Glen essayait de garder la face devant le père de sa dulcinée mais il sentait bien que les choses commençaient à lui échapper. Et ça avait été pire quand Lullaby s’était approché. Craignait-elle que Glen vende la mèche ? Ou bien que son père soit en train de lui parler d’une énième connaissance féminine géniale qu’il devrait rencontrer ? Glen s’apprêtait à sortir une vanne bien sentie quand Ethan était venue attraper Lullaby. Sur le coup, Glen n’avait pas compris. Et puis la demoiselle s’était mis à se débattre et Glen avait fini par faire le lien avec la piscine. Oh non. Le reste de la scène, il l’avait vu au ralenti. Philip était venu en aide à son cadet et ils avaient ensemble jeté à l’eau leur frangine sous le regard un brin inquiet de Glen. Ce n’était qu’une blague mais si elle buvait la tasse ? Ou si elle se cognait ? L’agent se découvrait un fort instinct protecteur. Et ça n’avait été que le début. Quand elle était ressortie de là, sa robe blanche trempée moulait la moindre courbe de son corps. Pour ne rien gâcher, on pouvait distinguer son ensemble de lingerie. Et ça avait été de trop pour Glen qui s’était soustrait de cette vue. Déjà parce que ça l’avait fait rougir des pieds à la tête. Ensuite parce qu’il était hors de question qu’elle reste dans cette posture. Il était monté en quatrième vitesse dans la salle de bain pour récupérer une serviette et la ramener, toujours au pas de course, à sa belle. Sans même réfléchir à ce que pourrait penser le clan Watson, il avait entouré Lullaby de la serviette et avait doucement frotté son dos. Il lui avait fallu avoir l’impression d’avoir une dizaine de paires d’yeux braqués sur lui pour réaliser et s’arrêter. Il avait vraiment fait ça ? Devant tout le monde ? Oh mon Dieu. Il s’écarta. « Bah quoi ? Elle aurait pu attraper froid… » qu’il tenta maladroitement d’expliquer en s’écartant un peu plus.

Evidemment, les deux couillons sont hilares en apercevant leur sœur trempée de la tête aux pieds, les cheveux plaqués contre son visage, de même que ses vêtements à son épiderme. Vraiment très malin. En même temps, s'ils ne l'enquiquinaient pas, ça ne serait pas vraiment eux. Depuis le temps qu'elle les connait et qu'elle subit leurs blagues, elle devrait le savoir. Pourtant, elle a l'impression de se faire avoir chaque fois et de se faire surprendre, comme une bleu.

"- J'me vengerais." promet-elle à l'attention de ses frères, en apercevant le visage livide de Glen qui s'éclipse.

Levant un sourcil en l'observant s'éloigner, Bee détourne finalement le regard pour parler à Noah, plaisanter avec lui, se plaindre de son manque de secours pour sa tatie "préféré" et affirmer que si c'est comme ça, il n'aura plus de câlin de toute la journée. Bien sûr, l'enfant proteste. Evidemment, la marraine n'est pas sérieuse. A peine a-t-elle proféré de telles menaces qu'elle l'attrape contre elle, claquant un baiser sur sa joue avant de le laisser retourner jouer.

Glen revient, s'approchant d'elle pour l'envelopper dans une serviette et leur proximité l'électrise. Comment est-ce possible d'être si près de cet homme et de ne pas l'embrasser ? Elle en a une envie furieuse, tout en sachant parfaitement, dans une étincelle de lucidité, qu'elle ne doit pas le faire. Mais il ne lui facilite pas la tâche comme il prend le temps de frotter son dos un instant, avant de prendre conscience de ce qu'il fait, d'où ils sont, du public qui les observe. Bee resserre la serviette autour d'elle alors qu'il la lâche pour prendre un air innocent. Elle aurait pu attraper froid. Bien sûr. Vu la saison... Mais elle vole à son secours, évidemment.

"- C'est vrai. Je vais aller me changer et me dépêcher de mettre la robe à tremper, pour le chlore..." affirme-t-elle avant de s'éclipser dans la maison. Elle aura bien un truc ou deux à se mettre, dans son ancienne chambre d'adolescente. *Je crève d'envie de t'embrasser.* envoie-t-elle en même temps à Glen, ayant récupéré son téléphone en passant.

