Il marqua un long silence. Dans le fond, il était excédé. Excédé parce qu'à chaque fois, il apprenait un peu plus de choses qui le faisait détester tout ce en quoi il avait pu croire, tout ce sur quoi se fondait le principe même de la vie. Des factions pour résister à la guerre, tu parles.
Si pour Phoenix, tout ça c'était de l'histoire ancienne, c'était à des années lumières d'être le cas pour Quatre. Elle, elle avait toujours su qu'elle avait survécu. Lui venait tout juste de rouvrir une plaie béante : celle de son absence. Et il n'était pas particulièrement prêt à affronter tout ça d'un coup. Il secoua la tête, et soupira. «De l'histoire ancienne, oui. Pour toi peut-être.»

Dans le fond, Tobias était amer d'avoir appris tout ça. ça lui faisait un mal de chien. Il avait l'impression qu'absolument tout était faux, jusqu'à ce qu'il avait éprouvé toutes ces années, même l'année avant qu'ils partent de chez les Audacieux avec Tris pour aller chez les fraternels. C'était.. Injuste, et encore, il n'avait clairement pas les mots. La mort, il avait toujours eu du mal à la gérer, et ça ne datait pas d'hier. Il fallait dire qu'Evelyn avait mis un point d'honneur a la faire entrer dans la vie de Tobias, alors qu'il était encore jeune, et qu'elle ne cherchait qu'à fuir. Est-ce que dès le début, son objectif avait été de former une armée de sans-faction ? Il n'en avait pas la moindre idée. Mais à ses yeux, le fait qu'elle en soit devenue le Leader montrait bien qu'il y avait quelque chose de plus derrière tout ça. Il en était certain. Mais il n'avait pas le temps de penser à ça, et c'était pas vraiment comme si la présence de sa mère était problématique : elle avait disparu. Au moins, ça lui faisait un problème de moins à gérer.

«Il est endoctriné, c'est pour ça..» dit-il, en repensant au frère de Tris, en qui il n'avait tout de même pas vraiment confiance. Certains croyaient dur comme fer au système des factions. Alors, évidemment.. pour eux, tout ça, c'était plus que normal.

Il leva les yeux au ciel en riant. Décidément, ils allaient pas s'en sortir. Mais pour le coup, Quatre avait besoin de voir autre chose. «A charge de revanche, on peut aller chez toi. De toute façon, en ce moment, mon appart est assez en bordel...» A cause de ses recherches, et du fait qu'il ne voyait pas pourquoi il ferait un effort. Lui n'en avait plus rien à ficher, depuis que Tris l'avait laissé, au moins, il était libre de faire le bordel qu'il voulait sans avoir à s'inquiéter de ne déranger personne : il n'y avait plus que lui.

Sa gorge se serra en l'entendant. «Depuis... depuis tout ce temps ?»

De l'histoire ancienne. Pour elle, peut-être. Dans le fond, Phoenix se rend bien compte de la connerie qu'elle dit au moment où elle le dit et Quatre ne se fait pas prier pour le lui faire remarquer. Ça n'était pas de l'histoire ancienne pour lui. Ça se passait maintenant, face à la réalité qu'il venait tout juste de découvrir. Si toutes ces années, elle avait eu le temps de faire le deuil de sa famille, le temps de faire le deuil de sa faction, le temps de finalement ronger son frein et se faire aux changements de son existence, lui l'avait cru morte. Il pensait que la demoiselle n'avait pas survécu à son échec. Et soudainement il découvre que ce n'est pas le cas. Qu'on lui a menti. Que ce en quoi il croyait était de la connerie. Comment cela pourrait-il être, alors, de l'histoire ancienne ? Cela ne l'était pas pour lui.

"- Ouai. Pardon. C'était... Maladroit." admet la demoiselle.

Maladroit. C'est le cas de le dire et c'est au tour de Phoenix de s'en vouloir. Elle aurait dû prendre le temps de peser ses mots. Parfois elle devait admettre qu'elle parlait sans avoir réfléchi. C'était peut-être son côté audacieux qui s'exprimait. La partie érudit en elle aurait préféré qu'elle prenne le temps de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de l'ouvrir.

La jeune femme pousse un soupir. Ouai. Son frère est endoctriné. Est-ce que c'est pour autant une raison ? Il faut dire que son frère est obnubilé par Eric. Vraiment. Comme s'il voulait lui ressembler, quelque part. Mais il avait toujours été à fond dans l'histoire des factions. Il avait toujours été du genre ambitieux, aussi. Audacieux c'était son identité. Il aurait tout donné pour ses rêves. Elle le savait. Elle les connaissait. Il les nourrissait depuis l'enfance.

"- Endoctriné et abruti alors." corrige la demoiselle. "L'un n'empêche pas l'autre."

