Le contraire ? Elle se demande de quoi il parle… le contraire de quoi ? Parce qu’un câlin, ça n’avait pas de contraire, non ? Elle le regarde baisse à peine les mains et laisse l’homme la manipuler comme une poupée. Comme la poupée qu’elle était. Désarticulée et cassée, la poupée virvolte au gré de la météo. Sae lui disait souvent qu’il était impressionnant qu’elle ne s’envole pas avec le vent, qu’elle ne fond pas avec la neige (rapport à son prénom, elle ne lutte plus Yuki) ou qu’elle ne disparaisse pas sous la neige avec sa peau si claire. Yuki ne se pose pas de question. Ses cheveux étaient la seule chose qu’elle modifiait consciemment sur elle. Parce que. C’était ainsi depuis toujours. Elle mettait un point d’honneur à être blonde… Aussi, cela pouvait avoir un rapport avec le fait que, plus petite, elle voulait être remarqué, dénoté parmi toutes les têtes brunes qui marchent et bougent. Elle voulait pouvoir être vue, reconnue, qu’on ne l’oublie pas. « Et tu te souviens de cette gamine de dix ans qui était blonde parce que ses parents lui laissaient tout faire, vraiment, quelle gosse de riche ». Ouais. Elle voulait là ça au « pauvre gamine brune et oublié, elle n’a jamais rien fait pour être remarquable ». Cela était sa pensée petite … Puis, elle avait grandi, et elle continuait de se faire blonde parce qu’elle ne voulait pas s’imaginer brune. Simplement. Petit caprice. Elle en avait le droit. Elle sourit à la réflexion de l’homme alors que son cœur était encore en train de se mettre en place. Elle se colla à lui avec plaisir.

- Je suis Ok avec ça. Tu aimes les odeurs des fleurs alors.

Tous ses produits avaient l’odeur de fleurs. Parce que l’odeur de l’hopital qui colle à la peau ça allait bien deux secondes. Autant qu’elle le peut, elle change l’odeur de sa chambre de torture contre celle d’un jardin. Elle voulait en mettre partout des fleurs. Tout particulièrement le jasmin. Elle pouvait en sentir et aimerait un jour pouvoir se mettre au milieu des fleurs de jasmin pour dormir. Tant pis si elle dérange les petites bêtes se faisant. Elle avait senti un frisson dans sa nuque quand il avait parlé. C’était agréable. Elle passe une main sur le bras qui l’encercle et touche la peau de Kaki avec un sourire.

- Oui. Je suis très bien installée, souffla-t-elle alors qu’elle se sentait vraiment bien ainsi dans ses bras.

Elle avait l’impression qu’elle ne pourrait jamais mourir, avec lui qui la retient ici. C’était stupide. Yuki avait une conscience accrue de sa propre mortalité … mais … elle aimait à penser qu’il pourrait lui tendre la main et repousser sa mort. Elle penche la tête un peu vers lui, mais à peine, ferme les yeux et sent. Il sent la nourriture et l’homme, et ça lui fait du bien. Elle n’aurait pas aimé qu’il ne sente rien du tout.  

- Cela te dérange si je t’achète d’autres nuits ? Même si on ne fait pas grand-chose… J’ai envie de … de voir. Tu sais … l’acte, fit-elle en passant chaque doigt sur un relief du bras de Kaki, mais j’aurais besoin de plusieurs nuits pour ça. Tu acceptes ? Ne te force pas sinon… Je me connais je ne suis pas le sushi le plus frais du menu … mais je peux te payer même des nuits à blancs si tu acceptes, ou des sorties, ou … tout ce que tu veux.

Elle se presse plus contre lui, ferme les yeux, sent encore l’odeur de l’homme contre elle. Et elle se dit qu’elle ne voulait plus faire l’amour avec lui. Fin. Si. Mais elle voulait aussi l’aider. Elle voulait lui venir en aide. Peut-être que c’était pour ça qu’elle n’était pas encore morte ? Parce qu’il fallait d’abord qu’elle soit si proche du désespoir qu’elle décide de chercher un prostitué pour lui apprendre les bonheurs du sexe … et qu’elle l’aide à s’arrêter ? Elle se trouve un peu présomptueuse, mais après tout … Elle ne faisait que rarement des caprices. C’était la première fois, de toute sa vie, qu’elle mentait à ses parents pour faire quelque chose de nouveau, de pour elle. Officiellement, elle dormait chez Sae là…. Alors qu’elle était dans les bras d’un homme. Pour le coup, la gentillesse qu’il lui donne mérite qu’elle lui donne absolument tout ce qu’il veut. Tant pis pour la logique. De toute façon, leur histoire n’était pas logique à l’origine.

"Mmh ouais. J'aime bien l'odeur du jasmin. Et des lys aussi."

Y avait eu un temps, lointain, avant que la maladie de Sara ne se déclare, où sa mère était fleuriste. Et si Eren n'avait jamais été particulièrement sensible aux couleurs ou à l'apparence des fleurs, il avait toujours aimé leur parfum. Surtout ces deux-là. C'était proche de la vanille sans en être. Sucré mais pas écœurant. Doux. Bref. Il aime bien.

"Parfait."

Il commente par réflexe la réponse de Yuki. Ouais, bien sûr qu'il a envie qu'elle soit bien posée pour pioncer, mais il n'est pas archi investi à ce point non plus. Lui-même se dit qu'il est pas hyper bien installé d'ailleurs. Pas que Yuki le dérange, mais ses fringues, nettement plus. Enfin tant pis hein. Il fera avec. Et puis ce ne sont tout à coup plus ses vêtements qui le dérange le plus, mais plutôt ce que lui dit la jeune femme.

"Eh … jsuis pas un ptit chien égaré, hein …"

Il proteste, en la secouant à peine. Même si y a une part de sa raison qui lui gueule d'accepter qu'elle lui paye tout et n'importe quoi, y en a deux autres qui sont pas des masses d'accord. Son orgueil d'une part, qui a pas envie qu'on lui fasse la charité non plus. Et le fait que malgré ce qu'on peut dire, ça reste un gars à peu près correct et il ne dépouille pas les gens comme ça. Même quand ceux-ci le lui proposent.

"Mais ouais ça me va t'inquiète. Jsuis pas hyper frais comme sushi non plus, tu sais. Sinon je serai pas là."