Elle reparaît quelques minutes plus tard, le maquillage arrangé après avoir emprunté les produits de sa mère, les cheveux séchés et portant une nouvelle robe blanche, à fleurs bleus, avec une légère fente sur la cuisse gauche. Un truc qu'elle n'a plus mis depuis cinq ou six ans, quand elle a quitté la maison parentale pour s'installer dans son appartement. Une chance qu'elle ne soit pas devenue trop petite.

"- Plus de bêtises, j'ai presque plus de fringues ici !" prévient-elle à l'attention de ses frères en revenant. "Qu'est-ce que j'ai manqué ?" poursuit-elle, curieuse.

Glen avait l’impression d’enchainer les faux pas. Evidemment, il avait appréhendé ce moment mais il n’avait pas pu imaginer qu’il allait se passer autant de choses compromettantes. Le problème, c’est qu’il était coincé maintenant. Le mieux aurait été sans doute de ne pas venir… Mais Glen ne voulait pas risquer une belle amitié comme celle qu’il avait avec le père de sa dulcinée. Mais, tout ça, c’était à peine gérable. Il fallait qu’il s’endurcisse mais il en avait été bien incapable quand l’objet de toute son affection s’était retrouvé trempé jusqu’à l’os. Son sang n’avait fait qu’un tour et il avait été obligé de lui venir en aide. Comme ça. Devant tout le monde. Et pendant ce laps, tout ce monde, il l’avait justement oublié. Maintenant, il récoltait tout un tas de regards interrogatifs et c’était pire que tout. Il s’était écarté, balançant la première excuse qui lui venait et que Bee avait appuyé avant de partir se changer. Glen allait enfin pouvoir respirer deux minutes. Ou plutôt, torcher son verre en deux secondes et filer s’en rechercher un autre. Il lui fallait bien ça pour ne pas rougir entouré du clan Watson en découvrant le sms que Lullaby lui avait envoyé. Elle crevait d’envie de l’embrasser. Sans blague. Maitriser le feu sur ses joues et dans son ventre, c’était compliqué. Lui aussi en mourrait d’envie, lui aussi aurait préféré tout déballer à tout le monde pour mieux profiter d’elle. Mais il ne pouvait pas. Pas sans la sécurité de savoir que la situation serait bien acceptée de tout le monde. « Tout va bien ? » que Mickael lui avait demandé alors que Glen n’avait pas encore lâché son téléphone. « Euh… oui, oui. Tout va bien. Un truc du boulot. Tu sais… » Et si son ami l’avait longuement observé, il n’avait pas commenté pour autant. Glen essayait de garder la face. Encore. Et il n’avait pas eu le temps de répondre à ce sms que Lullaby était de retour, ravivant cette gêne dont il aurait tant aimé se débarrasser. « Juste Glen toujours en couple avec son travail, rien de nouveau. » que Mickaël l’avait taquiné et, cette fois, Glen avait été incapable de dire quoi que ce soit. Sa répartie n’avait pas su lui venir en aide. S'il savait...

"- Oh... Comme d'habitude." affirme-t-elle avec un sourire.

Elle n'a rien manqué, affirme son père, seulement le fait que Glen soit marié à son travail, ce qui n'est pas nouveau, aux yeux de quiconque dans ce jardin. Bee glisse son regard sur son cher et tendre, observant le téléphone entre ses mains, devinant la nature du travail dont il est question. Un travail auquel il peut se marier autant qu'il le souhaite, sans que ça ne la dérange le moins du monde, évidemment. Une réflexion qu'elle gardera pour elle, comme les envies qui lui passent par la tête, par ailleurs, de peur d'être trop peu discrète. Elle se râcle la gorge, détournant son regard, celui-ci s'arrêtant sur le visage de sa grand-mère qui l'observe. Lullaby pique un fard, détournant la tête de nouveau, pour regarder Noah qui joue plus loin. Avec lui, au moins, elle n'a pas à craindre qu'il découvre quoi que ce soit. C'est plus sûr, plus safe.

