- J'ai au moins cette chance avec mes parents. Ils me laissent tranquilles de ce côté là.

Parce qu'ils ont bien conscience qu'avec mon handicap c'est compliqué de trouver quelqu'un qui veuille bien de moi. Ils sont surtout inquiets de savoir comment je me débrouille, si je prends assez soin de moi.

Je tentais de suivre sa conversation et de suivre en même temps le film. Même avec l'audiodescription il y avait des choses que j'avais du mal à appréhender. De quoi pouvait bien avoir l'air un pull à tête de cerf et pourquoi c'était un tel tue l'amour pour elle à ce moment là? Bon... il devait certainement y avoir une bonne raison. Je pouvais comprendre le type par contre. Elle ne faisait pas vraiment une bonne impression.

Je ris en l'entendant parler des macarons qu'il était entrain de savourer.

- Il faudra peut être que j'en goûte moi aussi à l'avenir. Tu me donnes envie.

Je restais silencieux, essayant de me concentrer sur le film. Et de le comprendre aussi. Apparemment elle critiquait la tenue du Marc alors qu'elle même portait des vêtements affreux. Ouais... mal placée la fille pour faire des commentaires. Et puis qu'est ce qu'elle en avait à faire de la façon dont il était habillé? Si ça se trouvait c'était un mec adorable, charmant, attentionné et tout. Je ne savais pas comment elle était mais vu sa façon de parler d'elle, elle ne devait pas être un canon de beauté non plus.

Je gardais cependant pour moi mes réflexions. Je passerais un peu trop pour le mec qui ne comprenait rien à un film pourtant simple.

« Oh t’en as de la chance ! Mes parents, ils essayent de me caser avec n’importe quel gay de France. Sans rire. Dès qu’ils rencontrent quelqu’un d’homosexuel, ils me le mettent dans les pattes. Ils ont pas encore compris que l’homosexualité n’est pas le seul critère que je recherche chez un mec. » Et Louis en rigolait parce qu’ils voulaient bien faire mais c’était un peu lourd des fois. Du peu qu’il en savait, il ne lui semblait pas qu’on essayait de caser tous les hétérosexuels ensemble juste sous prétexte qu’ils avaient la même orientation sexuelle. « Je partagerais bien mais le temps de te les ramener on louperait une bonne partie du film. » Est-ce que ce serait vraiment un problème ? Non. L’inconnu du téléphone valait mieux que n’importe quelle Bridget Jones du monde. Mais Louis aimait l’idée qu’il ne se précipite pas dans les bras d’un homme sous prétexte qu’il était seul. Ça changeait. C’était plus prometteur qu’à l’ordinaire et ça lui permettrait de savoir s’il était victime d’un coup de coeur passager ou non. Parce qu’on pouvait bien parler de coup de coeur. Il restait silencieux mais Louis, en bonne pipelette, était tout l’inverse : « Moi je trouve qu’ils vont bien ensemble tous les deux. Franchement ça se voit ! Je sais pas ce qu’attend ma mère pour me présenter un mec comme ça. » Et il s’était enfourné un autre macaron qu’il avait fait glisser avec du champagne. A ce rythme-là, il aura vite fini. « Mon Dieu, la cigarette ça gâche vraiment tout. » Et c’était rédhibitoire. Son inconnu ne pouvait pas fumer, ça pue et ça gâche tout le potentiel jeunesse. A moins qu’il fume ? Louis avait un doute maintenant et il espérait ne pas avoir commis d’impair.  

- Après elle n'a pas complètement tord, ça reste un critère important.

Je ris doucement en lui faisant cette remarque. Bon je pouvais oublier l'idée de réussir à suivre correctement le film, mon inconnu était une vraie pipelette. Et il valait mieux que je me concentre sur sa conversation plutôt que sur le film.

- Garde les. Je m'en voudrais de t'en priver, tu as vraiment l'air de te régaler.

Sans parler du fait que je n'étais vraiment pas prêt à le rencontrer. J'aimais bien notre petit rendez vous téléphonique. Je n'avais pas envie de tout foutre en l'air en venant le rencontrer. J'allais forcément changer l'image qu'il devait s'être fait de moi. En négatif bien entendu.

