Ca fait plusieurs mois que t’es sur les routes et tu commences à être bien en galère de tunes. Tes économies se sont envolées en moins de temps que tu ne le pensais. Tu te retrouves dans la merde depuis quelques jours. Ce soir, t’as dormi sur une aire de repos dans un coin paumé des USA. T’as eu à peine assez d’argent pour te payer un hot dog et voilà que tes derniers dollars ne sont plus.

C’est le milieu de la nuit et le mec qui t’a déposé en camion est introuvable. Tu te décides donc à faire plus amples connaissances avec les routiers qui sont sur le parking. Tu demandes la destination de certains mais ils te demandent du fric en échange. T’as plus rien, t’es dans la merde.

Un camion arrive et il est ton dernier espoir. T’attends qu’il se gare et tu t’approches. Le mec derrière le volant a l’air super jeune. Ca change des mecs à qui t’as eu à faire jusqu’à maintenant. Tu te dis que y’a peut être un espoir. Tu ne lui sautes pas dessus, t’attends qu’il sorte de son véhicule et tu lui fais un sourire timide. T’es pas au meilleur de tes capacités, t’es carrément désespéré. La pénombre de la nuit t’empêche de vraiment de voir son visage et en fait ça t’arrange.

« Hey, salut, excuse moi mais je voulais savoir si y’avait pas moyen que tu me prennes dans ton camion quand tu repars. Peut importe la destination, il me faut juste une grande ville, ou du moins assez grande pour trouver un job rapidement. Et… Ouais j’ai pas de fric donc ce serait à ton bon vouloir… Mais je peux jouer du ukulélé pour faire passer le temps sur la route. »

T’as sorti ton speech d’un coup. T’as ton gros sac sur le dos. Tu pries tous les dieux que tu connais pour que ce type accepte de te prendre avec lui gratuitement.

Six nuits que tu es sur la route, tu essaies au maximum la nuit, ou le milieu de journée, tu n'aimes pas les soirées trop pleines de monde et de bouchons. Les gens désagréables qui te doublent en queue de poisson, les motards, les vieux riches qui foncent à toute vitesse sur la voie de gauche dans leurs voitures de luxe. Ah, ce que tu peux les mépriser eux ! Ils sont riches et le montrent à tout le monde, enfin ce que tu détestes le plus, c'est qu'ils te rappellent ta condition. Fils aîné d'une famille nombreuse, ton père est mort d'une maladie à la con, mais sans remède pour le soigner, personne n'a pu rien faire. Seuls les trois plus jeunes de tes frères ne travaillent pas, mais uniquement parce qu'ils sont trop jeunes, vous rapportez autant d'argent que vous le pouvez à la maison, parce que votre mère travaille aussi comme une dingue cumulant trois petits boulots et n'étant jamais à la maison, il faut bien que quelqu'un s'occupe des jeunes. C'était ton rôle, pendant hyper longtemps, puis ça a été trop dur alors tu t'es barré. Tu reviens tous les mois, mais le plus souvent tu es sur la route. Et en réalité, tu aimes ça.

L'air fatigué, tu rentres dans l'aire d'autoroute pour boire un bon café avant de repartir, tu as encore cinq bonnes heures de prévues avant de faire un break et de dormir d'une traite dans un hotel miteux mais bon, c'est ça ta vie à présent et tu en es bien heureux. Depuis peu, tu as décidé de voir les choses du bon côté, de sourire, d'être optimiste et tu ne sais pas si c'est une réelle coïncidence, mais ta famille semble aussi aller un peu mieux.

« Hey, salut, excuse moi mais... » Un sourire s'étire doucement sur tes lèvres fatigué quand tu vois ce gars, tu ne sais pas qui il est, tu ne sais pas combien il est dans la merde ni combien de personne il a pu accoster devant toi, mais tu te reconnais un peu en lui. Dans la nuit tu ne peux pas voir précisément, mais il a l'air jeune. « Mais je peux jouer du ukulélé pour faire passer le temps sur la route. » Cette fois-ci tu lâches un vrai sourire. « Je bois d'abord un café et ensuite on y va. » Tu ne reprends rien de ce qu'il dit, de toute manière la route t'emmènent sur plusieurs grosse ville, vous verrez à ce moment-là.

