Elle n'aurait pas du faire ça, boire son verre cul sec, même à moitié vide. Elle devait conduire, et c'était dangereux, même pour quelques minutes. Mais Lily, elle a besoin de lâcher prise. D'oublier la danse d'Abel avec cette brune inconnue au bataillon, même s'il venait de dire qu'elle n'était pas son genre. Mon oeil. Et c'est sans réfléchir d'avantage qu'elle commande un nouveau verre qu'elle attrape pour le placer entre les doigts du brun, et mieux s'évaporer vers l'extérieur. Il fallait qu'elle souffle, qu'elle respire, qu'elle arrête de regarder toutes ces filles, qui, comme elle, n'avaient d'yeux que pour Abel. Aucune ne pourrait le regarder comme elle le fait.

Elle ne vit pas vraiment le temps passer. Elle était posée là, contre un mur, à se masser la tempe en espérant avoir les idées suffisamment claires pour prendre la route si Abel tenait réellement sa promesse. Elle en doutait, cependant. Suffisait de voir qu'il avait disparu de son champ de vision, probablement à se coller à une autre fille. "Bah alors, ton "mec" t'a abandonnée ?" Un frisson désagréable parcoure Lily, quand elle tourne la tête pour reconnaître le type de tout à l'heure, visiblement bien alcoolisé. Plus encore que tout à l'heure. « Non. » Elle tourne la tête à l'opposé, pour clore la conversation à sa façon, mais c'est sans compter sur la ténacité du bonhomme qui glisse un bras autour de sa taille pour la rapprocher de lui. "Tu sais même pas mentir. T'es le genre de meuf qu'on veut baiser, mais pas le genre qu'on veut garder." Et tout en parlant, il tente de redéboutonner le chemisier de Lily, qu'elle a attaché jusqu'en haut après sa dernière discussion avec lui. "Allez, laisses toi un peu aller. Tu le regrettera pas." Et tout le long, Lily elle essaye de se dégager de sa prise, de plaquer sa main sur son haut pour l'empêcher de dévoiler d'avantage de son anatomie. « Laisse moi ! » Elle pousse, elle recule, se colle toujours plus au mur, sans espace où s'éloigner. Elle est terrifiée, Lily. Et elle ferme les yeux. Abel... Abel. Abel. Sors moi de là.

Et comme si sa prière silencieuse avait été entendue, tout à coup, le type se détache d'elle, tandis qu'une autre silhouette se dresse entre eux. Une silhouette qu'elle reconnaîtrait entre mille, menaçante. Mais pas pour elle. Jamais pour elle. Quand l'autre type essaie de le frapper, elle étouffe un cri, Lily. Hésite à se mettre entre eux, quitte à prendre le coup pour Abel. Elle refuse qu'il soit blessé à cause d'elle. Heureusement, les réflexes du brun restent bons, et l'inconnu se retrouve écrasé contre un mur, tandis qu'Abel retourne auprès d'une Lily encore figée par la terreur. Le regard brillant, elle le dévisage en secouant la tête de gauche à droite, sa main simplement collée contre son chemisier à demi ouvert. « N.. Non... » Qu'elle parvient à balbutier, difficilement, jusqu'à ce qu'elle entende l'autre type se redresser. « Alors, c’est lui ton petit-ami ? » Lily, elle écarquille les yeux, elle cesse de respirer. Et alors qu'elle redoute la réaction d'Abel... Celui-ci vient doucement soulever le visage de Lily. Tendrement.

Ouais, c'est moi.

Et elle reste figée, tandis qu'Abel se retourne une dernière fois pour mettre ko l'autre type, d'un seul coup. Lily elle hoquette entre deux sanglots, le temps de comprendre que c'est fini. Ouais, c'est moi. Et alors qu'Abel s'approche à nouveau d'elle, c'est sans réfléchir que la brune elle court jusque lui, enroule ses bras tremblants autour de lui. « Abe... Abe. » Elle baisse les bras Lily, elle a trop bu, et elle murmure son prénom comme une prière, tout en pleurant, le visage niché dans son cou. « Une minute... j't'en prie laisse moi juste... une minute. » Laisse moi avoir l'impression que c'est réel, juste quelques secondes, avant de devoir retrouver mes esprits. Elle reste là, dans ses bras, avant de reculer en baissant les yeux. « Ta main... » Doucement, elle enroule ses doigts autour de son poignet, se sentant terriblement coupable de sa blessure. « J'ai de quoi désinfecter ça à la maison.. » Et c'est difficilement qu'elle se décide à retourner vers la voiture, pour quitter ce bar où elle ne remettrait plus jamais les pieds.