Eren soupire à peine, ressert ses bras autour de la femme femme et frotte le bout de sous nez contre sa nuque. Allant chercher un peu plus de son odeur de fleur. Il se fait la remarque que ça ressemble plus à une nuit avec la derniere petite amie quil a eu, plutot qu'à une nuit de boulot. Mais bref.

"Je m'occuperai de ton cas, t'inquiète. Maintenant que je sais à peu près comment tu fonctionnes … et hésite pas à me dire ce que tu veux et ce que tu veux pas. Ça aide et ça fait parti du taff …"

Donner au client ce qu'il veut, c'est encore plus valable dans la prostitution que n'importe où d'autre. La plupart des clients le savaient, puisqu'ils venaient littéralement se servir de lui. Et des autres "employés" du love hôtel. Mais bon, Eren avait bien coloris que concernant Yuki, ça n'était pas tout à fait pareil. Elle n'est pas comme les autres. Ni les habitués. Ni les novices terrorisés. Elle est … autre chose. Et c'est assez rafraîchissant finalement. (Et dire qu'il a cru un instant que ça risquait juste d'être agaçant.)

"Bonne nuit princesse."

Trois jours plus tard Sara Hansawa (tellement de "a" en un seul nom) sort d’une salle de traitement d’un hôpital de Tokyo. Elle regarde autour d’elle, fronce les sourcils, tape du pied et finalement se rend en salle d’attente. C’est là qu’Eren lui a dit de l’attendre s’il n’était pas revu quand elle aurait fini de recevoir sa perf de médocs. Genre. C’est bon, elle a plus cinq ans, elle aurait très bien pu le rejoindre aux urgences, ce débile. La brunette soupire encore une fois, bruyamment en se laissant tomber à côté d’une blonde vachement bien habillée dis donc. Elle, elle fait un peu tâche dans cette espèce de clinique luxe, vêtue de son uniforme usé  de collégienne. Mais y a que là qu’ils ont le traitement pour sa maladie à la con. Alors elle est là. Et elle attend l’autre gros nul qui n’est pas revenu dans les temps.


“Pfff … quel naze.”

Elle ne peut pas s’empêcher de râler à voix haute en tapotant fort fort sur l’écran de son téléphone. Certainement en train d’écrire des menaces de mort à l’attention de son aîné. Sara laisse tomber son téléphone en grognant après avoir reçu une réponse et remonte sa manche pour observer le creux de son bras et se gratter doucement l’intérieur du coude. Si elle n'avait pas 14 ans, on la prendrait certainement pour une héroïnomane. La jeune fille soupire un troisième fois en continuant de faire glisser de bout de ses doigts sur ses petites cicatrices. Elle s’ennuie. Elle a envie de causer. La blonde à côté d’elle a l’air de s’ennuyer au moins aussi fort qu’elle. Alors elle tente le coup.

“T’es là pour toi quoi ? Moi j’suis encore là parce que mon idiot de frère s’est encore démi l’épaule. Et j’dois attendre qu’il revienne avant de rentrer …”

- J’aime ton odeur, souffla-t-elle avant de se caler dans les bras de Kaki. Pour le moment, j’aime être là. Je n’ai besoin de rien. Bonne nuit, sale gosse.

Elle aime son odeur. Elle aime ses mains contre elle. Elle aime la chaleur. Alors elle s’endort. C’est rare qu’elle dorme aussi bien. Elle se sent apaisé… Malgré elle, elle avait conscience de ses propres lèvres. Elle sentait son cœur battre sous sa peau. Elle avait envie de les toucher. Elle avait aussi envie de se retourner et l’embrasser à nouveau. Ses rêves étaient remplis de l’idée de se faire du bien avec Kaki. Mais elle ne pouvait pas le demander. Elle dormait bien.

Quand elle se réveilla, elle sentait Kaki encore en train de dormir. Il devait être exténué. Elle se tourne et le regarde quelques minutes. Son téléphone s’allume. Cinq heures du matin. Elle allait se faire tuer par Sae. C’était elle qui était son alibi pour son « découchage ». Sae allait la tuer… Parce qu’elle n’avait pas du tout fait ce qu’elle devait faire cette nuit… mais elle se sentait heureuse. Avec la plus grande tendresse, elle sort de ses bras, se glisse et commence à ranger ses affaires. Elle range tout. Regarde le second casque VR et les jeux. Elle laisse le tout avec un petit mot. « Jouer c’est bien, à deux, c’est mieux. Merci pour le baiser, Yuki. ». Elle laisse aussi l’argent pour les 6 repas prévus… Sauf qu’elle n’a pas la notion de l’argent, elle en laisse beaucoup plus. Vraiment beaucoup plus. Et un autre message « Je ne pourrais pas revenir avant au moins une semaine. Profites pour te reposer, sale gosse ».

Elle prend ses affaires et sort. Elle va voir le gérant. Elle demande s’il est possible de prendre la semaine entière de nuit de Kaki. Elle sait qu’elle ne pourra pas venir. Elle avait prévenu Kaki… il aurait donc toute sa semaine de libre, sans avoir à faire un travail qu’il n’aime pas. Parce qu’il n’aimait pas ça… Elle regarde un autre homme devant la porte… Il était cinq heures trente, et elle se demandait si elle pourrait aider tout le monde avant de mourir. Elle voulait déjà aider Kaki… Elle part après avoir payé d’avance et en cash.

*

Trois jours plus tard… Yuki était à côté d’un enfant. Elle lui tenait la main alors qu’elle chantait une berceuse. C’était ce qu’on lui demande … Yuki savait chanter, et elle passait plus de temps à l’hôpital que le commun des mortels. Il était logique qu’elle soit la berceuse. La femme qui chante une berceuse pour apaiser un enfant qui meurt. Profitant de ses injections ou de ses examens pour ça. Elle lâche la main de l’enfant quand le bip se fait entendre. La mère, de l’autre côté, se met à pleurer sur le torse de l’enfant. Elle se lève, sort de la chambre et s’étale dans une place, plus loin. Loin de ses parents. Elle avait encore besoin de temps pour supporter le regard larmoyant de ses parents. Depuis le temps, elle devrait être habituée pourtant … mais rien à faire … Elle n’y arrive pas. Elle ne supporte pas ce regard.

