C'est sous la douche qu'il reçut un sms. En passant la tête derrière la vitre et observant le message à travers l'écran qu'il comprit qu'il s'agissait de Victoria. Il grogna. 19h20. Il n'était pas en avance. Il se rinça et se sécha rapidement avant d'attraper un jean bien coupé et un tee shirt blanc tout simple. Ses cheveux encore humide gouttait sur ses épaules mais il n'avait pas le temps. Il enfila une veste noire coupé en trois quart et attrapa portefeuille et clés avant de filer. Dans la voiture, il dicta un message à envoyer à la jeune femme.

De 707-667-0546 à Victoria :
Je viens de partir de chez moi. Je suis là dans dix minutes.
Morgan.

C'est à dix neuf trente cinq précisément qu'il arriva devant la maison de la jeune femme. C'était un quartier plus populaire que les quartiers riches de New York, là où lui même vivait. Il arrêta le moteur devant l'adresse indiquée et observa les environs. Il n'avait pas pris une voiture trop luxueuse, il pensait que cela pourrait gêner la jeune femme. Il n'y avait personne encore sur le trottoir. Il sortit du véhicule prenant son téléphone et se posa contre la porte arrière après en avoir fait le tour et être sécurisé sur le trottoir.

De 707-667-0546 à Victoria :
Je suis là.

Il rangea son téléphone, croisant les bras et les jambes, s'appuyant complètement sur sa voiture. Ses cheveux étaient encore bien humides. Il se secoua la tête avant de passer une main dedans pour les reposer en arrière. Il était temps qu'il se les fasse couper un bon coup. Il attendit que la jeune femme arrive, impatient. Il se sentait nerveux mais en même temps, il voulait racheter les fautes de son père.

Finalement, la course des grosses entreprises, c'était comme la faune sauvage. C'était mangé ou être mangé. Mais Morgan n'aimait pas ça. Cela détruisait des familles entières, détruisaient des rêves et des vies. Combien s'étaient donnés la mort pour avoir perdu leurs emplois ? Combien se sont retrouvés dans la rue sans un sous ? Le système américain était bon pour ceux qui avait suffisamment de pouvoir. Mais pour ceux qui n'avaient rien de base, c'était l'enfer. Et il voulait réparer cela, même sur une seule vie si cela suffisait pour calmer sa culpabilité.

Son message envoyé, elle n'attend pas longtemps avant d'obtenir une réponse de sa part. Dix minutes. Son cœur fait un bond dans sa poitrine. Le stress qui la prend. Qu'est-ce qu'elle est en train de faire ? Merde ! Qu'est-ce qu'elle fou ? Elle va vraiment aller à ce rendez-vous avec lui ? Elle va vraiment s'asseoir avec lui une soirée et écouter ce qu'il a à dire, avec ce que sa famille lui a fait ? Elle va vraiment aller à ce dîner comme si de rien n'était ? Apparemment. Elle espère juste ne pas le regretter. Elle espère juste ne pas rentrer plus énervée que jamais contre la famille Carson, encore que ça ne changerait pas grand chose à ce qu'elle pense déjà d'eux, ni à sa vie, non plus. Au pire... Elle aura seulement passé une mauvaise soirée. Au pire, elle aura seulement l'envie de l'étriper et ne le reverra jamais. C'est rien. Elle pourra faire avec.

Il est là, dix minutes plus tard ou un peu plus, elle ne saurait le dire. Elle souffle, essaie de se calmer, attrape finalement son sac à main et remet un peu de parfum sur ses poignets comme autour de son cou, avant de sortir. Elle avance en direction de la voiture, le repérant dès qu'elle est sortie, adossé contre celle-ci. Ouai, il sent la tune à plein nez mais ce n'est pas une surprise. Il a réussi, lui. Il a continué de faire fructifier les affaires de la famille. Tout va bien pour lui, elle est sûre qu'il est parvenu à atteindre ses rêves, ou qu'il est en bonne voie pour. Pas comme elle et ses cafés. Pas comme elle et ses rêves avortés. De nouveau, l'agacement la gagne et elle essaie de se contenir.

"- Bonsoir." lance-t-elle, un peu plus pincé qu'elle ne l'aurait voulu.

C'est plus fort qu'elle bon sang. Elle lui en veut, elle leur en veut. Quand elle le voit, elle voit la carrière à laquelle elle a dû renoncer. Elle voit ses rêves abandonnés, reportés tout du moins, qu'elle n'atteindra peut-être jamais à cause de son père à lui, à cause de sa famille. Elle voit tout ce qu'elle n'aura peut-être jamais. Forcément, il est difficile de le regarder sans se reprendre tout ça dans la face et l'envie de faire demi-tour, rentrer chez elle, la prend. Elle ne s'écoute pas, cependant. La curiosité prend le dessus.

"- On va où ?" demande-t-elle alors, meublant le silence avant qu'il ne devienne trop pesant.

Il n'avait pas attendu longtemps appuyé contre sa voiture. Il entendit la porte d'entrée s'ouvrir pour laisser passer la jeune femme, habillée plus sobrement mais bien plus élégamment que dans son café. Il s'était redressé automatiquement, la culpabilité, le faisant conduire comme un gamin pris en faute en train de manger un paquet de bonbons. Il se sentait ridicule face à la froideur dérangeante de Victoria. Il n'était pas habitué à cela. En tout cas, pas d'une personne dont il se souciait vraiment.

