons, pour se manifester. Après quoi, je devrais aviser. »
Par aviser, il sous-entend un certain nombre de chose mais ne compte s’étaler dessus. Il a peu de raison de menacer outre mesure le jeune vampire. Fennorian et lui échangent d’ailleurs un regard, pendant lequel Ysrafel devine qu’il doit se dire qu’il devra encore le supporter au moins dix jours de plus. Dix jours qui lui semblent être une torture, et pourtant… Pourtant le sang les appelle, l’un à l’autre, parce qu’ils sont de la même lignée, parce qu’ils s’appartiennent l’un à l’autre.
Le sang qui coule dans ses veines n’est pas seulement identique au sien – il s’agit bien de son sang. De sa lignée. L’idée traverse l’esprit d’Ysrafel, et ce dernier finalement esquisse une moue un peu boudeuse à l’idée des caprices que lui susurrent la soif. C’est, de toute cette malédiction qui me colle à la peau, la pire – je crois.
« Offre-moi à boire. » La voix perce le silence, sans l’abîmer, sans à peine l’effleurer. C’est une caresse, une supplique polie, un ordre enrobé. Il le fixe, la tête toujours posée sur sa main, désinvolte dans ce fauteuil. Son œil brille quand il sait que le jeune vampire digère l’information. Il ne s’empresse pas, mais il rajoute presque aussitôt, comme pour couper court à sa réflexion interne : « Pas en poche. Pas en tasse. »
Offre-toi à moi.
De nouveau, nerveusement, son pouce passe sous ses canines. L’excitation est modérée, mais l’envie, elle, est immense. Il se demande quel goût le garçon a, quel est son parfum, mais aussi s’il est du genre à gémir ou à pleurer. Peut-être qu’il ne fait rien de tout ça ? Peut-être rougit-il seulement dans un silence contrôlé, où il étoufferait jusqu’à sa respiration fausse mais mécanique ? Peut-être. Ysrafel l’ignore, mais la chose le rend curieux. Pas lubrique, seulement curieux.
« Viens. Je ne te ferais pas de mal. »
Ysrafel n’est pas un menteur, mais c’est presque un mensonge, et il le sait. Oui, il ne lui fera pas de mal, parce qu’il ne le veut pas vraiment, parce qu’il n’a pas ce sadisme quasi inné à certains de son espèce. Non, il ne lui fera pas de mal, ou seulement s’il en est obligé, seulement s’il se refuse. Le vieux vampire le sait : l’âge l’a rendu capricieux. Un « non » n’est pas envisageable.
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Sha
Lun 12 Juil - 15:09
Every Single Day
Partie 2 (suite)
Fennorian:
Jamais depuis ce jour. Ainsi donc il y avait finalement une différence entre Omphale et lui. Ysrafel n’avait pu remettre la main sur sa Sire là où cette dernière avait réussie à le retrouver trois fois dans le but de le faire revenir. Sans doute Fennorian était-il naïf au point de penser qu’il avait finalement réussi à disparaître de sa vie, ou peut-être avait-il tout simplement rejeté au plus profond de son être la magie afin de ne plus la sentir ? Ne plus l’entendre pour pouvoir continuer d’avancer selon ses propres conditions ? Il ne saurait sûrement pas répondre à cette question si on la lui posait, il était préférable qu’il ne le sache pas si vite. Qu’il reste persuadé qu’Omphale ne viendrait pas. Car cela serait admettre qu’elle tenait trop à lui, et quelque chose lui disait que ce serait mauvais pour son compte si tel était ce qu’Ysrafel devrait comprendre… Le regard du vampire ne le quitte pas et le plus jeune voit bien ce qu’il se passe sans pouvoir le nommer. Ce n’est pas la première fois qu’il voit ce genre de regard, enfin auprès d’un vampire vieux de plus de trois cent ans… Sûrement. Au fond, ça le dérange un peu, remue ses tripes mortes depuis des lustres et il croise les doigts, toujours installé confortablement dans son fauteuil. L’autre continue de prendre ses aises, il peut le noter à la manière dont il commence lentement à s’affaler dans le canapé, pensif et soudainement moqueur malgré le carmin qui teinte sa lèvre inférieure. Fenn hausse un sourcil aux palabres qui s’échappent dans le silence qui était retombé entre eux. Si ce qu’il disait était vrai, alors le plan de son aîné était tout justifié, cependant le plus jeune avait bien du mal à accepter le fait qu’Omphale puisse savoir exactement où il se trouve. Cela voudrait dire qu’elle se serait contentée de rester dans les ombres en attendant le moment propice pour lui tomber dessus ? Sa mâchoire se crispe un peu plus, pensif lui aussi jusqu’à ce que la sentence ne tombe. Dix jours. Dix, jours. Ses billes bleues croisent les iris d’Ysrafel et il n’y a nul besoin de parler pour savoir ce qu’il se passe dans leurs esprits respectifs. Fennorian allait rester coincé avec lui pendant dix longues journées. Ou plutôt, nuits. Car il le savait, quand bien même Omphale fusse dans les ombres, elle ne se manifesterait pas de sitôt.
« Dix jours. » qu’il répète lentement, comme pour se l’imprégner dans le crâne et mieux accepter l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Fenn était plutôt solitaire, l’idée de partager son appartement pendant dix jours lui paraissait être une torture évidente tant Ysrafel prenait de la place. Il aurait voulu se mettre à bouger, quitter le fauteuil soudainement trop confortable. Colère ronronne doucement mais il demeure incapable de bouger. Il n’est pas sous l’emprise de l’hypnose cette fois, c’est bel et bien son corps qui refuse de bouger, immobilisé par son esprit qui remue ciel et terre pour espérer trouver une solution annexe. Ne serait-ce qu’un élément de négociation. Ou alors n’est-ce que cette aura étrange, ce brouillard invisible qui le trouble au point de l’empêcher de s’éloigner de trop. Il ne saurait dire, à moins que cela ne soit que le contre-coup de la fatigue ? Ce n’était certainement pas la digestion. Offre-moi à boire. Perdu dans ses pensées et ses sensations, il ne s’est pas rendu compte que les secondes silencieuses ont passées, si bien que la surprise se lit sur ses traits lorsqu’il repose son regard sur lui. Pendant un instant il a bien cru s’être évaporé de la pièce et c’est comme s’il venait tout juste de revenir. Dubitatif, Fenn demeure méfiant mais son inconscient lui susurre déjà que la demande du Sire n’est pas anodine et qu’il ne souhaite pas d’une tasse… Cette nonchalance subitement portée par l’ensemble de sa silhouette et de son visage pourrait presque devenir agaçante car dissimulatrice d’un nombre incroyable de possibilités. De cela, Fennorian en était certain. Pas en poche. Pas en tasse. Non, évidemment. Sa respiration mécanique s’alourdit à mesure qu’il emmagasine ce que cela signifie, mais aussi les termes sous-jacent. Ysrafel l’avait prouvé, il n’était pas vampire habitué du non. Sur le moment, cela donnerait presque un affreux déjà-vu au plus jeune, un temps jadis qu’il aurait voulu définitivement oublier mais qui revenait dernièrement le hanter par vagues successives. Viens. Nouvelle inspiration. Il serre les doigts, ses ongles s’enfonçant lentement dans sa peau et la marquant sans la faire saigner. Je ne te ferais pas de mal. Si la situation n’était pas aussi sérieuse, Fennorian en aurait manqué d’échapper un rire franc face à cette ironie profonde. Il ne le quitte pas des yeux, de longues secondes durant dans un silence quasi religieux. Il ne donne pas de réponse, considère la chose à toute vitesse. Il ne peut nier cette force, ce brouillard qui attire et c’est sûrement ce qu’il craint le plus en fin de compte. C’est tel un chat qu’il finit pourtant par se lever, quitter la chaleur du fauteuil qu’il a réchauffé malgré la froideur de son corps.
A pas mesurés, il contourne la table basse, passe devant l’aîné pour oser venir s’asseoir à ses côtés. A distance raisonnable d’abord. C’est encore pire à cette place. Comme lutter avec une odeur trop agréable qui était capable d’emprisonner les sens. Il n’y avait pourtant aucune odeur réellement identifiable, aucune odeur trop forte pour perturber son odorat sensible. Ce n’était qu’illusion. Au moins était-il parvenu à bouger jusqu’ici. Lentement, il tourne la tête pour l’observer, perdu entre l’envie de fuite et celle de rester.
Ysrafel:
Il ne peut faire autrement que de se délecter de ses hésitations, de ses silences, de ses tendres tourments. Il sait qu’il ne devrait pas se réjouir autant de son malheur, parce qu’il est après tout l’être qui fut crée de son sang et le dernier maillon de sa lignée. Il devrait le chérir, enrouler ses doigts autour de son visage, mais il n’y arrive pas. Il y a toujours cette soif, là, cachée mais puissante, et aussi ce sadisme qui se lit sur l’ourlet de ses lèvres étirées. Dans un calme apparent et tangible, ses mains rejointes sagement sur ses cuisses croisées, il l’observe lutter et puis céder avec un sourire qui se veut peut-être – trop – satisfait de sa résignation. Aime-t-il pourquoi vaincre face à une si petite résistance ? Ses yeux suivent la silhouette qui passe devant lui pour mieux s’asseoir, à une distance bien sûr raisonnable.
S’attend-t-il à ce qu’il puise à son poignet, comme font les subordonnés, les avides au point de quémander ? Non, Ysrafel est un vieux vampire, trop romantique probablement, trop lubrique aussi. Sa relation avec Lysbeth commença un soir d’orgie, et si ça n’avait tenu qu’à lui, tous les soirs auraient été semblables, pour le plaisir de se perdre toujours dans ses bras différents, incapables de le retenir, incapables de le blesser.
« Approche », murmure-t-il, toujours avec cette attitude étrange, presque tendre bien que dissimulant des ordres implacables. Il attend calmement, avant de venir glisser sa main gauche dans les cheveux de Fennorian. Jusqu’à maintenant, et si sa mémoire ne le trahit pas, Ysrafel s’est toujours nourrit sur des Calices aux formes généreuses, aux formes féminines. Des traîtresses, des amantes. La sensation des cheveux courts sur le bout de ses doigts le perturbe, et son visage le trahit alors qu’il laisse son index glissait le long de la nuque de jeune homme, avant de revenir vers la base de sa gorge.
Pourquoi est-ce que tout ça me paraît soudainement… intimidant ?
Le regard du vieux vampire se fait un peu plus sombre, alors qu’il laisse Fennorian se rapprochait, l’obligeant d’une main à lui faire face si seulement l’idée de lui retourner le dos avait pu le traverser. Délicat, il garde ainsi sa main gauche sur son épaule, avant de faire remonter son autre main le long de sa jambe jusqu’à la pointe de son menton, en passant bien sûr par son torse pour en sentir seulement le dessin fugace. Du bout du pouce, il lui fait relever le visage et le jauge, plus près encore. Observe la vivacité du regard, et son ultime défiance aussi. Cela lui arrache un sourire mi-satisfait mi-excité. Le don obscur parle au fond de lui, comme un Loup parlerait à son hôte mordu, comme un diable chuchoterait à son oreille. Il le presse de le tordre en morceaux, de le briser entre ses doigts pour en entendre le bruit des os cassés, mais il sait aussi que cette simple morsure, même si elle se fait délicate, lui tirera deux choses.
D’un côté, du plaisir. Et ce plaisir, Elle le ressentira, qu’elle le veuille ou non, à travers leur Lien, à travers son Existence tout entière. Elle se souviendra, elle aussi, de ce que cela faisait que d’être mordu par son Sire, que d’être avalé par les crocs épaisses d’Ysrafel.
De l’autre, avec un peu de chance, Elle ressentira également du désir – et de la jalousie. Une peine immense, comme il a pu lui-même ressentir du fin fond de son tombeau, comme il a pu longtemps avoir peur d’avoir été remplacé et finalement, c’était bien ça, c’était bien vrai. Et son remplaçant était là, sous ses griffes, aussi docile que perturbé par le regard inquisiteur du Lovenox.
Intéressant. Est-ce que tu rougirais si je t’embrassais avant de te mordre ?
Un silence, alors que le vieux a un petit grognement d’excitation à l’idée. Il se reprend presque aussitôt, lui faisant pencher la tête sur le côté.
Qu’importe. Ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce n’est pas toi qui m’intéresse.
Ysrafel chasse finalement les pensées qui l’assaillent avant de se pencher en avant. Sa main droite tient toujours, à peine, du bout des doigts, le menton de Fennorian à l’oblique, alors que sa main gauche glisse calmement sur sa hanche au fur et à mesure que sa bouche vient se déposer sur son épiderme. Le plus ancien ferme les yeux, souffle sur la peau comme s’il avait l’espoir de la réchauffer ou d’obtenir une réaction qu’il pourrait sentir jusque dans cette main qui tient sa hanche. Ensuite, il lui suffit d’y déposer un baiser, d’ouverture, pendant lequel en approfondissant il en profite pour planter sincèrement les crocs. Le sang jaillit dans sa bouche, et alors dans un tremblement nerveux, probablement dû au plaisir tendre, il dégage sa main du visage de Fenn’ pour venir glisser sous sa cuisse et l’approcher davantage de lui. Son autre main d’ailleurs se dégage sagement de sa hanche, pour mieux lui barrer le bas du dos.
Modéré, Ysrafel boit lentement, ce qui donne à sa morsure une sensation de plaisir douloureux, tant le sentiment dure et est pénétrant. Il n’y fait cependant pas attention, en profitant pour se repaître d’une bonne quantité qui ne mettrait cependant pas en danger le plus jeune, avant de finalement relâcher sa prise sur sa gorge. A peine sortis, les crocs glissent quelques secondes sur sa peau claire, les yeux fermés mais l’air transporté par l’odeur et le sentiment agréable d’être repu. Il lèche d’ailleurs les dernières gouttes qui s’échappent, précieuses, avant d’y déposer cette fois un baiser d’excuse, presque mécaniquement.
En rouvrant les yeux, il comprend que ses mauvaises habitudes ont repris leur droit, puisqu’il tient Fennorian contre lui, le surplombant presque, ne lui laissant aucune échappatoire. Un petit grognement accompagne la découverte, non pas parce qu’il regrette, mais parce que soudainement, cela ne lui semble pas assez. Parce qu’il a encore faim. Parce que ce sang lui rappelle cruellement Omphale, et qu’un instant, il a cru pouvoir se souvenir de ce que ça faisait quand…
« Merci », souffle-t-il avant de relâcher le jeune vampire, se redressant avec un air distrait. Tu étais bon. « Ne bouge pas, je vais te servir quelque chose. » Je te dois au moins ça avec ce que je t'ai pris...
Et comme il dit ça, Ysrafel se lève, calmement, se sentant plus fort qu’il y a dix minutes, mais sachant également qu’il a bu un peu plus qu’il n’avait envisagé à l’origine. Rien de grave, mais tout de même. Il attrape alors la tasse avant d’aller la rincer dans l’évier – pour éviter les dépôts séchés dans le fond – et finit par la remplir avec une autre poche, tout ça d’un air suspicieux.
J’espère que tu l’as ressenti, Omphale, comme j’ai pu le ressentir.
