Il fait froid vers la fin novembre à New York, surtout au alentour de minuit le soir. J'aurais probablement dû apporter une veste, mais j'étais déjà assez limite dans le temps comme ça. Je marche d'un pas rapide évitant les quelques mandiants et les passants sur mon chemin pour me rendre dans une ruelle au coin de Main Street. Je regarde ma montre. 1h15. Parfait, j'étais pile à l'heure. Je tends ma main dans mes poches afin d'y tirer une cigarette et en même temps m'assurer que j'avais bien avec moi la marchandise pour l'homme que j'allais rencontrer. Je fouille d'abord la poche gauche de mon jean, mais sans succès... Je passe à l'autre, mais celle-ci aussi était vide... «Merde, merde, merde !», je grogne de frustration tout en regardant autour de moi au cas où je l'aurais fait tombé en sortant ma cigarette. Soudain j'entends des pas se rapprocher de moi. «Stone, mon vieux comment ça va ?», dit l'homme d'une voix peu intéressée par la réponse que j'allais donner. «Oh, ça va.. Ça va... Et toi ?», dis-je peu convaincu.«Oh bah tu sais, tout ira mieux dès que j'aurai ce donc j'ai besoin.», souffle-t'il à mon oreille étant maintenant assez près de moi pour me mettre trois petites tapes fermes sur l'épaule. Je tente de détendre l'atmosphère en riant faussement. «Oh ça... Tu vois, je suis certain que tu vas rire, mais j'ai laissé ma veste chez moi et le stock est dedans», dis-je en reculant de quelques pas. «Stone, Stone, Stone... Toujours le mot pour me décevoir.» Il se racle la gorge et siffle un coup. Comme des chiens bien dressés, trois hommes baraqués nous rejoind dans la ruelle. «C'est dommage, je t'aimais bien», dit l'homme avant de claquer des doigts et de repartir. Ses trois gardes eux riaient en avançant vers moi d'un air menaçant. «Hey les gars, on peut s'arranger... Je vais vous faire un rabais pour la prochaine fois!», dis-je quelques secondes avant de recevoir le premier coup dans le ventre qui a rapidement été suivi par ce qui semblait être une douzaine d'autres. Après une éternité, les brutes s'arrêtent et partent, me laissant pratiquement pour mort. Mon corps me faisant mal de partout, ma vision était floue et avec le peu de force qu'il me restait je tente d'appeler à l'aide.

S'occuper d'une nouvelle âme n'est pas si simple. Amriel le savait parfaitement, puisque ce n'était pas le premier protégé dont elle avait la charge, loin de là. Le cycle de la vie étant ce qu'il était, elle en avait perdu quelques-uns, depuis qu'elle avait commencé à exercer en tant qu'ange gardien. Parfois, la vie avait simplement suivi son cours et emporté une vieille âme. Parfois, son concours n'avait pas suffit pour protéger son humain. C'était le cas la dernière fois, alors qu'elle était affiliée à un militaire. La guerre étant toujours quelque chose d'horrible, ils avaient parfaitement conscience qu'ils pouvaient perdre leur protégé bien avant l'heure dans ce genre de circonstances. C'est ce qui lui était arrivé avec son sergent, décédé au cours d'un affrontement armé, duquel elle n'avait pu le protéger. La guerre implique toujours que des anges gardiens, finalement, luttent contre d'autres de leurs semblables. La vie est à ce prix.

Forcément, après ça, tout ange soit-elle, repartir en mission était difficile. Compliqué. Elle avait donc eu un peu de temps pour se remettre de son échec avant que ne lui soit confié un nouveau nom, celui de Denver. Américain de vingt-six ans, affilié aux gangs de rue… sur le papier il avait tout pour être le prochain qu'elle perdrait de mort non naturelle. Cette possibilité lui avait mis un nouveau coup. Pourtant, elle n'avait pas pu refuser la mission. Ce n'est pas comme si elle avait eu le choix. Ce n'était pas aux anges de décider de cela. C'était le Saint-Esprit qui décidait pour eux. C'est ainsi qu'elle avait atterrit sur terre, ce soir, se perdant dans les rues de New-York comme ça n'était plus arrivé depuis deux décennies maintenant, à la recherche de Denver.

À vrai dire, le trouver n'est pas des plus difficiles. Il existe une connexion entre l'ange et son protégé dès lors que le lien est créé, qui permet à l'entité angélique d'être consciente, à chaque instant, des faits et gestes de son protégé chaque fois qu'il se met en danger, de sa situation, de son emplacement. Ce soir, elle avait donc atterrit dans une ruelle peu fréquentable d'un quartier peu recommandable de la ville, derrière une pile de poubelles qui lui avait permis de retrouver sa visibilité avant de sortir de l'ombre.

