Depuis combien de temps est-elle ici, couchée dans son vieux lit d'adolescente chez sa mère, son chien entre ses bras, le nez perdu dans son pelage, les yeux rougies d'avoir pleuré déjà toutes les larmes de son corps et de continuer, pourtant ? Elle ne saurait le dire. Quelques jours, déjà. Elle n'est sorti de sa planque que quelques fois, pour promener Lady. Pour voir Aayden, qui n'est pas dans un meilleur état qu'elle après sa rupture avec Cornelia, qu'ils n'avaient pas vu venir, ni l'un ni l'autre. Pas plus qu'elle avec Garrett, en fait. Elle ne sait même pas à quand remonte sa dernière douche. Sûrement deux ou trois jours. Elle s'en fiche d'être une loque humaine, comme elle se fiche de l'appel de l'école qui fait sonner son téléphone dans le vide, une fois de plus. Elle n'entend rien. Son portable est de toute façon en silencieux, Lisa se contentant de s'en servir uniquement pour parler avec Aayden et, occasionnellement, Andy, leur meilleur ami impuissant face à leur situation, impuissant face à leurs détresses respectives. D'ordinaire, ils savent épauler l'autre dans les moments les plus sombres de sa vie. Mais d'ordinaire, ils ne traversent pas leurs ténèbres respectives en même temps. Ils accompagnent l'autre dans les siennes, l'aident à en sortir. Là... Là c'est autre chose. Là, c'est certainement ce qu'ils ont eu de plus difficile à affronter, de plus terrible et, forcément, ils sont tous un peu dépassés par tout ça. Tous impactés.

Elle renifle, passant son bras devant ses yeux pour se soustraire à la lumière du jour quand elle bouge. Elle n'a pas envie, mais elle a besoin de sortir. Sa vessie qui s'en mêle. Elle grimace. La tête lui donne l'impression de tourner tandis qu'elle s'avance, vêtue du même pyjama que depuis quelques jours. C'est la première fois qu'elle est confrontée à une rupture. Elle savait que ça f'sait mal. Mais elle s'était pas douté que ça pouvait être à ce point, pas douté que ça pouvait être aussi violent.

En sortant des toilettes, elle jette un regard à son reflet dans le miroir en même temps qu'elle se lave les mains. Elle a des cernes sous les yeux dont elle n'imaginait pas qu'elles pouvaient atteindre une telle ampleur, alors même qu'elle étudiait très dur tout le temps, jusqu'à tout récemment. Elle a le teint plus pâle que sa carnation naturelle. L'air malade. l'air effondré. Parce qu'elle l'est. Ses yeux rouges le disent. Ses cheveux en batailles, éparpillés d'un chignon aléatoire, en témoignent. Elle tourne les talons, s'arrachant à cette vue, pour revenir dans la chambre.

En ouvrant la porte, Lady lui file entre les jambes, gagnant la porte d'entrée qu'elle gratte. Lisa comprend le message. Un besoin de sortir. Elle grimace en attrapant son téléphone puis traine des pieds pour descendre au rez-de-chaussée, où elle attrape la laisse posée négligemment sur la console de l'entrée. Elle l'attache dans la boucle du collier avant d'ouvrir la porte, la faisant claquer derrière elle. Avec un peu de chance, Lady se contentera de faire ses besoins dans le jardin. Vu l'allure qu'elle affiche, elle ne compte pas vraiment aller plus loin. Déjà qu'elle imagine offrir un sacré spectacle aux voisins...

Pour la première fois depuis longtemps, Garrett n'a pas peur de tout voir être chamboulé sur ce qu'il a passé... hé bien, des décénnies à construire. Sa famille a explosé dans tous les sens, et il voit bien que ses fils sont un peu perturbés par la nouvelle de la séparation avec leur mère. Ils sont grands, désormais, et totalement en mesure de comprendre. Rester avec quelqu'un avec lequel ou laquelle on n'est pas heureux, c'est compliqué. Rester avec quelqu'un qu'on a fait souffrir en ajoutant cette situation, c'était impossible. Et puis, il ne voulait plus de cette vie tout comme la mère de ses enfants ne voulait plus de lui après avoir su la vérité.. Au moins, il s'agissait d'un accord commun. Et malgré le mal que il lui a fait, elle semble prête à rester dans de bons termes. Tant mieux pour les enfants.

Le seul problème dans toute cette équation ? C'est qu'au passage, Garrett a fait du mal à Lisa, parce qu'avec le déroulement des choses, il n'a pas su lui dire la vérité. Il s'ests embourbé dans le mensonge de son côté aussi, et n'a jamais réussi à saisir les multiples opportunités qui se sont présentées à lui. Elle a décidé d'arrêter de le voir, et... dans cette situation, c'est ce qui est le plus difficile. Garrett sent bien qu'il risque de la perdre, et il n'arrive pas à envisager pas sa vie sans elle. Et il avouera que depuis des jours, des semaines, il se laisse un peu aller. Il ne sait plus combien de SMS il avait envoyés à Lisa. Des SMS revenus en "remis", parfois en "vu" et sans réponses. Il comprend, et plus que tout il s'en vet.. Il s'en veut terriblement de cette situation. ll aurait aimé être capable de faire mieux, de ne pas se cacher derrière mes peurs. On ne peut pas revenir dans le passé, pourtant il ferait tout ce qu'il pourrait pour que ça change, et de réécrire l'histoire.
Dire qu'il ne pourrait pas la perdre, qu'il n'aurait pas le goût de la vie sans elle, c'était une certaine vérité. Mais d'un autre côté, il ne pouvait pas vraiment le dire, par rapport aux garçons. C'était deux choses différentes, mais si jamais elle refusait à nouveau de lui adresser la parole comment faire ?

