Un bal comme tant d'autres, des femmes célibataires à foison, et parmi elles, tu te devais de faire un choix. C'est tout naturellement que tu t'étais avancé vers l'une des plus belles que tu aies vu de la soirée, tu l'avais invitée à danser. Tout aurait pu être parfait... Jusqu'à ce qu'elle ouvre la bouche. Tu avais tenté de n'en rien montrer mais toute parole qui sortait de sa bouche semblait être une parfaite ineptie. Pour quelqu'un d'un tant soit peu observateur, il aurait été évident que tu était en train de te demander avec quel genre d'idiote tu étais en train de te retrouver et bien que tu sois quelque peu aux abois, tu n'étais pas encore désespéré à ce point.

Ton père était mort depuis peu, t'offrant un héritage dont tu te serais certainement bien passé. Si le titre de comte te convenait à merveille, les dettes qui allaient avec étaient bien moins agréables. Tu avais bien remarqué que les affaires internes au château étaient délaissées depuis quelques années, que les travaux étaient sans cesse repoussés mais il s'était bien gardé de te dire à quel point la situation était catastrophique. Si tu ne voulais pas tout perdre, il allait falloir trouver une solution, et vite. Et l'option la plus simple restait de trouver une épouse avec une dot conséquente... Cette petite américaine, bien que cela te révulsait d'aller chercher de l'autre côté de l'Atlantique, aurait pu être une épouse parfaite...Si elle ne t'avait pas autant ennuyé. Alors, tu avais commencé à regarder du côté de son ainée. La rouquine était mignonne, mais semblait particulièrement caractérielle. Qu'à cela ne tienne, tu ne doutais absolument pas de ton charme et elle finirait par y succomber comme tant d'autres... Ce ne serait juste pas ce soir là au vu de la façon dont elle t'a rejeté. Tu devais bien l'avouer, ça t'avait désarçonné, toi qui étais si confiant, qui pensais n'avoir qu'à dire quelques mots et sortir ton plus beau sourire pour l'amadouer comme ça semblait être le cas avec sa cadette. Elle pensait que cela suffirait à te faire abandonner ? Absolument pas, tu avais décidé que ce serait elle, et à défaut de parvenir à séduire la fille, tu te rapprocherais du père.

En cette journée, tu avais mis ta plus belle tenue afin de rencontrer Mister Brown. Cette petite famille de la bourgeoisie américaine avait réussi dans les affaires mais ils n'avaient pas le prestige dont tu pouvais te vanter de par ton nom et ton titre. Tu étais prêt à le leur offrir, en homme généreux que tu es, en échange d'une somme d'argent assez conséquente pour pouvoir rétablir l'équilibre des finances de ton comté. Une rencontre avait donc été prévue en cette belle journée d'été dans la demeure familiale. Tu avais rapidement pu remarquer, à ton arrivée, qu'ils avaient autant de serviteurs que toi pour un domaine moindre. Rien que cela aurait dû te faire tiquer, à l'époque, quand ton père trouvait des excuses pour se défaire de son personnel. Mais toi, tu avais sans doute préféré te mettre des œillères que de voir la réalité. Tu t'étais paré de tout ton charme et ton éloquence afin d'argumenter sur ce qu'ils auraient à gagner à accepter ce mariage, gardant bien pour toi le fait que tu n'avais plus un sou et que tu étais sur le point de tout perdre.

L'échange avait été plus convivial que tu ne l'aurais pensé. Si les parents de la jeune femme n'avaient pas donné une validation franche, se gardant un temps de réflexion, tu avais eu l'impression que faire de leur fille une comtesse n'était pas pour leur déplaire. La rousse n'était pas présente lors de cet entretien, et lorsque la conversation fut terminée, tu demandas si tu pouvais la voir. On t'indiqua alors les jardins où elle s'amusait avec quelques amis. Ils faisaient un colin maillard et tu te mis en tête de t'amuser un peu également. Elle ne te reconnaitrait pas, c'était certain, d'autant que tu n'étais pas censé être là. Alors, silencieusement, tu t'approchas, faisant en sorte d'être sa cible.