Fennorian:
L’effet de l’instant est étrange. Comme si le temps avait décidé de s’arrêter entièrement pour l’enfermer un peu plus dans une bulle. Ce brouillard, comme son esprit semblait prêt à l’appeler depuis déjà quelques minutes. Ca lui plaisait autant que ça ne lui plaisait pas. Un paradoxe immense qu’il savait ne pas ressentir d’ordinaire et qui n’était causé que par sa seule présence. D’autant plus depuis qu’il venait d’accepter de s’asseoir à ses côtés. Et même à distance raisonnable. Approche. Immobile, tout ce que le vampire craignait, depuis la seconde où Ysrafel avait formulé sa demande fortement appuyée, était en train de se réaliser. Sur le moment, Fenn détestait avoir raison. Détournant les yeux, il se décale lentement mais sûrement vers son aîné avec la nette impression de faire une erreur. Il ne pouvait toutefois ignorer que refuser ne serait pas une bonne idée. Pas lorsque la faim se lisait sur les traits malgré tout posés du plus vieux. Il n’y avait pas de doute possible quant à la suite des évènements s’il ne s’exécutait pas. Et voilà bien longtemps que Fennorian n’avait pas été contraint d’obéir de manière sous-jacente à un ordre. Il y a cependant une différence frappante, et elle se joue sur la lenteur des gestes. Sur la lenteur de ces doigts qui se mettent à passer dans ses cheveux tandis qu’il ne le regarde toujours pas. Il se sent réagir malgré lui, mais il ne saurait dire si le frisson qui le parcourt est purement de dégoût ou s’il s’agit d’autre chose de plus complexe. Il préfère penser qu’il ne s’agit là que de rejet, pourtant il accepte enfin de le regarder, le turquoise de ses yeux perdu entre clair-obscur à l’image de sa bataille intérieure.
Toujours aussi lentement, il continue de glisser vers Ysrafel, index glissant sur sa nuque puis sa gorge. Un signe suffisant de ce qui l’attend. Une chose qu’il n’avait pas offerte depuis plus de cent ans et dont il avait légèrement oublié les effets. D’ailleurs, était-ce censé avoir les mêmes maintenant qu’il était mort et non plus vivant ? Lorsqu’il arrive finalement trop proche de l’aîné à son goût, il est forcé de lui faire face. Même s’il le voulait il ne pourrait pas partir, la force de l’autre étant suffisante pour lui broyer un os dans sa fuite. Cela pourrait guérir, mais pas s’il se décidait à l’attraper par la nuque pour la lui briser. Une chose, donc, que Fennorian se décidait à ne pas tenter. Au lieu de ça, il croise son regard, souffle mécanique toujours aussi lourd que précédemment et se retient de ne pas fuir quand la deuxième main glisse le long de sa jambe pour remonter doucement. Il se maudit d’être aussi docile mais en réalité il est d’une certaine manière captivé par tout ça. Littéralement analysé, c’est comme si les prunelles d’Ysrafel voyaient au travers de son âme et ça le perturbait plus que de raison. D’autant plus en étant dorénavant forcé de lui rendre son regard inquisiteur, pouce juste sous son menton. Etait-il en train d’analyser sa marchandise ou prenait-il seulement un malin plaisir à le mettre aussi mal à l’aise que possible ? Au creux de ses iris, ça continue de se battre, tantôt claires, tantôt plus sombres tels une mer orageuse. Chacun semble perdu dans ses propres pensées et autant dire que celles de Fenn partent en tous sens. C’était comme être entièrement détraqué, comme si des ondes le brouillait dans son ensemble sans qu’il ne puisse rien y faire. Définitivement perturbé, il ne pensait pas que cela puisse être pire, subitement rattrapé par des émotions qui auraient pu être les siennes lorsqu’il était encore vivant. Il renouait avec des choses dont il ne voulait plus et qu’il avait oublié jusqu’ici. Forcé de pencher la tête, l’expectative se fait proche mais son Sire de niveau deux paraît bien décidé à prendre son temps. Qu’on en finisse, qu’il pense intérieurement, cette fois bien en face du plus grand qui se penche à son tour vers lui.
Le souffle réflexe s’est arrêté sans qu’il n’en ait conscience, mimique pourtant bien réelle de ce qui aurait pu être. Les lèvres qui se posent sur sa peau sont si lentes qu’il en a un nouveau frisson malgré lui, ses doigts crispés se retenant de justesse de former un poing serré. Fixant le cuir du canapé, Fennorian ne pourrait pas être plus immobile, véritable souris prise au piège. Il en ressentirait probablement de la honte plus tard, pour l’heure seul comptait que le plus vieux se nourrisse et qu’ils n’en parlent plus. Mais c’était sans compter sur l’effet. Baiser se pose cette fois dans son cou et le temps s’est définitivement arrêté. La colère qui se faisait ronronnante jusque-là menace subitement d’imploser mais il ne suffit que d’un geste de la part d’Ysrafel pour qu’elle en soit soufflée. La brève douleur de la morsure, les crocs qui s’enfoncent, l’obligent à s’agripper d’une main au haut de son aîné tandis que ses prunelles se dilatent instantanément. Son souffle coupé revient, un soupir s’évaporant de ses lèvres malgré lui à mesure qu’il sent le sang qui l’anime lui échapper. Ses doigts accrochés se détendent peu à peu malgré la lenteur qui se fait aussi douloureuse qu’agréable au point de ne pas réagir, Fenn acceptant de se laisser attirer davantage. De toute manière il n’aurait pas vraiment eu son mot à dire, l’autre l’encerclant suffisamment pour qu’il ne puisse plus bouger, ni fuir. Sans doute avait-il oublié les effets d’une telle chose car il se noyait, perdu ailleurs comme aurait pu l’être un drogué en train de sérieusement planer. La respiration lourde, il lui faut un moment pour réaliser lorsque le plus vieux s’arrête, pour se rendre compte que sa peau se referme déjà et qu’elle fait disparaître les traces du vice. Il ne s’est pas rendu compte non plus avoir dangereusement basculé en arrière, le dos presque à porté de l’assise du canapé. Il est encore en train de planer et de se remettre du choc quand Ysrafel le relâche, le laissant là, un merci poli échappé de ses lèvres. Surprenant. Décontenancé, Fennorian ne sait pas si c’est dû à la quantité de sang envolé ou s’il s’agit encore du contre-coup. Pour sûr, ses pupilles ont encore du mal à retrouver leur taille normale. Ne bouge pas, je vais te servir quelque chose.
Prenant appui sur ses coudes, Fenn n’est pas certain d’avoir bien entendu mais force est de constater que le plus vieux était déjà en train de bouger. Il profite alors de ce temps pour reprendre ses esprits, se disant mentalement qu’Ysrafel était aussi dangereux énervé que calme. Se remettant assis normalement, il patiente sagement pendant que ses iris reprennent progressivement leurs teintes claires, quelque chose lui disant que peut-être son aîné n’avait pas tort. Peut-être qu’il ignorait bien des choses sur le lien entre un infant et son Sire…
Ysrafel:
Il y a en lui une sensation de manque, de soif inexplicable. Il est pourtant repu, il le sait, mais il ne peut arrêter d’y penser. Dans la cuisine, il verse calmement la poche dans la tasse, faisant attention de ne pas faire d’éclaboussure ou d’en renverser, mais sa main est nerveuse, sa main est envieuse. Un petit grognement passe ses lèvres, alors qu’il inspire profondément.
Qu’est-ce que tu fais, Omphale ? Tu devrais déjà être là, à la porte, ou à ma gorge. Tu devrais le protéger de moi… Tu ne veux pas venir ? Il n’y a aucun soucis, je ne te laisserai pas le choix, pense-t-il rageusement, serrant entre ses doigts la poche de sang frais. J’ose espérer que tu la sens, toi aussi, cette Envie, ce Désir qui grimpe. Que pour toi aussi, cela brûle à l’intérieur, cela tire. J’ose espérer que mon amertume te fera pourrir de l’intérieur, comme ton départ a rendu mon existence âcre.
Un instant, le plus ancien se redresse. Du sang a coulé sur la table. Il ne s’en est pas rendu compte, mais les griffes ont percé la poche. Il a une moue agacée, avant de lever les yeux au ciel et d’essuyer.
(Le reste de la soirée se passa sans un autre mot. Ysrafel servit la tasse et alla se reposer dans la chambre d’ami qu’il avait investit de sa présence et de ses affaires. Quelques cartons, aujourd’hui, s’empilaient en secret dans un coin de la pièce. Rien d’incroyable, mais des nouveautés que le plus jeune n’avait pas vu venir, pas vu passer. Qu’est-ce que le plus vieux des deux complotait exactement ?
Le lendemain matin, quand Fennorian rentra du travail, il n’y avait personne dans l’appartement. Juste un silence pesant. Un mot dans la cuisine indiquait avec une écriture raffinée, belle et bien bouclée « je reviens », sans rien de plus.)
Ombeline se tient au milieu du restaurant, à une table joliment dressée. Les jambes légèrement croisées, elle fait défiler d’un doigt l’écran de son smartphone et sourit de temps à autre quand quelque chose l’amuse. Ses cheveux sont des fils d’or autour de son visage pâle, mais Ombeline est lumineuse. La mort la sied toujours. Ysrafel rentre dans le restaurant et s’installe en face de sa sœur. Elle lève sur lui ses yeux et a un sourire impeccable, posant alors le téléphone, écran face à la nappe cramoisie.
« Toujours sombre comme la Mort, mon frère » se moque gentiment la créature, passant sa main sur le visage de ce dernier, en une caresse agréable, comme pour vérifier qu’il est bien présent, à cette table, avec elle. « Et toi, toujours aussi magnifique. Les années t’ont réussi, on dirait. »
En disant cela, son regard passe en circulaire sur la pièce qui se veut somptueuse. Un mélange de marbre russe, aux aspects dorés, et aux colonnes grecques. Ici et là, des nymphes sont violées par un bestiaire inquiétant, mélange d’animaux, de Lucifer incroyablement bien dessinés. Au milieu de la pièce trône un spectacle effroyable, à savoir une statue de bronze de quatre bons mètres de haut, représentant à n’en pas douter Hugolain dévorant ses enfants à cause de la faim.
« Les affaires sont florissantes. Contrairement à certains, je vise bien plus que le microcosme de Salem et sa banlieue puante. » Il y a une forme d’arrogance mais aussi d’assurance dans la voix de la jeune femme. « Je ne te cacherais pas que les affaires ont rarement été aussi bonnes. L’attrait pour l’occultisme, le vampirisme, brûle les doigts des millionnaires en tout genre. Ils sont capables de tout pour s’octroyer, tu sais, un cœur de sirène, un œil de je-ne-sais-quoi, ou encore… un pénis de Loup. Ils adorent ça. C’est ma première vente ! »
Le sourire qui s’affiche sur le visage d’Ombeline est un mélange d’excitation et de moquerie. Les traits sont fins, nobles, mais il en émane une puissance écrasante, un mépris aussi. Elle les trouve risible, ces rats des égouts qui tentent de retrouver une libido, un simulacre de vie sexuelle. Oui, elle les méprise, car ils ne comprennent rien au sexe, à sa beauté, à sa violence.
« Enfin, tu sais comment sont les humains. » « Je sais, oui. Nous savons tous ce qu'ils sont, pour l'avoir un jour été. C’est difficile de s’en souvenir, un peu plus chaque année, voilà tout. »
Les yeux vert d’eau de la vampire se posent sur le visage de son frère, et elle penche délicatement la tête. Se remémore peut-être sa vie de pauvre gamine des bas quartiers, de cette puissance que Lysbeth lui accorda, de ses longues nuits où elle se demanda si elle avait été punie pour avoir désiré s’affranchir de sa condition, ou au contraire, si cela fut une bénédiction.
Avec du recul, Ombeline sait que ce fut sa bénédiction.
« Tu as demandé à me voir » reprend-t-elle simplement, faisant un geste au serveur afin qu’il amène le repas, « est-ce que je peux savoir ce qui est à ce point important ? » « J’aurais besoin d’aide. D’une information, plus exactement. »
Le regard du vieux vampire court sur le garçon qui pousse un chariot, bien long d’un mètre cinquante au moins. D’ici, il peut entendre un petit bruit, un sifflement doux, étouffé. Il hausse un sourcil avant d’avoir un sourire.
« J’ai besoin de retrouver quelqu’un. » « Omphale ? » Ombeline a un sourire un peu moqueur, ça lui échappe, mais elle ne peut s’en empêcher. Le plateau est glissé sur la table grâce à un petit système mécanique. « Non, un chasseur. » Le serveur approche, prêt à révéler le plat principal. « Padraig O’Connor. Il a une dette envers moi. »
Le garçon soulève finalement la cloche qui laisse apparaître une adolescente, peut-être une quinzaine d’années, le corps ficelé dans un cordage rouge seyant sa poitrine mais aussi ses cuisses, rendant à ce corps frais et jeune un attrait nouveau et autrement plus succulent. Ysrafel a un sourire amusé. Du sang de vierge. Assez cliché.
(Et force fut de constater qu’Ysrafel ne retourna pas avant la nuit suivante.
Peu avant l’aube qui arrivait tard en hiver, il ouvrit la porte de l’appartement sans difficulté, non pas parce qu’il avait les clés, mais parce que Fennorian était déjà rentré du travail. Sur Ysrafel, une odeur forte et humaine l’enveloppait de la tête aux pieds. Un parfum de femme. Du sang de femme.)
Fennorian:
Pendant que l’aîné se charge de lui servir une nouvelle tasse de liquide froid, Fennorian passe son index dans son cou, terminant de retrouver progressivement ses esprits malgré le fait que cela s’avère extrêmement difficile. Plus difficile qu’il n’aurait cru d’ailleurs tant la chose est invraisemblable. Silencieux comme une tombe, il ne sait guère quoi dire à Ysrafel en-dehors d’un merci lorsque celui-ci vient lui remettre ladite tasse. De toute évidence, le plus vieux des deux ne semble pas enclin à reprendre la parole également, transportant sa carcasse immense vers la chambre d’ami. Une chance d’ailleurs qu’il en ait une. Tasse entre les mains, Fennorian reste sagement sur son canapé durant tout le temps nécessaire pour boire, pestant parfois contre la porcelaine avec la sensation de ne pas avoir eu assez. Râlant discrètement, ce n’est qu’une fois avoir terminé son repas pour la seconde fois qu’il se lève pour aller faire la vaisselle et nettoyer un peu. Il n’était pas spécialement maniaque, il aimait juste que les choses soient un tantinet à leurs places respectives. Puis, comprenant que cette fois-ci son aîné ne l’empêcherait pas de dormir, il prend la direction de sa chambre en évitant soigneusement celle où Ysrafel avait élu domicile, rouge de gêne.
Il passera encore un certains laps de temps à ruminer pour lui-même, se tournant plusieurs fois dans son lit avant de finalement tomber dans le sommeil jusqu’à une heure bien avancée de la nuit. A son réveil, il pestera encore de ne pas avoir ouvert l’œil assez tôt puis partira en direction du laboratoire pour n’en revenir que le lendemain matin.
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Sha
Lun 12 Juil - 15:32
EVERY NIGHT YOU STAY
Partie 3
Ysrafel:
Ombeline jura qu’elle lui donnerait des nouvelles d’ici peu. En cadeau, elle lui offrit même un téléphone dernier cri – pour se tenir au courant. Le vampire, lui, n’en pense rien. Quand il entre dans l’appartement, il y a un silence pesant mais réconfortant, comme si rien n’avait changé depuis qu’il était partit. Ce n’est pas vraiment chez lui, mais c’est ce qu’il y a de plus proche d’être « sa maison ». Alors il le ressent, ce doux sentiment du « home sweet home », et il sourit presque naïvement en retirant sa veste dans l’entrée, ainsi que ses chaussures.
