Son regard reste rivé sur le brasier dont les langues de feu dévorent désormais le corps calciné que le Roi Ivar, autoproclamé Dieu, a offert en sacrifice aux Dieux, ce soir, pour fêter son intégration parmi eux. La dépouille inanimée de la pauvrette offerte sous couvert d'être Lagertha pendouillant misérablement à l'horizon, Æsa détourne le regard, bousculée, son pichet de bière à la main. Les hommes ont soif, réclament leur dose et elle s'exécute, remplissant quelques chopines en faisant le tour des tables. On ne lui demande pas de réfléchir, de penser au sacrifice qui vient d'être fait. Tout ce qu'elle doit faire, tout ce que l'on attend d'elle, c'est qu'elle continue d'avancer et remplisse ces verres qui s'enchaînent. C'est exactement ce qu'elle fait.

On la bouscule et le pichet échappe de ses mains, attirant sur elle l'attention de tous quand il se brise. La jeune femme, déjà, s'agenouille pour récupérer les bris éparpillés au milieu d'une flaque de bière, le rouge empourprant ses joues, n'osant plus regarder personne. Elle a l'impression que tout le monde autour la regarde. L'impression que le silence s'est fait autour d'elle. Ou n'est-ce que le fruit de son imagination ? Elle n'ose pas relever le regard pour le vérifier, gardant la tête basse quand elle se redresse et s'éclipse pour jeter les bris qu'elle tient encore dans ses mains écorchées. Elle prend un nouveau pichet, un chiffon et revient dans la salle, posant le pichet sur la table avant de s'agenouiller de nouveau, essuyant ses bêtises avant de se redresser, reprenant son pichet pour reprendre le cours de son travail, la tête basse. Elle a l'impression que, si elle relève la tête, si elle croise un regard après ça, elle le regrettera. Alors elle s'emploie à garder le regard rivé sur le sol, surveillant ses pas, servant les verres de nouveau.

Face au feu, une main levée vers le ciel en guise de victoire écrasante, couronne de crâne de corbeau sur la tête, te voilà en train de savourer ta pleine puissance. La musique est assourdissante, les tambours essayant de recouvrir les cris des prêtres, ton peuple qui clame ton nom. Tes guerriers sont là pour assurer la sécurité des tiens, menaçant ceux qui pourraient se liguer contre toi. Tu rigoles à gorge déployée devant ce spectacle que tu offres aux Dieux pour annoncer ta venue au Panthéon. L’orage qui résonne derrière et bon signe. Thor accepte. Odin accepte. Les autres suivront et ainsi tu pourras guider les tiens comme il se devra.

Avant de voir la fin de bûcher, ta douce Freydis s’approche de toi, dans ton dos, posant sa tête sur ton épaule, te murmurant que le banquet n’attend que toi. Tu lui souris, amoureux, avant de la suivre, cherchant ton frère du regard, le seul qui est encore à tes côtés. Il est là, de l’autre côté de la berge, te fusillant du regard de ses yeux assombri par la nuit. Mais tu ne réagis pas, te contentant de lui sourire, l’invitant à suivre le mouvement. Tu n’es pas idiot.

Il désapprouve les choses, tu le sais. Pourtant, sans encombre, tu arrives jusqu’à ton trône. On t’habille pour que tu n’attrapes pas froid. Tu te poses, laissant tes valeureux hommes s’asseoir à la table au centre. Tu te poses tranquillement, et le repas commence à être servi. Mais alors que tu commences à manger tranquillement, un bruit se fait entendre. Un bruit étrange, qui se brise. Tu tournes la tête.

- Que se passe-t-il ?

Que tu demandes, haussant la voix. Freydis pose une main sur ton épaule, t’affirmant qu’il ne s’agissait que d’une esclave qui est tombée. Tu la cherches du regard et grimaces doucement. Tu siffles pour attirer son attention, qu’elle approche de vous, assez pour être entendu au milieu des braillements des vikings assoiffés.

- Qui es-tu ? Je ne t’avais jamais vu à notre service avant ? Qui l’a ramené ?

Que tu termines, te tournant vers ta femme.

Elle garde le regard rivé sur le sol, comme si cela pouvait la soustraire aux répercussions de son acte alors qu'elle redoute les ragots qui courent sur les hommes autour de cette table. On dit des choses sur eux à faire s'hérisser les cheveux sur quelques crânes. Un jour de fête comme celui-ci, où tout se doit d'être parfait, elle sait qu'elle ne vient pas vraiment de marquer des points. Elle sait qu'elle pourrait tout aussi bien perdre sa jolie petite tête... Ce n'était pas comme si la clémence était vantée parmi les mérites de ces hommes et elle, elle n'est rien, rien qu'une petite esclave. Un être passable, remplaçable, supprimable. Une moins que rien.

Malgré ses tentatives, elle entend qu'on l'appelle, ou plutôt qu'on la siffle et elle se fige en apercevant l'homme qui la fixe de ses yeux d'acier. Le maître des lieux, le roi de cette assemblée, le Dieu autoproclamé. Elle déglutit, ayant perdu deux teintes sur ses joues et s'approche, s'agrippant à sa cruche comme si le breuvage ou son contenant pouvait lui être d'une quelconque utilité.

Il veut savoir qui elle est, d'où elle vient, d'om elle arrive alors qu'il ne l'a simplement jamais vu à leur service, se tournant en direction de sa femme comme il termine, sans qu'Æsa ne sache si c'est elle qu'il interroge en fin de compte ou la blonde à ses côtés qui le dévore des yeux, d'un regard d'adoration. Elle n'est même pas sûre qu'ils l'écoutent lorsqu'elle répond alors à ces interrogations.

"- Je... suis Æsa, Roi Ivar. Je... J'ai... été vendue il y a très peu de temps."

Cet aveux lui est douloureux. Il y a un peu plus de quatre ans de ça, elle était encore une enfant libre. À présent, sa vie n'est plus que marchandage, passant de mains en mains, pas mieux considérée qu'un objet. Une situation qu'elle désespérait de plus en plus voir changer un jour. Elle commençait presque çà s'y habituer.