Bon, en disant que ce n'était pas loin, elle se trompait un peu. Et même ça restait très loin pour lui tout de même, tant qu'il ne pouvait pas rentrer chez lui et revoir sa famille. Élisabeth cependant n'y pense pas, ne le réalise pas, comme l'homme n'en parle pas. Pourtant il est loin de chez lui, très loin. Et même si Lizzie dit que ce n'est pas très loin, ça l'est dans les faits pourtant.

Que feront-ils après la guerre, tout deux ? Leurs projets ne sont de toute évidence pas les mêmes. Lui pense à rentrer chez lui, quand la demoiselle émet le souhait de reprendre le chemin de l'école. Elle reprendra ses études de médecine tout simplement. Enfin, si on la laisse faire. Elle aimerait bien. Mais peut-être a-t-elle grandement changée depuis, peut-être qu'on ne l'autorisera pas à les reprendre. Et si quand elle y retourne, elle n'aime plus ça ? Si elle attend autre chose de l'existence, après tout ça ? Mais il semble penser que c'est fait pour elle. Peut-être. Elle verra bien. Malheureusement pour le moment il est difficile de se projeter quand à la fin de la guerre tant celle-ci n'est pas encore là, malheureusement. Pourtant, la demoiselle le souhaiterait mais... On ne lui demande pas son avis, là-haut. On se moque bien de l'avis de tout les français, à vrai dire.

La question de l'homme ne manque pas de la prendre de court alors qu'elle ne s'attendait pas à ce qu'il la pose un jour . Pourquoi avait-elle acceptée cette invitation, alors même qu'il était allemand, qu'elle était française et qu'il était à priori son ennemi ? Il y a encore quelques temps, ils ne seraient pas ici ce soir car elle n'aurait en effet jamais accepté la chose. Mais les temps changent, visiblement.

«- J'en avais envie.» souffle la demoiselle à voix basse. «Et bien qu'étant allemand vous êtes aussi, comme moi, humain.»

Elle le voulait. Car , elle me voit comme un humain , pas seulement comme un allemand sans cœur , sans âme qui vient envahir son pays. Je pense oui avoir mon humanité encore. Certains n'en on jamais eu ou l'on perdu , parmis les miens .
Elle n'a pas ce regard rempli de haine qu'on la plupart des français face à nous. Elle semble voir au delà de l'apparence première d'officier allemand qui me colle à la peau.
Mais pouvons nous vraiment espérer quelque chose l'un de l'autre ? Pouvons nous vraiment ignorer nos origines , nos différences ? Peut être. Puis-je m'autoriser à le croire possible ?

"Je suis heureux que vous me voyez comme...un humain au delà de ma nationalité."

Je ne peux nier complètement ma patrie. C'est impossible. Je n'adhère plus aux idées de mon dirigeant certes mais , cela reste mon sang, ma culture. Je ne peux pas tout rejeter , du moins pas tout le passé. Le présent , oui sûrement.
Le serveur vient récupérer nos plats vides et , apporter la carte des desserts. J'ai du mal à m'intéresser à la nourriture cependant, l'esprit un peu rêveur.

"Qu'es ce que cela signifie pour vous le fait d'être humain ?"

Une partie de mon peuple est convaincu qu'il y a des personnes supérieures aux autres , que certains ne peuvent être qualifiés d'humains. Alors , que ce sont assurément, eux qui ne le sont pas.
Mais , elle , Alice qu'entend t-elle par là ?

Pourquoi elle acceptait de le voir , Pourquoi elle avait accepté ce rendez-vous ? Peut-être tout simplement car elle avait prit conscience finalement qu'il était humain, qu'il était comme elle. Longtemps elle n'avait vu les Allemands que comme des ennemis venus les envahir, non plus des hommes. Elle reconnaissait maintenant que c'était une regrettable erreur, qu'elle n'avait pas à avoir une aussi piètre opinion de ces gens. Mais c'était uniquement, c'est vrai, car elle discutait avec un Allemand depuis quelques temps et que depuis la fois où il l'avait vu soigner quelqu'un, ils s'étaient revus quelques fois, déjà. Cela aidait à nouer des liens, évidemment. Cela aidait à relativiser. Et il en était heureux. Elisabeth esquisse un sourire face à a remarque de l'homme.

