Elle rouvre les paupières brusquement, ses yeux rencontrant le plafond la surplombant et grimace. Une main entre ses cuisses, sortie de ses pensées par le bruit d’un ronflement à ses côtés, elle fulmine en jetant un regard au type avachi à côté d’elle, souriant dans son sommeil comme un bienheureux. Il peut. Il a baisé. Et jouit, lui. Elle, elle s’est encore faite avoir. Faut croire qu’elle le fait exprès, de choisir des tocards avec qui passer la nuit, pour finir frustrée comme elle l’est maintenant. C’est presque toujours pareil. Comme si elle avait un radar pour dégoter les pires mecs qui soient, à défaut de pouvoir avoir celui qui lui plaît vraiment, le seul qu’elle veut, le seul qu’elle a toujours voulu et, aussi, celui qu’elle ne peut pas avoir, parce qu’il semble que personne ne le peut. Sonny Aagaard. Et non content d’être un mauvais coup, le mec endormi à côté d’elle semble ne même pas être décidé à la laisser fantasmer un peu pour rattraper le coup.

Poussant un soupir, elle se redresse dans le lit de l’inconnu, se lève, récupère ses affaires sur le sol et se rhabille à la hâte, dans la pénombre de la chambre, avant de se barrer. Elle ne laisse pas son numéro, elle ne risque pas de rappeler. Elle ne risque pas d’avoir envie de le revoir. Sûrement pas. Alors sortant de la chambre, elle récupère son téléphone dans la poche de son pantalon et jette un regard à l’heure sur celui-ci. 00h08. Un peu plus d’une heure de sa vie perdue. *L’bon côté des choses, c’est qu’le massacre n’aura duré qu’dix minutes, lui.* Pas que ce soit une chance en soit.

Sortant de l'appartement silencieux, la demoiselle porte son téléphone à son oreille, l'écoutant sonner dans le vide dans un premier temps jusqu'à ce qu'un mec décroche, à l'autre bout du fil. Celui avec qui elle aurait préféré passer sa soirée. Celui qu'elle doit s'astreindre à ne voir que comme un ami. Du moins, elle peut essayer.

"- B'soir Sonny, c'est Ingrid. J'suis désolé d'te déranger de ces heures mais euh... J'suis chez un type là et j'me demandais... Si ça t'ennuierai d'passer m'prendre ? Ma voiture est toujours dans ton atelier alors..."

Elle pourrait commander un uber, elle l'aurait fait s'il avait été plus tard, mais si elle peut éviter de lâcher plus de trente balles dans une course de vingt minutes, surtout en fin de mois et avec le coût des réparations de sa voiture que le garage va bientôt lui réclamer...

Tu dormais. Enfin, jusqu’à ce que ton téléphone sonne. Tu as sursauté dans ton lit en grimaçant, cherchant ton portable à la sonnerie, les yeux fermés. Tu soupires un peu avant de tenter d’ouvrir les yeux pour voir qui te dérangeait comme ça à une heure pareille. Il était quoi ? Minuit passé ? En plus. Tu soupires, passes une main sur ton visage et plisse les yeux pour lire correctement le nom et te pinces le nez.

- Oh merde.

Que tu te dis à toi-même. Parce que oui, si tu voyais ce nom sur ton écran, c’est que la personne de l’autre côté avait besoin d’aide. Ou du moins avait besoin d’un coup de main, un chauffeur ou du moins, une présence. Tu ne la connaissais pas bien au départ. Du moins de loin. Elle venait souvent au garage à cause de la proximité de quartier et pour le rapport qualité prix. Puis vous aviez sympathisé, parce qu’elle connaît Silas et sa brune. Enfin, sa brune… La professeur des écoles qui n’est pas sa copine, mais vous saviez avec ton frère que si.
Tu décroches alors en souriant.

- Hey. Salut Ingrid. Quoi de neuf ?

Tu l’écoutes attentivement, te déplaçant dans ton lit pour t’asseoir sur le bord en te massant le front. Tu grimaces en te levant, cherchant tes vêtements qui traînent un peu partout au milieu de ta chambre, y compris ton boxer.

- De quoi ? Tu fous quoi chez…

Tu essayes de t’habiller un minimum pour te préparer à l’éventualité de devoir sortir. Tu n’aimes pas ce que tu entends de toute façon. Elle était où encore ? Elle a découché avec qui ? Tu soupires un peu. Tu mets un jogging, une simple veste sur toi, sans prendre un t-shirt et soupires. Tu récupères tes clés et râles doucement et attends son accord avant de quitter l’appartement.

- Ouais nan, réponds pas. J’arrive. J’suis en moto par contre, ça te va ? Envoie-moi l’adresse si c’est bon. J’vais tenter d’rouler vite.

Elle l'emmerde, c'est sûr. Il faut dire qu'il est un peu plus de minuit. A peine plus, mais quand même. Assez tard pour qu'il soit sûrement en train de dormir, même si c'est vendredi soir. Demain matin, il compte peut-être bosser quand même et il a sa journée dans les pattes alors il avait sûrement prévu autre chose que d'aller chercher qui que ce soit où que ce soit. Et puis, elle aurait l'air fine, s'il n'était pas seul. Cette idée la frappe comme il vient tout juste de décrocher, s'inquiétant de savoir ce qui lui arrive. Sonny a tout du mec volage, qui ne se pose jamais mais flirte beaucoup. Alors peut-être que ce soir il était en train de faire exactement la même chose qu'elle. Elle aura l'air maline, si c'est le cas.

Elle sent qu'il est contrarié à l'autre bout du fil quand elle explique ce qui se passe, quand elle formule sa demande, l'homme semblant se demander ce qu’elle fou chez un mec. Sa question ne provoque rien de plus qu’un sourire coupable sur les lèvres de la demoiselle. Ouai, elle sait, c’est pas ce qu’elle fait de plus glorieux dans sa vie mais… C’est simple, c’est con, elle n'arrive pas à être seule. Elle déteste ça. Et pourtant sa vie n’est que solitude. Que dépendance à l’attention qu’elle peut trouver n’importe où, comme une droguée qui cherche sa came. La sienne, c’est l’affection. Et pour se la procurer, hé bien, elle cherche un peu n’importe où, aussi factice ce qu’elle récolte puisse-t-il être. C’est mieux que rien. Mieux que la solitude de son appartement.

"- Ouai, euh... C'est une longue histoire."

Pas vraiment. L'histoire est plutôt simple, en réalité. Plutôt que d's'envoyer en l'air avec l'homme qu'elle veut vraiment, elle se contente des pauvres types qu'elle peut croiser dans les bars, parfois même à l'hôpital, parce que c'est beaucoup plus simple que d'ouvrir son cœur devant Sonny, beaucoup plus simple que de prendre le risque de finir le cœur en miettes, beaucoup plus simple que d'oser montrer ses failles. Mais elle va pas lui dire. Elle peut pas lui dire.

"- Merci ! T’inquiètes pour la moto, j’sais. Ça ira."

Elle est en jupe, en réalité, mais peu importe. Elle s’en fout, tant qu’elle peut se tirer de là au plus vite. Enfin, elle s’en fout surtout si Sonny vient la chercher. Il pourrait venir à bicyclette qu’elle ne s’en formaliserait pas plus que ça. Non pas qu’elle l’imagine sérieusement sur ce genre de deux roues non motorisés, à vrai dire.

"- J’t’envoie ça. Soit prudent…"