Le dernier et fastueux bal auquel la jeune Miss Brown avait eu le loisir de participer, était maintenant un événement assez lointain dans son esprit. Certes, ce moment de danses divers et de personnes aux conversations tout aussi variées avaient été bien sympathiques, tout comme la musique et même le buffet servit pour l’occasion. Cependant, un certain Comte à la moustache grotesque avait un peu gâché les festivités, de son point de vue bien évidemment. Car si elle n’avait pas croisé la route de cet homme, le bal aurait pu être très réussi, plutôt que sympathique. Mais qu’est-ce que ce noble anglais avait donc bien pu faire à la belle américaine ? Déjà il avait donné un faux espoir à sa petite sœur en faisant mine de s'intéresser à elle, avant de changer d’avis comme lorsqu'on change simplement de chemise. Ensuite et s’intéressant donc à l'aînée pour une raison qui échappait encore à cette dernière, l’anglais avait tenté de l’amadouer avec son sourire, son charme et quelques mots bien placés comme si elle était la dernière des gourdes. Pour terminer, ce que certaines des autres demoiselles pouvaient trouver séduisant chez cet homme, du côté de Hannah c’était tout le contraire, son attitude était pédante et déplaisante au possible. De sorte qu’elle l’avait envoyé sur les roses, mais en restant très polie, car il s’agissait d’un homme d’un rang supérieur au sien.

De cette maniére, la jeune femme avait en sorte qu’il n’est pas le désir de la revoir. Ô comme elle pouvait se tromper, mais comment Hannah aurait pu deviner que le repousser n’y avait rien changé ? Impossible, c’était juste impossible.

En cette belle journée d’été, la rousse était donc loin de se douter que ses parents allaient recevoir la visite d’un certain Comte et que bientôt elle serait prisonnière des désirs des uns et des autres. Hélas, c’était le lot de chaque demoiselle à marier, souvent, elles n’avaient point le choix et devaient faire ce que l’on leur disait de faire. Mr Brown avait un grand amour pour sa fille, cependant, il sait pertinemment qu’un mariage avantageux mettra cette dernière à l’abri du besoin et leur permettra de s’élever socialement. Bien sûr, s'il trouve le Comte Spencer tout à fait sympathique, il tient à prendre le temps de méditer la question et de pourquoi pas, organiser d’autres échanges avec lui pour continuer à faire connaissance avec cet homme. Bien loin de se douter de ce qu’il se tramait, l’après-midi de Hannah était dédié à ses amies et amis qu’elle avait invités pour un charmant petit goûter et bien sûr quelques jeux. Colin Maillard était à l'ordre du jour et c’était à elle de commencer. Riant joyeusement quand on banda ses yeux avec un élégant foulard, on la fit ensuite tourner doucement sur elle-même pour qu’elle perde un peu les notions de Nord et de Sud.

— J’arrive ! S'exclame avec gaieté la demoiselle.  

Les premiers pas sont un peu hésitants, ses mains devant en elle au cas où elle tomberait, la jolie rousse tente de repérer ses amis avec leur rires et leurs gloussements. Elle arrive même à attraper le tissu de ce qui semble être une robe, mais la demoiselle en question lui échappe. Soudain ils se mettent tous et toutes à chuchoter avant de rire de plus belle, ce qui fait esquisser un sourire plus grand à la demoiselle.

— Je vais aussi bien rire lorsque ce sera votre tour !

Enfin, elle tombe sur quelqu’un, un jeune homme au vu de la largeur de ses épaules.
— Hum… Voyons, voyons qui avons nous la ?

Toujours souriante, ses mains parcourent le visage de ce qu’elle croit être l’un de ses amis, tentant de trouver qui cela peut-être grâce à un détail ou un autre.