Comme le serveur leur porte la carte des desserts après avoir débarrassé leurs assiettes, l'homme pose une drôle de question à son interlocutrice, de ces questions qui vous laissent quelque peu abasourdis, sans réponse. Que pouvait-elle répondre à cela ? Qu'était-ce donc qu'être humain et qui était-elle pour juger ? A vrai dire elle n'était pas certaine de sa légitimité dans ce rôle.

«- Hé bien je dirai que c'est une question difficile.» remarque la demoiselle dans un premier lieu. «Mais les vôtres occupent illégalement mon pays. Des hommes, des femmes, des enfants sont tués chaque jours parce que leur naissance a voulu qu'ils soient juif. On... on en oublierait presque que vous êtes comme nous, que vous avez des rêves, des vies, des familles... On l'oublie facilement, en ces temps, quelque soit notre nation.» remarque la demoiselle.

Oui , c'est une question difficle . Certains , la trouvent simple et se permettent de juger très rapidement. C'est ce que font les miens , elle le souligne justement. J'apprécie le fait qu'elle me le dise franchement , pour être honnête.
C'est bien , maintenant c'est moi qui suis dans une position compliquée.

"Pour être honnête avec vous , je pense que personne ne peut se poser comme juge."

Ça va plus ou moins dans son sens. C'est vrai , qui sommes-nous pour décider qu'un peuple doit être exterminé ? Oh , il n'y a pas que les Juifs , d'autres communautés religieuses sont ciblées. Puis , tous ceux que mon dirigeant jugent comme race inférieure. J'ai, moi même , pensé comme cela un temps. J'étais hypnotisé par ses discours. Mais , j'ai rencontré des personnes qui m'ont ouvert les yeux , avant même le début de la guerre. Alice y contribue également aujourd'hui.

"Par contre , en effet , nous pouvons juger un acte inhumain plus aisément. Certains de mes miens font des choses horribles , comme vous l'avez souligné. Et , je ne vous mentirai pas en vous disant que ça ne m'est pas arrivé."

Elle s'en doute , probablement.

"J'en connais et côtoie de ces gens qui ont perdu toute humanité. Je suis triste que ma nation toute entière soit associée à tout cela. Croyez moi , beaucoup d'entre nous n'adhèrent pas à cette mentalité. Et , je pense pouvoir dire que nous savons tous que nous en paierons le prix , un jour où l'autre."

Il est vrai que juger la question de l'humanité était trop délicate pour que qui que ce soit puisse se faire juger de la situation, certes. Il n'avait pas tord. Personne ne pouvait juger de l'humanité de qui que ce soit. C'est vrai. Et tout le monde l'oubliait en ces temps de guerre. Les français oubliaient naturellement l'humanité des allemands, les allemands oubliaient celle des français... C'était un fait, tout le monde se faisait le juge des autres sans même les connaître, sans même savoir de quoi ils parlaient exactement. Et la demoiselle n'avait pas échappé à cela. Elle avait jugé elle aussi, peut-être plus que d'autres d'ailleurs, les Allemands. Elle les qualifiait elle-même d'envahisseurs, les voyait comme des gêneurs et en travaillant pour la résistance, en travaillant pour les détruire et sauver son pays, elle oubliait qu'ils n'étaient pas que des ennemis. Qu'ils étaient surtout au service, bien malgré eux pour beaucoup, des ambitions d'un fou.

«- J'imagine.»

Bien sûr qu'il avait fait des choses horribles. Il était un soldat. Il participait d'une manière ou d'une autre au massacre des juifs. Il avait forcément fait des choses horribles en exécutant des ordres, en faisant son travail. Et il en aurait fait à son égard s'il avait découvert qu'elle était de la résistance. Comme il le ferait, de toute façon, s'il finissait par l'apprendre. Quelque part elle jouait avec le feu. Elle se savait sur la sellette. A moins qu'elle ne puisse lui rappeler, alors, ce qu'il venait de dire, au sujet des horreurs et des actes inhumains. Mais il allait peut-être un peu loin dans ses déclarations. Trop loin pour ce que sa hiérarchie permettait.