Ce qu’il avait pour Lily, c’était archaïque. Sa réaction avait été bestiale, comme dicté par un instinct que l’Homme depuis la nuit des temps avait. Il avait eu cette impression qu’il devait tout faire pour la protéger, et une voix dans sa tête lui disait de se sacrifier pour elle, quoiqu’il puisse se passer. Etrangement, il aurait pu se prendre une balle pour elle qu’il aurait refait la même chose si c’était à refaire. Il se tourna alors vers Lily pour voir comment elle se sentait, et elle se jeta dans ses bras. Elle s’accrochait à lui comme si elle avait peur qu’il s’enfuit alors que ça n’allait pas être le cas. Il entendit la voix de Lily prononcé son prénom, mais raccourci. C’était naturel pour elle, d’une simplicité et Abel, instinctivement, enroulant ses bras autour d’elle. Il passa une main dans sa nuque pour la contenir contre lui pendant qu’elle lâchait des sanglots de peur. Il la serrait fort, fort, fort… Bien trop fort pour une fille qu’il ne connaissait que depuis une semaine.

Elle avait besoin d’un instant comme ça, dans les bras l’un de l’autre. Et il lui aurait même donné une minute de plus si elle avait eu besoin. Il passait son nez dans ses cheveux, respirant l’odeur de sa peau, les yeux fermés. « Chut, chut… Je suis là… » Une scène lui revint en mémoire. Un souvenir, ou un fantasme ou une idée, il n’en savait rien. Mais il se voyait à la bibliothèque, en train d’étudier. Incohérent. Mais il la voyait elle, proche de lui, véhémente, cherchant des réponses. Etait-il en train de faire un transfert sur elle ? C’était bien possible. Il ne voulait plus la lâcher. Il n’en avait pas envie. Et malgré la douleur persistante de son poing, Abel prenait goût à cette étreinte qui manquait de compréhension.

Elle recula doucement, lâchant sa peau. Une pointe dans le cœur qui passait comme un coup de vent, Abel leva la main pour constater les dégâts. A la maison. Il aimait cette expression. A la maison, car il avait ce sentiment à ses côtés. Ils se dirigèrent tout deux vers la voiture et Lily démarra le moteur pour se diriger vers leur résidence.

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Arrivé devant la porte, il sourit en sortant la clef avant que Lily ne le fasse. « Maintenant, c’est chez moi aussi ! » Et il déverrouilla la porte pour pénétrer dans la chambre en premier. Il enleva ses chaussures qu’il jeta en plein milieu de la pièce, et s’assit sur le lit de Lily en attendant qu’elle vienne s’occuper de lui. Décidément, elle n’arrêtait pas de l’aider.

Il est là. Il est là et rien d'autre ne compte, rien d'autre que la chaleur de sa main au niveau de sa nuque, son souffle planté dans ses cheveux, et sa voix qui, doucement, s'insinuait sous sa peau, dans ses veines, jusque son coeur. Peu importe combien elle luttera contre, Lily, c'est et ça sera toujours Abel. Son Abel. Et alors qu'il la serre dans ses bras, elle se surprend à retrouver ce petit espoir qu'un jour, il l'aime à nouveau, même si ça doit être sans se souvenir de cette soirée, de son accident, de tout ce qu'ils ont déjà vécu ensemble. Elle espère, tout en étant terrifiée de voir combien elle dépend de lui. Quand elle recule, elle inspecte directement sa main ensanglantée. Et même si elle voudrait continuer de se blottir dans ses bras, son instinct lui souffle d'abord de s'occuper de lui. Chez elle, chez eux.