La famille s'installant pour le déjeuner, Lullaby prête main forte à sa mère pour débarrasser l'apéritif et porter les entrées sur la table, laissant les autres s'installer en poursuivant leurs bavardages. Son père, en grande discussion avec Glen et ses beaux-parents, s'installe naturellement à côté de son ami, laissant une place libre à côté de lui pour son épouse tandis que les garçons, la mère de Noah et les grands-parents paternels se regroupant aussi, laissant une unique deuxième place libre. A la droite de Glen. En s'en apercevant comme elle revient dans le salon, Lullaby se raidit un peu. Comment comptent-ils qu'elle ne laisse rien paraître, si le destin s'efforce à les réunir ? Elle a comme une impression de déjà vu. Et la certitude qu'elle ne peut guère s'en sortir aussi bien que la dernière fois. Elle ne pourra pas couper à la place juste à côté de l'homme de ses rêves, en espérant ne rien laisser transparaître. Que leur alchimie ne sera pas trop palpable, trop évidente. Tirant alors la chaise aux côtés de Glen, elle s'installe en se plaçant le plus loin possible sur sa chaise, comme si ça pouvait lui être d'une aide quelconque. Seigneur. Le simple fait de se sentir aussi proche de lui suffit pourtant à provoquer sa chair de poule. Et son père, évidemment, n'en manque pas une pour se tourner vers son ami, un grand sourire aux lèvres.

"- Mais d'ailleurs, vous ne m'avez pas raconté ! Comment ça s'est passé, votre mariage ?"

Heureusement qu'elle n'avait pas encore attrapé son verre pour en boire une gorgée, sans quoi elle se serait sans doute étouffée avec. En rougissant, Bee fait mine de se pencher pour désentortiller la laisse de Thalya autour d'un pied de chaise, le temps de dompter la rougeur sur ses joues. Leur mariage. Bien sûr. Si seulement.

"- Santorin est vraiment magnifique, ça devait être superbe !"

Comme d’habitude ? Glen s’était retenu de lancer un regard indigné à Bee. Que Mickaël le pense, c’était légitime. Mais Bee ? Elle était particulièrement mal placée pour dire quelque chose et s’ils avaient été seuls, Glen se serait fait un plaisir de le lui rappeler. Mais il n’avait rien dit. De nouveau. Il en avait été incapable. L’agent avait rangé son téléphone. Il répondrait plus tard et de préférence pas par sms. Heureusement, la conversation redémarra et Glen avait pu se remettre à peu près de ses émotions. La situation avançait. Ils allaient passer à table. C’était une étape de plus de franchie avant d’arriver à la fin de ce supplice. C’est vrai quoi. Glen n’avait qu’à tenir bon jusqu’à la fin de ce repas et il aurait déjà fait le plus gros du travail. C’est ce qu’il pensait avant de voir Lullaby s’installer à côté de lui comme il ne restait plus que cette place. Tout son corps était alors rentré en tension. Il aurait aimé tendre la main et frôler sa cuisse. Il avait été contraint de réfréner cette affection qui se manifestait pourtant naturellement et c’était horrible. Il essayait de faire bonne figure. Vraiment. Mais c’était difficile, bien plus qu’il ne l’aurait imaginé. Il se raccrochait à l'idée, qu’après, il allait rattraper le temps perdu. Un peu dans son monde, il avait frôlé la crise cardiaque quand Mickaël avait mentionné son mariage avec Lullaby. Comment ça, son mariage ? Ça y est, il était grillé, et il fallait qu’il lui passe la bague au doigt ?! Les scénarios se multipliaient dans sa tête mais s’étaient bien vite évanouis quand Mickaël avait repris la parole pour mentionner Santorin. Mais oui. C’est vrai. Glen se racla la gorge : « C’était parfait. » C’est le seul mot qu’il avait pour parler de ce séjour et Dieu savait qu’il ne parlait absolument pas de ce mariage. « Lullaby a fait un excellent travail. J’ai essayé tant bien que mal d’être à la hauteur. » qu’il avoua ensuite dans un sourire.