«- Beaucoup d'entre vous ?» s'enquit-elle.

Être aussi critique sur ceux qui dirigent ma nation n'est peut être pas la meilleure idée que j'ai eu. Certes , je vois mal Alice rapporter mes propos à mes supérieurs mais , je devrai tout de même être plus prudent. Car si certains autres officiers pensent comme moi , nos généraux et autres gradés sont plus rares , voir aucun à partager cette pensée. Ce serait très mauvais pour moi si , ils apprenaient que je dis ma pensée de cette manière à une française.


"Beaucoup je ne sais pas. Parmi les officiers , j'en connais quelques uns. Vous vous doutez que les hauts gradés sont bien satisfaits de la situation. Mais , les jeunes hommes envoyés de force au front peuvent difficilement tous être d'accord avec tout ça ."

Personne , peu importe son pays , ne peut aller à la mort avec le sourire. Du moins , pour la plupart. C'est rarement un choix. Jamais , même. Je me suis certes , engagé jeune avant la guerre , encouragé tous les mouvemets de jeunesse auxquels j'ai participé . Puis , je n'imaginais pas tout ça. J'ai eu la chance de ne pas découvrir l'horreur des batailles rapprochées comme celle où mon père a perdu la vie pendant la Grande Guerre.

"Peu d'allemands imaginaient que nous en arriverons là en 1933."

L'arrivée au pouvoir d'Hitler avait entraîné beaucoup d'espoirs. Revoir une grande Allemagne. Mais , pas de cette manière.

Il n'y avait peut-être pas tant d'Allemands qui n'adhéraient pas à la mentalité du pays qu'il l'avait dit de prime abord, mais il y en avait donc quelques uns. Des hommes venus en France ou sur le front est, contraint de se battre et de quitter leurs familles alors qu'ils ne croyaient absolument pas à l'idéologie suprématiste des nazis. Il en connaissait lui-même quelques uns, de ces types désabusés par les événements et qui ne se battaient que par obligation. Mais ce n'était pas le cas de tous, certains y trouvaient naturellement leur compte, comme l'officier le sous-entend rapidement. Bien entendu. Certains n'avaient aucun problème avec cette guerre car elle leur avait apporté des avantages. Mais les plus jeunes, comme il le soulignent, sont dans des situations naturellement plus critiques.

«- Oui je comprends bien, il y en a toujours à qui tout cela profitent et qui en sont heureux.»

Certains faisaient leur argent sur le fait de dénoncer des voisins, des juifs, de collaborer avec l'Allemagne. Ils étaient payés pour faire de la délation, s'enrichissaient avec le fait d'aider les allemands. Ils n'étaient pas tous révoltés contre la présence de ceux-ci. Ce n'était pas bien étonnant non plus. Malgré la résolution de l'affaire Dreyfus il y a déjà quelques années, la France était tout de même toujours très antisémite, en plus. Il y avait divers moyens pour qu'ils trouvent tous leurs comptes. La demoiselle soupire.

«- Je crois que beaucoup de monde, en 33, ne comprenait pas ce qui se tramait, ni même après. Je crois que personne n'avait vu venir la guerre, tant la précédente a marqué nos anciens et répandus l'espoir que quelque chose de semblable ne puisses plus jamais se produire. »

Comme elle le souligne , il y a des gens qui profitent de toute situation, même si elle est dramatique. Ils en profitent pour s'enrichir et , envoyer les autres faire le sale boulot. De la chair à canon , voilà ce que nous sommes , comme on dit. Ce n'est pas parce que l'on est à Paris que l'on ne risque rien. Il y a toujours des groupes qui s'attaquent à nous pour se libérer , usant de diverses actions.
Puis , il y a les images de nos actions que nous garderons en tête , éternellement. Tuer quelqu'un , ce n'est pas aussi facile que ce que l'on peut lire dans les journaux. Il y a des conséquences. On se souvient toujours de leurs visages , de l'expression de leur peur ou de leur haine. C'est impossible à oublier. Même si la guerre s'arrête et que je rentre chez moi , tout ce qui se passe ici me marquera à jamais.

