Johanne était prête à jouer son rôle d’épouse, soutien sans faille du candidat au Sénat. Porter encore ce masque de femme heureuse aux côtés d’un époux qui l’avait délaissé pour sa carrière. Faire semblant qu’ils étaient heureux dans la vie publique autant que dans leur vie privée. Alors qu’ils savaient, tout deux, que d’ici quelques semaines, ils signeraient les papiers du divorce et continuerait leur vie l’un sans l’autre, mettant ainsi fin à quinze ans de mariage. Alors oui, ça sera difficile pour Wyatt de paraître comme étant le plus heureux des hommes, comblés professionnellement et personnellement, sa main dans celle de Johanne, de la regarder avec cet amour qui ne faiblissait pas avec les années, tout en entendant cette petite voix intérieure qui lui susurrait que ce n’était qu’un bonheur apparent, éphémère, et qu’elle ne serait bientôt plus à ses côtés. Et l’entendre lui dire qu’elle l’aimait toujours, qu’il continuerait d’être l’amour de sa vie… Ça l’était tout autant, parce que ça signifiait qu’ils s’étaient causés tant de mal que même leurs sentiments ne parvenaient pas à les maintenir unis. Un « Je sais » accompagna sa déclaration, et un « Tu seras parfaite, comme tu l’as toujours été » talonna ses inquiétudes. Il n’avait aucun doute qu’elle saurait tenir ce rôle d’épouse parfaite, comme elle avait toujours su le faire jusqu’à aujourd’hui.

Malgré tout cela, ils parvinrent à s’accorder un instant de nostalgie en replongeant dans l’album de photos de leur mariage. Une cérémonie sans prétention. Ils n’en avaient pas les moyens. Wyatt avait loué son costume et Johanne avait dû revendre ses chaussures « On a pu payer une partie du loyer avec » répliqua-t-il avec un maigre rire, comme s’il était éreinté de ces derniers jours. Ils n’avaient pas les moyens de manger dans des restaurants gastronomiques, de vivre dans une somptueuse demeure comme aujourd’hui, mais ils étaient heureux malgré tout. Se nourrissant d’amour et de pizzas de chez Luigi les jours de fortunes. Un sourire se glissa sur les lèvres du politicien en suivant du regard la photo que lui désignait Johanne. Elle portait sa veste de costume par-dessus sa robe de mariée, ils avaient fêtés toute la nuit, jusqu’aux premières lueurs du jour, et ils riaient « Je l’aime beaucoup aussi ». Mais ça appartenait dorénavant au passé. Johanne ne voulait pas revenir sur sa décision et lorsqu’elle justifia son choix, Wyatt abdiqua « On aurait dû parler plus tôt et … J’en ai été incapable ». Maintenant c’était trop tard. Ils s’étaient fait mal mutuellement. Et Johanne était détruite et aspirait à une autre vie. Elle voulait se retrouver, redevenir cette femme qu’elle était avant tout ça, avant les fausses-couches, avant qu’il ne décide que sa carrière était sa priorité. Et pour toutes ces raisons, le quadragénaire accepta. Il ne la retiendrait pas à lui. Il la laissait partir.