Quelques minutes plus tard, vous êtes installé à l'avant de ton camion, tu t'es habitué à lui, mais il reste impressionnant. Tu sors la carte des routes de ton coin des USA, tu la changes tous les mois et tu surlignes chaque trajet, puis tu donnes la carte à ton petit frère. « Tiens voilà mon trajet, tu choisis où je te dépose. » lances-tu gaiement. Un peu de compagnie ça aide toujours à tenir la route, même s'il va sûrement dormir.

Il accepte. Sans sourciller. Bordel. C’est trop beau pour être vrai.

« Super. Okay, je t’attends. »

Tu ne vas pas non plus le suivre alors qu’il se fait une pause. Tu vas passer assez de temps avec lui pendant les prochaines heures. Enfin, tu supposes. T’espères. Si jamais il te prend juste pour une dizaine de kilomètres ça va pas trop le faire. T’essaies de pas penser au pire, mais vu comme t’es dans la merde à ce moment précis, t’as du mal.

Tu poses ton sac par terre et tu t’assois sur le bord du trottoir. Tu te perds un peu dans tes pensées. Quand il est de retour, tu le vois à la lumière et tu te dis qu’il a un visage d’ange. Ca te bloque un moment comme un con. Tu redescends sur Terre quand il ouvre le camion et tu lui fais un petit sourire timide avant de monter à l’intérieur. T’espères qu’il n’a pas vu ton trouble. Tu vas essayer de passer outre mais la gentillesse dont il fait preuve te touche grandement. Il te parle de son trajet et t’aimes bien avoir une idée de la direction que vous allez prendre.

« Seattle ça peut être bien… »

Autrement dit, son dernier stop. Y’a une belle route à parcourir jusque là. Tu penses en avoir pour 48 heures en sa compagnie. Tu sais pas trop à quelle vitesse il va donc ça va varier certainement. Tu regardes la route, essayant de rester concentré dessus… Mais tu échoues et tu regardes le chauffeur et son air angélique.

« Tu penses que ça va nous mettre combien de temps ? »

Tu te mordilles la lèvre en le regardant. T’es nerveux. Tu sais pas pourquoi.

« Et si jamais… Je sais pas… Tu changes d’avis ou quoi, tu me dis et je descends, y’a pas de soucis. »

T’as peur d’être un poids pour lui alors tu prends des gants.

« Tu habites à Seattle ? »

Tu cherches à en savoir un peu plus sur lui, d’ailleurs ça te rappel que tu ne t’es pas présenté.

« Oh et je suis Micah. »

Parce que tu veux savoir son prénom à lui aussi.

« Seattle ça peut être bien… »

Un sourire s'étale sur tes lèvres pendant que tu mets le contact, tu n'as pas besoin de répondre, toi comme lui savez que c'est ta ville d'arrivée. Doucement tu prends la voie pour sortir de l'aire et tes phares allument tout un groupe de camionneur entre eux, qui fument une cigarette. Tu lèves les yeux au ciel, il y a des clans chez les transporteurs, certains sont sympa, d'autres des vrais cons et ce groupe en fait partie, il y a peu de doutes qu'ils ont refusé le jeune homme quelques minutes avant que tu acceptes.

« Trois voire quatre bon jours, faut que je m'arrête pour dormir un peu. »

Sans l'inclure dans ton projet, mais si ça se passe bien, il dormira sûrement pas loin. Après tout, il a l'air de vouloir aller loin comme ça. Et maintenant que tu le vois dans la lumière tamisée du camion il a une autre tête. Un joli visage sympathique. Oh, les tueurs en series peuvent aussi avoir des visages aimables, mais là c'est un instinct qui te pousse à l'accepter ici, comme tu n'as pas eu besoin de réfléchir cent fois avant de le faire monter. Une envie plus fort que juste ta volonté et tu t'y plies. De toute manière tu as cessé de penser que tu maîtrisais ta vie, tu te laisses vivre en profitant comme tu peux.

