Hé, Skinny Benny !
Une méchante grimace déforme mon visage. Je déteste ce surnom et j'en ai ma claque qu'on m'appelle comme ça. J'aimerais être comme tout le monde. Que tout le monde puisse me voir comme je suis réellement, mais ça arrive que dans mes fantasmes. Je me retourne raidement pour faire face à la jolie voix qui m'a apostrophé sur le chemin de mon prochain cours et me retrouve face à la plus jolie fille du monde. Ses yeux sombres et doux me transpercent jusqu'à toucher mon âme ou en tout cas j'en ai l'impression. C'est ça qui bat furieusement dans ma poitrine, pas vrai ? Elle se retourne pour chercher quelque chose des yeux, et en suivant son regard, j'aperçois la bande des cheerleaders qui lui font un petit signe de la main en s'esclaffant. Loin d'être bête, je sais très bien que c'est de moi qu'elles se moquent. Et je sais aussi ce qui va suivre. J'aimerais disparaître, que les gens me laissent enfin tranquille. Heureusement, dans quelques mois, j'me tire d'ici. De ce lycée de ratés, de cette ville pourrie, de cette famille de merde. Tout va changer. Tu m'accompagnerais au bal de fin d'année ? J'essaie en vain d'accrocher son regard, avant de soupirer et de répondre à contrecoeur Tu devrais dire à tes copines de changer de blague. Elle me l'ont déjà faite l'année dernière. Excuse moi. Et je passe à côté d'elle, comme si elle n'était rien pour moi. J'étais devenu très fort à ce petit jeu qui consistait à faire semblant d'aller bien, d'connaître personne et d'avoir une vie quand même. La vérité, c'est qu'elle, je la connaissais depuis longtemps. Olivia dite 'Liv' Montgomery. Si son frère était le plus gros des enfoirés que ce monde ai connu, elle était un vrai rayon de soleil. Bien entendu, c'était ma voisine, et bien entendu, elle n'avait aucune idée que j'existais. Son frère par contre se faisait un plaisir de m'humilier à chaque fois qu'il me croisait. Depuis l'école primaire, j'avais un vrai problème de poids. J'étais trop maigre sous tout point de vue. Et plus j'étais maigre, plus j'étais stressé et moins je mangeais. C'était un foutu cercle vicieux.
A la maison, ça faisait un bon moment que ça allait plus. Ma mère avait complètement déraillé après le divorce. Mon père s'était lâchement tiré, et elle, elle avait sombré dans une dépression sans fin. Elle sortait plus de sa chambre, elle ouvrait plus les volets, je sais même pas si elle se lavait. Je vivais donc plus ou moins tout seul depuis l'école primaire, et ça me réussissait pas vraiment.



Après huit longues années d'études, j'allais enfin pouvoir faire le métier de mes rêves. Je voulais être biologiste. Je m'étais carrément découvert une vocation. Les sciences, la vie, les mystères, c'était mon truc. Après avoir reçu ma lettre d'admission pour Princeton, j'avais abandonné ma mère et toute mon ancienne vie pour m'envoler vers la côte est. Et à partir de là, tout m'avait sourit. J'avais trouvé un travail assez facilement en temps qu'agent d'entretien dans une salle de sport, dans laquelle je pouvais aller gratuitement, ce que je fis. J'y rencontrais un mec, Duke, qui m'initia aux merveilles que sont les protéines. Je pris rapidement du muscle et de Skinny Benny, je redevins tout simplement Ben. Le fait de reprendre ma vie en main m'apporta beaucoup. Je me trouvais quelques amis et fit la connaissance d'une fille avec qui je ne sautais pourtant jamais le pas, je restais vierge et un peu frustré. Je restais quelqu'un de plus ou moins introverti, d'un peu timide, même si je commençais à prendre de l'assurance. Je me cherchais. Et après huit années de fac, je m'étais plus ou moins trouvé. Il me manquait encore la partie la plus importante.