Être assise aussi prêt de lui sans pouvoir le toucher, sans même pouvoir s'autoriser à le frôler, est sans doute ce qu'il y a de plus difficile à surmonter dans cette journée pour Lullaby. Le sentir si proche et, pourtant, si loin à la fois, pourrait sans nul doute correspondre à la description du supplice, quand sa seule envie serait de poser sa tête sur son épaule, de sentir son bras autour de sa taille, ses lèvres sur son front, sur ses lèvres. Si elle ferme les yeux un instant, elle peut presque le sentir accomplir tout ça, tout en sachant que c'est parfaitement impossible. Pas tant qu'ils veulent garder leur relation secrète, en tout cas, une idée qui tout à coup lui apparaît stupide. Elle sait toutefois que ce n'est que l'impulsivité qui parle, l'envie du moment, ce désir de pouvoir être entre ses bras, qu'elle doit réprimer de toute ses forces. Un jour, ils pourront s'afficher librement. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui ils vont prendre sur eux et prier pour que la journée termine assez tôt de sorte qu'ils puissent rentrer chez Glen, se retrouver chez lui, combler ce manque insatisfait qui ne cesse de croître à mesure qu'ils restent dans cette tension.

Son père les questionnant sur le mariage à Santorin, Bee doit lutter pour ne rien laisser transparaître sur son visage, choisissant la fuite en faisant mine de s'intéresser à Thalya, de s'occuper d'elle, laissant à Glen le temps de répondre et la complimenter au passage. Quand elle se redresse, la blonde est prête, alors, pour appuyer ses mots et protéger leur secret, malgré sa jambe qui s'agite légèrement sous la table, sous l'effet du stress.

"- Il s'en est très bien sorti." confirme la jeune femme avant de dessiner un sourire sur ses lèvres. "Il a toujours du mal à différencier l'écru du sable ou du crème mais..." dit-elle en riant, espérant que ça suffira pour satisfaire les curieux. Des fois qu'ils se décideraient à passer à autre chose. Mais évidemment... non.

"- Et c'était comment, onze ou douze heures coincés tous les deux dans un avion ?" demande Philipp, un sourire en coin destiné à sa sœur. "Un peu long, ou vous avez trouvé de quoi... discuter, passer le temps ?"

Glen le comprenait maintenant : cette situation ne pourrait pas durer trop longtemps. Ils n’y arriveraient pas. En tout cas, lui, il n’en serait pas capable. Il était à sa combientième bourde ? Et est-ce qu’il allait seulement survivre au placement de la table ? En rentrant chez lui, Glen allait devoir réfléchir sérieusement à la suite. Ou refuser les prochaines invitations des Watson bien que ça lui paraisse impossible. Il était tout compte fait bien trop inséré dans cette famille. Et trop amoureux surtout pour garder le secret de leur relation beaucoup plus longtemps. Il n’était pas prêt pour l’ouragan… mais il n’était largement pas prêt non plus à dissimuler la vérité pendant des mois. Le pire serait que son ami découvre la vérité avant qu’il ne lui avoue et c’était précisément le risque qu’il prenait en étant un si mauvais cachotier. Pour l’heure, il ne s’était pas trop mal débrouillé pour répondre aux questions de Mickaël. Et Lullaby avait su parfaitement appuyer ses propos, lui arrachant même un sourire amusé au passage. « C’est parce qu’il n’y a aucune différence ! » qu’il protesta gentiment en espérant de réfréner la complicité naturelle qu’il y avait entre eux. Il ne faudrait pas que ce soit trop évident. Et ça aurait pu passer tout seul si Philipp n’avait pas décidé d’en rajouter une couche. Cette fois, Glen avait mieux accusé le coup. « Eh bien, on a passé tout notre temps à parler de vous alors c’est passé super vite ! » Mais bien sûr. Glen avait offert un sourire triomphant à Philipp. Non, il n’allait pas le laisser gagner ou, en tout cas, il allait essayer.