« On verra, au pire j'aurai la carte Yukulélé avant de te virer non ? » demandes-tu taquin, un énième sourire aux lèvres.

Bon sang, qu'est-ce que tu aimes la compagnie. Tu t'es largement habitué à cette solitude, mais ta famille nombreuse qui rempli la maison de rire et de cris te manquent souvent quand tu es sur la route. Alors tu pousses le volume pour qu'il remplisse l'habitacle, souvent tu mets les débats à la radio pour avoir des voix humaines qui t'accompagnent, mais rien ne vaut une vrai personne.

« Enchanté Micah, moi c'est Brett. Et ma famille vit à Minneapolis, moi je n'ai pas vraiment de lieu de vie, je suis sûr la route les 3/4 du temps. »

C'est étrange à dire, mais c'est ça. Normalement c'est un mois de route, un mois de repos, mais toi tu ne veux pas faire ça, alors tu roules beaucoup plus, tu fais des heures sup, payées une misère, tu trouves un autre transporteur s'il le faut, mais tu ne veux pas rester t'emprisonner dans cette maison où tu te sens obligé de tout faire sans penser à toi. Tu l'as fait, mais tu as tourné cette page.

« Et toi racontes-moi comment tu t'es mis dans cette merde-là ? Seul, au milieu de la nuit, sur une aire d'autoroute, sans véhicule et sans argent ? Sûrement une histoire fascinante. »

Instinctivement tu allumes la musique pour mettre un fond musical, un vieux tube des années 80 sort, parfait, tu baisses pour que ce ne soit qu'une ambiance et tu passes la dernière vitesse. Des longues heures à une vitesse monotone vous attendent.

Trois ou quatre jours ? Ah oui quand même. Tu commences à te dire que niveau hébergement ça va être compliqué. Sauf s’il accepte que tu dormes dans son camion. Mais bon, tu verras sur le moment. Au pire tu trouveras un abris bus pas trop loin. Ou bien un dinner ouvert 24/24 qui aurait besoin d’un plongeur pour quelques heures en l’échange d’un petit salaire. Tu sais pas du tout ce que tu vas faire mais dormir dans la rue, ça te fait pas peur, tu l’as déjà fait, même si tu préfèrerais esquiver. Quatre jours. C’est long. Peut être que tu t’arrêteras à une autre ville, certes plus petite, mais t’as pas envie d’être un boulet qui pue - car pas de douches ni de fringues propres - pour ton chauffeur. Tu te débrouilleras. Tu pourrais toujours appeler un de tes potes pour qu’il te dépanne quelques centaines de dollar. Oui c’est plus fort que toi, t’es déjà en train de réfléchir à des solutions pour la suite du voyage même si tu sais que tu peux rien faire là maintenant.

Ce type est tellement prévenant, t’as l’impression qu’il va pouvoir te sortir de ta mère temporairement. T’as juste peur d’abuser de sa gentillesse. Tu souris quand il parle du Ukulélé. C’est vrai que t’en as fait mention. Il a retenu ça. Tu lui joueras un morceau, voir plus, beaucoup plus.

« Je te jouerai ce que tu veux. »

Tu connais bien ton instrument et t’es plutôt doué avec. T’as déjà joué dans la rue, gagnant quelques dollars qui t’ont bien servi pour la suite de ton trip. Il s’appelle donc Brett. Tu aimes déjà ce prénom. Sûrement parce qu’il est associé à son beau visage. Il vient de MInneapolis, tu hausses les sourcils. C’est pas loin de chez toi.

« Je suis de Chicago à la base. »

C’est là que ta famille vit et t’y retourneras certainement dans quelques mois, ou plus tôt, si tu galères trop. Tu essaies de ne pas trop regarder Brett mais t’as du mal, surtout quand il reprend la conversation pour en savoir plus sur toi. Tu souris quand il demande des détails sur ton aventure.

« Et bien, je suis parti avec quelques maigres économies pensant pouvoir faire le tour du pays en stop et je me suis rendu compte que j’ai un peu trop sous estimé les frais que ça engendre… »

Tu fronces le nez et tu reprends.