En voyant son sourire, j'en fit presque tomber ma glace. On est le douze août et la foule est extrêmement dense à Coney Island aujourd'hui malgré l'heure tardive. J'aurais jamais cru la revoir, et pourtant, elle est là, devant moi, plus belle que jamais dans sa robe colorée. Liv. Je peux pas m'en empêcher, je me fraie un chemin dans la foule et l'attrape par le bras en criant presque son nom, pour la regarder, voir son regard. Elle se retourne en regardant ma main sur son bras puis relève des yeux interrogateurs vers moi. Elle ne me reconnais pas. Elle ne sait pas qui je suis. On se connait ? Sa voix n'a pas changée. Toujours aussi douce et mélodieuse, et mon coeur n'a pas changé non plus, toujours en train de battre plus vite à son toucher, au point que j'ai l'impression qu'il va en exploser. Je dois saisir ma chance, c'est maintenant ou jamais. Ben Marshall du lycée. Mais tu te souviens surement plus de Skinny Benny. Si je me souviens bien, t'adorais la grande roue, viens faire un tour avec moi. S'il te plait. Tu me dois bien ça. J'avais dit tout ça d'une traite et j'attendais, le coeur battant, qu'elle me remballe, comme on l'avait fait tellement de fois, qu'elle s'en aille en riant avec ce mec qui me regarde méchamment parce que j'ai rien à foutre là, j'interfère dans sa relation avec Liv mais je m'en fous. Bizarrement, elle hésite avant de dire non, comme si j'avais eu une chance avec une fille comme elle. Quand je la regarde partir, les bras ballants et le coeur en miettes, je me dis que c'est pas fini, que j'dois me battre pour elle. Alors je les suis du regard tout le reste de la soirée, où qu'ils aillent, j'suis jamais loin. Et quand finalement, ils se dirigent vers leur voiture, je les suis encore. La main du mec traine négligemment sur ses fesses et ça me met en rogne. Liv finit par se rendre compte qu'un truc cloche et parait terrifiée quand elle se retourne et me voit derrière eux. Son mec a le temps d'ouvrir sa portière et de se retourner pour voir ce qu'elle attend avant qu'elle ne parle. Benny ? Qu'est-ce que tu fais ? C'est Ben maintenant, que j'ai envie de lui hurler à la figure. Mais à la place, c'est son mec qui prend la parole. Bon Benny c'est bon, ta maman t'a pas appris qu'on suit pas les demoiselles la nuit sauf si on est un putain de psychopathe ? C'est ce que t'es ? Hein, Benny ? T'es un psy... Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que mon poing s'abattait contre son visage. La surprise se peignit sur son visage lorsqu'il tomba à la renverse sous le choc. J'étais devenu fou, fou de colère, fou d'amour. Ou alors je l'avais toujours été. Complètement enragé, j'attends qu'il se relève pour pouvoir le frapper encore et encore, à en avoir les phalanges en sang. Mais il se relève pas. Et en fait, il se relèvera plus jamais. Oh mon Dieu. Dylan ? Benny, qu'est-ce que t'as fait ? Et c'est à peu près à ce moment là que la colère laisse place à la panique. La même panique qui envahit Liv. Elle se met à hurler et mon seul réflexe, que je me pardonnerais jamais d'ailleurs, ça a été de lui mettre un coup de poing. Surprise, elle a vacillé à son tour jusqu'à tomber. Je l'ai rapidement relevée et enfournée dans la voiture. J'ai pris le volant, fermé les portes à clef et supporté ses cris et ses pleurs jusqu'au Canada. J'ai roulé toute la nuit sans arrêter de repenser à ce que j'avais fait. J'avais tué un homme et kidnappé Liv. Ma vie était foutue. Lorsqu'elle finit enfin par s'endormir, je m'arrêtais dans une supérette sur la route et achetais une corde. Je dus m'y reprendre à trois fois avant de réussir à lui attacher les mains ensemble. J'arrêtais pas de m'excuser. Je m'en voulais, mais j'pouvais plus revenir en arrière. On allait s'exiler et vivre heureux. C'était la seule manière de bien finir cette histoire. Je m'arrêtais dans un motel au fin fond du Canada et cherchais un endroit parfait où m'exiler. J'ai trouvé une maison en à peine deux heures. Au bout du monde, dans le grand nord, en Alaska. En deux jours, j'avais un travail au norvegian polar institute qui n'avait pas été bien difficile à avoir étant donné mon niveau et le nombre réduit de personnes qui voulaient aller travailler dans un désert arctique. Puis j'obtins un crédit pour acheter la maison, et l'affaire était dans le sac. Je roulais jusqu'à la dernière route praticable puis embarquais sur un bateau où personne ne posa de question sur ma passagère, et heureusement vu le prix que j'y mis.