D’un pas lent, il passe dans le couloir comme une ombre, quelque chose en main. Ses yeux accrochent la silhouette assise dans le canapé de Fennorian, en pleine lecture. Leurs yeux se croisent. Il est assez « tard », assez tôt, trop tôt.
Pourquoi tu ne dors pas ?
La question reste en suspens.
Je suis fatigué.
Ses yeux passent sur le reste du couloir. Il n’est qu’à quelques pas de la porte, mais il n’en a plus vraiment envie. Au lieu de ça, il pénètre calmement dans le salon et dépose sur la table basse une bouteille qui semble être une bouteille de vin rouge, d’un grand cru. A cela près peut-être que l’étiquette indique « Sang Extra Pur » et est tamponnée d’un château inconnu. Ysrafel s’assoit calmement dans le canapé, les muscles endoloris, repu d’avoir avalé au moins quatre demoiselles pour effacer cette envie de mordre, ce besoin de mordre. Combien de fois les a-t-il mordus ? Mordu jusqu’à les mâcher ? La sensation de la chair sous ses dents revient, poignante, saisissante. Il se racle la gorge.
« Toujours pas de nouvelles d’Elle, j’imagine ? »
Fennorian:
A peine la porte se referme-t-elle sur lui qu’il retire chaussure, écharpe et tout ce qui s’en suit. C’est dans le salon qu’il trouve le mot. Evidemment qu’il allait revenir. Néanmoins ravi d’avoir du temps pour lui, Fenn savoure le silence et l’absence de tension de son appartement pour faire le point et vaquer à ses occupations habituelles dont il en avait presque oublié la saveur. Après s’être nourri, il passe un long moment dans son antre solitaire avant de se décider à aller dormir pour mieux profiter de la soirée et de la nuit. A son réveil, Ysrafel n’est toujours pas rentré et il n’y a toujours aucun signe d’Omphale à l’horizon. Si tu pouvais avoir l’obligeance de te montrer histoire que je retrouve une non-vie décente… qu’il se surprit à penser à un moment de la soirée. Passant dans le couloir, son regard azur s’arrête sur la porte de la chambre d’ami. Une chambre qu’il considérait dorénavant comme étrangère, presque séparée de son appartement. Il avait presque peur d’en franchir le seuil. Toutefois, curiosité se faisant plus forte, Fennorian finit par ouvrir la porte. A première vue, aucun meuble n’a été déplacé, mais l’expression de son visage est déformé par la surprise. Quand avait-il… ? A la vue des cartons, le plus jeune déglutit. Il avait définitivement décidé de s’installer ici. Vert de rage, il referme la porte, décidant de faire comme s’il n’avait rien vu car n’ayant nullement l’envie de rentrer dans la pièce pour en inspecter les cartons. Quelque chose au fond de lui murmurait que ce qu’il pourrait découvrir ne lui plairait pas et il voulait demeurer aussi loin que possible de toute cette affaire. Tout ce qu’il espérait à présent, était que sa Sire se décide à venir faire face avec son propre Sire et dans le même temps avec son Infant, afin que tout puisse redevenir comme avant. Mais serait-ce seulement le cas ?
***
Sa nuit de travail a été des plus ennuyeuses. C’est un fait. Et il est surpris de ne toujours pas apercevoir un seul signe d’Ysrafel en rentrant chez lui pour la deuxième fois. Peut-être était-il finalement parti ? Quelque chose au fond de lui hurlait que non, ce serait s’accorder un trop grand espoir que de le penser. D’un soupir, il prend la direction de la salle de bain et se prélasse sous la douche, savourant la chaleur de l’eau qui contrastait avec celle de sa peau. Il y resta un bon moment avant de se changer.
Une heure plus tard, alors que l’aurore ne pointait pas encore son nez, il avait pris place dans son canapé et lisait tranquillement, jambes croisées. Focalisé sur sa lecture, il n’entend pas immédiatement la porte s’ouvrir, ou disons qu’il n’y prête pas attention malgré son ouïe affûtée. Il ne lève les yeux de son livre qu’à retardement, ses prunelles se fixant dans celles abyssales d’Ysrafel. Ainsi donc le Sire prodige était de retour. Intérieurement, Fennorian ne sait pas s’il doit être flatté ou déçu alors il décide de ne rien en faire et de replonger dans sa lecture. A la seconde où le plus vieux se rapproche et vient poser la bouteille sur la table basse, le plus jeune se retient de plisser le nez face à l’odeur qui émane de lui. Seul un coup d’œil jeté de biais en direction de la bouteille lui fait comprendre ce qui se trouve dedans. Visiblement, certains s’étaient amusés. Le vampire vient s’asseoir à ses côtés mais Fenn ne bouge pas, les yeux toujours rivés sur son livre dont il vient de tourner la page. Il empeste encore plus maintenant qu’il est à quelques centimètres. Toujours pas de nouvelles d’Elle, j’imagine ? Evidemment que non. « Tu empestes la vierge, entre autres. » qu’il se contente de répondre dans un premier temps, tel un enfant boudeur, ne décollant pas son attention du livre. Au bout de quelques secondes, il daigne enfin répondre à sa question originelle. « Tu sais bien que non. », car il avait suffisamment insisté sur le fait qu’ils étaient capables de savoir énormément de choses par le biais de leurs liens. « Et c’est pour ça que tu as pu prendre tout ton temps pour, j’en sais rien, t’amuser ? ». Il hausse les épaules à sa propre question qui n’en est pas vraiment une, plutôt un constat. Il est bien décidé à lire encore un peu avant d’aller se coucher, mais les effluves d’odeurs qui passent visiblement au travers du bouchon de la bouteille ne l’aident pas à se concentrer.
Ysrafel:
Le garçon a l’air de mauvaise humeur. Ysrafel n’est pas un fin limier en ce qui concerne les sentiments, mais il sait reconnaître des nuances dans le regard, des inflexions dans la posture, et surtout, ce regard qui cherche à éviter le sien. Cela lui fait serrer les dents, légèrement. Mauvais souvenirs peut-être, ou simple intolérance face au manque de respect de son descendant, il reste silencieux. Les jeux de l’après-midi l’ont épuisé physiquement, mais son appétit reste encore instable. Son réveil date désormais de quelques semaines, et pourtant, il la sent encore, là, au plus profond de son estomac, cette petite griffe qui gratte, qui gratte… L’insupportable petite bête, ce désir nauséabond de se sustenter à en crever.
Il ferme les yeux et détourne à son tour le regard. Il ne veut pas s’agacer. Il ne sait même pas pourquoi l’attitude du plus jeune l’agace en premier lieu. Après tout, ils ne se doivent rien qu’une coopération sommaire. Fennorian n’a pas le choix – Ysrafel non plus. Pourquoi y mettre des formes superflues quand le fond se veut à ce point pauvre ? Quand la mort attend au tournant toute cette misérable lignée qui se fit sans lui, contre lui ? Il passe sa langue sur ses crocs, d’un air tendu. Et cela se tend davantage encore quand le jeune homme reprend de plus belle.
Est-ce un reproche, Fennorian ? Ou est-ce qu’il faut peut-être que je me justifie de mes activités ? Que sommes-nous, Fennorian, si je dois me justifier quand je rentre trop tard le soir, ou le soir d’après ?
Le sourire mauvais s’étire finalement en un sourire étrange, mélange de dégoût et de moquerie. Machinalement, il passe une main sous son menton d’un air pensif, haussant les sourcils. Dans sa chemise noir et simple, bien que d’une qualité évidente, il a un air méprisant. Princier. Et nécessairement, il penche la tête, accentuant l’expression hautaine qui peint alors son visage.
« Je ne comprend pas vraiment où tu veux en venir. » La voix est calme, toujours de ce timbre grave et chaud, de cette voix rauque qui caresse l’oreille et le corps. Pénétrante comme le regard sombre qui se darde dans les prunelles de Gray. « Que veux-tu savoir exactement ? Où j’étais ? Avec qui j’étais ? Cela ressemble énormément à de la curiosité. Si je n’étais pas si vieux, je dirais même… » Il se penche finalement en avant, le surplombant d’une main qui le tient et évite d’écraser sa lecture. Le regard est vif, perçant. « …que ça ressemble à de la jalousie ? »
Il ricane, dévoile ses canines épaisses qui ornent dès lors les lippes légèrement pâles. L’odeur est prenante, oppressante même, mais elle est douce aussi. Elle donnerait faim à n’importe qui, à n’importe quoi, tant elle semble sucrée et faite pour donner envie d’y croquer.
« J’étais avec une de mes sœurs » reprend Ysrafel, ses yeux glissants sur le torse de Fennorian, puis sur sa lecture, alors qu’il se penche davantage, cette fois pour humer l’odeur qui se dégage de lui – celle de la douche, du savon, « et toi ? Qu’as-tu fait qui demandait de prendre une douche ? Ne chercherais-tu pas à effacer certaines odeurs ? »
Celle d’Omphale, notamment ? Ne me mens pas, Fennorian. J’ai horreur des mensonges…
L’œil est sévère, critique. Il jauge, et s’enfonce dans l’âme même du garçon comme s’il pouvait deviner ses pensées, mais aussi ses secrets. Il en a forcément – tout le monde en a. il ne sait pas pourquoi ça l’agace autant, cette situation, cette discussion. Pourquoi il a l’impression que quelque chose lui échappe des doigts, alors même qu’il n’est pas ici pour ça, pas ici pour Fennorian.
C’est ton air, ton attitude, qui me rend comme ça. Ça me rappelle quelqu’un. Ça me rappelle son air farouche, ses minauderies, ses exagérations.
C’est vrai. J’ai vidé des vierges. J’en ai vidé des dizaines, des centaines, peut-être même des milliers. Je les ai vidés jusqu’à la dernière goutte, et j’ai bandé en sentant la vie les abandonner. Parfois même, je me suis plongé en elle pendant que la vie quittait leur corps, et j’aimais par-dessus tout sentir leurs poings frappaient contre mon torse quand elles se débattaient. Et alors ? Que vas-tu faire de ça, Fennorian Gray ? Vas-tu me maudire pour ça ?
Il siffle finalement sur ses lèvres, se redresse :
« Ma sœur a une boutique un peu particulière. J’ai pensé que ça te ferait plaisir. » Il montre du bout des doigts la bouteille. Ne me demande pas pourquoi j’ai voulu te faire un cadeau. « Je t’aurai bien proposé de la déguster plus tard, et de plutôt me mordre, pour changer un peu des verres et des tasses, mais ton accueil laisse à désirer, alors je ne suis pas certain que tu le mérites. »
La langue claque sur le palais, d’un air agacé. Et il ne sait même pas vraiment pourquoi il se sent à ce point tendu...
Fennorian:
Il a souvent l’air d’être de mauvaise humeur. Pour ainsi dire la majeure partie du temps. Une expression qui semble s’être figée sur ses traits avec le temps. Il est rare de le voir sourire en réalité, et pourtant ce n’était pas faute d’avoir entendu de nombreuses fois qu’il devrait sourire plus souvent, tant il avait l’air de littéralement irradier lorsque c’était le cas. Autant dire, que Fennorian devait se sentir pleinement en confiance pour sourire librement, et ce n’était pas le cas présentement. L’épée de Damoclès était toujours au-dessus de sa tête, et en plus de cela, il traînait toujours ce brouillard attirant autour de lui dès que l’autre était dans les parages. Comme Omphale, avant, ne peut-il s’empêcher de penser tandis qu’Ysrafel le rejoint sur le canapé. Remarque faîte à haute voix, le plus jeune n’a même pas conscience que celle-ci pouvait prêter à confusion et faire passer cela sur le compte de la jalousie. Il faut que le Sire le lui dise, brisant son intimité en se faisant voir, bien trop près de lui avec son odeur de vierge, pour que Fenn ne se mette à rougir pour la première fois. D’agacement ? « Je n’ai aucune raison d’être jaloux. » qu’il rétorque presque aussitôt, essayant désespérément de ne pas croiser son regard en vue de continuer à lire. Cette question qui n’en était pas une n’avait strictement rien à faire là, pourtant ses joues restaient légèrement rouges à mesure qu’il reprenait le contrôle de sa surprise. Il ne s’était pas attendu à ça. Tout comme il ne se rendait pas compte que ses faits et gestes pourraient s’apparenter à de la bouderie pure et dure. J’étais avec une de mes sœurs La réponse l’intrigue et semble satisfaire sa curiosité mais il n’en dit rien, essayant de ne pas respirer les effluves qui se font plus chatoyantes à mesure qu’elles imprègnent ses narines et perturbent son odorat. Oui, pour sûr, cela donnait envie, surtout lorsque cela faisait longtemps que l’on avait pas touché à une seule gorge, ni même goûter à du sang chaud. Il sent ses canines s’allonger lentement malgré lui mais il garde les lèvres scellées, osant poser son regard dans celui du brun qui venait de se rapprocher pour humer son odeur. Un grognement s’échappe du fond de sa gorge en réponse à la manœuvre et il referme son livre dans un claquement. Il n’arriverait plus à lire. « J’ai travaillé, deux nuits de suite, et j’avais surtout envie de me détendre. J’apprécie un peu trop l’eau chaude à défaut de pouvoir apprécier les rayons du soleil. ». Fennorian aimait la chaleur, chose qu’il ne trouvait plus sur lui, ni sur sa peau, ni dans sa propre température corporelle. Il n’était fait que de glace. Ce n’était nullement un mensonge, il n’avait aucune visite impromptue à cacher. Omphale n’était pas venue. Il le sentirait malgré l’odeur de savon si tel était le cas, il s’en doutait. Ma sœur a une boutique un peu particulière. J’ai pensé que ça te ferait plaisir.
Il hausse un sourcil de surprise, persuadé que la bouteille n’était là que parce qu’il ne supportait pas les poches de sang. Il était à mille lieux d’imaginer que ce fusse pour lui. Un cadeau. Se mordant la lèvre inférieure, l’une de ses canines se plantant dans cette dernière sans faire exprès, il pose le livre à ses côtés en silence. Je t’aurai bien proposé de la déguster plus tard, et de plutôt me mordre, pour changer un peu des verres et des tasses, mais ton accueil laissait à désirer, alors je ne suis pas certain que tu le mérites. Les mots résonnent dans sa caboche, se frayant un chemin dans sa réalisation et il ne comprend pas pourquoi subitement Ysrafel voudrait lui faire un cadeau. « C’est… Une délicate attention. » qu’il répond, gêné, culpabilisant peut-être un peu tandis qu’il lèche la perle de sang sur sa lèvre. C’en était une, évidemment, mais à quel prix ? Et pour ce qui était de la mordre… La chose était plus que tentante, grognant sans le vouloir à l’idée, une seconde fois. « Merci. ». Sûrement était-il plus irritable que d’ordinaire car il se lassait en effet des tasses. Car de toute évidence, il n’avait aucune raison de faire une quelconque crise, n’est-ce pas ? Ils n’étaient strictement rien. Ysrafel n’était qu’un squatteur qui espérait finir par le rayer de la carte, il serait donc purement malvenu de s’agacer pour son absence. « Je suppose que boire froid ces derniers jours a finalement des effets néfastes sur mon humeur. » qu’il continue, essayant d’accepter l’idée de potentiellement pouvoir mordre dans de la chair, même s’il s’agissait de celle du géant à côté de lui. « Mais si tu juges que je n’en suis pas digne, la bouteille sera très bien. ». Il lui jette un regard en biais, curieux d’observer la réaction du plus vieux, analysant encore sa silhouette et surtout ses traits. Il ignorait ce qui pouvait bien se passer dans cette tête, mais pour sûr c’était bien sombre.