Évidemment, le politicien ne ferma pas l’œil de la nuit, ressassant leurs souvenirs les plus heureux, mais aussi ceux de ces deux dernières années. Il remua encore et encore dans les draps qui avaient été les leurs durant tant d’années, puis son réveil sonna et se rendit compte que même les bras de Morphée se détournait de lui. Il ne croisa pas sa femme au petit matin, se préparant et quittant la demeure avant qu’elle n’ouvre les yeux. En arrivant à la mairie, il s’excusa auprès de Roger d’avoir interrompu soudainement la conversation. Il n’eut pas besoin de se justifier davantage, ses traits tirés et ses cernes parlaient pour lui. Ils finirent donc la conversation en salle de réunion jusqu’à l’appel de Claire qui le conviait à venir au QG du parti pour discuter. Il prit donc congés de son supérieur, fit appel à Hadley pour l’y conduire et après avoir salué tous les soutiens du parti présent entre les murs du QG, poussa la porte du bureau éphémère de son assistante « Bonjour Claire » et son regard se posa sur Johanne, déjà présente « Bonjour Joe » avant de prendre place à ses côtés, prêt à parler de la version qu’ils allaient devoir communiquer à la presse et à laquelle ils allaient devoir se tenir jusqu’à la fin de la campagne. Claire les observa tour à tour avant de jeter un coup d’œil sur ses notes, puis posa ses mains à plats sur les documents en prenant une inspiration discrète « Les photos ne sont pas accablantes. Le détective privé ne vous a pas surpris dans une position compromettante, en pleine relation sexuelle, par exemple ». À ces mots, Wyatt se racla la gorge pour signifier qu’elle pouvait passer les détails « Je vous propose que la conférence de presse se tienne dans les prochains jours, et ensemble. Madame Andrews, vous expliquerez qui était cet homme sur les photos et son rôle. J’ai contacté également Monsieur Laurent Benoît. Il est prêt à témoigner également. Vous allez renvoyer l’image d’un couple plus amoureux que jamais et soudé ». Un regard pour le candidat qui portait toute son attention sur une poussière posée sur le pantalon de son costume, ne doutant pas pour autant qu’il tendait une oreille attentive à leur échange « Et lorsque les élections seront passées et qu’on obtiendra les résultats du scrutin, on organisera une nouvelle conférence de presse pour vous Wyatt, au cours de laquelle vous annoncerez votre divorce. Un commun accord, et que vous souhaitez qu’on respecte votre vie privée. Enfin, vous connaissez la procédure à suivre ». Wyatt, renfermé dans son mutisme, acquiesça. Après tout, ça ne serait pas le premier homme politique à divorcer « Vous vous doutez bien que vous allez baisser dans l’opinion publique. C’est évident. Il ne vous restera plus qu’à fournir les efforts nécessaires pour la reconquérir ». Claire regarda tour à tour les époux Andrews, ouvrant de grands yeux devant les mots qu’elle avait employé et se reprit « Je parle bien sûr de l’opinion publique » et émit un petit rire nerveux, se racla ensuite la gorge et fronça les sourcils pour tenter de reprendre contenance, son regard rivé sur ses documents. Wyatt tourna la tête discrètement vers Johanne. La reconquérir… Il aurait moins de mal à le faire avec l’opinion publique que sa propre épouse. « Bon, eh bien je crois que j’ai fini. Avez-vous des questions ? ».

Au matin, Johanne avait entendu son mari se lever. Elle n’avait que très peu dormi. Elle n’osa pas bouger, encore moins lever pour devoir lui faire face si tôt dans la journée. La conversation de la soirée était encore fraiche dans son esprit. La douleur bien présente. Elle savait que cette douleur ne partirait pas de sitôt. C’était tellement dur de voir Wyatt si vulnérable. Lui, l’homme fort, l’homme que rien ne pouvait ébranler. Si seulement ils avaient su s’ouvrir l’un à l’autre dans leur détresse… Mais il était trop tard. Comme elle l’avait stipulé, Johanne ne reviendrait pas sur sa décision. Parce que c’était la meilleure décision. La seule issue.

Avant de se rendre au QG, Johanne avait prit soin de se faire belle. Elle s’était habillée avec élégance, s’était coiffée et maquillée avec soin, cachant au mieux ses cernes et ses traits tirés. Elle voulait donné encore et toujours une bonne image. Seule Claire était au courant de ce qui se passait, les autres devaient croire que tout allait bien. Alors elle sourit et serra des mains en arrivant au QG, puis retrouva l’assistante de Wyatt afin de parler des détails de la future conférence de presse. Elle adressa un faible sourire à son mari tout en soufflant un : « -bonjour… » puis elle croisa les jambes et écouta avec soin ce que Claire avait à dire. Elle posa sur elle un regard noir et un visage fermé. Était-elle obligée dire cela à voix haute. « -très bien. » lâcha Johanne après avoir écouté ce qui était prévue. « -est ce qu’on est vraiment obligé d’afficher sur le devant de la scène notre vie privée ? » elle savait d’avance qu’allait répondre l’assistante. Joe recula dans son siège. Cela ne regardait personne.

Elle baissa le visage, et releva uniquement le regard sur Claire. Elle trouvait ça drôle ? « -non. Je veux avoir une copie du discours que je dois tenir, deux jours avant. Et je prends la liberté de changer ce qui ne me plaira pas. » c’était non négociable. Intérieurement elle avait envie de remercier son interprète mais elle n’avait pas son numéro pour pouvoir le faire. Grâce à son témoignage, les choses allaient rentrer dans l’ordre et le parti adverse allait se retrouver le bec dans l’eau. Johanne se leva, serra la main de Claire et la laissa quitter la salle avant eux. Heureusement elle n’était pas vitrée, cela leur permettait un peu d’intimité. « -merci d’être venu… » souffla Johanne en cherchant comment amorcer la conversation. « -tu veux que je sorte en premier ou bien ensemble ? » demanda-t-elle soucieuse de ce que pouvait dire ou penser les gens en dehors de cette pièce.

