Tout s’est passé si vite. Tu n’as pas eu le temps de cligner des yeux que tu étais déjà de l’autre côté. La fraîcheur de la nuit t’a fouettée le visage comme une bouffée d’air frais. L’humidité de l’herbe sous tes doigts t’as presque fait sourire malgré la douleur, mais tu n’as pas le temps de t’y attarder, il faut que tu bouges, que tu te redresses et vérifies que tu es bel et bien ailleurs, que tu n’es plus dans les entrailles des enfers, mais au-dessus, là où les mortels se baladent sans se rendre compte de votre existence.

Tu grimaces, râlant en langue démonique et te redresses, une main sur ton flan. Regard rapide derrière toi, aux alentours et malgré un boitement plus que visible, tu avances. Tu marches droit devant toi, sans faire attention aux rares personnes encore debout à une heure aussi tardive. Tu ne dois pas t’y attarder plus que cela, tu as autre chose à penser, autre chose qui doit te pousser à avancer. Tu inspires un peu, continuant d’observer autour de toi, le moindre indice qui pourrait te tromper, te prouver que tu es dans une illusion ou non. Un rêve imagé, un cauchemar à en devenir.

Ce serait idiot de se retrouver enfermé dans ton propre pouvoir sous la crainte. La peur s’empare de toi à chaque pas, craignant encore pour elle après tout ses supplices que tu as vécu. Tu tentes alors d’avancer un peu plus vite, de faire appel à tes amis de toujours, les seuls capables de savoir où se cache celle qui partage ta vie, avant de t’effondrer à même le sol, sans entendre leurs cris clamant ton nom et une silhouette venant vers toi. Tu ne sais pas comment tu as été transporté, mais quand tu reprends tes non-esprits, te voilà dans un salon plus que chaleureux. Des voix s’élèvent dans,  une autre pièce. Ils sont trois. Tu secoues la tête et te poses, assis dans le canapé et élève un peu le ton.

- Si vous pouviez arrêter de gueuler trente secondes, ça arrangerait mon mal de crâne...

Tu te masses légèrement la tempe, pris de douleur. Il te faut encore quelques secondes pour réellement comprendre les mots qui sont prononcés à côtés. Cela te permets de t'attarder un peu plus sur ton environnement. Étrange sensation d'être dans un endroit familier que tu n'as jamais foulé, créer de toute pièce. Un artifice mémoriel pour une vie que tu as toujours rêvé de vivre avec… elle ? C’est sa voix que tu perçois enfin ? Que tu reconnais dans cette cacophonie infernale ? Tu redresses légèrement la tête, voulant croiser son regard, mais elle est déjà partie. Pourquoi cet envolé ?

- Lève-toi.

Le ton est sec, autoritaire. Tu lèves les yeux vers la démone en face de toi et t’exécute, non sans ressentir un léger vertige tout de même. Tu grimaces, mais restes droit, digne. Tu souris et t’autorises même un peu d’humour.

- Depuis quand tu me grognes dessus, Osem’?

Tu n’as pas l’habitude, mais elle doit avoir ses raisons. Tu ne l’as pas choisi par hasard pour être celle qui devait aider ta Douce à sortir des Enfers. Tu lui fais confiance, comme elle te fait confiance. Tu attends qu’elle s’explique, tout en jetant quelques coups d’oeil au troisième démon présent dans cette maison. Il semble bien plus inquiet que vous d’ailleurs.

- Il faut qu'on cause avant que ta femme ne revienne de la salle de bain.

Qu’elle te dit, comme si quelque chose de grave allait se produire. Bon, en soi… Oui… Mais pas de suite, donc… C’est ce que tu penses en tout cas. Tu secoues la tête doucement, ramenant tes mains sur tes hanches.

- De quoi tu veux parler ?

Tu passes ton pouce sur tes lèvres avant de mordiller l’ongle, un peu nerveux. Au fond de toi, tu sais ce qu’elle va te dire, te reprocher… Tu es bien trop épuisé de toute façon pour commencer un débat, devant Sam si elle revient bien trop rapidement. Tu n’as pas l’envie ni l’énergie pour cela.

- Ca peut pas attendre plus tard?

Tu tentes. Mais connaissant la manipulatrice des souvenirs devant toi, la négociation n’est pas à ton avantage.

Je déteste quand il m'appelle comme ça : "Osem’". Nous ne sommes pas suffisamment proches pour que je l'y autorise. Je grogne donc mon mécontentement, lui lançant un regard noir, avant de lui cracher.

"_ Parce que tu crois que ça a été les vacances pour nous durant ton séjour en enfer ?! Les chiens de Merym ont tout fait pour mettre la main sur ta petite bécasse et j'ai dû remanier ses souvenirs de sorte qu'elle s'imagine dans une vie tranquille. Donc non : ça ne peut pas attendre.
_ On a beaucoup bougés, ces derniers mois. Ajoute mon époux, celui par qui nous sommes pris dans ce merdier.
_ Se serait bien que tu prennes le temps d'écouter mes conseils, si tu ne veux pas que ta femme déraille complètement. "

Manier les souvenirs d'un cerveau humain n'est pas une chose anodine. C'est pour ça que généralement je n'utilise mon pouvoir que une à deux fois maximum, pour éviter les dommages collatéraux. Mais personne ne m'écoute. Surtout pas lui!