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Il ne leur faut pas bien longtemps pour arriver jusque la résidence étudiante, au grand soulagement de Lily dont la conduite manquait d'assurance, entre l'alcool et ses mains qui tremblaient encore sur le volant. Elle porte la main à son sac mais Abel a déjà sorti la clé, et l'entrain avec lequel il s'approprie les lieux arrache un sourire doux à Lily. Elle le suit rapidement à l'intérieur, soupirant devant ses chaussures abandonnées au milieu de la pièce, que Lily repousse d'un bref mouvement du pied vers l'entrée, avant de retirer ses propres chaussures.  « Installe toi, je dois avoir une poche de glace au congélateur, faut faire dégonfler ta main. » Elle se dirige vers son petit frigo, d'où elle sort ladite poche, et récupère dans la salle de bain sa trousse de pharmacie, avant de venir, doucement, s'agenouiller devant Abel. « Je pense que ca va piquer. »  Doucement, elle prend la main du brun pour l'avancer vers elle, et appuyer la poche de froid dessus, les sourcils froncés. « J'ai pas eu l'occasion là bas de... te remercier. » S'il n'était pas arrivé à temps, est-ce que Lily aurait pu se défendre seule ? Et si non, que lui serait-il arrivé ? Un frisson désagréable lui remonte le long de l'échine, et elle pince les lèvres nerveusement.  « Je suis désolée... J'ai gâché ta première soirée post coma on dirait. » A croire qu'elle n'était bonne qu'à lui apporter des ennuis. Doucement, elle se risque à relever les yeux vers lui. Le regard coupable.

Sur le lit, les pieds autour du petit corps de Lily, Abel l’observait d’un regard intrigué. Il avait la tête penchée car elle était presque assise sur le sol et il lui tendait ses mains. Il fit une grimace quand elle passa la poche de glace sur sa main, surpris en fait d’avoir si mal. Il se demandait quand est-ce qu’il lui poserait toutes ces questions qu’il avait en tête, angoissant de ne pas pouvoir le faire rapidement, mais ça aurait pu l’effrayer. Et il n’en avait aucune envie. Elle était bien trop précieuse, bien trop douce pour le cerveau d’Abel et ses folies dérangées. Elle avait un visage, on aurait dit de la porcelaine. Il ne voulait pas la briser, c’était indescriptible. De Vinci aurait pu la peindre que son éclat ne serait jamais aussi bien ressorti. Les traits de son visage étaient fatigués, comme si la vie lui avait donné des coups de ciseaux dans la peau pour mal dessiner l’os de sa mâchoire, mais quand on observait bien, on savait. Abel savait que c’était parce qu’elle avait été présente pour lui. Et il ne restait pas par acquis de conscience, au final. Il restait parce qu’il avait envie de percer le mystère de Lily Abernathy. Elle finit par s’excuser d’avoir gâché la soirée. Son regard de culpabilité lui vint dans la gueule comme une gifle, et dans un geste familier, il frôla de son index du haut de sa mâchoire jusqu’à la pointe de son menton. Les yeux du garçon suivaient ce mouvement incertain, il tremblait légèrement sans comprendre pourquoi. Certaines fois dans la journée, il avait cru être un membre à part entière de la vie de Lily, mais aujourd’hui, il en était certainement devenu un.

« Ne t’excuse jamais. Pas auprès de moi. » Il ne voulait pas de ses excuses. S’il faisait les choses, Abel, c’est parce qu’il en avait envie. Il ne voulait pas que Lily se sente coupable d’avoir eu besoin de lui, ni même se sentir mal à l’aise. « Tu as été là où personne n’a été. Tu m’as soutenu pour je ne sais quelle raison obscure pendant mon année de coma. Alors ne t’excuse pas. » Il n’arrivait pas à détacher son regard. Elle était hypnotisante. Il entrouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais aucun son ne sortait, alors il resta bouche bée pendant quelques secondes. Les secondes les plus longues de sa vie. Jusqu’à son foutu téléphone brise ce moment de tension en hurlant sa sonnerie grésillante et dégueulasse. En serrant les dents, Abel soufflait et attrapa son téléphone au fond de sa poche. Il ne lâchait toujours pas Lily des yeux. « Oui Maman. Oui, demain midi si tu veux. Je te présenterais ma colocataire. » Il sourit à Lily. Sincèrement. « Non, tu payes tout. » Et Abel ne la laissa pas protester une seconde plus. Il raccrocha le téléphone. Tout son corps luttait pour ne pas embrasser la plus belle femme de l’univers, parce que d’une part, c’était une inconnue, et d’une autre, il ne voulait pas que ça se fasse comme ça. Pas maintenant. Pas là. Alors en clignant des yeux rapidement, il se releva pour aller vers son lit, brisant ce truc qu’il y avait eu. Il s’allongea, toujours la poche de glace sur la main, en tentant tant bien que mal de se déshabiller, et de se mettre en boxer. « Demain, première journée de cours, ça va être joyeux. Tu m’accompagneras ? » Il tourna sa tête vers Lily.