Une autre chose l’était tout autant, si Fennorian restait quelques minutes de plus à humer les effluves sucrées et attirantes, il essaierait de se servir. Et ça se voyait, à l’étrécissement de ses pupilles, de ses canines qui ne se rétractaient pas. Plus prédateur que boudeur, à présent.
Ysrafel:
Aucune raison d’être jaloux, et pourtant c’était bien lui qui posait des questions à peine la porte traversée. Le vieux vampire ne dit rien, mais il n’en pense pas moins et cela se voit jusque dans sa façon de continuer à jouer le jeu, à le pousser à le dire, à l’avouer. Avouer quoi, de toute façon ? Même s’il était jaloux, qu’est-ce que ça changeait ? Le regard du vieux vampire surprend le rougissement de ses joues, son air de chat fautif. Il se mord l’intérieur de la joue, le sourire grandissant en coin, parce que cette réaction attise en lui des instincts primaires, des instincts cruels. Des envies malsaines sans doute, de voir jusqu’où il peut aller avant de lui tirer une large ou deux, ou un couinement. Mieux qu’y penser, il détourne le regard et se redresse.
Une attention… délicate ? A quoi pense-tu exactement ? Je ne voulais pas être délicat. Poli. Courtois, oui. Pas délicat. Pas avec toi. Que fais-tu Ysrafel à te faire si aimable, si… oh, si, je vois… Je vois, oui.
Il ne sait même plus ce qu’il veut, ou du moins, il le sait assez bien. Mais ce qui lui manque, c’est le moyen de l’atteindre. Il s’agit du troisième jour, sur les dix qu’il a laissé à Omphale pour arriver. Troisième jour où il rampe dans cet appartement, où il doit s’accommoder de la présence d’un autre, d’une descendance qu’il n’a ni choisie ni voulu, qu’on lui a imposé. Qu’il aimerait autant déchiqueter en tous petits morceaux qu’il aimerait se l’accaparer, aussi, un peu. Que la traîtrise se retourne contre Omphale même. Qu’il plonge lui-même sa main jusqu’au cœur de sa Sire et le tire de sa cage thoracique, qu’il le dévore peut-être… Peut-être alors il l’épargnera. L’idée est intéressante, et peut-être qu’à force d’attendre ici, il finira bien par la trouver de plus en plus alléchante, mais pour l’instant il n’en est rien.
Le vampire suit du regard Fennorian, et il reconnaît à son tour la faim qui s’allume dans son regard. Il lui est pourtant difficile de savoir s’il a faim de mordre ou du sang. Est-ce les effluves de vierge qui l’affolent ou bien est-ce qu’il cherche seulement à lui plaire en se montrant docile à toutes ses volontés, tous ses jeux ? Le plus ancien plisse les yeux, dans un silence pesant, sinistre.
Finalement il relâche la pression sur ses épaules et s’avachit légèrement sur le côté, le coude posé sur l’accoudoir du canapé. Son air est serein, alors qu’il penche la tête. Il étire ses jambes au milieu du salon, prenant ses aises, parce que s’il ne le dit pas, sa journée n’a pas été plus simple que ses nuits de travail. Il n’a pas retrouvé le Chasseur, mais il sait au moins qu’il est à Salem, quelque part. Lieu qui reste à déterminer, mais Ysrafel sait aussi qu’il a le temps de voir venir. Avec Fennorian sous les griffes, il sait qu’Omphale ne résistera pas cent ans de plus à venir reprendre son rejeton…
Qu’est-ce qui serait plus drôle, Omphale – que je tue ton Infant devant tes yeux avant de sceller ton âme dans un de mes instruments enchantés, ou qu’il te tue de ses propres mains pour me faire plaisir ? L’instant est précieux. Il faut le choisir avec soin… et vois-tu, j’hésite. C’est dire.
Le vieux vampire a un petit sourire en coin, qui se veut tentateur plus que prédateur. Il tire légèrement sur son bras libre, dévoilant son poignet blanc. De si proche, on peut apercevoir les nombreuses cicatrices – anciennes et blanchies – qui strient la pulpe de ses doigts. L’épiderme rapiécée donne une impression étrange, mais les doigts sont longs, durement entraînés aux arts.
« Tu ne peux qu’être digne. Tu es de mon sang, après tout » souffle-t-il, comme pour lui rappeler peut-être ce Lien indirect mais bien présent qui les joints l’un à l’autre, avant de rajouter, d’un air cette fois un peu plus grave : « c’est pour cette seule raison que je t’offre le choix de l’endroit où tu vas mordre. »
Habituellement, les poignets étaient offerts aux amis et aux humains. La gorge, plus rare, ne s’offrait qu’à la famille et aux amants. En tant que point faible de la race vampire, il fallait une certaine confiance pour l’offrir.
Le regard guette en silence le visage de Fenn, son regard électrique, le désir qu’il arrive à faire naître en lui. Non pas avec fierté, mais avec un appétit morbide.
Fennorian:
Il ne joue pas à un jeu, du moins pas consciemment. Les effluves qui imprègnent les vêtements d’Ysrafel ont fini par avoir raison de sa détermination et de ses instincts. Fennorian n’avait rien d’un ange et ne se revendiquait nullement comme tel, son ardoise n’était pas vierge, il avait son lot de choses étranges dans ses bagages. Secrets gardés dont il avait malgré tout ouvert une partie au plus vieux en lui disant qu’il n’appréciait guère les tasses et les poches. Canines dehors, il ignore tout des plans de son aîné et subitement il a décidé de ne pas y songer, appelé comme un aimant droit vers la peau. La proposition lui faisait envie plus qu’il ne l’aurait cru. Oui, il en avait envie. De sentir le sang glisser dans sa gorge directement depuis sa source, de transpercer la chaire aussi. Un instinct presque viscéral qu’il n’avait pas ressenti depuis quelques temps, ayant pour habitude de maîtriser ses envies. A cet instant précis ne demeurait plus que le prédateur affamé, mais dans l’immédiat il ne bougeait pas, ses iris focalisées sur chaque geste du brun qui prenait ses aises. Tu ne peux qu’être digne. Tu es de mon sang, après tout. Ca, Fenn avait encore du mal à le réaliser ou même à l’assimiler. Il sentait bien que les choses étaient différentes lorsqu’il se trouvait dans la même pièce, à l’image d’Omphale, mais il s’était trop habitué à vivre seul sans se soucier de personne d’autre, pas même de ses pairs. Alors accepter qu’il y eut un Sire en deuxième maillon de chaîne… C’est pour cette seule raison que je t’offre le choix de l’endroit où tu vas mordre. A entendre ses mots cela résonnait comme un autre cadeau, une concession faîte uniquement car ils partageaient un même sang. Une notion compliquée à assimiler pour le plus jeune, vraiment, mais il ne dit rien. En revanche, il scrute chaque geste comme un animal, et notamment ce poignet tendu. Il y voit des cicatrices qui n’ont jamais vraiment guéries et il fronce légèrement les sourcils, sa raison, curiosité, qui voudrait en savoir plus, mais les pensées sont rapidement balayées par la course des veines qu’il aperçoit. Il pourrait se contenter de ça. Il pourrait, mais ce n’était pas ce qu’il voulait non.
Un grondement résonne dans le fond de sa gorge alors qu’il s’est tourné de profil, une jambe repliée sur l’assise du canapé. L’une de ses mains glisse sur le dossier et il change de position, dorénavant à genoux sur le cuir sans cesser de l’observer. Un chat ne ferait pas mieux, à mesurer chacun de ses mouvements. « Je ne veux pas le poignet. » malgré les veines qui courent et qu’il verrait presque pulsé. Irrésistible appel. La raison s’est fait la malle, ne laissant plus que le vampire, humanité ayant filée d’un claquement de doigts. Il voulait sa gorge, tout comme il avait eu la sienne. Ou même le creux de son épaule. Peut-être s’arrêterait-il à ce niveau d’ailleurs. En temps normal il n’aurait pas osé approcher, la retenue prenant le pas sur tout le reste, mais cette dernière avait cédé quelques minutes maintenant. « Ta gorge… Ou plus bas… Je réfléchis encore. ». Si tant est qu’il en soit capable, car de toute manière il se rapprochait, lentement mais sûrement. L’odeur enivrante se faisait d’autant plus forte à mesure qu’il brisait la distance. Il aurait dû faire marche arrière, mais au lieu de ça il passe sa langue sur ses canines tout en se penchant en avant, doigts serrés sur le dossier, les autres venant de prendre appui sur l’une des cuisses de l’aîné alors qu’il visait normalement l’assise. Ses billes closes, il hume l’odeur un peu trop sucrée, ne sachant plus si cela venait également de la bouteille posée sur la table basse ou simplement du plus vieux. Son souffle se perd d’abord sur sa joue puis bifurque vers son cou à mesure qu’il hésite, cherche l’endroit qui conviendrait le mieux à son envie du moment. D’un geste lent, il dégage son épaule du tissu qu’il considère comme gênant et continue de humer progressivement. Oui, ce serait là, pas la gorge, ni ailleurs. Car même en ne répondant que de part son instinct il ne se voyait pas chercher ailleurs. Un autre grognement quitte sa gorge, comme si le temps d’une seconde il luttait avec lui-même contre l’envie, ses doigts se crispant sur le tissu du pantalon sans sortir les griffes. Il finit toutefois par faire glisser ses canines sur sa peau, le jaugeant d’un regard en biais comme s’il craignait de se faire jeter le temps d’une seconde.
Mais l’appel est plus fort que la crainte de la douleur. Alors il ose enfoncer ses crocs dans la chaire. Il ose sentir le goût métallique rouler contre sa langue pour mieux glisser dans sa gorge. Et à peine le fait-il qu’il en lâche un grognement de satisfaction. On aurait, même, presque dit qu’il s’agissait là, d’un gémissement.
Ysrafel:
Plus bas ? L’œil de l’ancien brille, parce qu’il n’est pas question pour lui de se déshabiller plus que ça. Parce qu’il refuse qu’il observe son torse, qu’il voit les secrets que Lysbeth a imprimé dans le plus profond de sa chair. Il s’est longtemps sentit chanceux qu’elle n’est pas attaquée sa tête en premier, mais avec l’âge, il est devenu hésitant. Il est devenu peureux. Parce que chacune de ses boursouflures est un rappel à sa mortalité, à sa fragilité. Il n’est qu’un petit pantin désarticulé que sa Sire a tenté de recoller, que le don obscur a réparé sans penser une seule seconde à la suite. A la souffrance, aux cauchemars. A l’incroyable amertume de ne pas pouvoir se sentir encore ainsi, aux portes de la mort, dans une agonie sublime, créatrice et destructrice. Il ne fut jamais plus proche d’être un génie que le jour où elle lui arracha la moitié du torse.
Ysrafel ravale sa salive, calme mais attentif alors qu’il laisse le plus jeune s’approcher. Son sourire s’étire sur les lèvres en voyant bien ce que ses yeux désirent, ce que ses yeux appellent à eux – ce qu’ils exigent de lui. Il gronde tout bas, de ce timbre grave et chaud, mais ce n’est pas une menace. Seulement de l’anticipation à l’idée d’être mordu, à l’idée que ses crocs ne percent son épiderme et le libèrent en partie de cette frustration qui l‘écrase.
En silence, le plus ancien ferme les yeux et relâche ses épaules en arrière, levant naturellement la gorge pour offrir une meilleure prise au plus jeune. Ses doigts remontent presque naturellement jusqu’à sa hanche, et c’est elle qu’il agrippe quand enfin les canines piquent dans la peau. Un grognement plus animal, plus rauque, passe la barrière de ses lippes et il sert plus fort la hanche, assez fort. Le spasme délicieux traverse son corps et il souffle légèrement, rouvrant les yeux pour mieux les refermer. Sa seconde main remonte calmement le long du dos de Fennorian, pour venir effleurer sa nuque, et enfin ses cheveux si courts.
Il le laisse alors, mais sert davantage la tignasse entre ses doigts. Le corps réagit à la chaleur, à l’extase tendre qui parcourt ses muscles tout entiers, qui délie les nœuds de ses nerfs pour apaiser l’âme. Il grogne de nouveau, moins fort, avec plus de sérieux, plus de retenue peut-être. Il le laisse encore, assez longtemps pour que la fatigue ne l’assaille doucement, il le laisse au goût chaud de son sang succulent et à la chaleur paternelle qui se dégage de leur étreinte froide.
Sa voix vibre sur le bout de ses lèvres : « Fennorian… », sur le ton de l’ordre, sans en avoir pour autant la dureté.
Quand le plus jeune s’est arraché de lui-même à sa gorge en sang, on peut surprendre sur sa clavicule un début de cicatrice large, qu’il ne cherche ni à dissimuler, ni à montrer. Au lieu de ça, il vient presque naturellement réclamer sa bouche en y apposant sans hésitation la sienne. Sa langue ne manque pas de venir lécher avec indécence les dernières gouttes de son propre sang, grondant à l’odeur – son odeur – qui se dégage désormais de Fennorian.
En se redressant, le plus ancien à avaler la distance qui les séparait. Il avale aussi son visage qu’il tient toujours par l’arrière de son crâne, et il ne le relâche que lorsque leur échange n’a plus que le goût de la salive – aussi délicieuse soit-elle. Le cœur d’Ysrafel est mort et momifié dans sa poitrine, mais s’il battait encore, il serait déjà à frapper fort contre sa cage thoracique, à vouloir s’échapper. Au lieu de ça, le plus ancien affiche un air de nouveau serein, apaisé même, affichant un air satisfait.
Bien sûr, le corps du plus vieux a réagi. Son jeans noir est déformé, à n’en pas douter, d’une bosse un peu vulgaire et sensible. Mais il ne dit rien, au lieu de ça, il grogne, se mordant la lèvre inférieure car la sensation de ses crocs lui manque déjà, parce que son squelette ne demande qu’à être transpercé, et son esprit ne demande qu’à briser entre ses doigts les os traîtres de cette progéniture ratée.
Il siffle tout bas, ferme les yeux avant comme pour se concentrer sur autre chose que les images d’orgie et de corps qui file devant ses paupières. Doit-il se rappeler que ce corps n’a rien de ce qu’il faut pour le satisfaire ? Ni bouche pulpeuse, ni seins généreux ? Il a finalement un sourire moqueur à l’idée de se servir de Fennorian, moquerie qui ne passe pas le seuil de ses lèvres, mais qui lui permet de devenir raisonnable.
« J’espère que tu seras désormais de meilleure composition… » souffle-t-il, ses yeux passant par curiosité sur le pantalon du plus jeune, « car dans le cas contraire, la semaine va être longue. »
Sept jours. Encore sept jours.