Elle sent une fille venir s’assoir à côté d’elle. Yuki la regarde et lui fait un sourire rassurant, amical, compréhensive. Elle était là tellement souvent qu’on avait fini par la connaître. Elle faisait ce genre de sourire par habitude. Elle ne sait pas si elle l’avait vu jusqu’à ce qu’elle lui parle. Yuki sourit. Lui parlait-elle de son frère pour ne pas parler de ce qui l’amène réellement ici ? Elle se demande bêtement comment va Kaki. Elle ne l’a pas vu, et évidemment, elle n’a pas pu faire le mur à nouveau pour aller le voir. Elle avait le droit de dormir chez Sae qu’une fois par semaine, pas plus. Et elle avait déjà utilisé cette nuit de la semaine pour le rencontrer. La jeune femme lui rappelle le garçon. L’authenticité dans ses traits. Quelque chose comme ça.

Elle sort un baume du tigre et lui tend, pour les marques sur son bras. Sans rien rajouter là-dessus. Depuis le temps la pommade ne faisait plus aucun effet sur sa peau. Marqué pour marquer, elle avait laissé tomber, mais elle en avait toujours un pot pour pouvoir le partager à toutes les personnes possibles.

- Cela ne doit pas faire du bien. De se démettre l’épaule. J'ai jamais connu la douleur, cela dit.

Elle ne sait pas comment expliquer sa maladie. Après tout, ce n’était même pas une maladie. C’était la faute à pas de chance. Ses organes décidaient simplement qu’arrêter de fonctionner, c’était bien. Elle suivait des traitements dans ce centre, en plus des examens, car ils arrivaient à augmenter le temps de fonctionnement de ce qui doit être changé. Houhou, quelle chance elle avait. Elle réfléchit alors.

- Pour faire simple, je suis là pour qu’on m’envoie des machins trucs muches dans le corps pour remplacer l’utilité de mes poumons, qui ne fonctionne pas de manière efficace pour transmettre de l’oxygène à mon corps.

En gros. Au moins, ce qui avait été changé chez elle n’avait pas besoin d’être changé à nouveau, c’était la bonne nouvelle de sa vie pathétique et sans couleur. Pour le moment, elle n’avait donc que ses poumons qui n’avaient pas envie de faire leur travail de base … et le machin chose qu’on lui envoie dans le corps fait le taff toutes les semaines le temps de trouver un donneur. Mais ça ne pourrait pas être utile très longtemps.

- Et toi ? Si tu as envie d’en parler, sinon pas de soucis. D’ailleurs, je m’appelle Yuki. Tu veux aller manger quelque chose ? Je ne peux rien manger, mais peut-être que toi tu peux ?

Généreuse, elle l’était. Elle ne pouvait manger que des affreux repas sans tout ce qui risque de la tuer à la moindre bouchée … Ses parents en feraient une crise cardiaque de savoir ce qu’elle avait mangé avec Kaki… pas qu’elle compte les présenter un jour. Kaki ne mérite clairement pas le regard de dégoût et de jugement de sa mère … ni celui, bien plus flippant, de haine de son père. Pour sa mère, Yuki était une poupée cassé, littéralement. Une petite chose fragile qui était trop précieuse pour tout. Pour elle, même Sae n’était pas assez propre. Son père, lui, la voyait comme un enfant. Pas simplement son enfant, non… Comme un bébé qu’on ne veut partager. C’était gênant mais elle comprenait. Après tout, elle était si cassé que ça en devenait ironique.

Sara remercie la jeune femme en prenant son baume du tigre et l'ouvre pour en prendre une petite quantité avec le bout de son doigt avec de le rendre à sa propriétaire.

"Certainement. Mais la douleur n'a jamais arrêté cet imbécile. Il doit être maso sur les bords."

La jeune fille se tourne un peu plus vers ma blonde pour lecouter parler de sa maladie. Elle aussi a l'air d'avoir un truc à la con. De toute, ici, c'est un peu la clinique des trucs à la con. Maladies orphelines, anomalies génétiques rares, cancers compliqués … tout ces trucs qui ont peu de recherches, peu de traitements, et souvent peu de solutions en fin de compte.

"C'est moche. C'est utile de respirer. Désolée pour toi."

Sara hoche la tête pensivement. Elle repense aux cas de mucoviscidose qu'elle a croisé ici. Y a un truc qu'elle trouve de plus vicieux dans les maladies pulmonaires que sans les maladies … genre rénales. Cette gêne perpétuelle à la respiration. Comme un rappel constant que vivre, c'est pas acquis. C'est moche. Elle au moins, ça en sous-marin, tant qu'elle n'a pas de coup de fatigue ou un rhum qui se transforme souvent en catastrophe. Enfin moins maintenant qu'elle a un traitement régulier.

"Sara. Nan c'est bon merci. L'autre couillon m'a payé un kakigoori avant de venir. J'peux pas manger de trucs solides les heures avant et après mon traitement sinon j'ai envie de vomir. La glace pilée ça passe. Même si c'est pas ouf. Enfin bref. J'ai pas faim. Merci."

Elle déblatère, elle déblatère. Sans doute parce qu'elle s'enfuit fermée et que discuter c'est une bonne activité pour elle. Parce qu'elle a une langue de vipère naturelle et que ça ne demande vraiment pas trop d'effort de parler. Enfin quand on peut respirer correctement … Sara lance un regard en biais à Yuki comme pour s'assurer que sa condition n'est pas emmerdante au point que ça lui fasse du mal de causer. Mais ça en a pas l'air. Ou alors elle le cache bien. Bref. La brunette enchaîne, trop contente de pouvoir causer avec quelqu'un.

"Moi j'ai une maladie auto-immune. Un truc qui tombe sur une vingtaine de couillons dans le monde, tu sais. J'ai un traitement pour lutter contre ça et un traitement pour faire remonter mon système immunitaire. Ça coûte les yeux de la tête …"

Sara soupire, pousse ses lèvres en faisant la moue et continue de faire tourner son doigt dans le creux de son coude. Même si la pommade a fini de pénétrer sa peau.

"On n'est pas censés avoir les moyens …"

Elle sait, et elle sait pas en même temps. Elle ne veut pas savoir, en fait. Sa mère non plus. Elles savent que c'est Eren qui finance tout ça, même si elles ne savent pas d'où il sort tout ce fric. Il leur a dit qu'il bosse dans un fast foot, et dans un bar. Elle, elle le suspecte plus d'avoir élevé ses conneries de parkouring à un niveau "professionnel". Rémunéré en tout cas. Au pire du pire, elle l'imagine dans un fight club. Et puis elle se souvient que même elle, elle arrive à le soulever. Alors ça ne doit pas être ça. N'empêche qu'il a encore ramener plein de bouffe cette semaine et des casques VR .. Bref. Sara secoue brusquement la tête pour se tirer de ses pensées et passer à autre chose.

