Elle n’a pas l’air d’avoir tellement envie d’apprendre à préparer un cocktail mais tu la comprends, si tu savais pas le faire par cœur tu serais bien trop ivre pour t’y essayer. D’ailleurs tu soupçonnes que le prochain verre sera probablement le dernier… avant au moins quelques heures. « Ok, un Mai Tai pour la demoiselle. » Tu te mets à l’œuvre avec un petit sourire sur tes lèvres tout le long. « Ouais, n’y prends pas trop goût, » tu dis pour la taquiner. En vrai c’est un truc avec lequel tu es généreuse. Tu pourrais inventer mille cocktails rien que pour elle. « Sauf si j’ai quelque chose en échange. » Ah voilà, tu disais ça juste pour avoir une monnaie d’échange. Mais tu rends clair que tu la charries.

Tu attrapes un shaker et tu commences à y mettre le rhum, puis le sirop d’orgeat, le cointreau. Tu évites de trop le charger quand même. Elle ne regarde pas, son attention est captée le mouvement amorcé vers la sortie. « T’inquiète, je bosse ici. On va rester en douce, même s’il faut se planquer derrière le bar, » tu ajoutes faisant mine d’être sérieuse. Tu aimes bien t’approprier les lieux au moment où ils sont désertés, à côté des règles. En solitaire. Tu presses un citron vert dans le shaker, puis tu fermes et tu le frappes avec énergie avant de verser son contenu d’un geste élégant dans un grand verre carré. « Voilà ! » tu dis avec un grand sourire, en le décorant d'un quartier de citron.

Elle s'active, secoue le shaker, rajoute des ingrédients avec une facilité déconcertante. Tu avais essayé une fois, avec un shaker acheté en italie, mais tout tes cocktails étaient infâmes, "trop de" à chaque fois. Puis tu regardes la sortie, perturbée par ce traquenard. « Dis-moi alors, quel est ton prix ? » Les yeux de biches plongé dans le regard de Leo te font oublier ses inquiétudes précédentes quant à la fermeture. Leo t'a conduite comme une reine depuis le début, pourquoi douter dès à présent ? En réalité, tu es déjà prête à faire n'importe quoi, prendre une cocktail de plus n'est réellement pas raisonnable.

« Yes, je suis jamais allée derrière un bar, rêve de gamine. Enfin non, d'ado quoi, gamine c'est glauque. » Faudrait pas qu'elle pense que tes parents te traînait dans des bars non plus. Enfin, tu en as un chez toi de bar, mais rien à voir avec l'ambiance d'un pub. Même si une fois le bar vide, tu n'auras plus vraiment l'occasion de te la jouer barmaid à part avec Leo et il faut vraiment que vous arrêtiez de boire. Pourtant, sans rien dire de plus, tu goûtes dans le verre. « Mais c'est SUPER SUPER bon » t'exclames-tu un peu fort avec trop d'enthousiasme. « Tu veux goûter ? Ah oui j'suis con. »

T’as encore le verre dans les mains quand elle rentre dans ton jeu et te demande quel est ton prix. Tu plantes tes yeux dans les siens. Tu focus malgré l’alcool, tu fais le point. La chaleur, la musique, l’agitation de la fermeture égarent tes sens, mais tu la regardes avec intensité. Tu sais tellement ce que t’as envie de dire. Mais bon. « Mmh… je me laisse encore le temps d’y réfléchir. » Tu souris, tu lui tends le verre, elle goûte et ça a l’air de lui plaire. Elle te demande si tu veux goûter. « Ok, » tu dis même si ça paraît assez incongru vu que t’es barmaid, et t’attrapes une paille que tu plonges illico dans son verre. Tu ris. Tu ris beaucoup. En fait, t’es sacrément ivre.