Alice soupire et , ajoute à juste titre que personne n'a vu la guerre venir , persuadé que nous ne pourrions pas reproduire les même erreurs. C'est bien cela , le problème. Tout le monde a ignoré les différents qui naissaient entre les pays , se basant sur de faibles acquis.

"Et pourtant..." , je souffle. "Il faut croire que nous n'apprendrons jamais de nos fautes passées . Espérons que cela prendra fin et que , cette fois ce sera vraiment la dernière."

C'est ce qu'ils diront une fois de plus. J'ai encore l'espoir qu'il n'y aura rien de pire après ça .

"Mais je crois que nous n'avons plus vraiment pouvoir sur les événements."

Oh non évidemment, les hommes n'apprendraient jamais vraiment de leurs erreurs. La seconde guerre mondiale en était la preuve. Mais l'antisémitisme présent dans les populations depuis un moment, depuis des décennies, n'avait pas aidé les choses. En 1933 personne n'avait vu le coup venir. En 1933, les français avaient été aveugles. Certains accords avaient été passés avec l'Allemagne à l'époque. Avec Hitler. Les français avaient pensés que ces accords les maintiendraient loin de l'école. Plus jamais ça, c'était l'espoir de tous. Et en 1933, la guerre avait été évitée. C'était tout ce qui comptait à cette époque. La guerre était restée loin. C'était tout ce que les français avaient vu en cette époque. Qu'elle bande de fous. De tarés. Ils n'avaient pas compris qu'ils avaient signés pour bien pire inconsciemment.

«- Je crains en effet que non, nous n'apprenions jamais de nos erreurs.»

Quand à espérer que cela prendra fin rapidement et que ce sera la dernière fois... Ils ne pouvaient malheureusement que le souhaiter. À charge pour le ciel d'entendre leurs prières et de faire ce que qu'il fallait pour... Mais ils n'avaient aucun contrôle là-dessus en effet. Ils n'avaient aucun pouvoir sur les événements. Elle n'en avait pas. Il n'en avait pas. La résistance n'en avait pas. Les allemands n'en avait pas. Tout se jouait bien plus haut. Tout. Absolument tout.

«- Je crains bien que non. Tout ce que nous puissions faire c'est attendre et voir, j'en ai bien l'impression.»

Et c'était ce qu'il y avait de plus sûr à dire devant un Allemand, car même si elle acceptait de dîner avec lui et passer du temps en sa compagnie, elle n'était pas folle au point de lui laisser découvrir qu'elle était une résistante. Il restait un allemand. Il continuait d'avoir des ordres. Des ordres qui ne feraient pas les affaires de la demoiselle.

Alice est d'accord, il nous est difficle d'apprendre de nos erreurs. Que tout ce que l'on peut faire c'est attendre et voir ce qui se passera. Malheureusement. Et , c'est bien ça qui me dérange, le fait que nous ne soyons que des pions , utilisés par nos supérieurs . Ce sera le cas dans d'autre guerres à venir , qu'elles soient mondiales ou non , les gens ne changeront pas comme ça . Personne ne prêtera attention à l'injustice d'envoyer des jeunes hommes à la mort.


Nous continuons notre petite conversation pendant le dessert , tout aussi bon que le plat , bien entendu. J'aime bien ce restaurant , je pense y revenir avec Alice ou non , d'ailleurs. Je règle l'addition, c'est moi qui l'ai invité de toute manière et les employés ont à peine poser la question. Une fois sortie du restaurant , je glisse un sourire à la jeune femme avant de demander , presque timidement :

"Vous êtes d'accord pour que nous marchions un peu avant que je vous raccompagne ?"

Je n'ai pas envie de finir cette soirée trop rapidement. Parler avec elle est plus intéressant et apaisant même que passer la nuit avec mes camarades à jouer aux cartes , dans le meilleur des cas. Néanmoins , si elle préfère rentrer se reposer que de marcher dans les rues de Paris , la nuit avec un soldat allemand , je comprendrai. Ça n'en serait que logique même si nous avons une bonne entente.

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