   

Le sommeil l’avait délaissé toute la nuit durant, le laissant seul avec ses pensées, sans alcool pour les faire taire comme les nuits précédentes. Il s’était retrouvé seul avec lui-même entre ces murs qu’il avait délaissé certains soirs, et le regrettait amèrement. Il regrettait d’avoir voulu s’éloigner de Johanne, de préférer la présence d’une pièce vide plutôt que le corps chaud de son épouse à ses côtés. Mais ce n’est que lorsqu’on a tout perdu, qu’on prend conscience de l’importance de ces moments, de ces personnes… Cette nuit sans fermer l’œil n’empêcha pas Wyatt de se rendre à la mairie pour faire son travail, pour assurer ses réunions et ses rendez-vous. Il fit également acte de présence lorsque son assistante le lui demanda. Ils devaient faire le point sur la conférence de presse à venir, et Wyatt ne souhaitait pas que Johanne affronte cela seule. Elle n’était pas familière de l’exercice, alors il serait présent pour elle. Il salua tour à tour les personnes qui croisa sa route en entrant dans le QG, et ce, jusqu’à la porte du bureau de Claire dans lequel il pénétra en saluant les deux femmes. Il prit place sur la chaise face au bureau, notant l’élégance de son épouse, et croisa élégamment les jambes, se retint de tout commentaire lorsque Claire évoqua les photographies. Il ne put s’empêcher, néanmoins, de se racler la gorge pour lui faire comprendre qu’elle dépassait peut-être les limites du tolérable en cet instant.

Concentré sur la poussière accrochée à son pantalon de costume qu’il tentait de retirer, il maintenait toutefois une oreille attentive à l’échange entre les deux femmes. La tête toujours baissée, il leva néanmoins les yeux de son pantalon pour fixer Claire, dans un premier temps, puis Johanne qui n’avait jamais apprécié dévoiler leur vie privée de la sorte. Il se reconcentra sur la poussière posée accrochée férocement au tissu de son vêtement, et rétorqua « Je m’en occuperais si cela ne vous dérange pas Claire ». Il était familier des conférences de presse, des plateaux de télévision, de l’ingérence des médias dans son quotidien professionnel. L’exercice ne serait guère plus difficile cette fois-ci. Il releva la tête dans l’attente d’une réponse de son assistante qui ne se fit pas attendre davantage « C’est Madame Andrews que la presse veut entendre. Je suis désolé Wyatt ». Le politicien hocha lentement de la tête qu’il tourna ensuite en direction de sa femme « Je serais là pour toi. On répètera, comme si nous préparions une pièce de théâtre. Ce n’est guère différent ». Il baissa à nouveau la tête vers la poussière sur son costume, comme si c’était tout aussi important que l’échange qu’ils avaient actuellement entre ces quatre murs.

Une fois encore, son assistante se montra maladroite dans sa manière de s’exprimer, faisant relever bien vite les yeux de Wyatt. La reconquérir… Il posa son regard sur Johanne qui ne semblait pas s’être rendue compte de l’impair de son assistante… Ou peut-être ne le souhaitait-elle pas tout simplement. Un sourire étira le coin des lèvres du politicien alors que son épouse se montra quelque peu autoritaire à l’encontre de Claire « Oui… Oui, bien sûr. Je m’adapte à vous et non l’inverse Madame Andrews », puis se leva « Sur ces bonnes paroles, je retourne à mon travail. Merci d’être venus et on se voit tout à l’heure Wyatt ». L’intéressé acquiesça, la laissa quitter la pièce sans un regard, puis délaissa son pantalon de costume pour se lever à son tour. « C’est normal » souffla-t-il avec douceur avant de fixer la porte close devant eux quelques secondes « Ensemble ». Il baissa son regard sur la main qu’il venait de lui saisir, et ouvrit la porte avant de la refermer aussitôt « Je voulais juste te dire que tu étais très jolie ce matin ». Il resta un moment silencieux à l’observer, afficha un sourire qui disparu aussitôt et ouvrit la porte, sortant main dans la main avec son épouse, quittant ainsi le QG devant lequel leur chauffeur les attendait patiemment. Wyatt retira sa main de la sienne « Tu dois compter les jours, en espérant que tout ça se termine rapidement » et il parlait de leur mariage en disant cela. Un regard pour le bâtiment à leur côté, puis pour l’heure à sa montre « Tu as faim ? Tu souhaites déjeuner ou… Non, oublie. Ce n’est pas maintenant qu’on va divorcer que je dois t’accorder du temps. C’est trop tard… » et émit un petit rire nerveux, presque triste, avant de désigner Hadley de la main, puis sa femme ensuite « Hadley, je vous laisse la conduire là où elle le souhaite » «Bien sûr Monsieur Andrews » et ajouta « Je vais retourner à la mairie à pieds. Ça me fera le plus grand bien » et s’éloigna.