"Enfin on les a. J'vois pas de quoi j'me plains. Pour toi ça a l'air d'aller. Un peu de chance dans ton malheur."

Sara désigne d'un mouvement de tête les chaussures, vêtements et accessoires de Yuki. Elle s'y connaît suffisamment en mode pour savoir que c'est loin de gratis tout ça. Et puis d'un autre mouvement elle désigne le couloir de l'hôpital.

"Du coup tu attends ton tour c'est ça ?"

Maso sur les bords …. Elle se demande si elle ne l’est pas à sa manière, à vouloir boire des choses qui lui sont interdites… parce qu’elle en avait l’envie. La curiosité … Elle avait besoin d’apprendre à connaître certaines choses maintenant. Des choses qu’elle avait accepté d’abandonner. Elle rit un peu en l’écoutant dire que c’est moche. Oui, en effet. C’est utile. Elle le faisait autant qu’elle le peut. Mais parfois, ça s’arrête, logique. Son corps entier était en train de se mettre en veille prolongé. Pour le moment, seul son cœur était encore bon. Mais Yuki avait finit par douter. Elle doute, réellement. Un jour, son cœur va exploser, et personne ne le verra venir. Et tout l’argent, tous les organes, tout ça … ça n’aura servi à rien. Parce qu’elle sera morte. Et que ses organes remplacés auraient pu servir à d’autres … Elle préféra sourire, elle ne répondit pas à ses excuses et elle préféra changer de sujet. Mieux. Elle sourit.

- Un Kakigoori, j’aime bien, dit-elle plus rêveuse que ce qu’elle ne devrait en pensant aux baisers de Kaki, pardon. Je me suis perdue dans un souvenir. Je t’en pris. Je n’ai le droit de rien manger normalement, mais je vis dangereusement dernièrement.

Elle sourit. Elle n’avait rien le droit de manger depuis l’âge de 5 ans. Elle fait attention, elle doit suivre le régime alimentaire précis. Elle ne doit pas. Pourtant, quand elle pense au Kakigoori, il y avait l’image de Kaki à la place de la glace pilée, et elle ne pouvait que sourire. Joyeuse. Elle n’avait été qu’embrasser…. Mais si on écoute sa meilleure amie, faire l’amour était comme se faire embrasser, mais partout… Elle pourrait aimer ça. Avec Kaki. Elle pourrait vraiment apprécier de se laisser toucher. Il faisait naître en elle des choses … de choses qui la remuent. Et dont elle devrait arrêter de penser … Parce que bon … Penser à se faire embrasser langoureusement au milieu d’un couloir, ça se fait pas, non ?

- Je suis désolée pour toi, dit-elle parce que c’était ce qu’on disait dans ce cas là, et il y a parfois des aides, ça peut expliquer ta question ?

Elle, qui était d’une famille riche, elle ne pouvait pas comprendre que ça coute les yeux de la tête. On a tellement l’habitude de la rafistoler qu’elle se demande si elle ne serait pas la femme la plus chère du monde … HAHA. Ce n’était clairement pas drôle, mais ça pouvait donner l’impression qu’elle avait un peu de valeur au moins. Au moins pour ses parents. Elle se demande s’ils s’en veuillent de la tenir en vie ainsi … ou si au contraire, elle est la raison de ne pas pleurer. Elle sourit. Elle montre ses chaussures.

- J’aurais préféré ne pas en avoir. Que d’avoir tout ça, dit-elle en regardant rapidement ses bras rougis et marqué.

Comment Kaki pouvait ne pas vomir en la touchant ? Il avait caressé sa cicatrice, il avait touché son corps et il n’avait pas vomi. Elle sourit.

- Non. J’ai déjà fait mon traitement. Je suis venue pour faire la berceuse. Chanter quand une personne doit mourir. Mais je pleure d’habitude. Merci d’avoir été là pour me changer les idées.

Elle arrive à ne pas pleurer, parfois, quand la colère prend le pas sur la tristesse. Mais souvent, elle pleure simplement. Parce que la mort c’est triste … et parce qu’elle survivait en se faisant tout changer… toujours. Elle tremble un peu et finit par ramener ses doigts vers sa paume.

- Si tu as besoin d’aide, n’importe quand, dis le moi. On me demande souvent ici. Je suis le fantôme de ces murs depuis que je suis enfant, tout le monde me connait.

Ici, on demandait souvent « la neige ». C’était elle. Parce qu’elle était généreuse avec les gens avec qui elle parle, comme une enfant. Elle était comme ça.

“Ah, oui, oui, des aides on en a. Qui permettent de payer les moyens de transports pour venir jusqu’ici, ahah. Nan, j’exagère. Mais disons que juste avec les aides je pouvais avoir un traitement tous les deux mois. Depuis que mon frère bosse, c’est deux fois par mois. J’veux bien qu’il y ai des gens généreux en pourboires, mais bosser dans un bar ça rapporte pas tant que ça.”

Sara roule un regard lourd de sens vers Yuki, avant de rire doucement en haussant les épaules. Bah. Tant qu’elle sait pas. Elle sait pas. L’adolescente regarde les marques sur les bras de son interlocutrice. Elle fait une grimace. Pas de dégoût, mais plutôt d’agacement. Ça l'énerve de voir qu’il y a des gens tellement malades que leur traitement leur fait aussi du mal. Elle espère qu’il y a pas de bon Dieu, parce que sinon, quand elle débarquera au paradis, elle va distribuer des claques ! (Oui, bon, ok, elle a peu de chance d’y aller.) Du coup, elle pousse juste un petit grognement de défi, l’air de dire “tu m’étonnes !!” à ce que la blonde vient de dire. Plutôt des baskets de supermarché que leurs maladies à la con. (Enfin elle, elle a les deux, ahah.)

Yuki évoque la raison de sa présence dans leur salle d’attente de clinique de luxe, hors traitement du coup. Et Sara hausse un sourcil septique.

“T’es angélique toi dans le genre. Bah de rien écoute.”

C’est pas elle qui ferait un truc pareil. Elle serait folle de rage, ou en pls de pleurs. Bon, ok, elle a que 14 ans, elle oublie des fois. Passer du temps ici, et avoir la mort toujours pas très loin, ça a tendance à faire vieillir un peu plus. Mais elle reste une gosse, Sara. Une gosse avec un fichu caractère qui a une langue bien pendue … et qui ne sait pas toujours quand il vaudrait mieux la fermer.