— Oh ce n’est vraiment pas évident…

Qu'avait-elle donc ta moustache ? Elle était parfaite ! Ah ces femmes... Toujours à chercher le petit détail ! Elle ne l'avait pas exprimé de vive voix, et heureusement, car tu en aurais sans doute été profondément vexé, toi qui en prenant tant de soin ! Mais ce n'était pas là le plus important. Ton problème, aujourd'hui, c'était que la rousse t'avait repoussé. Elle semblait pourtant plus intelligente que sa cadette ! En réalité...C'était peut-être bien ça, le problème, au final. La jeune femme était maline et pouvait sans doute prétendre à mieux qu'un mariage sans amour avec un homme qui n'avait plus que son nom et son titre pour toute fortune. Seulement toi, tu ne le voyais pas ainsi. Avec ton égo surdimensionné, tu avais pensé que l'affaire serait pliée en un claquement de doigts. Première erreur. La seconde fut sans doute de sous-estimer le caractère de feu de la demoiselle, mais ça, tu le découvrirais bien assez tôt car à ce bal, tu n'en avais eu qu'un infime aperçu. Tu avais du mal à comprendre ce rejet en réalité, pour autant, tu ne te remettais pas en question, et pour cause : tu étais parfait. Un tantinet arrogant, et trop sûr de toi, certes...Mais tu ne pouvais t'imaginer qu'elle ne veuille réellement pas de toi, tout cela ne pouvait être qu'une façon d'attiser ta curiosité, n'est ce pas ? Tu avais vu plus d'une femme, dans ta vie, qui jouait les inaccessibles pour avoir cette sensation que l'on se battait pour elle, et si ce n'était que ça, tu étais prêt à jouer le jeu. Quel crétin... Jamais tu n'aurais pu t'imaginer que ça pouvait être tout autre chose et que tu l'ennuyais profondément, c'était impensable pour toi !

Alors, tu t'étais rendu chez son père, parlant avec le couple, plaisantant même quelque peu. La jeune femme dont il était question s'amusait dans les jardins et tu t'étais mis en tête de l'approcher sournoisement, faisant comme si il était tout à fait normal que tu sois convié à ce petit jeu. Des murmures s'étaient élevés à ton passage et lorsqu'elle se rapprocha, le silence se fit. Tu sentis ses mains sur tes épaules, remontant doucement sur ton visage qu'elle tâtonnait pour parvenir à en reconnaitre les traits, en vain bien évidemment. Ton petit sourire suffisant était apparu sur tes lèvres alors qu'elle semblait en difficultés. Tu lui laissas le loisir de chercher à qui elle pouvait bien avoir à faire, sentant la pulpe de ses doigts caresser ton visage. Tu restas silencieux quelques instants, assez amusé par la situation, puis tu finis par faire un petit pas vers elle, penchant ton visage vers le sien pour lui murmurer quelques mots :

Si j'avais su qu'il suffisait d'un bandeau pour que vous ayez l'envie de m'approcher, j'aurais proposé cela plus tôt.

Ta voix était teintée d'ironie et d'arrogance. Ton sourire s'était élargi. Elle allait sans doute réaliser que la voix qu'elle venait d'entendre ne lui était pas particulièrement familière et tu avais hâte de voir la tête qu'elle ferait en découvrant qui elle était en train...D'analyser si assidument !

Ce silence soudain, il était un peu étrange non ? Ou alors ses amis retenaient simplement leur souffle en se demandant si elle allait reconnaître le jeune homme qu’elle avait attrapé. Hannah ne le savait pas trop, mais ça avait au moins l’avantage qu’elle puisse se concentrer. Cependant, ça ne l’aidait pas franchement à découvrir à qui pouvait bien appartenir ce visage, en revanche, elle sentait bien que cela amusait beaucoup son vis-à-vis, elle pouvait sentir son sourire sous ses doigts. La rouquine tenta bien sûr de persévérer, mais elle stoppa net ses mouvements quand elle sentit qu’il s’approchait un peu d’elle, penchant sa tête de sorte qu’elle puisse sentir son souffle contre sa joue et son oreille. Une voix s'élève, une voix qui ne lui dis pas grand-chose sur le coup, mais qu’elle a pourtant déjà entendu durant ce bal si sympathique, à une ou deux choses près. Fronçant les sourcils, la jolie rousse se fait également la réflexion que dans cette voix, il y a comme une petite pointe de suffisance. Pourtant, aucun des amis qu’elle a pu se faire jusqu’à maintenant n’avait jusqu’à lors montré cette légère condescendance dans son intonation. Comme c’est étrange. Finalement, l’américaine retire le bandeau qu’elle a devant les yeux et autant dire que de découvrir qu’elle se trouve être devant le Comte de Norfolk  n’est pas pour la ravir.

