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Il regardait au-dessus d'elle, incapable d'y apposer ses yeux alors qu'elle caressait son visage de sa bouche. Elle le surplombait à peine désormais, toujours à ses genoux, mais plus affaissée contre lui, son unique bras restant pour seul tuteur de la fleur fanée. Il se cherchait des racines, mais voilà qu'il était tout ce temps la terre sur laquelle avait poussé cet higanbana. Il cherchait une ancre, mais il était la mer - déjà là lorsque la vague était arrivée ; toujours là lorsqu'elle aura disparu.
Il regardait au-dessus d'elle, de son épaule où la clavicule chutait plus bas, venait mourir sur la cicatrice qui barrait sa poitrine blanche. L'obscurité du ciel s'effarouchait avec les heures, le noir immuable virant au bleu smalt - il savait, il savait que lorsque les flammèches roses perçant derrière l'étang viendraient lécher les nuages, elle fermerait les yeux. Elle les fermerait d'abord éblouis. Juste pour reposer leur feu. Puis elle ne les rouvrirait jamais. Il voyait au-dessus même de son visage mourant le décompte de ses derniers instants.
Dire son nom étais-ce accepter ? L'autoriser à partir ? Ses cils tremblaient sur l'eau étendue derrière la silhouette de la Mante. Dès que quelques lumières viendraient caresser l'onde, alors son souffle serait parti rejoindre les profondeurs. Il furetait les remugles pour y déceler une seule paillette de brillance, le regard élargi par le baiser sur son front, absolution lavée par les lèvres et les eaux comme elle s'offre depuis les dieux. Alors il se résigna.
Elle était tout à portée désormais, il embrassa sa joue d'abord.
"... Ritsuko." Le son lui venait d'un arrachement, entre le râle et le murmure, sa main se nichait derrière sa tête pour la tenir et remuer le parfum de sa chevelure. Un parfum de fleur morte. Un pot pourri.
"... Ritsuko." Il embrassait sa mâchoire désormais, répandant avec lui le sang qui échappait de la commissure de ses lèvres, glissant sur son visage sans en retirer sa bouche, plus frontal qu'elle, moins délicat, et profondément tendre. Il refusait de la quitter des lèvres par peur de regretter de n'avoir pas profité de ces instants de vie.
"... Ritsuko ..." Il se faisait plus sensuel et languissant alors qu'il pressait désormais le lobe de la mante, puis son cou, le souffle plus long comme s'il cherchait à l'avaler pour lui éviter de mourir. Comme si cette passion arrivait enfin, achevée d'être attendue, accueillie par tous les deux dans la résolution de leurs affres. Deux êtres qui s'aiment et partagent une connexion ineffable. Il n'y avait plus ni vengeance ni haine. Seulement l'expression incarnée, in carne - dans la chair - de leur attachement.
"... Ritsuko ..." Il arriva à la cicatrice en sentant sa légère boursoufflure, appréhendant la texture plus lisse de la croix de la lèvre basse, la baisa avec plus de douceur que d'appétit cette fois. Il voulait panser la plaie, toutes les plaies qui lui avaient été infligées. Celles dont il était l'auteur et les autres.
"... Ri ... tsu ... ko ..." Il hachait son nom pour ne pas risquer de se trahir et de hacher sa voix alors que sa langue remontait à la clavicule. La tête de sa bien-aimée reposait toujours davantage dans sa main, abandonnant plus de sa conscience aux sentiments dont il la caressait, et au-dessus de l'épaule qu'il embrassait du bout de son visage, il ne pouvait s'empêcher d'estoquer quelques oeillades nerveuses au paysage.
"Ritsuko ..." Il était maintenant teinté d'un soupir accablé. Le ciel s'était blanchit crûment et on devinait derrière la salve d'arbres de l'autre côté de la rivière que la rosée du soleil n'allait pas tarder à se jouer de leurs vies. L'eau était visible à présent, mate mais pétante, la bouche grande ouverte. La Mante semblait à peine consciente, les cils tremblant sur les yeux mi-clos.
"Oh, Ritsuko." Il serra le visage de la dénommée contre lui, dans le creux de sa gorge, l'abritant comme il le pouvait en l'enveloppant de ce qu'il restait de son corps amoindri. Il attendait que le rose se hisse au-dessus de l'horizon, il sentait le souffle de la Mante s'accélérer, se saccader, la privant de parole comme de larmes. Son sang se répandait sur tous les deux, s'échappant d'elle parfois comme mû d'une volonté propre qui la secouait en frissons violents.
"Ca va aller tu verras." Il se mentait plutôt qu'à elle, les dents serrées avec crispation sur une vérité qu'il ne pouvait qu'accueillir - pour elle. Hors de question de la fuir. Hors de question de lâcher. Il était le rempart. Elle n'aurait pas à voir l'aube la menacer. Elle pourrait disparaître en se croyant toujours vivante, dans la nuit et couverte d'amour. Il enfouit son visage contre lui à mesure que le jour dardait de remontrances.
*
Et puis le dégradé apparut, semblant sauter des fourrés pour ajouter à la douleur. Il se refléta dans la rivière, petites paillettes discrètes qui paraissaient pleurer la future morte elles aussi, offrant le spectacle d'un paysage onirique pour dire Adieu à la femme la plus belle qu'il ai rencontrée. Un poème à elle seule. Un poème qui refusait qu'on lui en ajoute d'autres, alors il n'y en aura pas cette fois. Un sonnet aussi rigoureux que transporté.
elle se secoua violemment - rimes riches - il la tint avec plus de fermeté - prosopopée - il rivait les yeux sur la nature - allitération - elle s'étouffait - diérèse - il sentait la chaleur de sa mort se répandre sur lui - zeugma - il pressait plus fort encore et ne disait plus rien - stance - elle se raidit soudain - lyrisme - la voix prisonnière comme un oiseau - assonance - puis elle se détendit totalement et coula sur Maruo - ode
- Citation :
- Macabre découverte hier matin près de la rivière Kyunaka : deux corps ont été retrouvés par des promeneurs, celui d'une jeune femme et d'un homme d'une quarantaine d'année ; la première ne présentant pas de blessure et le second une large entaille en forme de croix sur le torse.
Nakano, tirée de la distraction de son ménage, porta le volume de la télévision à la hausse.
- Citation :
- Identifiés très rapidement par les autorités, il s'agirait de deux criminels notoires en les personnes de Ritsuko Takeshi et Maruo Takeda.
Deux photographies d'identité accompagnèrent les propos en arrière-plan. L'infirmière s'asseya sur la première chaise trouvée, manquant presque de se laisser aller à terre.
- Citation :
- La piste retenue est bien sûre celle de l'assassinat ou du règlement de compte entre groupes criminels, malgré une chute drastique de leurs activités ces derniers mois. Une conférence de presse du Commissaire Général doit être tenue demain à 18 heures, conférence de presse que vous pourrez bien sûr suivre en direct dans notre édition spéciale sur Fuji TV.
Derrière la présentatrice, une image chasse celle de la photo de la rivière, comme un sujet en chasse un autre.
- Citation :
- Musique maintenant : le retour du groupe Arashi ? Ce boy's band qui a fleurit dans les années 2000 pourrait faire une tournée réunion [...]