"- Mais bien sûr que si il y a une différence sinon ça ne porterait pas des noms différents !" s'exclame Lullaby.

Lorsque Glen fait remarquer que s'il ne différencie toujours pas les couleurs sable, écru et crème, c'est tout simplement parce qu'il n'y a pas de différences entre elles, Lullaby adopte un air scandalisé plus sincère et complice qu'elle ne le devrait, ne parvenant pas à faire taire la spontanéité de sa réaction, ni le léger rire qui la secoue comme elle lui répond, en priant intérieurement pour que personne ne comprenne quoi que ce soit à la situation. Du moins pas ce qu'ils essaient aussi difficilement de cacher.

"- Vous voyez pourquoi c'est si difficile de trouver des assistants dignes de ce nom !?" dit-elle en prenant à partie sa famille, pour pouvoir se détourner de lui le plus naturellement possible.

C'est sans compter sur son frère, Philipp, qui s'en donne à cœur joie pour titiller sa sœur et lui envoyer des petits regards qui en disent long sur ses pensées. Puisqu'il sait l'attirance de sa cadette pour l'homme installé juste à ses côtés, naturellement, il ne peut qu'y voir une occasion de la taquiner, de s'amuser. Il est loin de se douter que, depuis la dernière fois qu'ils en ont parlé, les choses ont bien changé entre Lullaby et Glen, au point que ce dernier soit ensemble. S'il le savait, d'ailleurs, il ne se montrerait peut-être pas si insistant, pour ne pas causer quelques embarras désagréables à sa cadette, quand cette dernière s'efforce de conserver son secret. Mais Glen trouve une parade pour lui apporter une réponse qui fait rire l'assemblée.

"- Si tu te demandais pourquoi tes oreilles ont sifflé ce jour-là mon cher frère, tu viens d'avoir ta réponse..." plaisante la jeune femme, appuyant les propos de son compagnon.

Bon sang, qu'est-ce qu'elle aimerait être n'importe où plutôt qu'ici... Qu'est-ce qu'elle aimerait être débarrassée de cette attention qu'elle doit conserver, pouvoir agir naturellement avec Glen et laisser parler leur alchimie, leur tendresse, leur complicité. Au lieu de cela, elle se fait l'impression d'être dans la représentation la plus difficile de sa vie, elle qui n'est pas connu pour avoir les mêmes talents d'actrices que quelques-unes des protégées de son cher et tendre. Elle se mord la lèvre inférieure en tâchant de se contenir, cherchant n'importe quoi à quoi se raccrocher pour ne pas regarder l'homme à ses côtés, ne pas céder au désir de poser sa tête sur son épaule, ou sa main sur sa jambe. Lorsque sa mère commence à débarrasser les plats, elle trouve là une formidable occasion d'echapper à ce guet-append pour lui prêter un coup de main et s'éclipser quelques instants, s'arrêtant dans la cuisine pour y prendre une grande inspiration, d'auto persuadant que tout va bien se passer. Il ne reste quoi, après tout, sinon encore deux plats, du fromage et le dessert ? Ce n'est rien. C'est faisable. Une bagatelle. Mais bien sûr.