En vérité, il n'y avait jamais vraiment pensé avant. Avant qu'il ne la revoie. Mais voir la jeune femme se battre pour survivre alors qu'ils possédaient tout, c'était comme se prendre un mur à pleine vitesse, face à la réalité de la vie et des conséquences des actes de sa famille.

Alors quand elle s'adressa à lui avec la même froideur que son regard, il glissa mécaniquement ses mains dans ses poches. Il souffla.

« Bonsoir. »

Ils restèrent là, devant la voiture, sans vraiment bouger. Jusqu'à ce que finalement, la jeune femme demande où ils vont. Cela eu le don de sortir Morgan de ses rêveries et de ses pensées et il se mit à contourner la voiture pour se poser côté conducteur.

« Cela dépend de ce que tu veux manger. »

Il lui avait répondu avec un sourire sincère, avant de monter dans la voiture et s'installer derrière le volant. Il ne voulait pas l'inviter dans un restaurant trop chic pour ne pas la rendre plus mal à l'aise et il ne voyait pas l'inviter dans un fast food pour se faire passer pour un radin, ce qu'il n'était pas. Alors quand Victoria entra dans la voiture elle aussi, il tourna son regard acier dans sa direction, et parla d'une voix plus posée et douce.

« Tu me dis si tu veux du chic ou du fast food ou un resto plus classique. Je te laisse le choix. De toute façon, pour ce que j'ai à te demander, le cadre ne changera rien. »

En vérité, il stressait plus qu'il ne voulait l'admettre. Elle était son unique chance de se racheter et de faire un gros pieds de nez à son père par la même occasion. Alors il ne démarra pas le moteur de suite, attendant la réponse de la blonde à côté de lui, cherchant son approbation quand à son lieu de restauration.

Il fut un temps où elle appréciait ce garçon, où elle n'était pas en colère contre tout ce qu'il représentait ou contre sa famille. Il fut un temps où elle appartenait à la même catégorie sociale que lui, où ils étaient amis, où ils fréquentaient les mêmes établissements. Aujourd'hui, dans son cœur, ne demeurait que la rancune, que la haine pour son nom de famille, pour ce que son père avait fait au sien, pour ce que sa famille avait fait à la sienne. Bien sûr, Morgan n'y était pour rien. Il n'était que le fils du responsable, que le fils de l'homme qui, par ses affaires, avait détruit son existence et la vie bien rangée qu'elle menait. Évidemment, c'était aussi de la faute de son père qui n'avait pas été plus attentif, pas été plus prudent, probablement, mais comment pourrait-elle en vouloir à l'homme qui lui avait donné la vie, comment pourrait-elle en vouloir à l'homme qui, en dehors de son frère aîné, comptait le plus dans son existence ? C'était impossible. C'était beaucoup plus évident et beaucoup plus facile d'en vouloir aux Carson. C'était plus simple de leur remettre la faute dessus, plus simple de les voir comme les seuls coupables.

À son bonsoir quelque peu froid, l'homme répond sobrement, avec plus de chaleur toutefois, restant devant sa voiture à l'observer pendant quelques instants qui semblent suspendu, jusqu'à ce qu'elle l'interrompe en demandant où est-ce qu'il comptait l'emmener. Alors, il contourne la voiture et se glisse côté conducteur en affirmant que tout dépend de ce qu'elle souhaite manger, lui lançant un grand sourire avant de prendre place sur son siège. Poussant un soupir, Victoria prend quelques secondes avant de poser sa main sur la poignée, prenant une grande inspiration suivie d'une longue expiration avant de l'ouvrir et se glisser côté passager, ayant pris le temps de rassembler son courage et ses pensées.

Manger chic ou manger dans un fast-food, tel est le choix qui lui revient, comme l'homme semble s'adapter et comme le lieu ne change rien à la proposition qu'il va lui faire. Elle lève les sourcils, sa curiosité d'autant plus piquée au vif, se demandant encore ce qu'il peut bien lui vouloir, ce qu'il peut avoir à lui dire pour l'attirer dehors le temps de dîner ce soir. Mais elle suppose qu'elle ne le saura pas avant d'être arrivée dans un restaurant, alors elle s'empresse de choisir quelque chose.

"- Sushis ?"

Un choix qui ne doit rien au hasard à vrai dire puisque c'est littéralement son plat préféré. Et cela fait une éternité qu'elle n'en a plus mangé, parce que les sushis coûtent cher, très cher, et qu'elle n'a pas vraiment d'argent à jeter par les fenêtres. Quelque soit la proposition qu'il souhaite lui faire, considérant qu'elle doit passer la soirée avec ce dernier, malgré tout ce qu'il lui inspire aujourd'hui, autant qu'elle en profite. Elle n'est pas encore sûre de ne pas regretter d'avoir accepté l'invitation. Autant se donner une raison de l'apprécier un minimum.

"- Je suppose que je ne saurai rien avant d'y être ?"