"_ Tu as eu plusieurs métiers et motifs d'absence différents. Une fois je lui ai fais croire que tu étais militaire et le coup d'après, quand cette pimbêche a cru bon de narrer les exploits militaires de son démoniaque mari, j'ai dû te faire passer pour un trafiquant d'armes pour qu'elle apprenne à fermer sa gueule!
_ C'que veut dire Osemalia c'est que Samantha n'est plus vraiment telle que tu l'as connus. Elle est...
_ A l'Ouest, carrément. Sa mémoire commence à ne plus supporter le trop plein de manipulation et à tout instant la bombe qu'elle est devenue peut nous exploser à la gueule!
_ En d'autres mots : il suffirait d'un rien pour que ses souvenirs "effacés" lui reviennent brutalement à l'esprit. On s'est assuré que personne de sa vie passée ne vivent dans cette partie du monde mais.
_ Aucune garantie que l'ironie de cette chienne de vie ne change pas la donne ou qu'un mari démon dise une connerie monumentale dans les heures qui suivent. "

C'est bien de lui qu'je parle, oui. Il est tellement centré sur c'qui lui est arrivé ces derniers mois qu'il est bien capable de semer un doute suffisant dans les souvenirs de celle qui a contribué à faire de mon existence un calvaire. Faut pas croire! Jouer les chaperons ça n'a jamais été une ambition! Mais au lieu de faire ce pour quoi j'ai emménagé sur terre (semer le chaos chez les humains), je surveille la gonzesse dont cet idiot s'est entiché. Mais la voilà qui revient avec la trousse de soin. Je m'en saisie sans un "merci", avant de m'occuper des plaies du revenant en lui murmurant ces mots.

"_ Pas de gaffe où on est tous mort. "



L'ambiance est pesante à mon retour. Comme si une dispute avait éclaté durant mon absence. Je n'ai pas entendu d'éclats de voix, pourtant! Je chasse cette pensée quand Cassandra m'arrache la trousse de soin des mains. Je la trouve tellement antipathique cette femme. Je me demande souvent ce que son mari peut bien lui trouver.

Le cœur a ses raisons que la raison ignore comme on dit!

Je reste en retrait, n'osant adresser une parole à mon mari. J'ai conscience que c'est anormale d'être aussi intimidée par sa personne, mais c'est comme si sa prestance m'était insurmontable. Ai-je toujours été ainsi avec lui ? J'ai beaucoup de mal à me rappeler la vie que nous avons eu avant son départ. Est-il là temporairement ? S'est-il rangé de ces trafiques ? Comment nous sommes-nous rencontrés ? Tout est tellement flous à notre sujet.  

Des regards noirs qui se lancent entre vous. La démone t’affirme que rien n’a été facile, que Merym s’est rajoutée à l’équation pour essayer de faire son travail et que les déménagements se sont enchaînés. Tu essayes de calmer ton mal de crâne en l’écoutant parlé. Tu soupires un peu et te masses le front et le nez tout en hochant la tête, signes que tu avais l’oreille attentive, complètement à sa merci, ou lui faire croire que… Parce que mine de rien, c’était encore toi qui décidais ce que tu désirais, mais tu n’étais toujours pas en état de force pour le faire comprendre…

Alors tu écoutes, te levant un peu pour marcher dans le salon doucement. Des changements ont dû être faits sur l’ange. Nombreux. Trop nombreux pour que cela soit une bonne chose, voir légal. Tu serres les dents, dos aux démons. Les souvenirs pourraient donc lui revenir… Tu passes une main sur ton visage, calant cette fois les mains sur tes hanches et manque de rigoler à l’ironie de la chose. Tu es en train de possiblement vivre un cauchemar… Et pour quelqu’un dont c’est le pouvoir, c’est encore plus frustrant. Dans le subconscient des humains, tu peux le contrôler, réveillé, plus rien ne t’appartient.

Tu pourrais faire sortir toute la folie accumulée ces derniers temps, rendre les alentours assez dingue pour créer une panique générale et faire la une des faits divers… Mais ce n’est pas le but. Tu redresses la tête et te retournes en voyant qu’elle était revenue. Tu retournes t’asseoir pour qu’on s’occupe de tes blessures qui mettront plus de temps à cicatriser avant de lever le regard vers Sam. Tu tentes un sourire avant de lever la main vers elle, conscient que ce n’était pas le moment, mais désireux de juste avoir un peu de sa chaleur contre toi.

Tu sens le regard d’Osemalia sur toi, tu poses tes yeux vers elle, sombre, avant de laisser le bleu revenir pour ta Belle. Tu fais signe. Tu as besoin d’elle pour tenir avant de perdre le contrôle, prendre ta forme démoniaque et risquer ce que tes démons redoutaient. Alors tu fais signe.

- Approche, ma Chérie… N’aie pas peur...