Fennorian:
Il ne cherche à voir aucun secret, est d’ailleurs très loin de penser à ce genre de choses présentement, tant il n’y a plus aucune réflexion qui outrepasse la pulsion. Les canines plantées à même la chaire, il savoure chaque lippée de liquide carmin. Il n’y avait pas photo, il était plus appétissant et savoureux de passer par ce biais plutôt que par un autre, quand bien même il manquait la chaleur dans toute cette affaire. Focalisé sur le goût, les odeurs et l’acte en lui-même, Fennorian se perd un peu plus dans le brouillard, se nourrissant, aspirant sans doute parfois un peu trop vite à mesure que les secondes s’effritent et qu’il n’a plus conscience de rien. Ses doigts serrent aussi bien le cuir du canapé que la cuisse de l’aîné et il gronde de temps à autre, face à la prise de ses cheveux, à cette main qui serre un peu trop fort sa hanche. Il ne quitte pas la peau jusqu’à ce que son nom ne le fasse rouvrir les yeux, iris brillantes. Malgré lui, le plus jeune ronronne et pourrait vouloir plus, retombant dans les travers de l’espèce morte. Instinct animal qu’il s’évertuait pourtant à ranger au placard en temps normal. Le souffle un peu plus court, il est en train de passer sa langue sur l’un de ses crocs quand les lèvres d’Ysrafel viennent se coller aux siennes. Ca, Fenn ne l’avait pas vu venir mais il ne le rejette pas pour autant, toujours à moitié noyé dans cette aura d’envie permanente qui semble émaner par vague directement de la silhouette sur laquelle il pourrait presque être avachi, tant il s’était rapproché. Il lui faut quelques secondes pendant lesquelles la langue du plus vieux récupère le sang, avant de se mettre à faire plus que subir. Avant de se mettre à partager ce qui était à la fois un baiser et tout autre chose. Il n’en avait cependant pas oublié la dangerosité.
Lorsque son aîné recule finalement son visage, il n’y a plus une seule goutte de sang sur ses lèvres ou même sur son menton à dire vrai, et il s’écarte légèrement si la poigne d’Ysrafel le permet pour se mettre assis sans réellement briser la distance dans l’immédiat. A moitié assis sur sa jambe gauche repliée, l’autre pendant dans le vide, il termine de repasser sa langue sur ses canines qui demeurent sorties puis prend le temps de retourner à la réalité. Si tant est que cela soit foncièrement possible maintenant qu’il avait l’impression d’être pleinement rassasié. J’espère que tu seras désormais de meilleure composition… Il reporte son attention sur le brun à l’entente de ses mots puis voit son regard, baisse les yeux sur lui-même pour comprendre ce qu’il cherche à trouver. A la seconde où il comprend, il hausse un sourcil. Car dans le cas contraire, la semaine va être longue. Ses joues se sont mis à rosir, d’autant plus lorsqu’il a finalement repéré ce qu’il n’avait pas vu un peu plus tôt chez le Sire. Merde, qu’il pense intérieurement. L’on ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas eu chaud pendant que le sang coulait dans sa gorge, mais de là à… Prudemment, retrouvant une expression un peu plus fermée, Fennorian se contente d’observer l’autre un moment. « De meilleure composition pour quelque chose en particulier ? ». Encore une fois, il ose poser la question car il n’est pas certain d’avoir bien interprété le regard coulant sur lui. Pour sûr, Omphale ne lui en avait clairement pas assez dit, sans quoi il serait peut-être mieux armé s’il connaissait suffisamment de choses sur le compte du Sire de sa propre Sire. « Boudeur, peut-être un peu moins. » qu’il ajoute face au silence avant de s’écarter pour prendre ses aises sur son canapé. Mais surtout parce que la sensation de satiété était plus qu’agréable et qu’il ronronnait encore malgré lui, à demi-allongé. Il respectait néanmoins l’espace vital du plus vieux en gardant ses jambes pliées – de toute manière il était plus petit que lui, les paupières closes. La vérité était qu’il ne savait pas comment il était censé réagir, là, tout de suite. Surtout pas avec le détail repéré un peu plus tôt. Etait-il seulement censé faire quelque chose ? A son sens… Non. Mais avec Ysrafel, strictement rien n’était jamais certain…
Ysrafel:
« Pour rien de particulier », le plus ancien répond presque aussitôt, il ne se laisse pas le temps d’y réfléchir ou d’y penser, il a déjà sa réponse, « je veux dire, tu disais que tu étais de mauvaise humeur dernièrement car tu n’avais pas mordu récemment. Maintenant que c’est fait, ça devrait revenir à la normale. »
L’air d’Ysrafel est simple. Il n’a ni regard fiévreux, ni tremblements fébriles ou amoureux. Il n’est qu’un homme qui observe en silence, qui guette du coin de l’œil le garçon qui rougit à l’idée peut-être de lui avoir donner une érection. De nouveau, son regard effleure son jeans et son vallon bien serré. Il n’en pense rien. à son âge, on a fini de penser, fini de s’user, à se frotter l’un contre l’autre. Il relève le regard, sur le jeune homme qui recule, qui s’écarte, le fuit un peu en vérité.
As-tu peur que je te fasse du mal ? Ou du bien, peut-être ? Que je te prenne ensuite, maintenant que je t’ai donné ? C’est ce que font les hommes de peu de vertu. Ils abusent toujours, comme des marchands malhonnêtes qu’on pouvait voir quand Bagdad était encore belle de ses lumières pluri centenaires. Ils étaient là, à offrir, du miel, des gâteaux, mais à la fin ils en réclamaient le prix comme de mauvais génies. Je ne suis pas un ange, Fennorian, mais pas un diable non plus. Seulement un vampire assez humble pour savoir qu’il fut un homme, et qu’il en a toujours le cœur et les fragilités inhérentes.
Si je te prenais maintenant, juste après t’avoir laissé mordre ma gorge, j’aurais l’impression de la baiser, elle. Et c’est tout sauf ce que je veux à l’heure actuelle.
Le plus vieux a un sourire amusé alors que le garçon sourit.
« Tu me sers mieux en étant de bonne volonté. Je te préfère comme ça. »
Obéissant. Tout ce qu’elle ne fut jamais, même quand je lui servais le monde à ses pieds.
Ysrafel ne dit rien de plus. Il profite seulement du silence qui s’installe pour se redresser aussi. Le plis du jeans serre davantage son vît, le fait grimacer car la compression est douloureuse, désagréable. C’est un peu le résumé de toutes ces fois avec Omphale, où il offrait tout et où elle ne donnait rien. Prenant, dévorant avec avidité, sans une seule caresse pour lui. Maîtresse olympienne, pythie cruelle. Si seulement il avait vu venir…
Il se redresse finalement, sans plus de honte. Ils savent tous les deux la maladie qui lui prend, alors à quoi bon se cacher, faire semblant ? Une maladie d’amour, une maladie de sexe. Rien de plus, pas de quoi pleurer – enfin, si, mais plus tard, quand tout cela sera fini. Quand il ne restera de la lignée de sang qu’un champ de ruine, et quelques notes de musique pour l’accompagner dans un nouveau sommeil d’éternité amère.
Mais alors, comme il ne restera plus rien de moi en dehors, et plus rien de vous en dedans, je pourrais me reposer à jamais. Plus rien ne saura alors me réveiller. Aucune morsure, aucune douleur. Je serais mort. Vivant, mais mort – la dernière ironie d’un mort vivant.
Un regard en biais, il a un sourire finalement à voir Fennorian si repu, emmitouflé dans le sentiment divin de la satiété. Ses yeux le caressent, avec une forme de tendresse, un instant. Réminiscence de la morsure et de son pouvoir apaisant, voir euphorisant, ou seulement la réalisation que tout ceci disparaîtra d’ici sept jours…
Les choses changent. Nous seuls, vampires, restons immuables quand nous avons la force de résister aux forces du vent.
« Je vais me coucher – je suis fatigué. Ne me dérange pas, sauf si c’est important. »
Le mot est lâché, et finalement le plus ancien des deux disparaît dans le couloir, à pas feutré sur le plancher froid. Un instant plus tard, la porte de sa chambre s’ouvre et se ferme, dans un silence coupé par un cliquetis métallique. Contre toute attente, la chambre n’est pas fermée à clef, ce soir.
Fennorian:
La réponse de l’aîné convient au plus jeune, mais ça ne l’empêche pas de se décaler pour autant. Sagement installé, il en profite pour fermer les yeux, ne finissant par en rouvrir un que lorsque le vampire reprend la parole. Tu me sers mieux en étant de bonne volonté. Je te préfère comme ça. Il n’est pas certain de réellement comprendre ce qu’Ysrafel veut dire par-là, mais il est suffisamment apaisé pour décider de ne rien en avoir à faire à cet instant précis. Se contentant d’esquisser un sourire tandis que le plus vieux se lève, Fenn laisse le silence s’installer définitivement entre eux, rattrapé par son sentiment de satiété. Il se tourne de profil, les paupières closes. Je vais me coucher – je suis fatigué. Ne me dérange pas, sauf si c’est important. A moitié en train de sombrer dans le sommeil, les paroles de son aîné semblent déjà très loin et il réagit à retardement d’un d’accord murmuré, mais parfaitement audible pour eux deux. Fennorian ne prend pas la peine d’imiter Ysrafel car il s’endort quasi instantanément sur le canapé, sans même véritablement le réaliser.
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Univers fétiche : Sadique polyvalente.
Préférence de jeu : Les deux
Sha
Lun 12 Juil - 15:50
EVERY BREATH YOU TAKE
Partie 4
Fennorian:
5ème jour. Il regarde l’immensité du colis d’un mauvais œil alors que celui-ci traîne dans le salon, fraîchement livré. Les bras croisés et les sourcils froncés de contrariété, il ne cesse de le fixer ainsi depuis plusieurs secondes. Pourquoi diable était-il en train d’envahir un peu plus son espace vital ? Occuper une chambre d’ami, certes. Récupérer quelques cartons, certes. Mais pour l’amour du sang qu’était-ce donc que ce machin ? Se décalant de quelques pas, Fenn cherche à deviner de quoi il peut bien s’agir tout en gardant une distance raisonnable. A tourner autour du colis, l’on pourrait clairement le comparer à un chat qui se demande ce qu’on a introduit sur son territoire. Quelque chose d’étranger, quelque chose d’inconnu. Quelque chose qui ne plaît pas. Pour ce qui était d’Omphale, toujours aucun signe de vie. Fennorian avait arrêté de pester mentalement après elle comme si elle pouvait l’entendre. Au lieu de ça, il réfléchissait à un moyen de s’en sortir indemne, peu désireux de finir sa vie comme boîte de conserve. Au bout de nombreuses secondes à inspecter, tourner en rond, il détache son attention du colis pour filer – agacé - dans son bureau et s’y enfermer pendant au moins deux bonnes heures.
Pendant tout ce temps, il oublie le reste, focalisé sur ses occupations. Il gribouille ses recherches du jour sur l’un de ses nombreux carnets, prend un peu de temps pour se perdre au calme dans la lecture de son livre du moment. Il est plus facile pour lui de faire ainsi abstraction de tout ce qu’il pouvait bien se passer dans son salon, n’ayant guère envie de relancer une guerre ouverte. Tout ce qu’il espérait, en fin de compte, c’est qu’Omphale se décide à se montrer une bonne fois pour toute. Mais à en juger par les heures tournantes, sa Sire ne comptait pas réapparaître encore aujourd’hui. A ce constat, Fenn se surprend à lâcher un soupir de lassitude, colère grouillante au creux de ses tripes. A trop faire le yoyo, le vampire commençait par avoir de plus en plus de mal à contenir ses élans dans les rares moments où il se retrouvait seul avec lui-même. Ainsi, il s’était parfois retrouvé à briser une multitude de crayons sans s’en rendre compte, ou encore à déchiqueter certains de ses livres de recherches dans leur quasi-totalité avant de s’apercevoir qu’il était couvert de confettis de papier. Cette fois, c’était carrément sa bibliothèque qu’il venait de pousser un peu trop fort et qui se retrouvait dorénavant bancale. Nez plissé, Fennorian lâche un grognement et décide de quitter la pièce avec la ferme intention de quitter l’appartement. D’un geste, il enfile son talisman et referme la porte derrière lui sans la claquer trop fort, passe devant la porte de la chambre d’ami sans s’arrêter et cavale presque jusqu’au salon où il manque de heurter le colis de justesse. A moins que ce ne soit Ysrafel. Sans prendre le temps de guetter, il fonce vers la porte d’entrée.
Ysrafel:
L’eau brûlante de la douche glisse sur son corps glacé. Il siffle, comme un serpent, passe la main sur chacune de ses cicatrices qui décorent son épiderme rapiécé. Il gronde comme un animal, laisse se faufiler les phalanges fines sur le ventre tendu, jusqu’à l’aine extatique contre laquelle est tendue l’érection nouvelle. Il entrouvre les lèvres, la saisit avec une forme de dégoût pour elle, avec une peine qu’il ne dissimule plus. Cela lui fait mal de trop bander, mal d’avoir encore et toujours envie d’elle.
Alors il ferme les yeux, se voûte contre la faïence – l’avant-bras gauche en guise de support, le front aussi alors qu’il sert plus fort autour de sa verge dans un grognement rauque. Il souffle plus fort, les joues s’enflammant, le corps se réchauffant, mais seulement virtuellement. Il n’y a pas de chaleur dans ses mouvements, et il a beau frotté, il a beau s’empoigner avec brutalité, avec férocité, le plaisir n’est jamais que plus douloureux. Il grogne, insatisfait, désireux d’en finir et de chasser ce mal qui le ronge, mais en vain. Il faut se rendre à l’évidence : il n’y arrivera pas.
Pas même s’il imagine souiller le visage de cette Déesse pour qui il avait tout donné, pour qui il s’était offert aussi. Pas même quand il imagine réduire son existence à une éternité de soumission et de torture… Au lieu de ça, il réprime un soupir, déçu, et relâche le sexe traître.
« Regarde ce que tu as fait de moi.. »
Il relève calmement le visage vers le pommeau qui fait jaillir l’eau pure, l’eau qui dessine sur sa peau des cascades bruyantes. Son oreille se tend au moment où des pas rageurs passent dans le couloir et claque une porte – il la reconnaît comme étant celle du bureau de Fennorian. Il ne dit plus rien, pendant quelques longues secondes, mais il n’y a qu’un semblant de silence entre la fureur du jet. Ysrafel ignore ce qui s’agite chez son descendant, mais il est à fleur de peau. Il est impatient, et il a l’impression que c’est l’attente encore une fois qui va le rendre fou. Parce qu’il a déjà trop attendu, trop de fois, trop de temps.
Calmement il s’extirpe de la douche, se sèche minutieusement, s’habille avec précision également. Il plie avec attention les manches de sa chemise noire. Ajuste de la main les plis de son jeans sombre. Repousse ses cheveux épais en arrière. Ses yeux croisent son reflet dans le miroir. Il se voit comme s’il s’est toujours vu ces trois cent dernières années : obscur et dangereux. Mais aujourd’hui, il est aussi fatigué, usé. C’est les yeux, seulement, qui parlent, qui changent. Ils portent en eux les souffrances d’une existence entière, les trahisons de ces femmes volubiles mais charmantes. Ils jurent le danger, dégueulent la prédation qui anime les veines du vampire.
Je serais bien mieux quand tout ceci sera fini. Je serais enfin bien, mieux.
La porte de la salle de bain s’ouvre finalement, laisse échapper une vapeur épaisse que la VMC n’a pas réussi à avaler. Il referme la porte presque aussitôt, pour se diriger vers le colis qui est toujours à sa place, intouché, intouchable. Il en fait le tour, avec lenteur, avec excitation. Ce n’est plus une question de sexe ou de chair, mais bien d’un sentiment qui transcende les pensées les plus perverses, les envies les plus morbides. Il pose le front contre le carton avec un sourire amusé, un sourire un peu fou.