Johanne leva les yeux au ciel avant de pousser un long soupire. Parce à cause de Wyatt. Elle savait parfaitement qu’il venait de se proposer pour la protéger. Non, c’était la réponse de Claire qui l’agaçait. C’était elle qu’on voulait entendre. Qu’est ce que ça pouvait bien leur faire ! Il s’agissait de leur vie privée ! Politique ou pas, ça restait tellement indiscrète, tellement horrible d’avoir besoin de venir fouiner ainsi dans l’intimité des gens. Joe regarda son mari et ajouta : « -je crois que c’est mieux oui. » elle inspira profondément pour calmer ses nerfs. C’était mieux qu’il lui apprenne à réciter son texte. A parer les éventuelles questions. Sinon… elle n’était pas certaine d’être capable de garder son calme. Et envoyer se faire foutre la presse, n’était surement pas ce qui allait servir la cause de son mari.

D’ordinaire Johanne appréciait l’assistante de Wyatt. Mas aujourd’hui… le sujet était complexe et elle ne cessait de dire n’importe quoi. C’était presque déplacé. Alors Joe se montra assez directe et autoritaire. Elle voulait pouvoir revoir le discours. Elle détestait qu’on lui dise quoi faire. Et si ce qui était écrit ne lui plaisait pas, elle changerait le discours. Elle ne prit pas la peine de remercier l’assistante. Pourquoi est-ce que le : on se voit tout à l’heure Wyatt, l’irrita autant ? Parce que cette femme avait la chance de passer la plus part des ses journées avec son mari ? Elle remercia Wyatt, d’être venu. Puis elle lui demanda comment est ce qu’ils voulaient sortir de cette pièce. Un hochement de tête alors qu’il saisissait sa main. « -merci… je me suis dis que des cernes n’allaient rien arranger. » et elle avait toujours aimé qu’on dise que le futur sénateur Andrews avait une belle épouse.

Une fois dehors, elle couva son mari du regard : « -arrête s’il te plait… » lui souffla-t-elle avec douceur. Il se faisait encore plus de mal en disant cela. Elle sourit en baissant les yeux lorsqu’il réalisa ce qu’il était en train de faire. « -arrête… » souffla-t-elle de nouveau. Ça la faisait se sentir coupable. Ça n’aidait pas. Elle monta dans la voiture en silence, mais lorsqu’ils eurent dépassé Wyatt de quelques mètres, elle demanda au chauffeur de s’arrêter. Elle ouvrit la portière et se pencha pour dire : « -montes. » elle n’avait pas envie de le s’affliger ça. « -est ce que vous pouvez nous conduire au Blue Ribbon s’il vous plait. » elle adorait ce restaurant Japonais. Elle demanda ensuite au chauffeur de monter la vitre afin qu’ils ne soient que tous les deux. « -est ce qu’on pourrait éviter de se faire encore plus de mal, le temps qu’il nous reste ? » elle fixa Wyatt du regard : « -on a encore des choses à traverser, et je n’ai pas envie qu’on en vienne à se détester. » elle espérait vraiment qu’ils parviendraient à faire ça comme deux adultes. Raisonnablement… malgré la douleur et la peine.


   

Wyatt avait longtemps assimilé les conférences de presse au fait d’être une proie chétive au milieu de lionnes affamées. Sauf qu’à défaut de donner des coups de crocs, ils s’ingéraient dans la moindre brèche apparente et ça devenait la une du journal local. Excepté qu’ils ne vivaient pas dans une village de 500 habitants, mais dans l’une des plus grandes villes du monde, et que la presse locale, c’était le New York Times ou encore le Wall Street Journal, dont la lecture dépassait les seules frontières de la ville. Il lui avait fallu des années pour appréhender l’exercice, et même si ce n’était jamais une partie de plaisir pour le candidat, il s’y prêtait avec moins d’anxiété. Ce qui ne serait pas le cas de Johanne au moment venu. C’était pour cela qu’il lui proposa son aide, qu’elle accepta volontiers. Il pourrait ainsi la préparer au pire, ainsi, si jamais ça venait à se produire, elle se retrouverait pas désarmée, désemparée face aux caméras des journalistes. Tout le long de l’entrevue, Wyatt maintint son attention sur la poussière accrochée à son pantalon, mais il n’était pas non plus déconnecté de la réalité, et sentait bien, au comportement de son épouse, que la discussion n’était pas au goût de cette dernière. Il remercia donc intérieurement Claire de mettre fin à cette entrevue avant que Johanne ne perde sa patience légendaire face à autant d’impair de la part de son assistante. Lorsqu’ils furent enfin seuls entre ces quatre murs, Wyatt opta pour glisser sa main dans la sienne, apparaissant unis. Il s’autorisa toutefois un compliment à l’attention de Johanne alors que son autre main était posée sur la poignet de la porte. Un petit sourire étira les lèvres du probable futur sénateur « Elles auraient pu accompagner les miennes » et lui fit un clin d’œil avant de tirer la porte, sortant enfin de ce bureau clos.