« Ca fait trois mois que je suis sur les routes et les auberges de jeunesses ne font pas la charité malheureusement. J’étais en voiture avec un type que j’ai rencontré dans un dinner sauf qu’il a décidé de repartir sans moi de l’air d’auto route… Il a quand même laissé mon sac par terre donc tout va bien. »

T’aurais certainement pleuré si t’avais plus rien eu du tout avec toi. T’es un sensible comme mec.

« Je me suis fait viré de mon job. Mon mec m’a largué. Mon meilleur ami a quitté le pays. Tout ça dans la même semaine. J’ai eu envie de changer d’air alors je suis parti sur un coup de tête. Au début c’était plutôt fun. Mais quand y’a plus de fric ça se corse… D’ailleurs, si jamais je peux dormir dans ton camion sur le chemin ce serait cool… »

Plus fort que toi, t’as pas pu te retenir de demander parce que le sujet s’y est prêté.

« Promis je te volerai rien. Je suis trop honnête pour oser faire un truc pareil. »

Tu fais un petit sourire timide. Tu sais que vous vous connaissez pas mais t’espères qu’il va te croire. Après tout, t’as une bonne gueule toi aussi. On te donnerait le bon dieu sans confession. Tu ne le laisses pas répondre, t’ajoutes rapidement.

« Et je sais pas conduire ce genre de camion donc je partirai nulle part. »

T’insistes sur ta bonne foi. Tu ajoutes une dernière chose en le regardant intensément…

« Brett. T’es un peu mon ange tombé du ciel ce soir. J’avais l’impression que j’allais devoir sucer un vieux dégueu pour m’en sortir mais t’es arrivé et… et je me sens bien mieux. »

Oui t’as pensé à ça pour te sortir de cette merde.

« Merci beaucoup de m’avoir pris avec toi. »

Maintenant tu t’arrêtes de parler histoire qu’il ait le temps de répondre quelque chose. Si faut il va pas avoir de soucis avec le fait de te laisser dormir dans son véhicule alors tu t’es peut être avancé pour rien. Mais vaut mieux plaider sa cause du mieux possible à ton humble avis.

Il propose de jouer pour toi et tu aimes cette idée. Le temps s'écoule plus vite en musique et en compagnie, là tu as un combo des deux, parfait début de voyage. Il te parle de Chicago, tu souris, une grande ville comme tous les citadains les aiment, mais toi non. Tu as toujours vécu en périphérie des grandes villes.

« Oh dans ce cas là tu connaitras peut être ma bourgade, en réalité ma famille habite Red Wing, juste à côté de Minneapolis sur le Mississipi. Enfin bon, généralement je dis Minneapolis, c'est plus simple. Surtout que je n'y vis pas. »

Un faux sourire s'étire sur tes lèvres fatiguées. Expliquer ta vie est devenu complexe, rien ne t'attache nul part, personne sauf tes deux plus jeunes frères ne t'attend vraiment à la maison, ou ailleurs, aucune fille, aucun mec. Tu t'es toujours dit que tu voulais être seul et te suffire à toi-même, maintenant tu te demandes si c'est vraiment ce que tu veux.

Alors tu l'écoutes parler, parce qu'il semble en avoir gros sur le coeur et s'il ne parle que logistique et voyage au début, rapidement il te dit la vérité. Son mec l'a largué. Et tu as mal au coeur pour lui, toi au moins personne ne l'a largué parce que tu n'es jamais resté avec quelqu'un assez longtemps pour qu'on puisse le dire, enfin, dans ce sens on dirait que c'était ton choix, mais en réalité, personne n'a jamais voulu de toi assez longtemps. Tu détournes le regard vers la droite, avant de vite reprendre sur la route. Tu voulais voir l'intensité de son regard, son doux visage amical, peut être même lire sa peine. Sauf qu'il ne te regardait pas.

«  Oh, je suis désolée pour toi. »

Ta voix est douce, tu es vraiment sincère, même si dans ces cas-là c'est difficile pour l'autre de juste entendre des mots sans fonds. Tu te mords la lèvre et soupire.