Elle s'en voulait, Lily. Elle pensait se rendre avec Abel pour veiller sur lui, et finalement, c'est lui qui a eu à intervenir pour la tirer de ce faux pas. Lui qui n'a pas hésité à se dresser entre elle et ce parfait inconnu aux mains baladeuses et paroles salaces. Pourtant, plutôt que de lui tenir rigueur de cette soirée écourtée, Abel vint, à nouveau, parcourir d'une main hésitante l'angle du visage de la jeune femme, jusque son menton. Et Lily, elle ne bougeait plus, le dévisageant comme si elle cherchait à mémoriser le moindre détail de son visage, du prisme de ses yeux à la courbe de ses lèvres. Et ses paroles ont un goût d'écho lorsqu'elles quittent ses lèvres, lui rappelant leurs premiers messages. Et arrête de t'excuser, j'en veux pas. Pas avec moi. Et le voir agir avec elle comme il l'aurait fait avec ses souvenirs lui gonfle le coeur d'une bouffée d'amour, si bien qu'elle se fait violence pour ne pas se hisser sur ses genoux, et rejoindre ses lèvres. Elle devait se rendre à l'évidence : souvenirs ou non, ce lien restait là, bien présent entre eux deux. Comme si un fil invisible les maintenait à proximité l'un de l'autre. Et quand bien même lui dire tout lui brûle les lèvres... Lily, elle se dit que finalement, peut-être que c'est la meilleure option pour elle. Qu'Abel la redécouvre à son rythme, sans histoires de fantômes, d'accidents, et de comas. « D'accord... » C'est tout ce qu'elle parvient à murmurer, tandis qu'elle enroule sa main libre autour du poignet du brun en fermant les yeux dans un soupir d'aise.

C'est la sonnerie du téléphone qui la tire de sa rêverie, et elle baisse promptement les yeux pour soigner la main d'Abel, et l'enrouler d'un bandage, pour finalement y reposer la poche de glace. Elle entendu une voix féminine, et comprend rapidement qu'il parle à sa mère. C'est seulement lorsqu'il la mentionne qu'elle lève les yeux vers lui, manifestement surprise. Mais le sourire qu'il lui lance est communicatif, alors Lily, elle lui retourne, le plus simplement du monde. Quand finalement il se redresse, elle l'imite. « Garde encore un peu la poche de glace, puis pose la avant de dormir. Essaie de trouver une position qui t'évitera de te blesser d'avantage en t'appuyant dessus. » Elle se remet doucement des dernières minutes, et se dépêche de prendre de quoi dormir pour mieux fuir vers la salle de bain quand elle voit Abel se déshabiller. Elle se déshabille à son tour, enfile un short noir et un débardeur blanc simples, et ordonne ses longs cheveux bruns en quelques coups de brosse rapide. Elle se démaquille lorsqu'elle l'entend lui demander de l'accompagner en cours. Si seulement il savait ce que ça lui fait, chaque fois qu'il manifeste l'envie, même infime, d'être avec elle. « Si tu veux oui.. j'ai rien de prévu. » Faux, elle avait cours, mais finalement, peut-être que le médecin n'avait pas tort en lui faisant une ordonnance. Elle se brosse rapidement les dents, et revient dans la chambre pour se glisser sous ses draps. La tête appuyée sur l'oreiller, elle observe Abel sagement, faisant la moue en silence. « Ca ne te stresse pas..? La perspective de devoir reprendre ta vie après un an sans avoir le contrôle ? » Après trois semaines déjà, Lily était déboussolée. Perdue. Bon, il y avait une raison majeure à tout ça : il lui manquait la pièce principale de son puzzle. Alors elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce que ressentait Abel, qui n'a pas vécu la même chose qu'elle.