Main dans la main, ils quittèrent le QG du parti dont les baies vitrées étaient investies par son portrait de part en part. Arrivée à la hauteur de leur berline, Wyatt retira sa main de la sienne et acquiesça d’un simple signe de tête. Un regard pour sa montre. C’était l’heure du déjeuner et convia sa femme à l’accompagner, mais se ravisa bien vite. Il lui portait de l’attention maintenant qu’elle était sur le point de partir, de le quitter. Il souffla un « D’accord » à sa demande, puis invita Hadley à la conduire là où elle souhaitait pendant qu’il remontait l’avenue jusqu’à la mairie où il déjeunerait tout en étudiant ses dossiers. Un froncement de sourcils en voyant la berline s’arrêter à sa hauteur, puis se mit à sourire en voyant Johanne l’inviter à la rejoindre à l’arrière de la voiture. Un regard pour les passants, puis décida d’obtempérer. Un nouveau sourire se glissa sur son visage quand elle indiqua l’adresse d’un restaurant japonais non loin d’ici et dans lequel ils avaient mangé de temps à autre. Un regard pour la vitre fumée qui remontait lentement, les séparant du monde extérieur, puis porta son attention sur Johanne « Oui… Je suis désolé. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et… L’entrevue avec Claire… ». Un soupir tout en s’enfonçant dans la banquette arrière, sa tête contre le dossier de son siège « Je suis éreinté… » et releva son regard sur elle alors qu’elle le surplombait en raison de sa position affalée « Je ne veux pas non plus qu’on se fasse plus de mal que celui qu’on s’est déjà fait. J’ai seulement encore quelques difficultés sur comment agir maintenant. J’ai l’impression … de… » « D’avoir le cul entre deux chaises Monsieur Andrews ». Wyatt désigna le chauffeur de la main « C’est exactement ça ! Je vous remercie Hadley » « C’est un plaisir Monsieur » alors qu’il les regardait dans le rétroviseur. Le politicien releva ses yeux verts sur sa femme « Je ne sais plus comment agir avec toi. Ça fait dix-sept qu’on est ensemble. J’ai perdu l’habitude des séparations » rétorqua-t-il tout en affichant un sourire espiègle « On fait chambre à part, je ne peux plus te toucher également, mais ai-je le droit de t’inviter encore à diner ou déjeuner ? La liste n’est pas exhaustive, bien évidemment ». Wyatt posa sa main sur sa bouche alors qu’il bailla. Si ça ne tenait qu’à lui, il rentrerait juste après le déjeuner pour rejoindre son lit, mais Claire lui avait organisé des réunions successives…

Johanne fut soulagée qu’il accepte de monter. Ils étaient dans une période charnière de leur vie, et elle n’avait pas envie de finir par le détester. Vraiment pas. Alors elle souhaitait qu’il change de comportement. « -ne parles pas de Claire s’il te plait. J’étais bien heureuse qu’elle quitte la pièce. » répliqua Johanne d’un ton assez acide. « -d’ordinaire je l’apprécie mais là… » Johanne c’était presque attendu à ce qu’elle lui demande si elle était bien sur et certaine de ne pas avoir eut de relation avec le français. Elle le regarda avec tendresse : « -je sais… » il y a très longtemps, elle aurait ri, en disant qu’elle était désolée, qu’elle était fautive ! Parce qu’elle était venu se blottir contre lui, embrasser son cou et qu’ils avaient fini par faire l’amour toute la nuit. Mais comme tout, c’était du passé. Aujourd’hui, s’il avait des cernes et qu’il ne dormait pas, c’était également la faute de Johanne. Mais du tout pour les même raisons.

Elle écouta Wyatt avec attention avant d’ouvrir de grands yeux et de s’exclamer : « -Hadley ! » depuis quand est ce qu’il se mêlait de leur conversation. « -fermez la vitre ! » demanda-t-elle en souriant, amusée par l’intervention du chauffeur et la complicité qu’il avait avec son mari. « -oui madame. » et la vitre se ferma afin que cette fois, ils ne soient plus que tout les deux. En écoutant Wyatt qui avait repris la parole, elle baissa les yeux, et fit le triste constat : « -tu n’as qu’à te comporter exactement comme depuis deux ans… et ça devrait aller… » perdu l’habitude ? Est-ce qu’il s’entendait ? ça faisait déjà bien longtemps qu’ils faisaient chambre à part. Elle ne comptait plus le nombre de nuit qu’elle avait passé seule dans leur lit. Quant à la toucher… c’était devenue tellement rare également… Elle avait la sensation qu’il venait d’ouvrir les yeux. Que maintenant que le mot divorce avait été énoncé, Wyatt prenait conscience de tout ce qui s’étaient réellement passé depuis deux ans.