«  On en est pas encore là Micah, on a le temps de voir. Enfin au pire tu peux dormir pendant que je conduis et comme de toute manière, je m'arrête de jour pour dormir à mon tour, tu pourras visiter la ville ? » Ou alors tu pourras partager ma chambre. Les mots ne sont pas sortis parce qu'ils venaient de nulle part comme un cheveux sur la soupe. C'était trop tôt pour proposer un plan foireux comme ça, mais c'est ton style généralement, parler sans réfléchir aux conséquences, par peur d'attachement. Seulement aujourd'hui tu te sens différent, tu trouves quelque chose en Micah -sa douceur peut être ou alors son détachement du monde- qui t'interdit de tout gâcher avant même d'avoir à commencer.

Tu lis dans son regard qu'il se sent seul, c'est un passage que tu as traverser, mais on ne peut pas forcément dire avec brio, c'était dur et ça l'est encore. Pourtant tu as envie de l'aider, sans trop savoir comment, mais tu as envie d'apporter quelque chose de beau dans la vie de quelqu'un, juste par ta présence et ton vécu.

«  Eh n'en fait pas trop non plus, j'vais croire que tu es louche après. »

Un sourire aux lèvres, vrai cette fois. Tu n'es pas à l'aise avec les compliments et là tu sens que tu dois arrêter avant de lui dire à son tour des trucs cons.

«  Tu sais, pour moi aussi tu es un ange tombé du ciel ce soir. Les camionneurs ont une réputation de merde de gros pervers dégueu, alors les gens font de moins en moins de stop, et on se fait chier à rouler sur des routes embouteillées sans fin et sans compagnie. Donnant donnant, ok ? »

C'est comme ça que devrait marcher la vie, un sourire, de la bonne humeur, un service contre un autre. L'homme qui a eu l'idée de foutre de l'argent au milieu a pourri tous les humains jusqu'à la moelle. Sans argent, le monde serait mieux, tu en es intimement convaincu.

Il te parle de sa ville de manière plus précise et tu hoches la tête. Tu connais vite fait ouais. T’es jamais allé, mais ça te donne une meilleure idée de son environnement.

« Je connais de nom. »

Tu te dis que ça doit être étrange de ne pas avoir de point de chute concrètement. T’as la chance de pouvoir toujours retourner chez ta famille quand tu veux. Ils ne te mettront pas à la porte. La conversation change et tu t’ouvres pas mal à lui suite à la curiosité qui l’a piqué. T’es pas dérangé de lui dire la vérité. T’as pas honte de ton parcours, c’est un concours de circonstances. Peut être que sans ça tu serais jamais tombé sur lui. Non c’est même sûr. Et tu sais pas pourquoi t’as un sacré bon feeling avec Brett. Peut être même trop… Surtout quand tu l’entends être désolé pour toi. Tu lui fais un petit sourire. T’es pas franchement timide en temps normal mais lui, tu sais pas, il t’intimide beaucoup. Sûrement à cause de ces gay vibes que tu ressens.

Tu es nerveux quand tu lui parles de tes problèmes pour trouver un endroit où dormir. Ce qu’il te répond te satisfait grandement. Tu restes con d’ailleurs tellement c’est parfait. Tu hoches la tête, la bouche un peu ouverte toujours. Ton visage tourné vers lui.

« Ouais, on peut faire ça ouais. C’est même parfait. »

Tu t’imagines déjà trouver refuge sur la place la plus fréquenter de la ville pour jouer du Ukulélé afin de récolter quelques dollars. Tu trouveras aussi quelques McDo ou Starbucks pour t’occuper de ton hygiène dans leurs toilettes. Si t’arrives à te faire assez de fric tu te feras tourner une machine dans une laverie automatique… Bref t’as plein de trucs à faire.

Tu te mords la lèvre quand il te dit de pas en faire trop. Tu ne veux vraiment pas paraître louche. Le rouge te monte aux joues malgré toi. T’es vraiment trop à fleur de peau avec ce mec, c’est fou. Tu pensais pas autant, mais ouais, tu réagis vite. Il a un sourire aux lèvres donc t’es rassuré de voir que ce n’était qu’une simple vanne. Même si ça laisse une trace de vérité malgré tout. L’humour a bon dos.