Soudain, un bruit s’échappe du bureau. Ysrafel se redresse, fronçant légèrement les sourcils. Le moment était pourtant solennel. Il n’aime pas que l’on gâche le fil de ses pensées. Alors quand Fennorian sort de la chambre et s’en échappe, telle une furie acariâtre, et qu’en plus il le bouscule – sciemment ou non, cela importe peu -, le plus vieux réagit au quart de tour. D’une main puissante, il l’attrape par le dos et le projette au premier mur. La seconde d’après, c’est l’autre main qui vient le prendre aussitôt à la gorge et le soulever à quelques centimètres au-dessus du sol.
Il siffle, menaçant : « Ne t’aies-je pas dit que je te préférais de bonne composition ? » Il sert sa main sur sa gorge, sans se préoccuper de lui laisser ou non des marques. De toute façon, cela guérira bien assez vite pour être oublié dans la minute. « Ne m’oblige pas à te faire du mal Fennorian, à moins que tu ne veuilles que ça ? Que je te brise tous les os ? Que je t’arrache les intestins pour me répandre au milieu de tes reins nus ? »
La main sert plus fort ; les griffes pénètrent la peau, répandant du sang. La colère est brute, aussi rapide que violente. Elle est de ses tempêtes noires qui ne craignent ni Jugement divin, ni Lumière sacrée. Elle existe seulement comme un phénomène rare, et tout ce qui est rare est effrayant. Ysrafel finit par jeter à même le sol, juste devant lui, Fennorian. Il le jauge, de toute sa hauteur, dans cette aura qui croit autour de lui et s’étire sur le sol à la façon d’ailes de corbeau.
« Excuse-toi, maintenant. »
Fennorian:
La poignée. Il ne la tourna jamais. Ce fût comme faire un retour brutal en arrière. Un arrêt sur image avant de rembobiner la pellicule. L’instant d’avant, la porte se trouvait à sa portée. La seconde d’après, elle venait de s’éloigner inexorablement. Lointaine. Sortie salvatrice impossible.
Son dos heurte le mur dans un bruit sourd et glaçant. Il est persuadé avoir senti le craquement de l’une de ses côtes, n’étant pas en mesure de savoir d’où la douleur provient tant elle est éparse et surtout focalisée au niveau de son cou. Le temps d’un battement de cil, la prise d’Ysrafel sur sa nuque lui donne le sentiment qu’il pourrait la briser en une demi-seconde et un frisson d’angoisse le prend tout entier à ce constat. Ne t’aies-je pas dit que je te préférais de bonne composition ? Il serre davantage ses doigts autour de sa gorge et Fennorian a comme un élan de déjà-vu. C’était comme remonter quatre jour en arrière alors qu’ils entamaient le cinquième. Il a beau ne pas manquer d’air, le jeune vampire déteste cette situation, ayant tout bonnement l’impression de n’être qu’un vulgaire insecte entre les pattes d’un ours. Pas même ses pieds ne touchent le sol. Ne m’oblige pas à te faire du mal Fennorian, à moins que tu ne veuilles que ça ? Que je te brise tous les os ? Que je t’arrache les intestins pour me répandre au milieu de tes reins nus ? Aux mots, le plus jeune se met à souffler comme un chat mécontent, canines dehors et contrarié de ne pouvoir sortir. Il avait l’habitude des paroles jugées rustres à son égard, cela ne le choquait donc pas plus que cela. Toutefois, l’on ne pouvait pas dire non plus qu’il appréciait la teneur de ces derniers à son encontre. Le fait de n’être qu’une monnaie d’échange temporaire juste avant de disparaître n’était pas pour lui plaire et seules les griffes du plus vieux, pénétrant dans la chaire de son cou, l’empêchèrent d’ouvrir la bouche.
Le liquide rouge glisse entre les doigts d’Ysrafel et chatouille sa propre peau. Il ne craint pas de salir, en revanche il gronde férocement. De douleur, d’une pointe de peur ? Sûrement un mélange des deux. Car il savait pertinemment que sans tête, plus de non-vie. Plus rien. Juste le néant. En un éclair, ses genoux heurtent le sol, envoyé par terre telle une poupée de chiffon et il lâche un couinement avant de s’aider de ses paumes. Le sang qui s’échappe vient souiller le carrelage mais les plaies se referment déjà sans que ça ne l’empêche de gronder de plus belle. Tandis que l’aura du plus âgé semble se répandre autour de lui, Fenn lève les yeux, siffle encore sa colère mais n’en mène pas large pour autant. Immobile, comme figé sur place, ses genoux finissent toutefois par ne plus le maintenir et il se laisse tomber sur les fesses, les paumes toujours en place contre le sol froid. Griffes dehors, celles-ci râclent contre le carrelage mais il finit par détourner les yeux. Entièrement sur ses gardes. Excuse-toi, maintenant. Fennorian gronde, ses prunelles claires baissées vers ce même sol. La silhouette de l’autre est imposante, l’avalant presque tout entier dans un voile noir où il se sentirait presque en train d’étouffer. Malgré tout, ça hurle à l’intérieur, ça grogne tandis que sa côte se remet progressivement en place. « Je ne te suis d’aucune utilité. » qu’il gronde. « Ca fait 5 jours et elle n’est toujours pas là. Elle m’a laissée tomber. ». Et subitement, c’est presque une déchirure, alors qu’en premier lieu c’était bien lui qui était parti. Pourquoi s’embêterait-elle à venir au fond ? D’où sortait soudainement cette forme d’espoir répugnante ? Etait-il à ce point sentimental de croire inconsciemment qu’elle viendrait pour lui ? « Il faut que je sorte d’ici. » qu’il reprend après avoir dégluti. « Tu envahis cet appartement comme si demain il n’appartiendrait plus qu’à toi. Ton seul but dans tout ça est de me faire disparaître à la minute où tu jugeras que je ne sers plus à rien ! Me faire payer l’erreur de ton infante. Elle ne viendra pas ! Elle en a strictement rien à faire. ». Je ne suis encore une fois qu’un objet à marchander… Qu’il pense intérieurement. Pensée qui lui arrache un hoquet alors qu’il baisse à nouveau les yeux pour cacher la brillance de ces derniers. Ysrafel n’était pas mieux que tous ceux qui avaient osé un jour se servir de lui.
Envahi par ses émotions, ses griffes s’enfoncent un peu plus dans les carrelages malgré lui. C’était ça où se ruer sur le plus vieux en sachant pertinemment qu’il mourrait d’un claquement de doigts. Alors il gronde, boule de colère recroquevillée sur elle-même à défaut d’être contraint de rester entre ces murs. Il hurle intérieurement.
Mais ne s’excuse pas.
« Elle m’a abandonné, tout comme toi. » qu’il finit par murmurer.
Ysrafel:
L’odeur du sang est prenante. Les perles rouges qui glissent sur la peau de Fenn l’appellent, mais il n’a pas faim. Il n’a qu’une envie inquiétante de le détruire à cet instant. Il sait aussi qu’il ne le fera pas. Ce serait mettre en péril tout le reste de son plan, et il s’y refuse. Ysrafel leur fera payer, à tous, leurs parjures, leurs malhonnêtetés. Mais pas ce soir. Ce soir, il juge seulement de toute sa hauteur le garçon qui baisse les yeux. Il le jauge de ses iris sombres, rendues plus obscures encore par des années d’errance. Il en est au point où il ne se souvient plus de ce que c’est, que d’être heureux. Que d’être furieusement animé par l’envie de vivre, encore, de se réveiller le lendemain. Il ne sait plus, parce qu’on le lui a pris. Alors il siffle aussi, canines épaisses sorties, griffes prêtes à s’abattre si on lui manque encore une fois de respect, si on ose encore se frotter contre lui. Ne le voit-il pas son cœur fait de charbon, tout prêt à s’enflammer ? Pourquoi ne comprennent-ils pas qu’il y a des épines plus empoisonnées que celles des rosiers sauvages ? Il lui en veut. Il en veut à Omphale. Pour lui, c’est un peu la même chose.
Sur le carrelage, le sang se répand. Se répand aussi autre chose, un instant. Un flux étrange, malaisant. Des sentiments ? Le regard d’Ysrafel se fait plus sombre, plus bas, au fur et à mesure que son cœur réagit à sa détresse, à son désespoir soudain. Sa mâchoire se contracte alors qu’il est persuadé, un instant, d’avoir senti une palpitation. Impossible – il n’y a plus d’activité ici depuis que la terrible Lysbeth est passée. Il se rappelle l’avoir entendu s’arrêter, lentement. Un battement après l’autre. De plus en plus espacé. Il gronde tout bas, comme un animal furieux, parce qu’il refuse de l’écouter davantage, refuse de partager sa peine. Personne ne l’a fait pour lui. Fennorian est égoïste. Il n’a peur que pour sa vie. Ysrafel ferme les yeux, quelques secondes, avant de jeter un regard au colis.
Il serait peut-être finalement une grande bonté que de t’accorder à toi aussi le repos tant mérité. Ne crois-tu pas ? Cette vie que tu vis, est-il si trépidante au point de t’y accrocher désespérément comme tu le fais ?
Il ravale sa salive, lentement, avant de plier lentement ses jambes. Son air reste terrible. Sa main, quant à elle, glisse sous le menton du garçon et le soulève, non pas d’un doigt, mais en le tenant fermement de chaque côté. Ses yeux sombres tombent dans les siens. Il sent la contrariété, la peur, mais aussi la colère qui émane de lui. Comme un chat furieux, pris au piège d’une cage trop petite pour lui. Mais Ysrafel refuse. Il grogne, comme un félin bien plus gros, bien plus imposant, derrière ses mèches lourdes et encore humides :
« Je refuse que tu m'abandonne, toi aussi. »
La phrase est étrange – la diction, incertaine. Était-ce ce qu’il voulait dire ? Qu’est-ce que ça signifie exactement ? Est-ce seulement le besoin de piéger Omphale qui s’exprime, ou son incroyable incapacité à abandonner les choses qui lui appartiennent ? Le regard du vampire glisse nerveusement sur la gorge du plus jeune, là où le sang a tâché ses vêtements, là où on voit la naissance d’une clavicule fine, d’une gorge palpitante et tirée à lui. Ses poignets sont fins. Non pas à la façon des femmes, d’une manière plus tranchée, plus rudimentaire, mais ils restent fins. Fennorian est plus petit, plus malingre. Les yeux le détaillent sans s’en apercevoir.
« Je t’ai dit de me laisser dix jours… seulement dix jours… Le temps de mettre en place mon piège. Elle ne s’y attendra pas. Si tu me demandais, je te dirais. Si tu voulais m'écouter... » Il se penche en avant cette fois, guidé par ses instincts, par ses envies. Il se voûte, assez pour venir renifler l’odeur de son visage, et plus bas, de sa gorge. Le sang est encore frais, même s’il est froid. « Que tu le veuilles ou non, tu m’appartiens, Fennorian. Ton sang est le mien. Tu es de ma lignée. Tu n’es qu’une extension de mon erreur. De moi. »
Les crocs courent sur l’épiderme, mais ils ne mordent pas. La langue, quant à elle, passe sur la jugulaire, déguste le sang qui a coulé, le récupère. Le plus ancien ne sait plus pourquoi il fait tout ça. Il lui suffirait seulement de l’hypnotiser, de le plier à sa volonté, de le détruire. S’il lui faisait mal, elle viendrait… Elle sait comment il est, quand la colère gronde. Elle sait qu’il est de ces créatures qui n’épargnent pas quand elles sont blessées. Qui se nourrissent de la rancune et de l’amertume plus que du sang.
« Si tu m’es fidèle, je ne te laisserai pas Fennorian. » Il gronde, les lèvres tâchées du sang du garçon. « Mais si tu cherches à me fuir, je t'arracherais les ailes. »
Et alors tu finiras dans la même cage que celle que j’ai faite venir pour Omphale.
Fennorian:
Il ignore pour quelles raisons il est soudainement à fleur de peau. Jamais encore sa colère réprimée avait débordée de la sorte. Probablement était-ce le contre-coup de l’épée de Damoclès qui traînait au-dessus de sa nuque depuis cinq jours. Peut-être était-ce tout simplement le fait que son appartement n’était plus ce refuge tant apprécié. Ou bien un mélange de tout cela à la fois. La situation faisait remonter des souvenirs qu’il voulait définitivement oublier. Ou du moins la sensation, celle d’être piégé chez soi. Entre quatre murs, sans être libre d’aller et venir comme bon lui semblerait. Forcé d’obéir au doigt et à l’œil au risque d’être réprimandé. Il venait de faire un retour en arrière de plus de cent ans. Et il n’aimait pas ça.
Les membres tremblants de colère et non de peur même s’il en ressentait, Fennorian n’a d’autre choix que de poser ses billes claires dans les abysses d’Ysrafel, menton relevé sans sommation. Aucune négociation possible. A l’intérieur, sa côte continue de se réparer et il a une brève grimace de douleur. Le plus vieux a beau s’être mis à son niveau, il demeure toujours plus grand que lui, plus imposant aussi. Les yeux brillants, le plus jeune cherche à refouler le surplus d’émotions qui le taraudent mais il se sent si piégé qu’il n’est qu’une boule de nerf instable. Il siffle par réflexe plus qu’autre chose face au grognement de son aîné, immobile et griffes rayant un peu plus le carrelage tâché de sang. Je refuse que tu m'abandonne, toi aussi. Fenn pense comprendre d’où vient le toi aussi. Sa Sire. Tout ça c’était à cause de sa Sire dans le fond. Elle aurait mieux fait de régler le problème avant que ça ne lui tombe sur le coin de la tronche. Ysrafel craignait visiblement autant l’abandon que Fennorian ne craignait d’être enfermé contre son gré. Le regardant sans le voir vraiment, il ne note pas ses yeux qui bifurquent, se pose sur lui. Il est comme tétanisé d’une certaine manière et ce n’était pas la première fois que cela arrivait depuis que le plus vieux était arrivé dans sa non-existence. Je t’ai dit de me laisser dix jours… Dix jours. Dix jours qui continuent de lui donner le vertige. Dix jours n’était rien sur l’échelle d’un vampire, mais ils étaient tout pour le plus jeune qui ne savait pas ce qu’il adviendrait de lui. Le lui dirait-il vraiment ? S’il le lui demandait. « Quel est ce piège… ? » qu’il demande d’une voix posée, son pouce continuant d’abîmer le sol frénétiquement. Le lui dirait-il ?
Ysrafel se penche, Fennorian déglutit lentement. L’odeur de son propre sang est tenace à ses narines, mais l’aura que le plus vieux dégage est toujours là. Pas aussi prenante que l’avant-veille cela dit. Il le laisse faire, permettant ainsi à son corps de se remettre des chocs brefs qu’il avait subi. Son souffle mécanique se perd sur sa gorge mais il ne dit toujours rien, jetant un coup d’œil au colis qui prenait toute la place dans son salon. Que tu le veuilles ou non, tu m’appartiens, Fennorian. Ton sang est le mien. Tu es de ma lignée. Tu n’es qu’une extension de mon erreur. De moi. Etait-ce donc ça ? Ysrafel avait-il autant d’ego qu’il voulait faire de sa propriété tout ce qui se rapprochait de près ou de loin de lui ? Sur le moment, Fenn aurait pu le croire complétement dérangé, si les liens avec son Sire n’étaient pas si étranges dès la première heure. Dès le trépas. Sans doute était-ce alors l’humanité en sommeil du plus jeune qui s’exprimait au travers de ses excès de colère. Ce refus catégorique d’appartenir à quelqu’un comme un vulgaire objet. « Et où est le libre arbitre là-dedans ? » qu’il murmure sans avoir besoin de le crier, tandis que les crocs glissent sur sa peau et qu’un frisson l’étreint. « N’ai-je pas mon mot à dire ? » qu’il insiste, images se superposant devant ses yeux qui sont rivés vers l’immense objet mystère. Lorsque sa langue se met à son tour à passer sur sa gorge, il sait pertinemment ce qu’il fait cette fois. Fennorian ne recule pas ni ne cherche à faire mal, ne devinant que trop bien être sur le fil du rasoir. Si tu m’es fidèle, je ne te laisserai pas Fennorian. Aux paroles, le plus jeune fronce les sourcils, un air interrogateur à ses traits. Peu certains d’avoir compris le réel sens donné à ces mots. Mais si tu cherches à me fuir, je t'arracherais les ailes. Ce qui revenait à choisir entre être enfermé par choix ou enfermé par force. Dans les deux cas, Fenn ne voulait pas être enfermé.