— Mais enfin, que faites vous dans mon jardin exactement ?

Le visage de la demoiselle devient orage, faisant ainsi comprendre à l’homme qu’elle n’a pas apprécié sa petite ruse, quelle idée de venir s'immiscer dans le jeu d’un groupe d’amis pour avoir le loisir d’approcher une jeune femme. Le pire dans tout cela, c’est que lui, il sourit, comme s’il était fière de son odieux petit stratagème.

— Approcher une demoiselle alors qu’elle a les yeux bandés, voilà une bien vilaine bassesse de la part d’un Comte, vous avez eu ce loisir car je n’avais pas conscience de ce qu’il se passé. Croyez bien que je ne commettrais pas la même erreur.

C’est alors que les parents de la rousse apparaissent à leur tour dans les jardins et vu le sourire qu’ils offrent au au Comte de Norfolk, sans doute devaient-ils être au courant de sa présence en ces lieux. Ce que sa mère confirme bien vite, heureuse que l’homme ait réussi à trouver son enfant en train de s’amuser innocemment avec ses amis. Hannah ne dit rien sur le coup, son cœur est soudainement pris dans un étrange étau, le malaise la gagne mais elle ne saurait dire pourquoi.

— My Lord, vous plairait-il de rester en notre compagnie, le thé va être bientôt servi, propose la mère de famille avec un sourire si aimable. Ce serait l’occasion pour nous de continuer à renforcer nos liens à venir, qu’en pensez-vous ?

Et surtout, permettre au Comte de passer un peu de temps en compagnie de l’ainée de la famille, mais cela, la demoiselle n’est pas censée le comprendre, du moins pas pour le moment.

— Peut-être que Hannah pourrait vous montrer nos jardins en attendant, ils sont absolument splendides en cette saison.
— Mais mère, j’étais en train de passer un peu de temps avec mes amis…
— Allons, allons mon enfant, je suis sûr que vos amis sauront très bien se passer de vous.

La jolie rousse retient une grimace, visiblement on ne lui laisse pas le choix et vu l’attitude du Comte jusqu’à maintenant, il y a peu de doute qu’il refuse l’invitation.

Te voilà planté dans le jardin à te faire tâtonner le visage, un petit sourire amusé au coin des lèvres. La rousse cherche, en vain. Elle est loin de s'imaginer que c'est toi qui se trouve face à elle, comment aurait-elle pu le penser, après tout ? Tu n'étais pas censé y être et elle te connaissait bien trop peu. Tu la regardes avant de te pencher vers elle et de souffler quelques mots qui semblent générer un déclic chez la jeune femme. Elle ôte son bandeau, lui permettant de découvrir qui est l'homme qui lui fait face et tu relèves un sourcil alors qu'elle te demande, d'une façon presque abrupte, ce que tu fais là.

Et bien, il se trouve qu'on m'y a invité.

Tu as à peine le temps de répondre qu'elle enchaine, semblant quelque peu contrariée. Tu la regardes sans te départir de ce sourire qui ne manquera sûrement pas de l'agacer encore davantage.

Pardonnez-moi, j'ai cru pouvoir m'immiscer dans votre jeu sans m'imaginer un instant déclencher une telle foudre. J'oublie parfois que les américains manquent cruellement de sang-froid.

Le ton employé, teinté de sarcasme et d'amusement, contrastait avec les excuses que tu tentais de proférer, leur ôtant tout bénéfice. Il était clair que tu prenais tout cela à la légère. La situation t'amusait en réalité. S'il était une facette de ta personnalité qu'elle ne connaissait pas encore c'était que tu pouvais être très joueur, mais tu jouais toujours pour gagner... Et en bon britannique, tu étais rarement impulsif, pour te faire craquer, il fallait vraiment te pousser dans tes retranchements, encore et encore ou toucher un point sensible. Le connard arrogant que tu montrais à la face du monde avait bien d'autres aspects que tu n'appréciais pas vraiment de dévoiler, ne le faisant que pour quelques rares privilégiés qui avaient l'heur de se faire apprécier de toi. Autant dire qu'ils se comptaient sur les doigts d'une seule main. Tu entendis des pas derrière toi et remarquas le regard de la jeune femme qui venait de dévier, tu fis donc volte-face alors que sa mère s'adressait à toi.