Tu vas pour lui répondre quelque chose comme une excuse mais Brett reprend la parole et il dit que t’es un ange pour lui aussi. What? Tu t’y attendais pas à celle là. Il donne des explications sur ce qu’il avance et tu sens que ce mec est vraiment spécial. Il est différent des autres. Il est beaucoup plus humain. Tu as l’impression de te retrouver un peu en lui, sûrement pour ça que tu l’aimes bien.

« On était fait pour se rencontrer. »

T’as les joues bien roses toujours et cette affirmation ne fait rien pour changer ça. Tu l’observes un moment et un léger silence s’installe. Tu détournes les yeux de lui pour ne pas paraître louche. Tu regardes la route sous tes yeux.

« Je suis tombé sur une fille plutôt très cool au début de mon voyage. On a fait deux cent kilomètres ensemble et on s’est échangé nos twitter à la fin du trajet. Enfin, c’est elle qui voulait pouvoir garder contact avec moi…»

Tu te mords la lèvre, regardant Brett du coin de l’oeil.

« T’es sur les réseaux sociaux ? Parce que… Du coup j’ai eu envie de faire pareil. Garder contact avec les gens qui m’ont aidé sur la route. Twitter c’est mon réseau social préféré pour ça… »

Tu te rends compte que ça fait même pas une demi heure que t’es avec lui et tu lui parles déjà de l’après voyage.

« Enfin, on pourra en reparler à la fin du voyage. Mais ouais… C’est sympa. »

Tu te sens con. Tu voulais combler le silence et t’as dit le premier truc qui te venait en tête.

« Oh d’ailleurs… »

Tu vas fouiller ton gros sac qui est à côté de toi. Tu en sors ton chargeur et ton téléphone.

« Je peux me brancher sur ton allume cigare ? »

Ton idée colle, il semble heureux et une joie te traverse aussi puisque tu as déjà réussi ton objectif : lui être utile. Et vous continuez la route comme ça, écoutant distraitement la radio, vous écoutant parler chacun votre tour. Ton attention est concentrée sur la route, mais au minimum, ton régulateur de vitesse est enclenché, tes phares balaient la route et il y a peu de monde, le café et la compagnie de Micah t'a redonné de l'énergie pour conduire encore cinq bonnes heures, vraiment vous êtes tranquille.

« On était fait pour se rencontrer. »

Son sourire te réchauffe le coeur, tu es bien heureux en effet de le rencontrer, lui et sa bouille d'ange, lui et ses paroles simples et jolies. Il te parle de lui, de sa vie, de ses aventures. Son expérience est complètement folle, il faut un peu de folie et beaucoup de courage pour partir sur les routes sans rien. Il ne faut pas avoir froid aux yeux et tenter de se démerder du mieux qu'on peut. Et lui a osé tout lâcher pour ça. Certes, on sent dans son ton qu'il pense ne pas avoir eu le choix, il pense que c'était une échappatoire à sa vie un peu dure en ce moment-là, mais les "abandons" qu'il a subit n'ont été que l'élément déclencheur, Micah est vraiment plein de courage et ça te fascine. Toi qui est resté accroché à sa famille, certes tu ne vis plus avec eux, mais presque tout ton salaire leur revient, tu appelles son frère dès que tu le peut, tu vis pour eux au maximum, vraiment tu n'arrives pas totalement à te défaire.

« Hum, j'ai jamais rien compris à twitter, mais peut être que si tu m'expliques ! Je vois souvent passer des commentaires drôles qui me font marrer, mais ça me paraît compliqué. J'ai créé un compte ya quelques années j'avais une tête d'oeuf en photo de profile et j'ai jamais réussi à changer. »

Boulet fini, mais vraiment tu n'as fait aucun effort pour comprendre, ton frère t'envoie des choses souvent via twitter parce qu'il est connecté en cours sur les ordis de la classe, mais tu as laissé tomber. Pour Micah peut être que tu pourrais faire un effort. Après tout, c'est chouette de garder un lien et de suivre les vies d'autres personnes après les avoir perdu de vue. Enfin, peut être que s'il retourne dans sa famille, tu pourras passer le voir à Chigaco une fois, c'est pas comme si tu n'allais jamais là-bas.