Johanne se passa une main dans les cheveux avant de soupirer. « -écoute… malgré la décision que nous avons prise, tu dois te ressaisir. Manger, dormir et faire en sorte de gagner cette élection. Pour ce qui est de notre séparation, nous verrons cela après. » elle n’avait pas l’intention de laisser Wyatt couler à pic. Mais il devait faire un effort de son côté. Parce qu’elle ne parviendrait pas à les garder tout les deux la tête hors de l’eau bien longtemps. Elle prit son portable et composa le numéro de Claire : « -Claire, annuler les rendez-vous au planning de Wyatt cet après-midi. » elle serra les dents : « -parce que vous l’ordonne. » claqua la belle brune avant de raccrocher. « -on va déjeuner, tu vas manger et ensuite tu vas te reposer. Le monde ne va pas s’écrouler parce que tu dors quelques heures. » elle leva un doigt : « -c’est non négociable. »

Wyatt fut surpris de constater que sa femme souhaitait déjeuner en sa compagnie aujourd’hui. Par rancune après ces deux années à l’ignorer, Johanne aurait pu décliner et choisir la compagnie de ses amies pour ce midi. Ce qui fut nullement le cas. Il accepta donc l’invitation et pénétra dans l’habitacle de la berline, se laissant rapidement choir au fond de la banquette en cuir. Il ne fallut pas plus d’une seconde pour que Johanne condamne son soudain comportement qu’il justifia par la fatigue et l’entrevue malaisante avec Claire un peu plus tôt. La réaction de sa femme ne se fit pas attendre davantage. Comme il l’avait présagé, cette dernière n’avait pas apprécié l’entrevue « Elle ne fait que son travail. Les journalistes seront bien moins dans la retenue ». Il défendait son assistante parce qu’avec les années, il avait appris son fonctionnement, et si Johanne s’offusquait des paroles de Claire, alors elle serait désemparée devant celle de la presse lors de la conférence qui allait se tenir d’ici quelques jours… Il releva légèrement la tête vers son épouse qui avait conscience de son état de fatigue actuel. La campagne, leur dispute, le divorce qui en découlait tout naturellement… Cela avait mis le politicien sur les genoux. Ce qui était légitime. Tout du moins à ses yeux.

Le plus éreintant pour le quadragénaire, c’était la manière avec laquelle il devait agir à l’encontre de Johanne maintenant qu’ils avaient décidé de divorcer d’ici quelques semaines. Comme le précisa si bien le chauffeur, le politicien avait le cul entre deux chaises. Il devait continuer à être l’homme transit d’amour pour sa femme devant les caméras, mais dans la sphère privée, ils allaient divorcer. La réaction de Johanne lui tira un petit rire alors que le chauffeur s’exécuta, remontant la vitre centrale de la berline, leur laissant ainsi l’intimité nécessaire pour poursuivre leur conversation. Le sourire espiègle qu’affichait Wyatt s’estompa soudainement lorsque Johanne lui apporta la réponse à ses questionnements. Agir comme il le faisait depuis deux ans… À ces mots, Wyatt se redressa sur la banquette arrière, reprenant soudainement contenance alors que Johanne lui rappelait brutalement la réalité de leur mariage. Ou plutôt de ces deux dernières années d’union. Elle avait raison et il le savait. Il avait agit comme un homme près à divorcer depuis deux ans, et maintenant que tout cela devenait concret, il prenait conscience de ce qu’il perdait, en omettant que c’était trop tard dorénavant. « Je l’ai mérité » murmura-t-il donc pour seule réponse au rappel de son épouse.

Le coude posé contre la vitre de la berline, il masqua son bâillement qui trahissait son état actuel de fatigue. Il tourna la tête vers Johanne qui lui demandait de se reprendre en main pour les électeurs « Pardonne-moi d’encaisser le coup de notre séparation l’espace de quelques jours Johanne » rétorqua-t-il avant de détourner le regard pour observer le monde extérieur qui les entourait. Il poussa un soupir et ajouta sans la regarder « Pardonne-moi. Je sais que tu dis ça pour mon bien, c’est juste que… Je le sais tout ça. J’ai juste besoin d’un peu de temps, ok ?! ». Il fronça ensuite les sourcils en entendant le prénom de son assistante et tourna la tête hâtivement vers Johanne qui était pendu à son téléphone « Qu’est-ce que tu fais Joe ?! Non, arrête ! Je ne peux… », mais elle ne l’écouta pas. Il suivit du regard le petit appareil qu’elle dégagea de son oreille après son appel, puis releva ses yeux verts sur le visage de son épouse « Mais… », mais ce n’était pas négociable. Tels étaient ses mots. « Il y a un temps, j’aurais trouvé ton côté autoritaire très sensuel et on aurait fait l’amour aussitôt. Aujourd’hui, il m’emmerde Joe ! » et reporta son attention sur le paysage urbain qui défilait derrière les vitres sans teins de la berline, avant d’esquisser un sourire et ajouta « Merci… » sans la regarder.

