A mon plus grand soulagement, Alexandr s'est contenté de jeter un regard noir à cet homme, et cette histoire s'est arrêtée là. Pas de bataille à signaler ! Cela aurait été bien embêtant, surtout pour le premier jour !
Mon ami et moi nous sommes assis tous deux au sixième rang de l'amphithéâtre. Le discours de bienvenue fut bien long... D'autant plus long que je n'en ai pas compris un mot. Vraiment pas un seul. C'était un véritable charabia - si vous me permettez cette expression. J'en fus davantage dépité. Je commençais réellement à me demander comment j'allais pouvoir faire. Au fond, était-ce une bonne idée ? Voilà à quoi je me surprends à penser ! Je dois ôter toutes ces idées noires de mon esprit, ou elles me consumeront bien avant la fin de l'année !
Le discours prit finalement fin. Les élèves sortent hâtivement de la salle, dont quelques-uns en poussant un soupir de soulagement. Je ne fis aucun commentaire, mais je n'en pensais pas moins.
Alexandr m'explique que nous allons assister dès à présent au premier cours. Nous rentrons dans la salle de classe. J'essaie de laisser cet horrible sentiment d'anxiété pour observer cette pièce. Elle n'était pas très grande, surtout en comparaison avec l'amphithéâtre que nous venions de quitter. Une multitude de livres reposaient sur des étagères, sur tous les murs. Des tables étaient parfaitement alignées, et tournées vers un tableau noir, devant lequel se trouvait un bureau monté sur une petite estrade.
Mon ami s'installe au premier rang, mais je n'ai pas cette chance. Je suis condamné à aller au fond de la salle, au seul endroit où il reste de la place. Et la cerise sur le gâteau : je suis à côté de cet homme, celui qui m'a bousculé avant le discours d'entrée. Mais je devais me montrer courtois. Je pris alors mon courage à deux mains, et lui murmure un timide
« Bonjour », avec un accent assez prononcé. Mais il semble m'ignorer. Je n'insiste pas.
Un vieil homme entre dans la salle, sans aucun doute le professeur. Le cours commence... en français.
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A la fin de la journée, je suis épuisé comme je ne l'ai jamais été. Mon cerveau donne l'impression d'exploser, et ma tête me fait un mal de chien ! (Pardonnez-moi cette expression, mais il n'y a pas d'autres termes pour exprimer ce que je ressens.)
Les cours devaient être passionnants, c'est sûr, mais lorsqu'on n'en comprend pas un seul mot, ils donnent une toute autre impression. Ce soir-là, je suis partagé entre mon désir de découverte toujours présent -mais diminué, il faut bien l'avouer- et l'envie de prendre le prochain train pour Moscou. Finalement, venir en France, était-ce une bonne idée ? Si je regrette ? Je ne sais pas... Enfin, après une bonne nuit de sommeil, et des cours de français intensifs, toutes ces terribles sensations ne seront que des souvenirs. Je l'espère.
"Dis Youri, tu ne veux pas aller quelque part pour te détendre ?"Alexandr me ramène à la réalité et me sors de mes divagations pessimistes. Je me force à lui sourire, afin de cacher ma fatigue, mais cela doit donner quelque chose d'étrange.
« C'est gentil de le proposer. Je pense que passer un peu de temps à respirer de l'air frais pourrait me faire du bien. » lui répondis-je d'une voix las.
J'aimerais retrouver cet enthousiasme que j'avais quand je suis arrivé à Paris.
« Si on se promenait au jardin où nous sommes allés hier ? Cela te dit ? » ajoutai-je sur un ton un peu plus enjoué.
Peut-être que revenir dans ce jardin me permettra de me remémorer cet incroyable désir de découverte de la veille ?