« Branche-toi bien sûr, fait comme chez toi. T'as sûrement de bon goûts musicaux donc si tu veux changer la musique n'hésite pas ! »

Le silence s'installe et malgré ta proposition de le laisser dormir, tu n'as aucune envie qu'il se taise et dorme, tu tiens trop à sa compagnie.

« Là tu rentres chez toi ou tu n'as pas fini ton tour ? Tu t'arrêtes dans les villes pour visiter et te balader généralement ? Tu tiens un journal de route pour raconter à tous tes petits-enfants ton périples plus tard ? Désolé, j'suis curieux. »

T'espères vraiment relancer la conversation, tu veux en savoir plus.

C’est pas un fan de twitter mais il a un compte. C’est déjà beaucoup. Il te fait sourire quand il parle de la tête d’oeuf. Tu vois tout à fait de quoi il veut parler. Tu sais pas si t’es le meilleur pour expliquer les trucs, t’as toujours l’impression que t’as pas de patience et que tu expliques mal. Que ça rend pas justice à l’outil véritablement. Tu te dénigres pas mal, c’est vrai. Mais…

« Pas de problème je t’expliquerai. »

Parce que pour lui, tu dis pas non. Tu feras de ton mieux pour lui donner l’amour de ce réseau social. T’espères qu’il en aura véritablement l’utilité parce que sinon c’est sûr qu’il va perdre de l’intérêt assez rapidement. Ou pas. Peut être que suivre tes aventures ça l’intéressera réellement. Oui tu te fais des films. T’es un sacré rêveur aussi. Tu redescends sur Terre quand tu penses à charger ton téléphone et il te laisse faire sans soucis. Alors tu prends possession de l’allume cigare en moins de deux. Il te propose même de mettre de la musique et tu souris un peu plus. C’est vrai que t’aimes beaucoup ça la musique. Il a dû le sentir avec ton ukulélé.

« Sûr ? Tu risques de le regretter… »

Et tu commences à chercher dans tes playlists sur Spotify, ce qui pourrait être pas mal de mettre sans être trop relou. Tu veux qu’il aime aussi. Tu jettes ton dévolu sur l’album « Fame monster » de Lady Gaga qui est une vraie pépite à ton goût. Tu penses que tout le monde aime ces rythmes pop. Et c’est le moment que Brett prend pour relancer la conversation.

« Au début je prenais le temps de visiter, mais maintenant que l’argent se fait rare c’est devenu plus compliqué… Je passe la plupart de mon temps à jouer de la musique pour me faire de l’argent ou essayer de trouver des cuisines qui cherchent un plongeur pour une journée ou deux du coup je bosse dès que c’est possible… Pas évident. Et non non je ne rentre pas tout de suite. Je vais essayer de me refaire à Seattle. C’est une grande ville, j’ai bon espoir. »

Tu mises tout là dessus.

« Et non je tiens pas de journal de route. Mais je prends pas mal de photos que je poste sur twitter. Je spam pas non plus et parfois c’est pas très intéressant mais c’est des trucs que j’ai envie de me souvenir alors je poste pour retourner sur mon fil plus tard et pouvoir me remémorer tout ça… Bons moments comme les mauvais. Ok surtout les bons. »

Tu souris plus largement.

« D’ailleurs si tu es d’accord on se fera une selfie. Je la posterai pas, mais pour avoir un souvenir de toi. »

Tu te fais un peu trop fleur bleu à dire ça comme ça mais t’as pas honte. Tu te dis que y’a pas de mal.

« Et ça va la musique ? T’aimes bien ? Tu connais ? T’écoutes quoi quand t’es tout seul ? Me dit pas que tu regardes des films en conduisant. J’ai vu des émissions qui parlaient des routiers qui faisaient ça. Ca fait peur pour les usagers de la route. »