“Ok, ok. Je t’appellerai certainement sur mon lit de mort, alors.”

Elle n’a pas encore terminé sa phrase qu’elle la regrette déjà. Sara pince ses lèvres et sa mine se renfrogne un peu.

“Meh. Désolée. J’ai un humour de crotte.”

Ouais, ouais, c’était censé être de l’humour. L’adolescente croise les bras et se renfonce sur sa chaise en soupirant d’agacement par les narines. Quelle sale gosse, je te jure. Pour une fois qu’elle discute à peu près gentiment avec quelqu’un, faut qu’elle balance son humour bien noir et dégueulasse dans le pire endroit pour le faire avec une personne avec qui il ne faut pas blaguer sur ce genre de sujet. Breeeef ! Sara cherche comment se rattraper (ou pas), quand son téléphone se met à vibrer. Elle le sort, trop contente d’avoir une porte de sortie et affiche un drôle de sourire en voyant l’identifiant de l’émetteur. Entre le “merci bro” et le “ptn j’vais le buter”. Elle décroche ?

“Oui quoi ? Qu’est-ce que tu fous ? … QUOI ? TU-! t’es un champion, tu sais … Oui, oui bah oui j’attends on a pas se courir après en rond comme des cons. … Magne-toi.”

Sara raccroche avec un sourire en coin. Finalement plus agacée qu’énervée. Plus “merci bro” que “ptn j’vais le buter”, quoi. Elle agite son tél et tournant la tête vers Yuki.

“Mon frère s’est perdu, ce giga-couillon. Va falloir me supporter encore quelques minutes, héhé.”

Yuki regarde la jeune femme. Elle pense à Kaki. Comme. Tout. Le. Temps. Oui. Mais là, elle pense vraiment à lui. Elle formule sa pensée. Peut-être que le frère de Sara faisait le même genre de travail que Kaki… et peut-être que c’était comme ça qu’il pouvait apporter autant d’argent ? Elle ne sait pas Yuki … mais elle sait que ça l’attriste. Cela lui brise même le cœur. De savoir que des personnes comme Kaki ou son frère pouvaient faire le travail d’hôte et plus si affinité, non pas par plaisir et envie mais par obligation. Se donner à des femmes et des hommes qui les payent pour ça… Elle se sent sale, un peu, d’avoir fait ça à Kaki. Elle se dit qu’elle n’aurait pas dû … mais elle se dit aussi que, sinon, elle n’aurait jamais connu le bonheur d’un simple baiser… alors… elle laisse à Sara un regard triste mais compatissant, doux. Rien de jugeant. Si son frère fait ce travail, alors il méritait le respect, pas de jugement de la part d’une prude qui ne comprendrait jamais le manque d’argent. Puis, elle fit un sourire avant de se mettre un peu plus au fond de son siège.

- Je ne sais pas si on peut dire que je suis angélique, tu sais. C’est juste que c’est la seule chose que je puisse faire.

Elle n’était pas conne, loin de là. Elle avait sa part d’intelligence. Pour faire des jeux vidéos, surtout des let’s play, pour faire attention à ses investissements et pour utiliser sa voix comme berceuse. Sa voix, elle ne l’utilisait que pour les berceuses, son compte youtube que pour les jeux vidéos et son véritablement nom que pour les investissements. Elle était intelligente, donc, mais pas assez pour sauver le monde. Elle avait travaillé à la maison, appris comme elle pouvait, elle n’avait pas les mêmes capacités que tout le monde. Elle le savait. Pour elle, la biologie et la médecine étaient une part noir de la société qu’elle ne comprendrait jamais. Yuki lui sourit. Passe sa main sur la sienne avant de serrer un peu.

- J’espère bien mourir avant toi. Même si le plus tard serait le mieux.

Dans un an, si elle ne trouvait pas un donneur. Un an. Pour trouver un poumon. Ou au moins une valve qui fasse le taf. Il y avait une solution alternative avec si peu de réussite que ses parents en ont pleuré. Une valve mécanique. Comme un peacemaker, mais pour les poumons… Bref. Plus de chance qu’elle ne meurt, donc, d’ici l’année prochaine que l’inverse. Mais elle espère tout de même que la jeune femme lui survivra. Elle le pense souvent, Yuki, qu’elle donnerait sa vie de poupée toute cassé pour sauver ou garder en vie une autre personne. Le syndrome du survivant, disait sa psy… mais c’était surtout un fait. Elle avait prit tellement d’organe et de médicament pour les autres, alors qu’elle devait mourir. Elle avait l’impression d’être un personnage de destination finale. La mort au cul, mais elle ne l’atteint pas. Yuki soupire et n’écoute pas la conversation, s’occupe de ses chaussures et regarde les baskets de Sara.

- J’aime bien ta compagnie, fit-il. Au moins, tu me comprends. J’aimerais te faire un cadeau. Tu accepterais de faire un panier sur *insérer site commerçant japonais connu ici* et que je te l’offre ? Tu as raison, je ne manque pas d’argent et j’ai vraiment envie de te faire plaisir, comme ça.

Elle lui tend le téléphone avec le site en question dessus. Il y avait déjà plusieurs propositions d’articles qu’elle avait mit le temps de l’appel. Yuki sourit.

- Je suis coincée ici depuis mes 5 ans, je n’ai pas l’habitude de faire des cadeaux, ou de sympathiser, alors crois-moi, je serais la plus heureuse du monde si tu acceptes quelques présents.

Parce qu’elle ne faisait pas de cadeaux avant, manque de temps, de santé, d’envie. Parce que Sara, elle espérait bien qu’elle survivrait pour encore des siècles et des siècles, bon d’accord pas à ce point mais assez pour dire qu’elle avait survécu quoi, et que donc, elle profiterait de ses cadeaux. Quand elle, elle ne sera plus là pour le voir. Elle manipule un peu Yuki, pour que la jeune fille dise oui. Et elle ne donne pas de budget parce qu’elle n’en a simplement pas. Elle espère que ça sera accepté, et pas vue comme une marque de pitié. Elle était loin de la pitié. Juste dans l’envie de donner absolument tout ce qu’elle possède aux autres. Même son âme. Ou son cœur.