« Fidèle, dans quel sens… ? ». Nouvelle question qui quitte ses lèvres malgré le grondement du plus vieux et la fine brise qui passe sur sa gorge humide, lui donnant l’impression qu’un courant glacé parcoure sa peau. Ses membres n’ont pas cessé de trembler malgré la griffe de son pouce qu’il paraît limer contre le sol depuis tout à l’heure. Il pourrait tuer, à cet instant précis. Sans nul doute qu’il se jetterait sur un humain sans même le regretter, tant la colère n’était que trop réprimée.
Ysrafel:
La langue est douce, malgré qu’elle soit froide quand elle passe, gourmande, sur sa peau. Ysrafel ferme les yeux, et s’il ne mord pas, c’est bien parce que la voix du garçon le tient à bon bord. Elle agit comme une ancre dans ce qui est leur réalité, cette réalité qui lui fait si mal pourtant. Fennorian ne s’en sans doute pas compte, mais il est comme elle. Lui aussi il a cette façon de poser des questions qui sont douloureuses, de le questionner d’un air innocent mais qui le pique en réalité. Il est comme ces roses dont les épines empoisonnent les chairs et font mourir les cœurs même les plus vaillants d’une petite maladie vénérienne : l’amour. Le plus ancien se redresse, son nez frôle le coin de son visage, son oreille. Il hume l’odeur de cuivre qui s’échappe de lui. Son menton est marbré de sang quand finalement il fait face à son descendant. De nouveau, il a ce regard terrible, prince prédateur et implacable, juché sur ses genoux qui lui sont soudainement douloureux. Il a l’impression d’être un Atlas imbécile, un Tantale qui s’évertue à ne pas comprendre qu’il n’y aura jamais de repos. Oui, c’est vrai – il refuse de comprendre. Refuse de savoir.
Ses doigts relâchent son visage, alors qu’il grogne : « Il n’existe aucun libre arbitre sur Terre, Fennorian. Toutes les choses d’hier sont ton destin, toutes les choses de demain sont le hasard. Mais comment pourrions-nous être maîtres de nos vies quand nous n’avons pas même été maîtres de nos morts ? »
Il a un rire malade, un rire fatigué. Il n’avait pas choisi sa mort, pas choisi Lysbeth, comme elle ne l’avait pas choisi non plus. Il était une erreur, lui aussi. Une erreur de parcours, que la Reine Vampire avait pourtant chéri, qu’elle avait vu grandir entre ses griffes avant de le libérer. De lui-même, pourtant, il était toujours revenu, parce qu’il était sensible aux liens du Sang ancien, aux sentiments qui le parcouraient à l’époque.
Pourquoi est-ce qu’aucun d’entre eux ne pouvait le sentir ? Nerveusement, Ysrafel passe sa main sur son visage, étalant un peu plus le sang sur son visage. Il est colère, mais il est aussi peine.
« Fidèle comme tu ne le seras jamais » souffle-t-il finalement, avant de se redresser, de s’arracher à cette condition d’homme encore à genoux. Il en veut plus. Plus jamais. Supplier. Il refuse le titre de prince déchu, de prince bafoué. Il refuse d’être tout ça. « Elle t’a choisi, comme je l’avais choisi. »
Un nouveau grognement passe ses lèvres. Ce n’est plus un prédateur, mais seulement un animal blessé qui se détourne de Fennorian. D’un geste ample, il passe ses griffes sur le carton. Le bruit est infernal, fait crisper les dents, mais Ysrafel n’a pas l’air d’y faire attention. De son autre main, il écarte l’autre pan pour dévoiler ce qui ne ressemble à rien de commun, à rien d’autre qu’à soi-même.
Au milieu du salon de Fennorian trône la Dernière Danse. A la façon d’une vierge de fer, le cercueil est fait d’un mélange d’acier noir et blanc. il est sinistre, gravé comme s’il s’agissait du gisant d’une belle endormie, les bras croisés sur son torse, mais à bien y regarder, son visage est tordu de douleur, ses griffes sont sorties. La position est douce, mais le minois trahit ce qui attend quiconque pénètre à l’intérieur. Et l’intérieur, Ysrafel le dévoile en passant sa main sur son visage délicat. A l’intérieur, des centaines de pics ornent le coffrage de velours cramoisi, à l’exception de la gorge et du cœur. Des rigoles parcourent également le fond de ce qui est une cuve et mène toute vers le cœur. De l’autre côté de l’acier, on trouve des formules ésotériques gravées et décorées de feuilles d’or.
A l’odeur, on sent qu’il a été récemment restauré. On peut aussi en sentir le champ presque magnétique. La magie qui pulse, mais qui semble endormi. D’une nouvelle caresse, il referme l’instrument de mort. Au second regard, on peut apercevoir également des creux dans la structure – des décaissements qui permettent l’apport de ressources, de poudres, de liquides.
Pour un rituel.
Ysrafel observe un instant sa Dernière Danse, comme il l’appelle doucement. Depuis Meliora. Depuis la première des traîtresses… ne s’était-il pas juré à l’époque que ça serait la dernière ? Le sourire est méprisant. Il griffe l’acier, de sa main. La joue se blesse.
« Tu finiras par me trahir, toi aussi. C’est ce qu’elles font, toutes. »
Face au métal, il y a un silence douloureux qui suit l’évidence. La seule question qui reste : quand ?
Fennorian:
Il garde les yeux rivés sur le colis mystérieux, même quand Ysrafel se redresse enfin et qu’il effleure son visage. L’odeur de sang ne disparaît pas, dorénavant amplifiée par le simple fait que son menton en est couvert. Encore une fois, alors, ses prunelles croisent celles du plus âgé qui annoncent mille et uns tombeaux. Mais a priori pas pour lui. La prise de ses doigts se relâche enfin et il l’observe se relever en silence. Ses questions il les a toutes posées pour le moment. Fennorian ne cherche qu’à comprendre ce qu’il attend de lui tout en étant perdu dans un… Il-ne-savait-quoi. Qu’était-ce que tout ce cirque en définitive ? Que voulait Ysrafel de plus hormis Omphale ? Qu’attendait-il de lui hormis… Une fidélité dont il ne comprenait pas le sens ? S’il s’agissait d’une allégeance, il pourrait la lui donner sans hésiter en réalité. S’il s’agissait d’autre chose… Il n’en savait rien. Fennorian n’était pas un exemple en terme de relations, car tous les exemples qu’il avait vu n’étaient pas les bons. Il n’existe aucun libre arbitre sur Terre, Fennorian. Les mots lui font plisser le nez de contrariété tandis que ses griffes disparaissent. Ce carreau était ruiné, il n’aurait plus qu’à le remplacer. Il n’était pas d’accord avec lui, car Fenn s’était toujours battu pour obtenir son libre arbitre, ce n’était pas aujourd’hui que cela allait s’arrêter. « J’ai déjà subi le joug de l’obligation une fois, peut-être même deux, et je me suis juré de ne pas recommencer. Tu ne me feras pas croire que tu n’as jamais rien choisi de toi-même, pour toi. ». Que cela soit dans cette vie ou la précédente. Nulle animosité dans ses paroles néanmoins, mais l’on pouvait toutefois sentir que ce terrain était quelques peu… Miné. Fidèle comme tu ne le seras jamais. Tout cela n’est qu’énigme. Dans quel sens le disait-il ? Comme une affirmation d’évidence, ou plutôt comme une envie exposée ? Lâchant un soupir, Fennorian passe une main sur sa gorge pour en chasser les dernières traces de sang. Elle t’a choisi, comme je l’avais choisi. « Pour elle, certainement, oui… » qu’il ne peut qu’admettre. Il ignorait cependant que leurs caractères puissent se ressembler. Ou même leurs attitudes. Il ne la connaissait pas aussi bien qu’il avait pu le penser. « Pour ce qui est de la fidélité je ne comprends toujours pas, Ysrafel, ce que tu attends de moi au juste. ». Et il est subitement las, malgré la colère grondante, de chercher à comprendre. Une première pour celui qui ne faisait que cela, chercher.
Main pressée contre sa côte qui termine enfin de guérir, il se redresse à son tour, plus nécessairement endolori mais conservant l’impression qu’on lui était littéralement tombé dessus. Le son qui vient alors faire vibrer ses tympans dans un bruit ignoble le fait tressaillir. Le carton tombe au fur et à mesure, révélant l’objet autour duquel Fennorian avait tourné autour quelques heures plus tôt en se demandant ce qu’était que cette folie. Plus les pans de cartons tombaient et plus le jeune vampire se décomposait derrière son air qu’il ne parvenait plus à garder impassible. Si c’était ce qui attendait sa Sire… C’était un véritable engin de mort. A découvrir chaque détail, aussi bien extérieur qu’intérieur, le plus jeune avait l’impression d’avoir la nausée, l’imagination probablement trop débordante. Il garde les yeux rivés sur l’objet mais s’il avait été en mesure de pâlir un peu plus, nul doute qu’il serait aussi translucide qu’un fantôme. Les griffes grincent à nouveau sur l’acier et Fenn se sent grincer avec lui. Soit Ysrafel était fou, soit vraiment… A cet instant précis, il ne le comprenait pas du tout. Une chose était sûre cependant, plus les heures tournaient, et plus son propre appartement devenait aussi étroit qu’une cage. Probablement aussi étroit que la Dernière Danse elle-même. Soit il se pliait, soit il prenait la seule sortie possible : celle du vide éternel. Tu finiras par me trahir, toi aussi. C’est ce qu’elles font, toutes. Trahison pouvait avoir de nombreuses significations, mais comment était-il supposé ne pas faire fausse route si le plus vieux persistait à demeurer aussi énigmatique ? Mal à l’aise et immobile, il réfléchit, tente de s’apaiser. Aussi bien lui que ses membres tremblant toujours de rage contenue. Omphale était partie et il ne l’avait pas revue, sa trahison était là. Il l’avait choisie, elle, pour une raison qu’il ignorait et il ne savait absolument rien de leur relation. Mais pour être aussi amer, il n’aurait normalement dû pouvoir s’agir que d’une seule chose : les sentiments. Ysrafel avait beau être ce qu’il était, Fennorian ne le pensait pas dénué de sentiments. Ils étaient juste… Très étranges et très… Obsessionnels ? Il n’aurait su réellement trouver les bons mots pour le décrire. Car il y avait aussi cette forme de mélancolie qui l’enveloppait comme un linceul et qu’il ne comprenait pas plus. Ou alors il est juste dépressif, que pense le plus jeune, perplexe.
« Je ne peux trahir tant que j’ignore ce que tu voudrais de moi. Si c’est une allégeance, tu l’as déjà. Si c’est autre chose… Je ne sais pas. ». Comme depuis le début, il est honnête, n’ayant aucune raison de mentir.
D’un pas en arrière toutefois, il s’éloigne de la Dernière Danse. Cette chose le dérange. Il ne l’aime pas. Pas du tout, même. Il s’adosse contre le mur derrière lui, ce dernier lui paraissant soudainement plus accueillant, presque réconfortant. Tout sauf cette chose qui traînait dans son salon. « Ce n’est certainement pas pour une promenade de santé… » qu’il marmonne pour lui, sachant très bien que le plus vieux entendrait et en essayant de s’aplatir un peu plus contre le mur.
Ysrafel:
Qu’est-ce que la fidélité ? Ysrafel pose ses yeux sur la Dernière Danse. Sa main la caresse, presque avec douleur. Il ne se souvient plus de la dernière fois où il se sentit encore heureux. A chaque inspiration, à chaque pas, les souvenirs le submergent de nouveau en vague qui le rende nauséeux. Pourrait-il encore en pleurer ? Probablement. Si seulement ses yeux n’étaient pas aussi secs, si seulement il ne serrait pas autant ses canines entre elles.
« La fidélité… non, pas la fidélité – la loyauté », il s’humecte les lèvres qui lui paraissent soudainement sèches de n’avoir jamais bu ni embrassé, « j’ai longtemps cru que le sang portait la loyauté. Mais ce fut une erreur. La mienne. »
Mais il ne fut que source de discorde, de mésentente, de souffrance. Mon sang m’empoisonna, et alors que je persistais, je comprenais de moins en moins : ce qui m’attachait si fort, si puissamment à ma Sire, semblait m’arracher plus violemment encore à mes propres infantes. Qu’étais-je dans leurs regards qu’un géniteur à éliminer ? Qu’un corps à fouler pour obtenir un trône dont elles étaient persuadées que je possédais ? Je le leur aurais donné si je l’avais eu. Je leur aurais tout donné si elles m’avaient seulement demandé.
« Lysbeth m’arracha à la vie. Ce jour-là, je n’ai rien voulu, rien décidé. J’ai seulement lutté, par réflexe. J’aurais pu me laisser mourir – je ne possédais rien à l’époque qu’un violon et un peu de talent. J’aurais pu crever, qu’est-ce que ça aurait changé ? » Il grogne face à l’engin de mort. Ses traits féminins excitent ses sens. Il se sent fatigué, de nouveau. Une éternité de souffrance. Voilà tout ce que lui donna Lysbeth – une éternité de souffrance, désormais seul, sans elle non plus. « Mais j’ai survécu. Les premiers mois furent difficiles, mais Lysbeth m’aimait, et je l’aimais en retour. Je l’aimais parce qu’elle m’avait offert son sang. J’étais spécial à ses yeux. Elle était spéciale aux miens. Je lui ai juré ma fidélité la plus entière, et je l’ai toujours été… »
Il se mord nerveusement la lèvre. La canine perce la lippe inférieure, mais il continue, grogne plus fort. Retrace le cheminement de ses mains plaisantins qui toujours le jetèrent au sol pour mieux l’écraser. Il n’existe pas de choix, pas de libre arbitre. Quel choix le destin lui a-t-il donné ? Il n’y a que Dieu pour se jouer de pareille façon des hommes.
« J’ai rencontré Meliora dans un orphelinat. »
Il se souvient. Sa tête se penche, et sa main devient tendre sur la joue de la Dernière Danse. Il est délicat, de nouveau, et il effleure du bout de ses phalanges le rebonds de sa pommette d’acier.
« Elle était plus petite que les autres fillettes. Elle bégayait. Je n’étais que de passage dans la région. Je jouais pour des orchestres à l’époque. Les églises payaient le mieux. » Il a un rire terrible, un rire qui grogne. « Le Père de l’époque m’a surpris mon regard. Il m’a dit que contre une soirée au village, il me la donnait si je voulais. Qu’il ne s’inquiétait pas de ce que je lui donnerais comme éducation… »
Il inspire de nouveau, profondément. Chasse les pensées qui l’accablent, rattrape doucement le souffle qui lui manque soudain. Il se souvient du visage du Père, de son regard libidineux qui courait à l’époque sur les plus jeunes des enfants de chœur. Meliora était vierge. Il le savait car c’était lui qui l’avait faite saigner le premier, mais n’avait-il pas eu au moins la décence d’attendre qu’elle soit grande ? Qu’elle le veuille aussi ? Qu’elle le réclame ? Un grognement, nouveau, plus bas.