- Tu as envie qu'elle te présente un avocat avec un pull à tête de cerf?

Pour le côté avocat c'était foutu mais je pouvais bien mettre un pull à tête de cerf si ça me permettait de me rapprocher de lui. Après je voyais là où il voulait en venir. Il avait l'air d'être le genre de mec sérieux, posé et réfléchi. Elle n'était pas du genre à craquer sur des mecs comme ça, plutôt sur les connards dragueurs et beaux parleurs. Je sentais que ça allait être le fond de tout le film. Et qu'elle finirait avec l'avocat à pull tête de cerf.

- Arf oui bien sur. Je déteste les fumeurs.

Hein? J'avais raté un truc? Elle avait fumé à l'écran? Ou c'était le mec au pull cerf qui avait fumé? Ca allait coincer pour ça? J'étais vraiment largué moi dans ce film...

Louis avait partagé un rire quand son inconnu du téléphone avait dit qu’être gay restait un critère important pour le fréquenter. Il n’avait pas tort. Il suffisait de croiser un homme hétéro pour le comprendre. Dieu merci, ça ne lui était encore jamais arrivé de jeter son dévolu sur quelqu’un qui ne partageait pas la même orientation sexuelle que lui. Manquerait plus que ça. « Trop gentil. Je t’en ramènerais un jour. » Est-ce qu’il s’emballait un peu ? Sans doute. Il n’empêche qu’il parlait ouvertement d’un après, d’un futur commun. Il n’en avait même pas honte. Le téléphone, ça évitait d’avoir trop peur de la réaction de l’autre. Louis se sentait un peu plus libre. « Juste un gars bien… Gentil. Simple. » qu’il avait rectifié, un peu plus sérieux pour le coup. La simplicité, ce n’était pas vraiment son fort. Et justement. Il était certain d’y gagner à l’être davantage alors quoi de mieux que de fréquenter un homme simple ? « Les pulls à tête de cerfs, clairement je les brule. » qu’il avait rigolé ensuite, plutôt sérieux pour le coup quand même. Même Noël ne justifiait pas un vêtement aussi immonde. Noël pour Louis, c’était l’occasion d’être plus chic que jamais. Il ne loupait jamais une occasion de se mettre sur son 31. « Ah super, tu me rassures ! » qu’il s’était exclamé quand l’inconnu lui avait confié détester les fumeurs également. Louis bénissait les gens qui avaient rendu la cigarette interdite dans les lieux publics. Pour autant, il était toujours forcé d’être en apnée sur les tarasses parisiennes. Pourvu que ça change un jour aussi. « Et le voilà… Daniel. LE beau-gosse. » Le fim continuait de tourner, on en apprenait plus sur l’environnement de travail de Bridget. « C’est ça mon problème : je fréquente que des Daniel alors que je devrais trouver un Marc. » Rectification faite, Louis était littéralement un Daniel. Mais il n’allait quand même pas lui dire, si ?

- On cherche un peu la même chose...

Un gars gentil, simple, qui ne se prenait pas la tête avec son apparence, ce qu'il portait ou ce qu'il mangeait. Un mec avec qui je pourrais rire ou passer de bons moments, qui ne me verrait pas juste comme un aveugle.

J'éclatais de rire en entendant son avis tranché sur les pulls à tête de cerf.

- Heureusement que je n'en ai pas dans ma penderie.

Angie, ma meilleure amie, assistante, coach de vie et personnal shopper m'interdisait de porter des trucs de ce genre. Je n'avais aucun vêtement ridicule selon elle dans mon armoire. Moi je m'en fichais, je ne le voyais pas. Mais elle tenait à ce que je sois bien habillé et j'étais d'accord avec elle. Je ne devais pas être mal habillé sous prétexte que je ne voyais pas. Surtout que j'étais un artiste, aveugle ou pas je devais garder une certaine image.

Je parlais comme si on allait vraiment se rencontrer un jour, comme si le contenu de ma penderie était réellement important pour lui, alors que j'étais terrifié à l'idée qu'il me rencontre.

Je ris alors qu'il m'expliquait que LE beau gosse venait d'arriver. Entre la musique, le commentaire audio et la présentation qu'en avait fait Bridget elle même, je comprenais que le beau mec qui allait lui briser le coeur venait d'arriver.