Il est là, allongé à même le sol de la ruelle alors que les malfrats viennent de le laisser pour mort, et la blonde accourt à ses côtés, culpabilisant d'être arrivée trop tard pour lui éviter cette bastonnade. Se penchant au-dessus de lui, elle analyse rapidement ses signes vitaux. Bon sang, ça n'était pas supposé arriver. Elle aurait dû être là pour lui dès qu'il avait oublié sa poudre, pour lui permettre justement d'y penser et d'éviter tout ça. Elle n'aurait même pas dû avoir besoin d'intervenir physiquement. Cette idée la contrariait. C'était comme un échec. À ce rythme, elle n'allait pas le garder en vie longtemps.

”- Est-ce que tu m'entends ? Reste avec moi…” souffle-t-elle.

Sa main se posant sur le bras du jeune homme, elle fait se répandre en lui une sensation de légèreté, de sorte qu'il ne sente plus les douleurs ni le poids de son corps tandis qu'elle s'emploiera à le soigner.

La sensation de douleur extrême qui parcourait tout son corps s'estompait peu à peu pour laisser place à une légerté agréable. C'était presque comme s'il était mort... Après quelques secondes de réflexion, l'homme réalisa que cette pensée était plutôt désirable, après tout ce n'était pas comme s'il réussissait bien dans la vie. Bien qu'il tentait de se rendre vers la lumière paisiblement, c'était comme si quelque chose lui en empêchait l'accès. La chaleur douce et réconfortante de la paix éternelle laissait de nouveau place à la fraicheur désagréable du parment de la ruelle dans laquelle il était allongé. En sursaut, il ouvre les yeux le souffle coupé par le retour brusque à la réalité. Son regard se pose sur une jeune femme au trait doux et des yeux à vous noyer dedans. « Peut-être que je suis vraiment mort finalement » arrive-t'il a murmurer la voix un peu rauque. Il tente de se redresser afin de pouvoir analyser davantage s'il était bien au Paradis ou s'il avait seulement eu de la chance de s'en être sortie. Avec beaucoup de difficulté et de grognements de douleur, il parvient a s'asseoir et a s'adosser contre un mur en brique. Il ne peut s'empêcher de regarder autour pour s'assurer que les brutes qui l'avait pratiquement tué n'attendaient pas un peu plus loin pour finir le boulot. Puis, il se rapella qu'il n'était plus seul maintenant, il retourne encore son attention vers la femme qui était toujours avec lui. «Je ne sais pas si c'est toi qui m'a sauvé, mais merci beaucoup... Par contre, il faudrait pas trainer ici trop longtemps...» dit-il toujours inquiet, mais en regardant ses blessures qui étaient pratiquement toutes déjà cicatrisées comme par miracle. Il arrive tant bien que mal à se lever, titubant quelques fois, mais retrouvant rapidement un équilibre assez solide pour se tirer d'ici au plus vite. «Tu viens ?» lança-t'il en se dirigeant vers la fin de la ruelle pour rejoindre le trottoir.

En fin de compte, la situation est moins critique qu'il n'y paraissait. L'homme tranquillisé, Amriel est en mesure de l'observer plus en détail et d'évaluer l'ampleur des dégâts, qui ne sont pas si préoccupants. Rien de vital, en tout cas. Des coups douloureux, elle n'en doute pas, mais non mortels. Rien qui ne nécessite de l'emmener aux urgences. Si cela avait été trop préoccupant, elle aurait été obligée de le faire, ses dons restant relativement limités. Un soupir. Elle n'est pas une guerrière et ses capacités sont uniquement défensives. De quoi permettre d'aider à calmer l'écoulement du sang de son protégé, mais rien qui aurait stoppé une hémorragie trop importante. Habituellement, les anges gardiens se contentent de guider leur protégé, de l'aider à prendre les bonnes décisions par l'envoient de signes plus ou moins évidents. Ils ne sont pas supposés intervenir directement. Pas comme elle l'a fait ce soir.

Il ouvre enfin les paupières, se croyant mort, et elle le rassure rapidement. Il a l'air d'aller mieux. Il a un peu de mal à se mettre debout mais finit par y parvenir, la remerciant. Elle hausse les épaules et secoue la tête. Il ne doit pas savoir qui elle est, ni ce qu'elle est. Alors c'est plus simple de dire qu'elle ne l'a pas sauvée. Plus simple de mentir à ce sujet.

"- Oh, je vous ai juste trouvé là, au milieu de la ruelle mais.. c'est tout. Je n'ai fais qu'essayer de vous garder éveillé. Comment vous vous sentez ? Votre tête ? Elle ne tourne pas trop ?" s'enquit-elle avant de demander ce qu'elle sait jamais. "Qu'est-ce qui vous est arrivé ?"

Comme il ne veut pas s'attarder et l'appelle après s'être éloigné de quelques pas, elle pousse un nouveau soupir. Normalement, elle devrait juste disparaître de sa vie maintenant. Le laisser reprendre le cours de sa soirée, se rendre invisible de nouveau et veiller sur lui de loin. Elle n'est pas supposée s'éterniser sur cette terre qui n'est pas la sienne, dans cette existence qui ne lui ressemble pas. Pourtant, elle le suit, le rejoignant rapidement, craignant qu'il ne s'attire encore des ennuis.