« -arrête de prendre sa défense. Tu as constaté comme moi que ses paroles étaient déplacées. Elle fait partie de ton entourage pas de la presse à scandale. Si j’avais voulu faire des photos sexy, ça fait longtemps qu’on les aurait déjà faites toi et moi. Pas avec n’importe qui. » oui, la comportement de Claire tapait sur le système de Johanne qui tenait de garder son calme malgré tout. « -et je suis bien consciente qu’ils ne vont pas se contenter de sourire et de hocher la tête. » elle savait parfaitement qu’elle allait être la cible de questions, toutes les plus intimes les unes que les autres. Et c’était pour ça qu’elle avait besoin de lui à ses côtés le jour J . Pour ne pas se laisser emporter et éviter de faire pire que mieux.

Quand à la suite de la conversation, elle n’aida pas vraiment Johanne à garder le sourire et redescendre en pression. Wyatt était en train de se plaindre de ne pas savoir comment agir avec elle. Qu’est ce qu’il voulait changer exactement ? Elle ne pu faire autrement que répondre. Même si elle se doutait que ça allait frapper où ça faisait mal. Ils n’avaient qu’à continuer comme avant. Pas la peine de faire un sursaut de love devant le public. Ça pourrait également paraitre louche.

Elle encaissa à nouveau. Il était toujours de mauvaise humour lorsqu’il était fatigué. Elle le savait. Elle hocha la tête. Un peu de temps… ça faisait déjà plus de trois jours. Pour le monde et l’avis extérieur c’était déjà trop. Elle regarda par la vitre. Il semblait être conscient qu’elle disait cela pour son bien. Et non pas parce qu’elle était insensible et qu’elle ne souffrait pas de son côté. Quo qu’il en soit, elle prit son téléphone et demanda à Claire d’annuler le reste de la journée de Wyatt. Elle ordonna de le faire surtout. Cela lui fit du bien d’ailleurs. Elle ne laissait pas le choix à Wyatt que de prendre son après-midi. « -tu as dit avoir besoin de temps. Tu as ton après-midi. » répliqua la belle brune avant d’ajouter : « -t’as toujours détesté ça… » ça le mettait hors de lui. Et quand il était hors de lui… oui, généralement ils finissaient par faire l’amour. Sauvagement. Mais ça ne serait pas le cas aujourd’hui. « -de rien. » répliqua-t-elle Johanne sur un ton assez tranchant, en regardant le paysage de son côté.

Au restaurant, ils mangèrent assez silencieusement, parlant de temps à autre de banalité. Pour faire bien. Une fois chez eux, elle délaissa ses talons dans le hall, tout comme sa veste. Puis elle gagna assez rapidement son bureau. Son bureau qui aurait dû être la chambre de leur fils. Cette pièce qu’ils avaient mis tant de temps à repeindre et vider des meubles de bébé. Elle l’avait fait sur un coup de tête, voulant tourner la page. Parce que revoir ce petit lit et ce mobile au-dessus, c’était encore plus douloureux.

Il fallait croire que leur dernière dispute avait libéré la parole de Johanne, ou était-ce le fait qu’aujourd’hui, elle n’avait plus rien à perdre maintenant que la sentence était tombée et qu’il en était terminé de leur mariage. Alors que depuis deux, elle préférait un silence pesant aux haussements de ton, il en était soudainement différent dans l’habitacle de leur berline alors que Wyatt justifiait le comportement de son assistante. Si elle s’emportait devant les sous-entendus presque provocateurs de Claire, qu’en sera-t-il le jour de la conférence de presse face à des journalistes peu concerné par ses états d’âmes et ne désirant qu’une chose, trouver la nouvelle une de leur média. « Je ne prends pas sa défense, j’émet un constat Johanne. Comprends bien que ces photos la dérange elle aussi. C’est un caillou dans un mécanisme qui était bien huilé. Un faux pas et il en va de ma carrière ». Il poussa un soupir « Je lui parlerai cet après-midi en lui demandant de ne plus s’exprimer ainsi à ton encontre ». Avachi sur la banquette arrière, il releva ses yeux verts sur Johanne qui était correctement installée et qui le surplombait de quelques centimètres « Je serais là pour toi, et tout ira bien ». Wyatt comptait se préparer à intervenir à la moindre défaillance de Johanne ou à la moindre question désobligeante à son égard. À défaut de ne faire qu’un dans la vie privée, ils sauraient se montrer souder devant les journalistes et les électeurs.