Il avait été tellement tentant de rebondir. Glen n’attendait que ça : jouir de la complicité qui les unissait. Mais, à la place, il avait gardé le silence, un vague sourire sur les lèvres. Quelle torture. Heureusement, Lullaby avait rapidement pris à partie sa famille et il avait pu relâcher légèrement la pression. Voilà, c’est ce qu’ils devaient : ne plus s’adresser la parole jusqu’à la fin du repas. Ce n’était pourtant pas si compliqué, bon sang. Ils auraient tout le loisir de se parler après cette journée. D’ailleurs, il pourront même debrieffer sur leurs faux pas, s’améliorer pour la prochaine fois. S’il devait y avoir une prochaine fois… Glen n’en était plus si sûr. Vu à quel point il était à l’aise dans cette situation, il ne voyait plus beaucoup d’autres issues. Soit il allait éviter les repas de famille jusqu’à nouvel ordre en mentant comme un arracheur de dents sur une prétendue maladie soudaine, soit il allait devoir annoncer la vérité à son ami. Il finirait par se trahir sinon, si ce n’était pas déjà le cas. Ce sont les rires du clan Watson qui le sortent de ses pensées. Il avait fait de l’humour, il l’avait carrément oublié. Il esquissa un sourire pour ne pas paraitre complètement perturbé mais il savait qu’il sortait un peu de rôle qu’il s’était assigné avant d’arriver ici. En même temps, comment feindre de ne pas être fou amoureux de Lullaby quand il sentait son odeur tout près de lui ? Il n’y aurait que quelques centimètres à franchir pour retrouver le réconfort de sa main, de sa peau sous ses doigts, et Glen ne pouvait tout simplement pas réussir à se l’ôter de la tête. Son départ de la table avait donc été un véritable petit soulagement. Pourtant, à peine soulagé, Glen avait vu son ami revenir à la charge : « Allez, dis-nous au moins comment elle s’appelle… » Glen s’était senti à l’étroit dans sa chemise. Il haussa les épaules en tentant de garder sa consistance. « Je peux pas. » qu’il avoua, ce qui était la vérité la plus simple. « Donc il y a bien une femme ! Je le savais ! » que son ami avait exulté, fier d’avoir réussi à lui tirer les vers du nez. « A vrai dire… Oui. Je suis amoureux. Mais c’est tout nouveau encore et on veut prendre notre temps. » Encore une fois, il ne mentait pas mais, mon Dieu, il n’arrivait pas à ne pas imaginer la fureur de Mickaël s’il savait qu’il était en train de parler de sa fille.

Ce qu'elle pouvait avoir envie de fuir de la maison, reprendre sa voiture, rentrer chez Glen et attendre patiemment qu'il revienne auprès d'elle. Qu'est-ce qu'elle ne donnerait pas pour pouvoir sortir de ce guet-append et retrouver le confort de leur petit nid douillet, leur intimité, leur alchimie. Pouvoir plaisanter avec lui comme tout son être l'exige, sans craindre que qui que ce soit ne puisse comprendre quoi que ce soit. Elle ne comprend même pas comment il est possible que leur secret soit toujours intact, si tant est bien sûr que ce dernier l'est. Elle ne saurait l'affirmer avec certitude. Elle pousse un soupir en s'attardant dans la cuisine, prenant le temps nécessaire pour être sûre de pouvoir survivre à ce qui se trame dehors, avant de revenir dans le jardin, portant un nouveau plat.

"- De quoi vous parliez ?" demande-t-elle comme tous les regards sont tournés vers Glen.

Bon sang, elle espère vraiment que ces derniers ne l'ont pas malmenés pendant son absence et qu'il n'a rien dit de répréhensible. Rien dit qui les concerne. Tout ça ne la rassure pas. Elle n'a qu'une hâte, c'est de fuir. Prendre la poudre d'escampette. Elle sait pourtant très bien qu'elle ne pourra pas le faire sans éveiller les soupçons de tout le monde. Non, elle doit rester là, elle doit faire face à la situation, elle doit continuer, jouer son rôle. Même si c'est difficile. Même si elle a les jambes qui tremblotent légèrement tandis qu'elle se réassoie, sous l'effet de l'anxiété.

"- Qui veut des frites ?" demande-t-elle rapidement toutefois en empoignant la pince, sa belle-soeur lui emboîtant le pas pour servir la viande.

Fuir la conversation le plus possible. Changer les idées de tout le monde. En finir avec ce repas de l'enfer, souffler les bougies, offrir les cadeaux et fuir, fuir sans demander son reste, en des lieux qui leurs sont plus rassurant. Bee évite soigneusement de le regarder mais, cependant, ne résiste pas à l'envie de poser sa main sur son genou, quelques secondes seulement, une fois que tout le monde est servit. Une manière de l'apaiser, peut-être, alors qu'elle ressent son stress. Ou n'est-ce rien d'autre que le sien ? Peu importe. Elle tourne son attention sur Noah et joue avec l'enfant, discute, pour oublier l'homme à côté d'elle, qui lui fait rêver de plus d'intimité.