Il s’enfonçait dans ses draps qui sentaient bons la lessive de sa mère. Juste en boxer pour dormir, il avait éteint sa lampe de chevet pour être à l’aise. Il sentait que le sommeil n’était pas loin, mais il savait aussi qu’il allait avoir du mal à dormir. Sa plus grande peur, c’était de ne jamais se réveiller. Et malgré la présence de Lily, il craignait que la situation se retourne contre lui et que jamais il ne puisse retrouver cette femme bienveillante et angélique qui allait le côtoyer au quotidien. Mais déjà qu’elle avait la vision d’un mec pas serein et pas forcément stable, il allait évité d’accentuer l’inquiétude qu’elle avait sur son visage. Pour l’instant.

Il réfléchit pendant quelques secondes à la question de Lily. Allait-il retrouver ses marques ? Allait-il suivre le fil des conversations ? Avait-il les capacités de se tenir là où il s’était tenu quelques années auparavant ? Il n’en savait rien, et Abel bon dieu que ça l’effrayait. Il n’avait pas encore conscience de la difficulté que ça allait être, d’autant plus qu’à l’époque, il était un gars respecté, craint même mais qu’aujourd’hui, il serait juste le redoublant. Il se mit alors sur le côté, faisant face à une Lily absolument magnifique dans sa tenue de nuit. Il regardait le drap épouser ses courbes d’un voile fin et léger sur son corps. Il ne voyait que sa silhouette, et ça rendait la situation d’autant plus sensuelle qu’il ne pouvait la voir dans la pénombre. Abel avait le drap posé jusqu’à sa taille, et il ne bougeait pas d’un millimètre. Étrangement, parler à Lily était facile, alors il utilisait ce moment pour se confier. « J’suis terrorisé. » Sa voix venait de baisser d’un ton, mais avait augmenté d’un octave. Il n’était plus sûr de lui. Moins de confiance, plus de craintes. Il passait sa langue entre ses lèvres. Allait-il réellement s’en sortir ? En avait-il envie ? Ou était-ce le contre coup du coma qui parlait ? Parce que de ce qu’il sentait, il voulait perdre le contrôle pour perdre la raison et s’enivrer jusqu’à oublier ses cauchemars. « J’suis pas sûr d’arriver à dormir en fait. » Il écoutait la respiration de Lily, qui était paisible et agréablement apaisante. Il fermait les yeux, juste histoire de se reposer. Il parlait encore un peu plus doucement, comme s’il avait peur que quelqu’un l’entendre. « Tu veux pas chanter ? » Sa question était directe. Et puis... Abel n'était pas le genre de garçon à prendre des gants ou des pincettes pour demander ce qu'il veut. « T’as une voix si… douce, belle. Je suis sûr que tu sais chanter. »

Elle l'observe dans l'ombre, la chambre à peine éclairée par la lumière nocturne à l'extérieur. C'est assez ironique de se dire qu'ils n'ont jamais été aussi proches l'un de l'autre lorsqu'ils étaient amoureux l'un de l'autre, sans souvenirs manquants pour entraver leur relation. En trois pas à peine, elle serait au niveau de son lit. S'ils tendaient chacun le bras, ils pourraient se toucher. Au lieu de quoi, elle sait qu'il l'observe, et elle le fait en retour, l'interrogeant doucement, comme si elle lui demandait quelque chose de secret. Et lorsqu'il avoue sa peur, la brune fronce les sourcils, et se fait violence pour ne pas se redresser et aller le rejoindre. « Oh... » Ca sort dans un souffle, parce qu'elle est surprise, Lily. Pas qu'il ai peur. Elle-même était terrifiée quand sa mère l'a déposée devant l'université pour son premier jour de reprise, même si elle l'avait demandé. Non, elle était surprise de l'entendre le dire de manière si honnête, comme s'il savait qu'il pouvait entièrement lui faire confiance. Et cette pensée lui arracha un sourire malgré elle.