La réponse de Sara lui tire un rire morne. Ouais. Mourir avant elle. Il en son là ici. A espérer mourir avant les autres parce que ça voudrait, peut-être, dire que les autres mourront après eux. Ou alors à vouloir mourir après les autres, pour pouvoir vivre plus longtemps. Ou alors de nouveau vouloir mourir avant, juste pour que ça s’arrête le plus tôt possible. Sara connaît bien la dernière, surtout quand sa mère se saignait au boulot pour lui payer à peine de quoi survivre. Son frère le savait. Elle lui avait dit plusieurs fois quand elle était gosse. A chaque fois il l’avait engueulée. Maintenant qu’il pouvait, peu importe la raison, lui payer un traitement plus régulier, l’idée l'effleurait moins souvent.

Yuki la ramène à la réalité de ces considérations à propos de son frangin qui va enfin arriver, et Sara se tourne vers elle d’un air plus que surpris.


“Que- hein ?”

Elle la regarde avec de grands yeux, ne comprenant pas bien ce qu’il vient de se passer. Ou plutôt ce qu’elle vient de lui proposer. Alors Sara continue de bégayer un peu des trucs incompréhensibles avant d’accepter avec un petit sourire timide et de prendre le téléphone de Yuki. Par contre, avant de shopper, elle commence par mettre son propre numéro dans celui de la jeune femme; Et puis elle cherche. Timidement. Choisis deux hauts légers et un pull. Et puis une robe. Et puis une paire de bottines noires à petits talons, parce que ça, c’est toujours utile, et cher, donc, voilà. Bon plus ce que la jeune femme avait déjà choisi et qu’elle n’avait pas osé enlevé, ahah. Et puis elle rend son téléphone à Yuki en rougissant et en la remerciant, fort fort gênée. sara regarde ailleurs pour trouver un autre truc sur lequel fixer son attention, et sursaute à moitié en voyant son aîné arriver.

“Ah ! Le voilà !”

Sara se relève d’un bond et adresse un sourire à Yuki avant d’aller trottiner vers un blond qui vient d’apparaître à un virage dans le couloir. La brunette se précipite vers son frère en lui criant dessus, aussi bas que possible parce qu’on est dans un hôpital quand même. Et puis elle finit de se plaindre de cette looonnnngue attente en pointant Yuki du doigt et en disant que c’est grâce à elle qu’elle n’a pas passé une après-midi (trente minutes !! elle a attendu trente minutes !) si terrible. Les pupilles d’Eren se raccrochent trois longues secondes à celle de la blonde à peine plus loin. Ah. Il ne réagit pas, DU TOUT, ce qui est du coup presque aussi bizarre que s’il avait réagi en fait. Ni même à sa frangine qui l’engeule parce que même s’il a toujours son attelle lui pendant autour du cou, il en a déjà retiré son bras. (#bonhomme #couillon #maso). Il tourne à nouveau les yeux vers sa petite sœur quand elle lui colle son bras sous son nez, creux du coude découvert vers le haut.

“Je veux mon bisou magique !”

Qu’elle exige soudain d’un ton péremptoire. Le jeune homme hoche vaguement la tête et lui attrape le poignet pour lever davantage le bras de la jeune femme et poser ses lèvres à l’endroit de sa piqure … avant de souffler un grand coup pour faire une bruit de pet. Sara s’insurge, mais se fait immobiliser par une clé de bras, et taire par une main d’Eren sur bouche.

“Tais-toi la moche, on est dans un hôpital.”

Sara se marre et se débat en lui collant un léger coup de coude dans les côtes pour qu’il la lâche, ce qu’il fait sans plus de résistance. Évitons de se faire virer définitivement de l'hôpital, il en va quand même de la survie de “la moche”. Celle-ci demande à son frère de l’attendre une seconde avant de revenir vers Yuki. Elle lui attrape les deux mains et tire doucement pour le faire se mettre debout. Et puis la brune prend la blonde dans ses bras. Un câlin simple et chaleureux.

“Merci, Yuki. Merci pour moi et pour tous les autres comme nous. J’espère que ça va aller pour toi.”

Sara cause dans l’oreille de la jeune femme, alors Eren ne sait absolument rien de ce qu’il se dit entre les deux filles. Mais il les observe en fronçant doucement les sourcils. Ouais, sa vie vient de se compliquer un petit peu plus encore. Bon. Il avisera plus tard. Il se contente de soupirer et d’attendre les mains dans les poches sans rien dire.

“Et j’espère qu’on se croisera à nouveau aussi ! Enfin peut-être pas ici. Enfin tu me comprends, ahah.”

Sara lâche la poupée blonde et lui adresse un sourire de sale gosse copié/collé sur celui de son grand frère. Puis elle s’éloigne en lui adressant un dernier signe de la main avant de son tourner vers son grand frère.

“Bon laideron, on est parti ?”

Eren réagit avec un dédain exagéré qui fait rire sa cadette avant de passer son bras autour de ses épaules et d’adresser un dernier regard à Yuki avant de disparaître de là où il est arrivé.

Son téléphone dans les mains, elle vérifie que la jeune femme avait bien mis son adresse dans la commande. Cela serait dommage d’avoir une commande pour une certaine personne, mais ne pas pouvoir retrouver cette certaine personne, n’est-ce pas ? Alors elle regarde la commande, rajoute une autre robe de la même taille qu’elle avait dans les propositions et envoie le tout. Comme ça. Même sans regarder le prix du tout. Parce qu’elle n’avait pas réellement besoin de savoir le prix. Le peu d’article dans le panier ne lui ferait pas de mal à ses finances, et ça la rendait heureuse. Yuki sourit d’ailleurs. Ouais, vraiment très heureuse. Ravi. Elle était juste heureuse de pouvoir avoir ce genre de « présent » à une autre personne. Elle s’occupe de ça, et envoie alors que Sara s’exclame voir quelqu’un qu’elle connait, son frère si Yuki avait bien suivit. Elle lève la tête. Et elle s’arrête de respirer. Purement et simplement. Elle venait de mourir dans son corps puisque le sang n’irriguait plus rien. Bah ouais. Sae lui avait dit que, pour une ville comme Tokyo, il était presque impossible de tomber sur « son » prostitué…. Mais Sae avait oublié que, la poisse la poursuivant, son … employé (-dieu qu’elle n’aimait pas dire ça-) allait forcément la voir au pire moment, au pire endroit et pour la pire des raisons. Sinon, ce n’était pas drôle. La vie serait tellement moins piquante de bonheur sans ça… Elle voulait une vie plate, Yuki. Sans maladie, sans drama, sans coma, sans rien. Elle en demandait trop ? Maintenant, elle avait envie de se cacher … Surtout que Sara savait pour sa maladie, celle en cours en tout cas… Comment Kaki voudrait-il encore d’elle après ça ?