Ce serait un véritable plaisir, Mrs Brown. Autant pour le thé que pour la découverte de vos jardins.

A défaut d'avoir la fille dans la poche, tu avais au moins la mère qui semblait te recevoir avec plaisir. Tu as entendu la jeune femme protester et tu eus du mal à dissimuler ta satisfaction lorsque sa génitrice balaya cette remarque, laissant sa fille seule en ta compagnie.  Tu fis alors quelques pas vers, faisant un geste de la main pour lui indiquer de se mettre en mouvement et te faire, ainsi, visiter les lieux. Tu avançais à ses côtés, l'observant du coin de l’œil, ne prêtant pas tellement attention à la flore qui vous entourait. Pour être honnête, les jardins ne t'intéressaient guère mais tu ne pouvais refuser la proposition de sa mère et cela te permettrait peut-être de désamorcer les choses...Ou de les empirer. Voyant qu'elle était peu désireuse de faire la discussion avec toi, tu finis par reprendre la parole mais plutôt que de partir dans des banalités sur la beauté des fleurs qui ornaient ce jardin, tu lui posas une question, te montrant direct.

Pourquoi donc avez-vous autant de dédain envers ma personne, miss Brown ? Avez-vous un problème avec la noblesse ? Les britanniques ? Ou juste avec moi ?

Les choses étaient dites, il n'était pas utile de faire dans les faux-semblants. Selon ce qu'elle répondrait, tu aviserais. Tu avais besoin de cerner le genre de femme qu'elle était si tu devais l'épouser et tu devais bien avouer que son petit côté piquant t'amusait quelque peu.

Hannah se retient de pincer les lèvres, déjà horripilé alors que l’homme ne vient de dire qu’une seule et unique phrase, couplé à cela son stupide dont il a l’air de ne jamais se départir. Bien sûr qu’elle avait compris qu’il avait été invité chez elle, on n’entre pas chez les gens comme cela, mais sur le coup elle s'était sincèrement demandé pourquoi il se trouvait dans son jardin. Quand il reprend la parole, il se permet en plus d’émettre un jugement sur son pays, alors qu’il n’a sûrement jamais posé le moindre orteils sur le sol des Etats-Unis et donc côtoyer ses habitants.

— Et visiblement les anglais manquent de savoir vivre, à moins qu’il ne s’agisse uniquement de vous, il serait bien malvenu de ma part de mettre tous les habitants de ce pays dans le même sac. Et sachez monsieur, qu’avant de vous immiscer dans un jeu par exemple, ne convient il pas de demander la permission ?

La demoiselle n’en ajoute pas une couche, mais le Comte devrait comprendre aisément le sous-entendu, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de donner des leçons à qui que ce soit. La jeune femme éspere que désormais il gardera ce principe en tête, ne serais qu’avec elle, cela serait un très bon début. Ceci étant dit, Hannah avait donc dans l’idée de retourner jouer avec ses amis qui s'étaient arrêtés après que la rousse eut retiré son bandeau, ils discutaient tranquillement observant de temps à autre le Comte de Norfolk. Hélas, sa très chère mère en décida autrement, invitant le noble anglais au thé, mais avant cela elle chargea sa fille de faire visiter leur jardin. Ce ne fut pas faute de protester bien évidemment, car Miss Brown ne tenait absolument pas à devoir passer encore plus du temps en compagnie du moustachu, cependant elle n’eut guère le choix. Ce que mère exige, fille doit s’y plier, ni plus, ni moins. Hannah jette un coup d'œil plein de ressentiment à la matriarche avant de s'excuser auprès de ses amis et de suivre le Comte qui lui avait presque, via son geste, ordonné  de se mettre en mouvement. Quel toupet !