Tu te hisses sur le plan de travail pour t’assoir, cales tes mains entre tes jambes qui balancent. Tu la regardes boire le cocktail à petites gorgées. C’est quand même incroyable qu’elle soit encore là. Elle t’a fait confiance, elle t’a suivie, sans se lasser. Et tu en sais si peu d’elle. T’as soudain envie de lui poser mille questions incongrues. « Alors Marjo… Dis-moi. Selon toi, c’est quoi alors, le grand dessein de l’univers ? Selon toi, est-ce qu’il y a un sens à tout ça ? » tu demandes de but en blanc, la mine sérieuse, la mine importante même, un grand geste vague autour de toi comme si vous étiez encore dans le ciel étoilé.

Elle boit dans ton verre et tu as l'impression de partager un truc un peu ouf avec elle. Tu souris béatement. Ouais, clairement, tu as déjà trop bu. Soudain tu ne maîtrises plus, ses yeux sont directement branché dans les tiens, sa voix est douce et profonde, tu as l'impression que vous venez de franchir un cap. Qu'elle veut sortir des choses au plus profond de toi. Maladroitement, tu bégaies. Puis tu t'arrêtes, bois un coup, tousse, t'aurais pas du, souris et réfléchis. « Franchement, je sais pas trop, je me pose rarement des grandes questions comme ça, j'ai plutôt toujours fait comme on m'a dit et on m'a appris. Je crois que je suis partisane d'une force surnaturelle, qui aurais créé tout ça, parce qu'objectivement pour tomber sur une planète pareille on a eu une chatte du diable. » Tu te mords la lèvre. « Ouais non enfin tu comprends, je suis juste là pour profiter au jour le jour, je n'aime pas imaginer un futur parce que j'ai peur trop d'être déçue, c'est du réalisme ou du pessimisme ? J'en sais rien, mais c'plus simple. » Who, le discours pas du tout cohérent, mais il est trop tard. « J'peux te poser la même question ? Histoire que tu vois qu'c'est pas aussi simple de répondre... » Sourire taquin.

Tu ris à la fin du début de sa réponse, alors qu’elle se mord la lèvre, visiblement incertaine de ce qu’elle dit. Tu ris parce qu’elle est drôle sans s’en rendre compte, parce qu’elle a toujours cette fraîcheur ingénue qui te désarme. Et pour autant, tu trouves que sa vision des choses est pleine de courage. Quand elle termine, tu l’attires à toi avec une de tes jambes et tu passes nonchalamment tes bras autour de son cou. Toujours assise sur le bar, tu la regardes, un peu au-dessus d’elle. « T’es pas pessimiste. Tu dis des grandes choses, avec l’air de rien, tu crois en plein de choses belles. C’est juste que t’es humble, t’as un cœur pur. » Le tien, il se mettrait presque à s’emballer. « En fait, t’es probablement la personne la plus positive que j’aie jamais rencontrée. »

Tu la libères de ton étreinte pour prendre appui derrière toi. « Moi je ne crois pas que grand-chose ait vraiment du sens. C’est sans doute pour ça que j’aime autant faire la fête ! L’univers est une farce, une affabulation contingente, un jeu, » tu lui réponds d’un ton enjoué, rieur – éternelle inconsistante, toi qui ne prends jamais le risque de croire en quoi que ce soit.

Elle t'attrape avec ses jambes et tu souris. Béatement. Pleine d'ivresse et de joie. De simplicité et de rires. Tu aimes être là, sans aucun doutes. Tu te lances corps et âmes dans cette relation qui n'ira peut être jamais plus loin que cette nuit, mais tu n'y penses pas. Pas maintenant. Là tu savoures.

« Who who who, trop de compliments. » Tu souris en rougissant, mais au fond de toi, ton coeur fond. Tu aimes tellement les compliments et la manière si aisée qu'à Leo de t'en lancer, comme si de rien n'était. « Tu parles, t'es hyper... » Tu t'arrêtes deux secondes, cherchant tes mots, buvant quelques gouttes de ton cocktail. « enjouée, drôle, profonde et entière. J'aime que tu vives pleinement ce que tu fais. » Et tes yeux brillent d'une lueur nouvelle.