Il ne réagit pas. Peut-être ne l’avait-il pas reconnu ? Si elle se lève et fuit, alors peut-être qu’il n’y aurait pas de soucis, non ? Mais même si elle veut fuir, elle est incapable de quitter des yeux Sara qui demande un bisou magique. Machinalement, elle sent son cou palpité là où il avait embrassé. Un bisou magique. Cela marche bien. Et il avait déjà compris qu’elle était toute cassé, non ? Merde. Elle voulait oublier. Elle voulait une famille qui joue avec elle dans les couloirs d’un hôpital après un mauvais moment. Elle voulait se faire consoler, rassurer, sans la menace de sa mort au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès. Elle déglutit péniblement quand Sara revient pour un câlin. Ouais, ça marche un peu. Mais elle se sent toujours au bord d’un gouffre d’émotion qu’elle n’avait jamais connu avant. Elle comprend ce que dit Sara, mais le lien dans son esprit ne se fait pas. Alors que les deux partent, elle sent ses jambes se briser sous elle et elle s’étale sur le sol.

- Yuki !? crie une femme pour venir la soutenir, tu vas bien ?

Elle avait envie de pleurer, mais elle n’en avait pas le droit. Pourquoi est-ce que ça serait mal d’être malade ? Parce qu’elle était cassée. Brisée. Parce que les hommes avaient toujours trouvé son corps absolument affreux, et encore plus quand il savait que jouer avec elle, ou même lui parler parfois, pourrait la briser d’avantage. Ils savaient tous ça. Et Kaki venait de le savoir, lui aussi. Et ça lui brisait le cœur. Elle avait besoin de s’assoir. Ou de courir. Mais comme elle savait être incapable de faire le second … elle allait faire le premier avant de mettre sa tête entre ses jambes. Si on pouvait parler d’outre passage de droit, tout de suite … on était en plein dedans. Elle connaissait l’adresse de Kaki. Mais toujours pas son vrai prénom. Et ça lui fait mal. Plus que ce qu’elle ne veut bien l’admettre.


Trois jours plus tard, couché dans son lit dans une robe blanche et grise qui se serrait à sa taille, presque comme morte, Yuki n’avait toujours pas pris de décision. Sa tête était prise dans un étau. Elle avait vomi tout ce qu’elle avait dans l’estomac. Elle avait des médicaments pour ses greffes. Sauf que coupler avec ses émotions du moment et son traitement du moment … ça ne le faisait pas trop. Elle était souvent malade. C’était pour ça qu’elle avait besoin d’une semaine pour le voir. Elle ne pouvait pas débarquer et risquer de dégobiller sur lui… Quoi, que. Au moins, elle n’aurait plus pensé à la honte d’être toute cassé. Elle se tourne dans le lit, prend son téléphone et appelle Sae.

Sae qui était toujours de bon conseil pour le cul, les relations sociales sans maladie au milieu et tout plein de chose qui était trop compliqué pour sa petite tête à elle. Elle parla une heure au téléphone, mais Yuki n’arrivait toujours pas à savoir quoi faire. Sae avait eu la bonne idée de lui rappeler que « être amoureuse d’un prostitué ce n’était pas normal ». Mais, déjà… elle n’était pas amoureuse (#Déni numéro 1), et ensuite, ce n’était pas qu’un prostitué (#Déni numéro 2). Puisqu’elle avait payé d’avance toute la semaine de Kaki, elle savait qu’il serait « pur » pour elle. Mais elle se dit aussi qu’il n’avait pas du souffrir par d’autres clients. Et elle déteste tous les clients qui auraient pu lui faire du mal.

Et elle n’est pas amoureuse. Ni jalouse. Non. Juste … Elle l’aime bien. Il l’a embrassé comme personne. Il l’a embrassé, et elle vraiment cru qu’il y avait quelque chose entre eux. Et elle avait dormi dans ses bras. Elle avise son sac à dos sur le sol. Si elle y allait aujourd’hui ? Tout de suite, maintenant ? Elle venait déjà de vomir … et normalement ça se calme à partir de ce moment là … Mais elle ne pourrait pas prendre autant de distraction. Mais il risque de le repousser de toute façon. Mais ça reste qu’elle n’aura pas de cadeau. Mais elle pourrait utiliser le numéro de Sara pour savoir ce qu’aime son frère. Mais ça ne serait vraiment pas logique de faire ça alors qu’il allait certainement refuser de l’embrasser à nouveau. Mais pourquoi voulait-elle qu’il l’embrasse à nouveau comme ça ?

Elle se lève, attrape son sac et se demande maintenant comment elle va faire pour pouvoir s’enfuir de sa maison sans être remarqué. Sa mère dort, tôt, mais son père est toujours en train de travailler dans son bureau. Parfois, il laisse la porte fermé. Parfois, il la laisse ouverte. Et en plus le plancher devant grince … mais son bureau était entre la porte d’entrée et elle. Elle réfléchit, son sac sur le dos était de trop. Elle prenait simplement son porte feuille, de l’argent et son portable. Elle l’éteint pour ne pas se faire retrouver par le GPS. Elle se déplace et rejoint la chambre d’ami. Sa mère avait le sommeil plus profond que n’importe qui dans la famille. Alors de la chambre d’ami, qui était juste à côté de la chambre de ses parents, elle se laissa glisser comme elle peut le long du mur. Elle finit par tomber dans le buisson en s’écorchant le visage, la main, ses bras et ses jambes et en abimant légèrement sa robe. Elle se relève. Elle vérifie ses genoux et ses pieds, c’était tout ce qui compte. Puis, elle se mit à courir.

Elle arrive un peu en avance. Elle rentre et montre sa carte et son nom pour prouver qu’elle est bien la personne qui avait acheté la chambre pour Kaki. Ouais. Son Kaki. Merde. Elle avait encore plus envie de se frapper. Le sang sur sa joue avait coulé le long de son visage et s’était pareille pour les autres égratignures qui parsemaient son corps, mais elle s’en fiche. Elle prend la carte et rejoint la chambre. Elle entends à peine le gars qui dit qu'il donnerait à Kaki de quoi la soigner. Bon. Bon. Bon. Maintenant. Il allait falloir qu’elle trouve quoi lui dire.