La suite de la conversation fut quelque peu déplaisante pour le quadragénaire qui se redressa soudainement sur la banquette arrière, reprenant soudainement contenance lorsque Johanne trouva pertinent de lui rappeler quel homme il avait été durant deux ans. Une manière comme une autre de lui rappeler que le divorce n’était que la suite logique à son comportement, à cette distance qu’il s’était obstiné à maintenir entre eux. Ils ne vivaient plus comme un couple marié depuis bien longtemps, et ce n’était pas maintenant que l’évidence avait un mot, qu’il devait se rappeler qu’il était marié depuis quinze ans… Il était bien trop tard. Il encaissa la brusque réalité, puis se concentra sur le défilé du paysage urbain derrière les vitres noircies de la voiture. Enfin, jusqu’à ce qu’elle ne décide de se saisir de son portable pour contacter Claire et exiger de cette dernière qu’elle décale l’ensemble de ses rendez-vous de cet après-midi. Une initiative qui déplu rapidement au politicien qui lui fit clairement comprendre à sa manière. Elle l’emmerdait lorsqu’elle agissait de la sorte. Il lui lança un regard noir au moment d’évoquer ce temps qu’il lui avait demandé, puis acquiesça « Oui, en effet ! » en lui donnant raison sur ce point. Cette autorité le mettait hors de lui, et c’était souvent à cause de cela qu’il se ruait sur elle, bien décidé à exprimer son mécontentement en lui faisant l’amour. Mais cela appartenait à une autre époque, dorénavant close.

Le déjeuner se déroula presque sans un mot, affichant un faux bonheur aux yeux des autres clients du restaurant, puis ils rentrèrent à leur domicile, toujours dans ce même silence oppressant. Wyatt avait décidé d’accepter la réalité et de ne plus tenter de la reconquérir ou de subir la décision qu’ils avaient finalement prises ensemble. Il quitta ses chaussures dans l’entrée, jeta sa veste de costume sur le canapé en passant, puis se servit un café alors que Johanne opta pour le bureau. Après quelques minutes, il la rejoignit, sans parvenir à franchir le seuil, comme depuis la mort de leur enfant. Il resta donc dans l’encadrement de la porte « Tu as besoin de quelque chose avant que j’aille dormir ? ».

Elle avait soupiré. Forcement, Claire comprenait elle… « -non, ne dis rien. J’ai ai marre de passer pour l’emmerdeuse. » Si elle avait quelque chose à dire à Claire, elle ne se gênerait pas pour le faire elle-même. En réalité, il avait peut-être raison, elle allait finir par compter les jours. Ceux qui les séparaient de l’élection. Elle en avait tellement marre de ce climat, de devoir se fondre dans le moule… Ce monde n’était pas le sien, et elle était vraiment fatiguée de devoir faire des efforts pour s’y fondre. Tout irait bien ? Elle l’espérait, sinon tout serait de sa faute. Encore et encore… Wyatt avait beau s’accabler, dire qu’il était fautif, du point de vu de Johanne c’était différent. Elle avait la sensation d’être désigner du doigt. C’était elle la fautive. Elle qui ne fournissait pas assez d’effort. Elle… elle… elle…

Ils avaient trop longtemps éviter les disputes, trop longtemps laisser s’installer le silence. C’était lui qui lui avait hurlé de parler, de s’exprimer, de ne plus subir. Très bien. Même si elle souhaitait que tout se passe au mieux, elle avait décidé de ne plus se faire. Ils avaient trop de choses sur le cœur. Ils devaient parler. Il le savait autant qu’elle. S’il se cachait derrière sa fatigue, elle le pousserait pour qu’il sorte ce qui pourrissait en lui depuis deux ans. Même si ça serait douloureux. Pourtant lorsqu’ils furent rentré chez eux, elle se dirigea rapidement vers la pièce qui était devenue son refuge. Wyatt n’en passait jamais la porte. Comme si c’était au-dessus de ses forces. Est-ce que ça non plus il ne lui avait pardonné ? D’avoir prit la décision sur un coup de tête de changer la pièce, de sortir les meubles pour installer son bureau à la place ? Ils n’en avaient jamais parlé. Comme tant de chose.

La pièce n’était jamais rangée. Elle avait sa façon de travailler bien à elle. Rester assise derrière un bureau, elle en était incapable. Généralement, elle dessinait sur le canapé présent dans la pièce. Puis au sol, étalant tous ses croquis autour d’elle. Aujourd’hui ce n’était pas ses dessins qui s’étalait atour d’elle, mais des photos. Des tonnes de photos qu’elle n’avait jamais prit le temps de classer. Des questions lui venaient, des réponses aussi. Lorsque Wyatt ouvrit la porte, elle ne bougea pas. Mais elle souffla, le regard dans le vide : « -est ce que tu penses à lui parfois ? Est-ce que tu l’imagines… » parce que de son côté, c’était assez régulier lorsqu’elle croisait des enfants…