Au travail, ça ne se passe pas bien. Il a la tête en vrac et ne pense qu'à elle, et ça se ressent. Nombreux sont ses collaborateurs qui lui reprochent ses absences psychiques, qu'il n'écoute pas. Il n'arrête pas d'appeler "Lisa" son nouveau stagiaire greffier. Qui s'appelle en réalité Arthur. Il fallait faire quelque chose, c'était invivable... pour tout le monde. Même pour ses fils, qu'il ne voyait plus que chez lui, en pyjama et grosse robe de chambre, en buvant du thé qui avait refroidi depuis.... trop longtemps. Les journées seul, sans travail sont devenues très longues..

Ce matin-là, la pire idée du monde lui était venue en tête : j'allais courir, pour se changer les idées... mais tout en passant dans le quartier de Lisa. Avec un peu de chance, il  la croiserait. Un peu de malchance, non, et il devra prendre son courage à deux mains pour prendre une vraie douche, et essayer de se montrer sous le meilleur de ses jours, en revenant, et en plantant à son perron de porte.
Après quelques longues minutes de courses, en direction du bloc de batiment dans lequel habite Lisa, des minutes interminables, il arrive finalement. Et il remarque non sans mal la maison de jeune femme dehors. Non, pas besoin de faire semblant. Il ralentit et commence à avancer vers elle au pas. Bordel, il aurait au moins pu acheter des fleurs... Et puis en tenue de course, on aurait dit qu'il était en pleine forme, prêt à passer à autre chose. Alors que pas du tout.

Il s'avance, en essayant de ne pas perdre pied, et après une légère hésitation, Garrett a sonné à la porte. Il n'est pas prêt pour ça. Mais il n'est pas non plus prêt à vivre loin d'elle plus longtemps.

Évidemment, espérer que Lady accepte de rester dans le jardin était beaucoup trop demander. À peine le petit animal a-t-il mis la truffe dehors que, déjà, il tire sur la laisse tenue par sa maîtresse, pour aller plus loin, pour rejoindre le trottoir et pouvoir gambader sur celui-ci. Mais, évidemment, une fois arrivé sur celui-ci, la petite bête continue de tirer. Et Lisa sait exactement ce qu'elle veut. Ou plutôt, elle s'en doute. En réalité, il n'y a que deux possibilités. Soit elle veut aller au parc à cinq minutes d'ici, soit elle veut aller quelques pâtés de maisons plus loin, chez Aayden. Les deux sont dans la même direction. Alors, poussant un soupir, elle se met en route malgré sa dégaine, dans son pyjama Harry Potter au summum de l'élégance, avec ses cheveux défaits et ses yeux rougis par le chagrin, par les larmes qui ne cessent de l'épuiser et de continuer, pourtant, à couler, comme si elle n'était pas supposée trouver du répit, à aucun moment.

Quand elles passent devant la maison d'Aayden, Lady ne fait pas mine de s'y intéresser, continuant d'avancer. Et Lisa pousse un soupir en comprenant que ce sera donc le parc. Dans sa tenue. Alors qu'elle a failli sortir en pantoufle. Heureusement qu'elle ne l'avait pas fait. À croire que Lady avait juste l'intention de tourner sa maîtresse en ridicule. Lisa l'en accuse sans grand sérieux, l'animal tournant vers elle son adorable petite truffe comme s'il cherchait à comprendre ce que la blonde était en train de lui raconter, avant de se remettre en marche.

La honte. Au milieu du parc, avec son pilou-pilou bleu nuit à l'effigie de sa maison, Lisa n'a qu'une hâte. Fuir le plus rapidement possible pour rentrer chez elle. Évidemment, Lady ne l'entend pas de cette oreille et prend son temps pour faire ses besoins, avant de donner l'impression d'être prête à rentrer. Ça fait bien un quart d'heure qu'elles sont là, que Lisa a largement eu le temps d'être vu par tous ses voisins plus ou moins proches.

Le retour est rapide, même si Lady marque l'arrêt devant la maison d'Aayden. Elle se remet rapidement à trottiner en direction de chez elles. Lisa lève les yeux au ciel.  Évidemment, ça aurait été beaucoup trop simple qu'elles aillent simplement chez Den. Ça aurait été beaucoup trop simple qu'elle puisse se planquer rapidement chez son meilleur ami et oublier… toutes ces choses qui tournent dans sa tête en permanence.

Elle s'arrête en apercevant la silhouette devant la porte de sa maison et qui semble attendre qu'on vienne lui ouvrir. Même de dos, elle le reconnaîtrait entre mille. Cet homme devant sa porte est le même homme qui la fait pleurer depuis des jours, depuis des semaines et qui lui a brisé le cœur quand elle a découvert la double vie qu'il menait. Quand elle a découvert une réalité dont il ne lui a jamais parlé. Il a trois fils. Il a une femme. Et il n'a jamais trouvé le temps de lui parler d'eux. D'elle. Par contre, il avait de toute évidence trouvé celui d'enlever son alliance chaque fois pour lui cacher tout ça. Il avait même consenti à prendre un penthouse avec elle, passant la moitié de la semaine dans celui-ci et l'autre moitié prétendument à Berlin. Alors qu'il était seulement à quelques minutes de voiture de chez eux, avec sa femme et ses enfants. Il s'était bien foutu de sa gueule. Et Lisa a toujours du mal à l'encaisser. Enfoiré.

"- Qu'est-ce que tu fous là ?" demande-t-elle en reniflant.

Même le voir, c'est difficile.