« Excuse-moi d’être moi » ? « Je vais mourir et je veux pas » ? « Ta sœur, elle est vraiment cool je l’aime bien » ? « Je n’aurais pas dû venir, désolé » ? Il y avait tellement de chose qui se passer dans sa tête. Elle ne voulait pas compliquer sa vie, à lui, en parlant à sa sœur. Mais maintenant, elle voulait d’autant plus tout payer au deux pour que jamais il ne soit touché ou touche quelqu’un pour une autre raison qu’un élan de son cœur. C’était si mal que ça. Elle finit par s’assoir en tailleur sur le sol, attrapant un oreiller de forme douteuse sur une chaise et l’écrasa sur son visage en criant. Tant pis pour le sang. De toute façon, sa robe était déjà parsemée de gouttelette, et elle en avait mis sur le sol. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle avait pris une chambre avec du carrelage sur la photo de présentation. C’était mieux. Pour le sang. Qu’elle nettoierait promis… mais après avoir eu le cœur brisé.

Ce jour-là, il n’y est pas allé. Cela faisait des jours qu’elle lui posait lapin sur lapin. Alors Eren avait décidé de ne pas y aller ce soir là, et de se prendre sa soirée pour lui, tranquille. A trainer un bar bien éloigné de son lieu de travail où il est à peu près certain de ne croiser aucun de ces clients. Cela dit, après le coup de l'hôpital, il n’est plus sûr de rien. Enfin bref. Il avait essayé de prendre un autre client en sachant que de toute, elle n’allait pas venir, mais le patron avait dit non. Mais dans la prostitution, les japonais sont vachement procéduriers. Alors une réservation était une réservation, et on pouvait pas en faire deux en même temps. Bref. Ça l'avait saoulé.

Non. Mensonge. Il était en colère. Il ne savait pas bien pourquoi ça l’avait autant énervé de la voir à l'hôpital, mais … bah heureusement que la prostitution lui avait appris le self-control. Mais il avait été tellement en colère. Il avait eu envie de la secouer comme un prunier et de lui hurler dessus, sauf que … bah. Il en avait zéro droit. Et qu’il n’avait pas vraiment de raison valable de s’être autant inquiété en ne la voyant pas venir le jour d’après leur première passe. Ni la seconde. Enfin si, techniquement, oui, il savait qu’elle était malade, et pas pour de faux. Il connaissait l’inquiétude d’avoir quelqu’un de proche qui pouvait clamser du jour au lendemain. Mais. Elle n'était pas une proche, et il n'était pas censé savoir. Donc il n’était pas censé avoir eu autant peur en n’ayant plus de nouvelles de sa cliente. Mais quand il l’avait vu à l'hôpital, y avait eu un mélange de soulagement qu’elle soit en vie, de colère qu’elle lui ait fait peur pour rien, et en colère de pas comprendre pourquoi elle n'était jamais revenue du coup ? enfin bref. il avait décidé de s’en foutre, sauf qu’il y avait d’autres passes de réservées, et qu’elle n’était toujours pas venue. Et que là, il l’avait vraiment mauvaise. Zero raison valable d’ailleurs. Ce qui l’énerve d'autant plus. Ah oui. et puis y a les cadeaux aussi. Déjà pour lui, et maintenant pour Sara qui a bien dû leur expliquer d’où venait son colis de fringues totalement hors budget pour eux. Ça aussi ça l’énerve.

Du coup, il est parti picoler. Et puis son téléphone sonne. Il voit que c’est le taff et ignore parce qu’il se dit qu’on va juste l’engueuler de pas être venu. Même si la cliente ne vient pas. Que ça a foutre, wesh. Sauf que ça insiste alors il finit pas décrocher.

“Putain de merde !!”

Qu’il gueule avant même d’avoir raccroché et Eren largue du fric sur le comptoir avant de se barrer en courant vers la rame de métro la plus proche. C’est maintenant qu’elle se pointe, cette conne ?? (Ouais, il est bourré, et il l’a mauvaise.) Il en a pour une petite demi-heure pour rejoindre le love hotel. Un peu moins puisqu’il bouscule les gens sur sa route en insultant les passants en coréen. (Comment foutre une mauvaise réputation sur un autre peuple ahah, oh ça va il l’est à moitié, il peut se permettre.) (Non.) Bref. Il déboule à l’accueil, ne se change même pas, reste en baggy, t-shirt oversize, et attrape sans bien comprendre pourquoi le nécessaire de premiers secours qu’on lui file. Il ne comprend rien. Tant pis. Il se tape les escaliers en se disant qu’avec un peu de chance ça va le calmer au lieu de s'énerver encore plus dans l'ascenseur, mais ça marche moyen.

Eren déverrouille la porte avec un passe-partout qu’il a piqué à l’accueil. Lle gars pas changé, pas lavé, bourré, qui frappe même pas, à deux doigts de se faire virer si elle va se plaindre, mais l’idée ne lui traverse même pas l’esprit quand il entre brusquement et pose sur elle un regard noir. Il est soulagé. Il le sent, un peu confusément, quelque part au fond de lui, mais il est toujours en colère.

“Qu'est-ce que t’as foutu ??”

Bah oui, on laisse tomber le vouvoiement et les formules de politesses faussement romantiques. Il chuchote froidement en regardant les égratignures sur le corps de la jeune femme. Ses yeux tombent ensuite sur la trousse de secours dans sa main et il comprend pourquoi on lui a refilé ça. Il soupire et grogne en même temps, et Eren va s’asseoir par terre à côté de Yuki. Il lui arrache l’oreiller des bras sans douceur avant de lui choper un poignet d’autorité pour examiner ses blessures.

“Qu'est-ce que t’as foutu ??”

Qu’il répète. Avec un peu moins de colère et un tout petit peu plus d’inquiétude dans la voix. Eren évite le regard de la jeune femme, attrape un flacon d’eau oxygénée et des compresses pour commencer à nettoyer ses plaies dans des gestes qui ne permettent aucune protestation.

“Tu m’expliques ?”

Il ne cause pas du tout des plaies, non. Ni même de sa maladie. Il avait déjà plus ou moins compris avec ce qu’il avait vu dans la vitre teintée de la salle de bain de l’autre chambre. Non. ce qu’il ne comprend pas, c’est les passes payées où elle ne s’était pas présentée. Et qui lui avaient fait perdre son temps. Et qui lui avaient franchement foutu la trouille.