Endoctriné, quelque part ils le sont tous. Pourtant, Quatre n'avait pas perdu le sens des réalités. Et elle ne l'avait pas perdu non plus. Ce qui n'avait rien à voir avec sa nature divergente puisque Quatre ne l'était pas. Pas à sa connaissance tout du moins. Alors comment justifier que eux soient capables d'ouvrir les yeux sur toutes les conneries de leur monde et pas Adam ?

Le rire de Quatre. Cela faisait des années que la jeune femme ne l'avait pas entendu et pour être honnête cela faisait du bien, tout à coup, de l'entendre découper la nuit. De l'entendre rire, Phoenix dessine un sourire sur ses lèvres. Qu'avait-elle dit de drôle ? Rien pourtant. Elle n'en avait pas l'impression. Mais si ça l'amuse...

"- Fait pas genre, j'suis sûre que c'est toujours le bordel." remarque la demoiselle en riant. "C'est par là." le guide-t-elle alors, se remettant en route.

C'était peut-être un peu mal dit et mené sur un ton de reproche, ce qu'il disait à Phoenix. Mais il avait suffisamment souffert de tout ça pour laisser encore une fois les factions reprendre le dessus. Scarlett était vivante, elle avait renaît de ses cendres, et était devenue un Phoenix. Il trouvait ça très beau et poétique, bien qu'elle n'avait pas eu l'air d'être du même avis qu'elle.

Il lui sourit et fit mine de rien. «C'est rien. Je comprends ce que tu peux ressentir et où tu voulais en venir.» Bien qu'il n'était pas d'accord avec elle dans le sens, ou, désormais, tout pouvait recommencer et être plus tranquille qu'avant. Il haussa les épaules en jettant un coup d'oeil autour de lui. Bon, tout semblait aller plutôt pas mal pour le coup. Enfn, il ne voyait rien autour de lui qui semblait ajouter de la lumière à ces révélations malgré tout.

Les éclats de rire s'enchaînèrent, sortant de sa bouche plus vite qu'il n'aurait pensé. Comme quoi, il semblait qu'être endoctriné et débile, c'était un trait dominant chez certains audacieux. Il haussa les épaules sans perdre son sourire. «Le portrait craché d'Eric.» dit-il en riant de plus belle. Voilà longtemps qu'il n'avait pas ri si aisément, ni autant dans une conversation. Ni Tandy, la jeune Audacieuse également divergente qu'il avait trouvé sur le chemin avec Tris, et encore moins Tris ne réussissaient à lui arracher tellement de rire en si peu de temps. Pourtant, Tandy était une petite marrante, quand elle jouait les grosses dures.

«Hééé !» dit-il en lui donnant un coup de coude. «C'est totalement faux, en plus. Je suis normalement quelqu'un d'ordonné. Mais là, je suis débordé, surtout.» ajouta-t-il avant de lui emboiter le pas et de la suivre.

Comme Quatre dit que ce n'est rien, qu'il comprend ce qu'elle peut ressentir, ce qu'elle peut avoir traversé, où elle voulait en venir, Phoenix lui adresse un léger sourire comme pour le remercier de ne pas lui en vouloir, de ne pas s'attarder sur les propos malheureux qui avaient êtes les siens. Le remercier de la comprendre, aussi, quelque part. À avoir été rejeté par sa famille, par son frère notamment, qui avait affirmé qu'elle n'était plus sa sœur, à n'avoir plus personne à qui se confier pendant des années, Phoenix avait oublié ce que cela faisait que d'avoir quelqu'un capable de nous comprendre, que d'avoir quelqu'un capable de nous pardonner nos erreurs. Et ça faisait du bien de retrouver cette sensation de pouvoir parler sans crainte.

Il valait mieux qu'ils passent à autre chose, en soi, même s'il aurait probablement besoin de temps pour digérer la nouvelle. Finalement, Scarlett, devenue Phoenix, était bel et bien vivante. N'était-ce pas là le plus important ? Cela ne changeait évidemment rien à la peine de ces dernières années, cela ne changeait rien au manque, ni à tout ce qui avait plus arriver depuis l'annonce de sa prétendue mort, mais elle était au moins vivante.

Phoenix esquisse une grimace comme Quatre affirme que son frère est le portrait craché d'Éric. Il n'avait cependant pas tout à fait tort. Même si Phoenix aurait voulu qu'il en soit autrement, elle devait bien admettre qu'Adam avait marché dans les traces d'Eric ces dernières années, qu'il avait tout fait pour s'en faire bien voir, pour atteindre les sommets de leur hiérarchie.

"- Ouai. À part que mon frère est beau, lui !"

Phoenix grimace. Elle ne voulait pas imaginer à quel point Adam ressemblait à Éric. Alors il fallait bien qu'elle trouve des points de divergence, des points sur lesquels ils ne se ressemblent pas. Il n'y avait bien que le physique pour la sauver, là. Pour le reste... Quatre avait bien raison. Son frère était définitivement le même genre de connard qu'Eric. Qu'elle le veuille ou non, il l'avait abandonné après tout.