Soit, on lui avait demandé de lui faire visiter les jardins, mais à aucun moment il n'avait été dit qu’elle devait faire la conversation. Hannah se garda donc bien d’ouvrir la bouche, laissant plutôt ses yeux vagabonder sur les parterre de fleurs qu'elle connaissait par cœur, mais qu’elle trouvait toujours appréciable d’observer.  Il y avait au moins cela de sympathique dans cette balade imposée. Après quelques longues minutes de marche, le Comte prit la parole pour lui poser une question très directe, le genre de question embêtante, dans le sens ou la réponse de la belle devait être bien réfléchie. Surtout avec un homme pareil. D’un autre côté, elle se voyait mal lui mentir…

— Je n’ai point de problémes avec les Britanniques, quant à la Noblesse je n’ai rien contre elle bien que je la trouve désuète. J’ai longtemps vécu aux Etats-unis où la monarchie a été abolie, comprenait donc que mon arrivée sur le sol anglais à été quelque peu déstabilisante. Quant à vous...

La jeune femme stoppe ça marche et vient planter ses yeux dans ceux du Comte. Chose qu’une jeune femme bien elevée ne serait pas censé faire, mais qu’importe, il n’a qu’à la prendre ainsi si cela peut lui faire plaisir.

— J’ai autant de dédain envers votre personne car vous êtes un homme si suffisant, pétri d’arrogance et se permettant d’y aller de son avis ou de donner des leçons à autrui, alors que vous ne semblez point savoir vous remettre en question. Vous jugez les gens d’une simple impression sans même prendre le temps d’apprendre à les connaître et ne me dites pas que c’est faux, c’est exactement ce que vous avez fait avec ma petite sœur. Vous vous contentez de la surface sans même vous demander ce qu’il pourrait y avoir de plus.

Détournant le regard, Hannah reprend sa marche comme si elle venait de lui parler de la pluie et du beau temps.

Ce petit caractère t'amuse. Si tu ne t'attendais pas à être accueilli à bras ouverts, tu ne t'imaginais cependant pas qu'elle te prendrait autant à revers. Qu'importe. Cela ne te froissait pas spécialement, beaucoup de choses coulaient sur toi et sa répartie te faisait sourire. Tu la laissais parler, l'observant avec ce petit rictus satisfait au coin des lèvres, celui-là même qui devait tant l'agacer, avant de répliquer :

Je manque de savoir-vivre, et vous manquez d'humour. Quel étrange duo cela fait, vous ne trouvez pas ?

Tu vas l'agacer encore plus, tu le sais, avec ton petit air hautain et ta façon de tout prendre à la dérision mais cela t'amuse particulièrement. Plus elle te renvoie dans les cordes, plus tu as envie de la titiller ! Ses amis vous observent sans oser piper mot alors que la maitresse de maison lui "ordonne" de te faire visiter les lieux. Vous avancez tranquillement pendant quelques minutes, le silence se faisant alors que tu laisses ton regard couler sur le paysage environnant avant de revenir sur la silhouette de la jeune femme. Elle reprend la parole, évoquant sa sœur, et tu ne peux t'empêcher de lâcher un léger rire. Le caractère de feu de la rousse te semble parfaitement opposé à celui de sa cadette qui t'avait parue bien insipide et, disons-le, un peu sotte. Des femmes dans son genre, tu en voyais à la pelle. Elles se pavanaient, papillonnaient des cils en se cachant à moitié derrière leurs éventails, et leurs conversations ne tournaient qu'autour de potins divers et affaires de modes. En somme, ce n'était pas très captivant. Il te semblait que cela devenait particulièrement rare de parvenir à avoir une conversation un temps soit peu intéressante et tu étais de ceux qui, il fallait l'avouer, s'ennuyaient très vite. Il en fallait déjà pas mal pour susciter un minimum ton intérêt. Tu t'arrêtes dans ta balade lorsqu'elle se tourne vers toi pour te lancer au visage le fond de sa pensée sans te quitter des yeux. Elle avait un certain aplomb et tu reconnaissais bien là la grossièreté américaine, ces gens n'avaient aucune connaissance de l'étiquette et aucune manière. Tu aurais pu t'en offenser mais au lieu de cela, tu soutenais son regard, ce sourire arrogant vissé au coin des lèvres. Elle se détourna alors, commençant à s'éloigner. Tu lui attrapas le poignet, l'obligeant à faire volte face alors que tu l'attirais un peu plus vers toi, te moquant bien de l'irriter encore davantage. Tu gardais un ton calme et une certaine désinvolture alors que tu lui répondais simplement.