- Laisse moi deviner. Elle va sortir avec lui. Il va lui briser le coeur parce que sous ses airs de beau gosse c'est un salaud comme elle l'a si bien décrit. Puis elle finira par se rendre compte qu'il faut qu'elle arrête de courir après les Daniel et qu'elle ferait mieux de se mettre avec Marc, même si il a l'air d'avoir un balais dans le cul et qu'il porte des pulls à tête de cerf.

Bon si c'était bien ça, je devrais pouvoir suivre à peu près. Mais pour le moment de ce que j'arrivais à suivre j'aimais bien. C'était léger et drôle. Et la compagnie avec laquelle je profitais du moment ne faisait que le rendre encore meilleur.

- Dans le fond on est tous un peu comme Bridget. On s'accroche avec des mecs qui nous font du mal et on passe à côté de celui qui nous correspond vraiment.

« Je crois bien, oui. » Louis avait lâché un petit soupir. Ils cherchaient la même chose, oui. Mais est-ce que ça voulait dire qu’ils pourraient se le donner l’un à l’autre ? Ok, Louis s’emballait beaucoup. Pourtant, quand l’inconnu s’était réjoui de ne pas avoir de pulls à têtes de cerf dans son armoire, Louis n’avait pas pu s’empêcher de dire : « Une chance, oui. Ça t’évitera de me voir jouer les pyromanes dans ton dressing ! » Le coeur de Louis rata un battement. Est-ce qu’il allait le trouver trop avenant ? Il avait l’impression que le feeling était là. Il parlait facilement, sans trop réfléchir à ce qu’il disait. « Heyyy ! Mais comment tu fais ça ?! T’as dézingué l’intrigue du film en deux secondes top chrono ! Pauvre Bridget, elle serait furax de savoir qu’elle est si prévisible. » qu’il s’était amusé à dire alors qu’une scène très équivoque du film se déroulait sous ses yeux. Celle de l’histoire de la mini jupe et du mail. « C’est clair. Une belle gueule ça peut tous nous faire faire croire n’importe quoi. Enfin, ça ne dure pas… Regarde le Daniel là, s’il était moche, ce serait direct du harcèlement sexuel et il aurait de gros problèmes. Là, bizarrement, ça passe ! » Et de la part de quelqu’un qui attachait autant d’importance à sa belle gueule, c’était un peu fort. Et pourtant. Louis le pensait. Tout comme il pensait être autre chose que seulement un physique. Enfin, il essayait ?

- Ca passe parce qu'il lui plait. Elle n'attendait que ça de sa part. Elle fantasmait déjà sur lui. Quand il a commencé à la draguer, elle s'est dit "super il partage ce que je ressens". Elle était terriblement heureuse de voir que ses sentiments sont réciproques.

Elle trouvait qu'il avait une belle gueule, et Louis aussi de toute évidence. Mais moi je n'en avais rien à faire. Je n'étais pas comme eux. Je n'allais pas tomber sous le charme de quelqu'un parce qu'il était canon. Moi c'était la personnalité des gens qui m'attiraient.

- La limite entre être un harceleur et un super dragueur, tiens juste à une histoire de consentement. Si tu craques pour quelqu'un, même des blagues sur une jupe vont te séduire. Si c'est quelqu'un pour qui tu ne ressens rien, que tu n'as pas envie de te rapprocher de cette personne alors tu vas le vivre comme du harcèlement. Le mec peut être canon, mais si tu ne l'aimes pas, que tu trouves que c'est un connard, tu vas quand même te sentir harceler je pense. Enfin je n'en sais rien, ça ne m'est jamais arrivé.

Je lâchais un petit rire pour essayer de détendre un peu l'ambiance. J'étais devenu un peu trop sérieux en parlant de tout ça, je m'étais un peu emballé et je risquais de le faire fuir. Je ne voulais pas passer pour le Marc parfaitement chiant.