Elle-même n'était pas trop sûre de savoir dormir correctement en le sachant dans sa chambre. Elle dormait déjà mal depuis son accident, et depuis son coma à lui, mais l'avoir si proche, et pourtant si loin... Ce n'était pas bien mieux. « Il est encore tôt, ça va venir... » Qu'elle tente de dire pour l'encourager, tendrement, alors que le silence s'installait entre eux deux... du moins jusqu'à ce qu'Abel lui demande de chanter. « Chanter ? » Qu'elle répète, pas sûre d'avoir compris. Mais si. Et Lily, elle sent le rouge enflammer ses joues lorsqu'il complimente sa voix. Se rend-il compte seulement de ce qu'il lui dit ? Est-ce qu'il lui demande de chanter parce que son subconscient se rappelle qu'elle aime chanter sous la douche ? Après un long silence, Lily se redresse, pour s'asseoir sur le côté de son lit, mains sur ses genoux. Et sans un mot de plus, elle commence à chanter. « One look at you; my whole life falls in line. I prayed for you; before I called you mine. I can’t believe it’s true, sometimes. I can’t believe it’s true... » C'est la première chanson qui lui vient à l'esprit, I get to love you de Ruelle. Si pure, si sincère. Et Lily, elle s'efforce de contrôler le ton de sa voix, alors qu'elle chante doucement pour lui. Rien que pour lui.

Abel s’efforça de fermer les yeux mais le mouvement ne se faisait pas. Il était trop focalisé sur les mouvements du corps de Lily. Pas dans un désir sexuel non… Plus dans un désir dissimulé de graver chacune des parties de son corps dans sa tête. Elle se redressa gracieusement sur le bord du lit et quand elle ouvre la bouche… Abel en a le souffle coupé. Il pousse un soupir, un brin d’air comme si son torse se compressait contre son coeur, ce dernier essayant de s’échapper de son corps pour glisser entre les mains d’une Lily à la voix d’un ange. Les paroles de cette chanson, elle paraissait comme un message, une promesse qu’elle lui faisait, et plus elle racontait cette histoire, plus Abel avait des frissons. Son corps était entièrement rempli de petits pics sur sa peau et, sans s’en rendre compte, ses yeux se mirent à briller. De l’humidité perlaient dans le coin de ses yeux. Heureusement qu’ils étaient dans le noir, la lune éclairant la seule distance qui la séparait d’elle.

Alors une petite étincelle s’illumina dans sa tête. Il la connaissait. Elle avait fait partie de sa vie, auparavant, mais le puzzle ne se mettait pas en place. Il n’arrivait pas à mettre son visage sur quelqu’un en particulier dans sa vie, mais il en avait la certitude : il connaissait Lily Abernathy. Alors il se contenta de la regarder prononcer ces mots d’amour, ceux qui seraient destinés à l’homme qu’elle aimera plus tard. Et cet homme serait bien chanceux.

Les derniers mots de sa chanson s’évanouirent dans un silence nostalgique, et en reniflant légèrement, Abel s’essuya le coin des yeux pour se remettre sur le dos. Il ne savait pas s’il voulait savoir qui elle était par le passé. Pour ce premier jour, il avait juste envie de savoir qui elle était maintenant. Il respirait rapidement, ému. « Lily, c’est… » Mais quels mots seraient assez fort pour décrire la divination de sa voix ? « Chante moi une chanson tous les soirs, et dans une semaine je ne ferais plus aucun cauchemar. » Et dans sa dernière phrase, il sourit. Le genre de sourire qu’on ne voit pas mais qu’on entend. Abel ferma les yeux sans s’assoupir. Il voulait rester à discuter avec Lily toute la nuit, sans dévoiler ses vérités. « Tu as déjà été amoureuse ? » Parce que dans son souvenir, lui, il ne l’avait jamais été. Et étrangement, il n’aimait pas cette idée, que tout le monde est connu l’amour sauf lui.