"- Et on va où comme ça ?"

Les mains dans son jean et en faisant les cents pas, son regard était toujours figé sur le fond de la ruelle comme si en la fixant personne ne pourrait en sortir. Le sentiment de fausse sécurité était suffisant pour lui permettre de relaxer un peu et d'enfin prendre une vraie grande respiration. Il remarque alors que la femme, bien que confuse de l'endroit où ils allaient se rendre, était maintenant à ses côtés. Sans trop savoir quoi lui répondre pour ne pas l'effrayer il se contente de marcher d'un pas assez rapide vers des rues plus achalandées pour être un peu moins une cible facile. Heureusement, il connaissait bien les rues du coin puisqu'il était habitué de s'y promener avec son ''boulot'' et en plus ayant déménagé souvent de foyer d'accueil étant jeune il pourrait se diriger dans tout New York les yeux bandés s'il le voulait.

Les rues de New York étaient assez spéciales, tout comme les gens qu'on pouvaient y trouver. Un mandiant installé sur le trottoir avec un bout de carton sur lequel était marqué I just ate my cat and I'm still hungry tendait une tasse avec seulement quelques sous au fond. Confus, le jeune homme poursuit sa route évitant de croiser le regard de l'homme vêtu d'un chandail taché et des pantalons assez troué pour que l'on puisse voir l'entièreté de son attirail. Charmant se dit-il en se secouant la tête. Le bruit du vent était le seul son qu'on pouvait entendre mis à part le vague brouhaha constant de la ville se qui rendait la marche légèrement gênante alors après avoir passé quelques commerces, Denver décide de briser le silence. «Au fait, moi c'est Denver...» dit-il en sachant très bien que la blonde devait complètement s'en ficher, mais il ne supportait pas de continuer à marcher ainsi sans rien dire. «Je ne sais pas pour toi, mais moi j'ai besoin d'un verre» dit-il avec un léger sourire en coin en ouvrant la porte d'un pub a l'ambiance plutôt accueillante et en faisant signe à la blonde d'y entrer en premier.   

Il veut quitter la ruelle, craignant que les types qui l'avaient passés à tabac reviennent, mais ne lui dit pas pour autant où il souhaite aller. A vrai dire, elle ne devrait pas vraiment le suivre. Tout du moins… pas comme ça. Pas en étant visible. Pas en ayant pas pleinement possession de ses capacités angéliques. Un ange qui s'attarde sur terre parmi les mortels, ce n'est pas la norme. Il est même rare qu'ils entrent en contact avec eux, bien qu'ils doivent assurer leur sécurité. La majeure partie du temps, ils le font sans se montrer. Elle ne devrait donc pas s'attarder d'ici mais trouver le moyen, au contraire, de s'éclipser au plus vite. Moins ils fréquentent des humains et moins ils ont de risques d'ébruiter leur secret. Il ne faudrait pas que ces derniers, bien qu'ils croient dur comme fer à leur bonne étoile, du moins pour quelques-uns, découvrent que, effectivement, les anges existent. Qui sait ce qu'ils seraient capables de faire alors. Bien sûr, on pourrait croire que les anges auraient l'avantage, mais c'était un paris qu'ils ne voulaient pas prendre. Pas avec leur bon cœur qui pourrait les trahir. Pas avec tout ce que cette idée comportait d'imprévu.

Puisqu'elle ne peut tout simplement pas disparaître sans un bruit, ni un mot, elle lui emboîte le pas, se déplaçant dans les rues de New York sans savoir où il souhaite aller, où il l'emmène. Le rejoignant donc, elle reste à sa hauteur, calquant son rythme sur le sien tandis qu'elle évalue les possibilités qui s'offrent à elle. Elle pourrait prétendre qu'elle est attendue, qu'elle est pressée, assez facilement, il n'irait pas vérifier que ce soit vrai. D'un autre côté, elle n'est pas sûre que ce soit une bonne idée de le laisser seul, pas après ce qu'elle a vu.

Il se présente et elle lui adresse un sourire, bien qu'elle le connaisse déjà. Denver. Comme la ville. Elle ne peut pas lui donner le sien en retour, il est bien trop particulier pour passer inaperçu sur terre. Mais depuis le temps, elle a trouvé quelque chose qui lui permette de s'approcher de son nom original, sans être trop soupçonnable.

”- Ariel. Enchanté Denver.”

Bien que les présentations soient faites en bonne et due forme, comme elles auraient dû l'être si la jeune femme n'avait pas été une ange qui connaissait tout de l'identité du jeune homme à l'avance, elle ne sait pas d'avantage où ils vont. Mais l'homme ne tarde pas à ouvrir la porte d'un établissement en évoquant son envie de boire. Elle se crispe. Il faut vraiment qu'elle trouve un moyen de s'échapper parce qu'elle n'est pas supposée prendre des verres avec ses protégés. En fait, elle n'est pas supposé prendre de verre avec qui que ce soit.

”- Euh.. je... c'est que... c'est que je n'ai pas beaucoup de temps...." prétend-elle.