Est-ce que Louis écoutait une leçon sur le consentement avec intérêt ? Pour la première fois, oui. Ce n’était pas qu’il n’en avait rien à faire hein. C’est juste que c’étaient des questions qu’il ne se posait pas. Est-ce que si quelqu’un lui mettait la main au cul sans son consentement il serait furax ? Oui. Et ce même si ce quelqu’un était canon. Alors… Il comprenait ce que son inconnu du téléphone disait. « Personne ne t’a jamais harcelé sur ta jupe ? » Oh pitié, non, pourvu qu’il ne soit pas ce genre de gays. Louis n’avait rien contre, évidemment, ce n’était juste pas ce qui lui plaisait. « Je rigole mais oui… Je crois que t’as raison. » qu’il avait tout de même fini par affirmer sur un ton plus sérieux cette fois. Il venait de finir sa coupe de champagne. Oops. Rapidement, il s’était resservi. Est-ce qu’il allait finir pompette au téléphone avec son inconnu ? Peut-être bien. A part s’il épongeait ça avec un peu de sucre. Ce qu’il fit en avalant un autre macaron. « Go, Bridget ! Joue les filles dures à avoir, fais courir ce Daniel ! » qu’il s’était enthousiasmé alors que la blonde lui refusait un rendez-vous. C’était quelque chose dont il était lui-même incapable. Quand il avait un coup de coeur, il fonçait tête baissée.

- Je porte toujours des jupes de longueur raisonnable voyons.

Je riais légèrement en disant ça. J'étais soulagé de voir que l'ambiance restait joyeuse et détendue. J'avais eu peur que mon petit discours sur le consentement et le harcèlement sexuel ne soit un peu trop moralisateur.

Je terminais ma crêpe avant d'attaquer enfin les macarons avec une petite coupe de champagne. Je savais déjà que j'allais rester sérieux ce soir. J'avais déjà toutes les peines du monde à suivre le film et la conversation, si je venais à boire ce serait encore pire. Je ne buvais que rarement. Tout devenait beaucoup plus compliqué quand j'étais alcoolisé. Me déplacer, me concentrer sur les conversations, sur mes gestes... c'était impossible en ayant bu. Je prenais un verre mais jamais plus.

- Tu veux rire? Elle est déjà entrain d'organiser leur mariage. Elle va tout faire pour être sublime lors de la soirée pour être certaine de pouvoir se glisser dans son lit. Je suis certain que si il lui propose, elle rentrera avec lui après la soirée.

Elle ne pouvait pas résister à une belle gueule. Pour le coup je ne la comprenais pas trop. Je ne trouvais rien d'attirant à ce Daniel. Trop prétentieux, imbu de lui même, certain de son charme et que Bridget ne pouvait que finir dans son lit. Sur ce dernier point il n'avait pas vraiment tord.

- Je préfère largement Marc.

Lui au moins il était sérieux, le genre de mec sur qui elle pourrait compter. Et si il s'intéressait à elle, ce serait parce qu'elle lui plaisait vraiment.

« Tant mieux. J’ai pas envie d’être jaloux. » qu’il avait rigolé en retour, espérant bien qu’il ne soit pas sérieux quand même. Il n’en avait pas l’air. Même pour ce qui était de l’humour, ils avaient l’air d’être sur la même longueur d’ondes. Louis rigolait. Mais pas trop. Il avait tendance à être jaloux… parce qu’il ne s’était jamais senti en sécurité dans une relation. A tout moment, l’amour lui filait entre les doigts et il se retrouvait tout seul. Louis avait déjà bien attaqué la bouteille de champagne. Heureusement, il tenait plutôt bien la route. Les macarons défilaient dans sa bouche un par un. Il allait se péter le ventre et, mon Dieu, ça n’arrivait jamais. « Encore une qui va tomber de haut… Je sais ce que ça fait. » Oh oui. Certes, Louis enchainait les relations amoureuses et pas que. Mais, des fois, il croyait vraiment. C’était le cas du gars qui lui avait donné le numéro de son inconnu du téléphone. « Marc est… mignon. » Louis avait marqué une pause le temps de finir ce qu’il avait dans la bouche. « Mais Daniel est carrément sexy. » Louis avait soupiré. « Tu vois… Quand je te dis que c’était ça mon problème ! Tu connais un bon psy sur Paris toi ? » Louis avait rigolé de nouveau, entre humour et vérité.