Lily, elle n'a jamais aimé chanter en public, et ce depuis l'enfance. Mais dès lors qu'Abel lui réclame une chanson, c'est sans réfléchir une seule seconde, un seul instant qu'elle se redresse sur le lit, face à lui, et qu'elle commence à chanter. Il n'y a pas une ligne qui ne lui fait pas penser à l'amour qu'elle lui porte. Pas un seul mot qu'elle ne pense pas. Et elle espère secrètement qu'un jour, il comprendra que cette chanson lui est destinée, et pas seulement pour lui permettre de se reposer.

Quand elle entonne les dernières lignes, et que la chambre se plonge à nouveau dans le silence, elle s'allonge à nouveau, glisse ses jambes sous ses draps timidement, avec un sourire fin sur les lèvres. Qu'est-ce qu'elle aime entendre son prénom sortir de sa bouche. « Dans ce cas, je t'en chanterai peut-être une tous les soirs. » Et elle sourit en retour, le plus simplement du monde, se doutant que lui aussi entendait son sourire dans sa voix. Ils n'avaient pas besoin de lumière pour se voir, au fond. Leurs émotions traversaient l'obscurité, pour parvenir directement l'un à l'autre. Lily soupira, se tournant sur le dos, mais son regard toujours tourné vers Abel. A sa question, son coeur fit un raté. Elle inspira profondément, avant de hocher la tête de haut en bas, seul le bruissement des draps répondant de prime abord au jeune homme. « Oui. Très amoureuse. » De lui. Avant Abel, Lily elle n'a jamais connu l'amour, elle n'y a même jamais songé. Sa mère lui parlait de fils de bonne famille et à l'avenir prometteur, mais rien qui intéresse la brune, rien qui fasse battre son coeur. Et elle n'ose pas lui retourner la question, Lily. Parce qu'elle se doute déjà de la réponse. Au lieu de quoi, elle demande : « T'as déjà cru au destin ? » Auparavant, elle pensait que tout ça, le destin, les âmes soeurs, c'était des conneries qu'on ne trouve que dans les livres. Puis elle a croisé sa route. Puis elle est tombée amoureuse. Puis tous ses chemins l'ont menée jusqu'à lui.

Son coeur rata un battement. Elle avait déjà été très amoureuse. En fait, elle n’avait même pas utilisé de verbe ou de conjugaison ou de temporalité. Potentiellement, elle pouvait être amoureuse en ce moment même de quelqu’un. Mais ce garçon se rendait-il compte du danger qu’il crée dans le champ d’amour de Lily pour la laisser courir à la vie aux côtés d’un autre homme ? Son petit-ami devait être un idiot. Personne ne méritait Lily, elle était trop pure, elle était trop bien pour ce monde de merde. Et Abel en connaissait quelque chose, de la merde de ce monde. Comme un effet d’ASMR dans la pièce, le bruissement des draps, les bruits de bouche quand ils parlaient, les respirations qui s’échappaient dans les airs… Tous cs sons étaient apaisants et emmenaient Abel dans une autre dimension.

Dans cette dimension, il y avait une grande maison, belle et charmante, accueillante surtout. Il y avait un balcon avec une rambarde en pierre, et il faisait bon. Abel sentait la brise sur sa nuque quand il vit une Lily arriver, portant un chemisier rose. Dans cette dimension, autour d’eux, il n’y avait pas de bruit, juste le souffle de l’air dans les feuilles de l’arbre au dessus d’eux, certains oiseaux nocturnes qui chantaient, une musique de fond un peu criarde, comme si des jeunes tentaient de mettre une ambiance bidon dans une fête adolescente. Et une silhouette lui apparaissait alors qu’il fumait une clope. Dans cette dimension, il prononçait son nom. Dans cette dimension, il n’y avait qu’eux deux.

La question de Lily le surprit légèrement. Mais il tenta de trouver une réponse plus juste et plus vraie, quelque chose qui se rapprochait d’une réalité concrète. « Je crois… Peut-être qu’une fois, oui. J’ai envie de croire que quelqu’un m’est destiné. Comme ce vieux mythe japonais, le fil rouge du destin… J’aimerais tant qu’il soit réel. » Il passa une main dans ses cheveux, cherchant ses mots pour paraître juste. « Et ça fait quoi d’être amoureux ? » Il posait cette question alors que la réponse, il la connaissait. Tristement, il n’avait toujours pas déverrouillé ce tiroir au fond de sa tête.