Tu ris à ce qu’elle te dit. Tu penses automatiquement qu’elle n’a pas idée de ce qu’elle raconte. Si elle savait, tu te dis avec ton plus grand cynisme. Enjouée ? En tout cas tu joues bien, oui, t’es bonne actrice. Profonde ? Alors juste parce que tu te caches derrière un personnage. Entière ? Tu ne connais personne d’aussi peu fiable que toi. Drôle… drôle, ok, ça te va. Mais tout ça c’est pas grave, ça ne te paraît pas bien sérieux sur le moment, tu le prends à la légère. « Je suis une très bonne illusionniste, » tu susurres en mimant un tour de magie fictif. Ta voix est traînante et ton rire euphorique assez incessant, en raison de ton ivresse. Si le bar n’était pas maintenant presque vide, vous vous feriez sans doute remarquer. « D’ailleurs je sais faire apparaître plein de choses… Genre de bons petits plats. T’as faim ? » Tu demandes mais tu es déjà en train de descendre de ton perchoir pour l’entraîner vers la petite cuisine derrière le bar.

« Je suis une très bonne illusionniste » A ces mots ton coeur se serre et ils te résonne en tête. Illusionniste. Qu'en est-il de toi dans tout ça ? Que fais-tu ici, qui es-tu pour elle ? Tu baisses la tête et semble boire dans ton cocktail, mais en réalité, ça te remonte bien trop en tête, tu commences à voir le monde tourner et tu te sens à deux doigts de pleurer. Fichu alcool. Tu reposes ton verre, un peu brutalement. Faut cesser de boire. Tout de suite.

« Oh ouais, je meurs de faim. Et franchement si je bois encore une goutte, je risque de finir vraiment trop mal, donc stop. » Tu découvres une cuisine derrière le bar, tu es sans cesse étonnée, surprise, quelle gamine es-tu ? Dans quel monde vis-tu ?

Tu ne te doutes pas de la résonnance de tes mots pour Marjo, mais si tu savais, tu n’en serais pas mécontente. Autant qu’elle sache tout de suite que t’es pas vraiment quelqu’un de bien. D’ailleurs, la prévenir, c’est la meilleure chose que tu te crois capable de faire.

Vous filez dans la cuisine. Ton collègue, en service ce soir, est en train de fermer et ranger la salle. Il n’a pas trop fait attention à toi ; il te connaît. Tu ouvres le placard, le frigo, tu jettes un œil puis tu mets de l’eau à bouillir. « Haha, ça me fait penser au film L’Arnacœur, » tu commentes en sortant un paquet de spaghetti, ainsi que quelques tomates fraîches, de l’huile d’olive et du basilic pour préparer la sauce. « Tu sais, le moment à la fin où le type veut séduire la jolie fille. » Tu trouves ça marrant, tu ne fais pas sérieusement un parallèle avec le film. Film dans lequel un homme séduit une femme d’abord uniquement parce qu’il est payé pour ça. Film dans lequel ce même homme finit par tomber amoureux de cette même femme. En fait, la scène dont tu parles, c’est probablement le moment le plus romantique du film.

Tu souris, tu t'approches pour l'aider. L'espace est minuscule vous êtes presque collées l'une à l'autre. Tu verses les pâtes dans l'eau bouillante pendant qu'elle sort de quoi faire une sauce. Tu aimais beaucoup cuisiner avec ta mère, une des seules "tâches ménagères" que vous partagiez. Et là c'est totalement similaire -la simplicité du geste- tout en étant complètement différent -cette tension dans l'air es-tu la seule à la ressentir ?

Tu te mords la lèvre. « Tu m'en veux si j'ai pas la ref ? » Romain Duris t'aimes pas trop. Tu fronces les sourcils en essayant de te souvenir du speech. « Ya pas une télé pour le regarder ? » Finir la soirée en regardant un film toutes les deux dans le même canapé ? Pourquoi pas....