"- C'est ce que disent tous les bordéliques." remarque la demoiselle en riant, comme lui, le taquinant encore, quitte à recevoir un nouveau coup de coude. "Tu me raconteras tout ça."

Ils ne mettent que quelques minutes à atteindre la porte de son chez elle. C'est petit, pas l'appartement le plus spacieux, ni le plus lumineux et encore moins le plus confortable qui soit, mais il a le mérite d'exister. Le mérite de l'abriter. Et dans la position où elle est aujourd'hui, elle aurait bien tort de s'en plaindre. Bien d'autres de ses semblables n'ont pas le quart de ce qu'elle a.

"- Bienvenue chez moi. Fait comme chez toi." dit-elle en se dirigeant vers la cuisine. "J'te sers un verre ?"

Il rit de plus belle. C'était quand même agréable, cette sensation de retrouver le passé. Il ne pouvait pas le nier, non, c'était impossible, désormais. Il sourit à la jeune femme, avant de pencher la tête sur le côté. Il n'était pas particulièrement bien placé pour parler de beauté, car c'était un concept qui lui avait toujours été un peu abstrait. Il avait plutôt pour habitude de se tourner vers une personnalité. Il aimait bien les fortes personnalités, les têtes brulées. Suffisait de voir Tris, dans le fond. Même si aujourd'hui il n'y avait plus rien entre eux, il s'était surtout senti proche d'elle à cause de sa différence. Qu'on pouvait attribuer à sa divergence, évidemment. Mais bon, il fallait dire qu'Adam restait plus potable qu'Eric, il était bien d'accord. «Disons qu'il a une tête plus agréable à regarder. De là a parler de beauté.. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs.» Ah, tiens, il aimait bien cette expression qu'il avait apprise ici, d'ailleurs. Mais il fallait dire que dans le fond, Phoenix avait raison.

Il plissa les yeux. «Hééé, c'est pas cool ça..» dit-il en lui offrant un nouveau coup de coude. «Je te promets que c'est vrai. Maintenant que je t'ai retrouvée, j'aurais l'occasion de te le montrer, peut-être ?» Il était peut-être un peu trop enthousiaste pour ces retrouvailles, mais il ne pouvait s'en empêcher. C'était la première vraie lumière dans les ténèbres.

Ils arrivèrent assez vite chez elle, et en entrant, il ouvrit des yeux ronds. «Wow. C'est magnifique chez toi.» Rien à voir avec le style minimaliste altruiste ni même avec le style auberge de jeunesse des audacieux. Là, il y avait un vrai confort. Et la décoration était ouf. «Bon, ok, c'est mieux que chez moi.. Disons que c'est plus fonctionnel que cosy dans mon appart..» dit-il en assumant pleinement.

Son frère était plus agréable à regarder qu'Éric. Oui ça, c'est une évidence. Elle le sait que son frère est mignon et qu'il plaît aux filles. C'est pas comme si elle n'avait pas entendu quelques audacieuses en devenir parler de lui, du temps de son initiation. Il était mignon ouai. Mais quel con, dans un même temps. Et comme Quatre se montre sceptique sur le fait qu'il s'agisse de beauté, la jeune femme a un petit rire.

"- Hé ! C'est quand même de mon frère que tu parles. Enfin de mon imbécile de frère oui, mais mon frère quand même !" remarque Nyx.

Maintenant qu'ils s'étaient retrouvés, il fallait croire que tous les deux n'allaient plus se lâcher. C'est l'impression que la jeune femme a comme ils plaisantent, Quatre envisageant qu'il aura l'occasion de prouver sa bonne foi, prouver comme la demoiselle se trompe en assurant que son appartement puisse être toujours en bordel. Et cette proposition fait naître un sourire sur le visage de celle qui voit là une nouvelle occasion de plaisanter.

"- Mais c'est qu'tu proposes déjà un second rencard ou je rêve ?" demande-t-elle en riant, avant de retrouver un air un peu plus sérieux. "C'est sûr, nous aurons des occasions."

Parce qu'elle ne compte pas laisser Quatre disparaître. Elle ne compte pas le laisser s'évanouir dans la nuit et qu'il ne soit de nouveau plus dans sa vie. Ça non. Maintenant que le hasard les a remis l'un sur la route de l'autre, cela semble improbable de se perdre à nouveau de vu.

"- Disons que c'est mieux que le manque d'intimité évident qu'on avait chez les audacieux..." remarque la jeune femme en riant.

Maintenant qu'elle est chez elle, Phoenix se rappelle qu'elle doit avoir une tête à faire peur. Elle ne sait toujours pas dans quel état le type de tout à l'heure l'a mise. Est-ce qu'elle saigne encore ? Un passage à la salle de bain s'impose pour vérifier cela, quand elle aura eu une réponse, qu'il se sera installé.

"- Du coup, tu veux boire quelque chose ?" répète-t-elle