N'êtes-vous pas vous même en train de faire ce que vous me reprochez si bien ? Après tout, que pouvez-vous dire savoir de moi en dehors de l'opinion que vous vous êtes faite après deux rencontres qui n'ont duré que quelques minutes ?  

Tu t'interromps un petit instant, le temps de la laisser réaliser ce qu'elle même venait de dire et la façon dont cela avait été interprété et perçu.

Quant à votre sœur...Si j'étais aussi superficiel que vous le supposez, je l'aurais déjà épousée. Après tout, comme vous l'avez sous-entendu, j'aime ce qui est beau, et elle aurait été parfaite à mon bras. Tant qu'elle n'ouvrait pas la bouche. Je n'ai pas eu besoin de creuser beaucoup pour me faire une opinion, mais vous allez sans doute encore me dire que je me trompe et qu'elle est plus intelligente et intéressante qu'elle n'y parait.

Tu avais légèrement penché la tête sur le côté, semblant t'interroger réellement sur une potentielle erreur concernant sa jeune sœur, chose dont tu doutais mais on n'est jamais à l'abri d'une surprise après tout !

La rousse se retient de lever les yeux au ciel, ce n’est pas qu’elle manque d’humour juste que celui de cet homme ne l’amuse absolument pas, qui plus est elle n’à pas spécialement envie de rire avec lui. Pour l’heure elle le trouve parfaitement antipathique, hélas sa très chère mère décide d’allonger un peu plus le supplice de sa fille en lui ordonnant de lui faire visiter les jardins. Ce n’est pas comme si on lui avait demandé son avis, Hannah s’y plis donc mais sans aucun entrain se contentant de simplement marcher à côté du Comte sans ouvrir la bouche. Après quelques pas dans le silence le plus complet simplement brisé par la brise dans les feuilles des arbres et le chant de quelques oiseaux, le noble reprend la parole questionnant l’américaine. Autant dire que cette dernière ne se prive pas pour lui répondre à sa façon, ne se gênant pas pour lui dire sa façon de penser et défendre l'honneur de sa petite sœur au passage. Et tout le long de la diatribe de la rousse, le moustachu n’avait cessé de lui offrir un sourire si pétri d’arrogance qu’elle avait de le lui arracher et la moustache avec. Autant bien faire les choses non. Les choses étant dites, Hannah commença à s’éloigner jusqu'à ce qu’elle sentit la main de l’anglais se refermer sur son poignet et l’attirer à lui. Les yeux verts de la jeune femme s’écarquillés sous la surprise avant de le fusiller du regard, quel grossier personnage ! Et c’est elle qui n'avait aucune manière et avait dû mal avec l’étiquette ?! La bonne blague. La rousse n’a pas le temps de dire quoi que ce soit, que le Comte de Norfolk y va également de sa petite leçon de morale, lui rendant ainsi la monnaie de sa pièce.  Cependant, l'américaine n’est pas du genre à se laisser démonter pour si peu et quand il termine sa tirade elle lui offre un sourire presque mauvais.

— Je n'ai pas eu besoin de creuser beaucoup pour me faire une opinion, dit-elle en le regardant droit dans les yeux.

Elle aussi peut retourner ses mots contre lui et Hannah doit dire qu’elle est très fière d’elle pour le coup.

— Eleanor semble certes superficiel mais elle en a bien plus dans la tête qu’il n’y paraît, comme beaucoup de jeunes demoiselles à vrai dire. Cependant on leur enfonce dans la crâne d’être  modestes, passives et soumises les qualités de ce que doit être une parfaite jeune femme. Comme vous pouvez le remarquer l’intelligence n’en fait pas partie !

Hannah dégage vivement son bras de la prise du Comte de Norfolk.

— Ma petite sœur mérite de toute façon un prétendant moins arrogant que vous Monsieur.

La rousse penche légèrement la tête sur le côté, lui offre cette fois un sourire moqueur avant de reprendre sa marche comme si de rien n’était.