« J’ai offert à Meliora tout ce qu’elle voulait. Une demeure comme un palais, avec le marbre blanc qu’elle voyait chez les riches propriétaires. Des domestiques, blancs, jaunes, noirs. Tous bien montés, parce que la gamine était gourmande. Tantôt je l’accompagnais, tantôt je l’observais seulement. Elle voulait aller voir une de mes sœurs ? Je la laissais prendre les meilleures juments de l’étable. Elle voulait du vin d’Italie ? Nous nous rendions à Vérone pour en acheter la meilleure cuvée. »
Les souvenirs sont précis, parce qu’Ysrafel se souvient de chacun de ses rires, de chacun de ses sourires. De sa façon de minauder, de l’appeler doucement contre lui. Sa façon d’attraper avec timidité, avec pudeur la manche et de la tirer vers elle. Ses yeux chauds, ses yeux bruns s’enflammant sous un seul baiser. A son sexe fier et tyrannique.
La main relâche sa prise sur l’engin de mort. Retombe le long de son corps, avec une fatigue, une mélancolie toute nouvelle.
« Mais elle fit une erreur, la première » Le regard d’Ysrafel glisse sur Fennorian, alors qu’il se retourne lentement, pour lui faire face. Il reste cependant à sa place, éloigné, quoi qu’au moindre mouvement il serait déjà sur lui. « Elle me laissa, un soir d’été. Elle avait tout préparé. Le bagage, la calèche, mais aussi un jeune garçon. Un blond, je crois… Un blond, oui. Je me souviens… » Le sourire s’étire, malsain, carnassier. L’œil brille d’une lueur prédatrice. « Bien sûr elle a pleuré. Bien sûr elle n’a pas compris. »
Le regard se détourne de Fennorian et se pose sur la vierge raccommodée.
« Mais Meliora – ton sexe ne fut jamais le problème. Le chavirement de ton cœur, lui… »
Le bout de la griffe effleure le sein gravé dans la Dernière Danse, comme pour appuyer son laïus. Après quoi, il ne lui reste qu’un poids sur les épaules. Il inspire doucement, avant de retourner le visage vers Fennorian. Ses yeux sont secs. Le plus vieux n’a pas envie de pleurer. Cette histoire n’est qu’une parmi d’autres. Qu’une claque de plus.
« J’ai fait des choix, Fennorian, mais il y a des choix que les autres nous imposent. Des chemins que l’on ne voudrait pas emprunter, mais sur lesquels on se retrouve projeter, parce que le libre arbitre n’est qu’un doux mensonge. »
Il avance cette fois vers le plus jeune. D’une main puissante qui vient empêcher toute fuite vers la porte – posée à plat contre le mur. L’autre main, elle, vient de nouveau glisser sous son menton. Si proche de lui, il ouvre la gueule, montre le blanc de ses crocs, le rouge de son menton sur lequel a séché le sang. Il grogne :
« Tu me donnes ton allégeance mais la seule chose qui t’anime, c’est ton envie de vivre. Je ne veux pas ton allégeance. Elle ne veut rien dire pour moi. » Ce que j’exige est bien plus profond que ça. « Omphale aussi m’avait donné son allégeance. Et bien ? Est-ce que son allégeance l’a faite revenir quand je l’appelais le soir ? Quand je massacrais des villages entiers pour apaiser ma colère ? A-t-elle seulement daigné me le dire ? Non… Car c’est bien ça, vos allégeances. Des mots pour m’endormir. »
Pour me fuir.
Fennorian:
Dorénavant, il l’observe en silence, tapis contre ce mur comme s’il voulait disparaître ou se fondre avec. Immobile, il se refuse à bouger, ses yeux clairs rivés sur le plus ancien. Un instant encore il le croit complètement fou, de reporter son attention sur cet objet. Quelle fascination pouvait donc l’animer au point de l’observer avec autant de… Dévotion et de dégoût en un seul regard ? Déjà pris au piège de toute manière, Fennorian n’a d’autre choix que d’écouter, les bras légèrement croisés contre son torse. Et à mesure qu’Ysrafel raconte, le plus jeune se rend compte que l’histoire le captive, page d’un livre qui s’ouvre. Des éléments de réponses qui le sortent du flou le plus total au sujet de l’intrus. Lysbeth m’aimait, et je l’aimais en retour. Je l’aimais parce qu’elle m’avait offert son sang. J’étais spécial à ses yeux. Elle était spéciale aux miens. Voilà ce qu’il cherchait, ce qu’il avait attendu d’Omphale et qu’il n’avait visiblement pas obtenu. Fenn le scrute, lui et ses manies. Car s’il le racontait à haute voix, ce n’était pas à lui qu’il semblait s’adresser réellement. Toujours muré dans le silence, le plus jeune mémorise les noms : Lysbeth, Meliora. Il n’avait guère entendu le nom de Lysbeth que quelques fois, mais pas de la bouche de sa Sire. Plutôt dans celles d’autres comme eux. A l’évocation des mots du Père d’église, Fennorian n’est pas vraiment surpris. A l’époque, les mœurs n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, ils étaient bien plus sombres. Plus obscurs, et dénués de bon sens. Il en avait lui-même fait les frais, raison pour laquelle il demeure silencieux, luttant pour ne pas être envahi par ses propres souvenirs. Le récit continue, et seulement alors les yeux sombres d’Ysrafel croisent les siens. Sonnant de pair avec le mot erreur.
Il ne baisse pas le regard, le scrutant avec attention car le moment paraît solennel, jusqu’à ce que le plus vieux se détourne à nouveau vers sa Dernière Danse. Pour sûr, le blond était certainement mort dans d’atroces souffrances. Cela ne faisait même aucun doute. Le monde n’était que violence et perdition. J’ai fait des choix, Fennorian, mais il y a des choix que les autres nous imposent. Le plus jeune ne sourcille toujours pas, mais il reste cloîtré contre le mur. Parce que le libre arbitre n’est qu’un doux mensonge. Qu’il puisse le penser, certes, Fenn restait non convaincu d’une telle chose. Peut-être était-il utopiste d’une certaine façon. A la paume qui se pose trop vite à la gauche de son visage, le plus jeune tressaillit malgré lui sous la surprise. C’est que ses nerfs sont encore un peu trop à vifs. Il s’en est mordu la langue sans le vouloir, à crisper la mâchoire. Tétanisé, sa respiration mécanique est lente mais lourde comme si l’oxygénation était encore importante pour ne pas céder à une nouvelle vague de panique. Menton levé, il s’oblige à le regarder dans les yeux et non ses crocs. Car c’est bien ça, vos allégeances. Des mots pour m’endormir. Bien sûr qu’il ne voulait pas ça, c’était parfaitement clair à présent. Ysrafel ne cherchait que le sentiment qu’on lui avait arraché, comme un pansement sur une plaie encore à vif. L’amour. Il avait d’abord cru qu’il s’agissait d’adulation, du besoin d’un égo surdimensionné à être vénéré, mais à en juger par les mots, c’était bien plus que cela en vérité. Dans tous les cas, Fennorian est embêté. Car si le plus vieux semble savoir ce que c’est, lui n’en sait fichtrement rien. Pour ne jamais l’avoir ressenti. Il y avait bien eu quelque chose de fort avec sa Sire au début, mais, factuel, le jeune vampire l’avait mis sur le compte de réactions naturelles et logiques. Presque scientifiques en définitive. Les portes de l’amour, il se les étaient fermées depuis des lustres. Depuis qu’il avait senti le poids de la possessivité de certains sur son compte. Il se souvenait encore des mots du chasseur. Sans doute les avaient-ils emmenés partout avec lui ensuite. Sans même le savoir. Si Meliora était vierge en termes physiques à l’époque, lui était on ne peut plus vierge vis-à-vis des sentiments.
« Ce que tu recherches, je ne peux pas te le donner maintenant… ». Murmure alors que le goût cuivré envahi sa propre bouche. C’est qu’il s’était mordu trop fort. « … Car je ne sais pas ce que c’est. ». Il déglutit, décroisant les bras pour les laisser retomber le long de son corps. « C’est une porte que l’on m’a refermée il y a des années et que je n’ai jamais su comment ouvrir. ». Ses iris s’assombrissent, à mesure que les images volent devant ses yeux. Invisibles pour l’autre mais belles et bien présentes pour lui. « Si tu m’y contraignais, tu ne vaudrais pas mieux que lui. » qu’il poursuit d’un ton calme. « Tu es âgé, tu n’es pas sans savoir comment les choses pouvaient se passer à l’époque… ». Cette fois son regard se perd. Il le regarde sans le voir. « Ce que même les plus proches d’entre nous étaient capables de faire contre une belle somme. ». Il esquisse un rictus pensif, qui n’a rien d’un sourire. « Et c’est très exactement parce que j’ai été vendu que je ne peux pas te donner ce que tu souhaites imposer. ». Il déglutit à nouveau. « Pas comme ça, du moins… ». Il inspire. « Parce que si tu le fais de cette manière, c’est le meilleur moyen de me faire… Fuir. Comme j’ai fui l’auberge familial il y a près de 169 ans en arrière. ». Son regard est revenu se planter réellement dans le sien à ses paroles. « Apprends-moi plutôt ce que c’est… Ce sentiment qui paraît t’avoir rongé et usé. Celui qu’elles n’ont visiblement pas réussi, en retour, à te donner. ».
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Région : Sarthe, Le Mans.
Crédits : Nobody.
Univers fétiche : Sadique polyvalente.
Préférence de jeu : Les deux
Sha
Lun 12 Juil - 15:57
Ysrafel Lovenox
Vieux vampire de l'Amérique du Nord, Ysrafel cherche à reconquérir son Infante, Omphale, qui l'a quitté il y a plus de cent ans. Très grand et dangereux, sa spécialité est l'hypnose et la manipulation.
« Ce que tu recherches, je ne peux pas te le donner maintenant… »
De ses lèvres entrouvertes, un grognement animal s’échappe. Comme un avertissement sourd à l’oreille du plus jeune. Pour autant, Ysrafel ne se fait pas plus violent. Il réserve sa poigne – c’est sa main contre le mur qui griffe ce dernier. Celle qui tient encore son menton ne fait rien de plus. Il l’observe seulement. Le cœur mort pourrait presque battre tant il est ivre.
« … Car je ne sais pas ce que c’est. »
Les iris du Sire brillent légèrement, mais ça n’a rien de malsain. C’est une question, une surprise en quelque sorte. Aimer ? N’a-t-il pas aimé Omphale pourtant ? N’a-t-il pas aimé jusqu’au plus profond de son corps et n’y est-il pas mort ? Le vampire est silencieux. Ses yeux glissent sur le garçon, sur ses bras trop lourds, sur son abattement – sa résignation.
« C’est une porte que l’on m’a refermée il y a des années et que je n’ai jamais su comment ouvrir. Si tu m’y contraignais, tu ne vaudrais pas mieux que lui. Tu es âgé, tu n’es pas sans savoir comment les choses pouvaient se passer à l’époque… »
Lui ? La question lui brûle les lèvres, mais il ne la posera pas. Au lieu de ça, il comprend, et ses yeux se baissent un peu. D’abord sur les lèvres de Fennorian, parce qu’il s’en échappe une odeur forte de sang qui l’attire. Ensuite, sur ses bras toujours ballants. Il comprend rapidement où le jeune Gray veut en venir. Il ne sait cependant pas quoi lui dire, pas quoi lui répondre. Ysrafel est un enfoiré, il est vrai, mais il s’agit là d’un des rares péchés qu’il n’a pas commis. Ou alors, la mémoire lui joue des tours… non, probablement jamais. Quel plaisir y aurait-il à ne pas se faire désirer, à ne pas désirer ? Non, Ysrafel veut être aimé. Il veut sentir la caresse d’un regard, l’envie dans les prunelles, de celle qui appelle sans dire un mot.
« Ce que même les plus proches d’entre nous étaient capables de faire contre une belle somme. Et c’est très exactement parce que j’ai été vendu que je ne peux pas te donner ce que tu souhaites imposer. Pas comme ça, du moins… Parce que si tu le fais de cette manière, c’est le meilleur moyen de me faire… Fuir. Comme j’ai fui l’auberge familial il y a près de 169 ans en arrière. »
Le regard du vieux vampire soutient celui du plus jeune. Le Sire ne sait plus comment ils en sont arrivés là. Lui a-t-il laissé croire qu’il allait le forcer ? Non, pourtant, les choses ont toujours été claires. Mais alors pourquoi n’est-il pas agacé ? Pourquoi attend-il, avec cette impatience, ce que le garçon a sur le bout des lèvres ? Pourquoi ?
« Apprends-moi plutôt ce que c’est… Ce sentiment qui paraît t’avoir rongé et usé. Celui qu’elles n’ont visiblement pas réussi, en retour, à te donner. »
Le vieux vampire est désarçonné. Ce n’était pas ce qu’il voulait, ou peut-être que… Qu’est-ce qu’il voulait déjà ? Omphale. Mais Omphale l’a trahi. Alors… Le Sire baisse les yeux. Ses mains se font plus souples, elles se font douces, même contre le mur qui porte désormais la marque des griffes du monstre. Il pousse un petit soupir, parce qu’il ne sait plus où il en est.
« Que raconte-tu, Fennorian ? » murmure Ysrafel, du bout des crocs. « Veux-tu vraiment savoir ce qu’est cette drôle de maladie ? »
Les yeux se ferment, et puis finalement, il s’arrache du mur. S’il y reste plus longtemps, que lui fera-t-il ? Il ne le sait plus. Il ne se sent plus maître de rien. Cela l’effraie un peu. Il ne sait plus s’il a envie d’enfoncer ses crocs dans sa gorge pour mieux jouir ou pour simplement le vider de son sang insolent. Il ne sait plus. Alors il se détourne du garçon, jette un regard à la Dernière Danse qui trône encore au milieu du salon. Ses crocs s’enfoncent dans sa joue. Laisse jaillir le sang qui remplit doucement les parois de sa bouche, y donne ce goût de métal et de cuivre combiné.
« C’est un fardeau, même pour un vampire aussi vieux que moi. Parfois… parfois je rêve de m’arracher cette humanité, pour mieux me défaire de cette peine. Elle est comme un poison, douloureux, indomptable. Caché derrière le cœur. Elle se déguise parfois, elle sait se faire oublier, pour mieux revenir. Qui voudrait d’une telle vie ? » Les doigts blancs glissent sur le visage qui se décompose doucement. « Je ne veux plus vivre ainsi. Si Omphale ne vient pas, au bout de ces dix jours, je te briserais tout entier. Je te briserais chaque os, romprai chacun de tes membres. La douleur sera insoutenable, même pour un vampire. »
Le silence est funeste, presque morbide, mais le ton d’Ysrafel n’a rien de malsain. Il est comme un homme fatigué par les choses. Il est affreux, oui, mais il n’est qu’un monstre après tout.
« Si elle tient à toi, elle viendra. Si elle ne vient pas… », un silence ponctue la phrase.
Lui-même ignore ce qu'il adviendra si elle ne vient pas.