La bulle qui vous enfermait, Sherlock et toi, vient définitivement de t’éclater entre les doigts. Tu restes immobile, incapable d’ouvrir la bouche, incapable de prononcer le moindre mot,  de faire entendre le son de ta voix, d’intervenir sur l’injustice que tu es en train de vivre juste parce que tu danses avec un ami, au lieu d’une adolescente en robe rose, agrémenté de mousseline violette. Tu ne comprends pas ce que l’on te reproche. Tu ne comprends pas pourquoi l’on s’en prend à vous. Vous ne faisiez rien de mal. Surtout rien de plus que tous ces autres abrutis qui vous regardent comme si vous veniez de braquer une banque. Tu ne comprends pas. Tu te prends toutes les remarques du directeur en pleine face. Gratuitement. Tu as la sensation de te prendre une paire de gifles. Tu t’enfermes dans un mutisme que tu ne connais que trop bien. Soudainement, tu deviens même sourd quelques secondes. Ne pas entendre ce qu’il te hurle au visage est sans doute mieux. Tu te mures dans le silence, en guise de seule protection contre un monde trop violent. Contre un monde que tu ne connais que trop bien. Tu ne veux pas subir plus que tu ne peux. Ta main agrippe toujours celle de Sherlock, avec un peu plus de ferveur pourtant. Tu regardes la scène comme si tu n’étais qu’un élément extérieur. Comme si tu n’étais pas sur le même plan astral. C’est la voix du brun qui finit par te ramener sur Terre. « Sherlock. Je t’en prie. » le supplies-tu. « Sherlock. » Rien n’y fait. Lui non plus, ne t’entends pas. Ou ne veut pas t’entendre. Cela revient au même. De toute façon, le mal est fait. Tu te laisses tirer hors du gymnase, hors de ton lycée. Et le grand S rouvre la bouche pour te proposer son fichu fish’n’chips. Le silence revient. Puis. Tu ne lui réponds qu’avec un rire bruyant. Un rire qui fait monter quelques larmes aux coins de tes yeux. La nervosité se dissipe pour laisser place à une hilarité incontrôlable. Si tu te fais exclure pour de bon, tu laisseras une trace de ton passage dans ce lycée de quartier…

Tu essayes une larme perlant sur ta joue, reprenant peu à peu ton calme, gardant les yeux rivés sur lui. Et doucement, tu viens te blottir contre lui, sourire aux lèvres. « Merci. » Et tu viens poser ta bouche contre sa joue pour appuyer tes remerciements. Sans lui, tu n’es pas sûr que tu aurais pu quitter le gymnase à moins que l’on ne t’en fasse sortir par la force. Tu étais figé, les pieds ancrés dans le sol. Tu ne t’étais certainement pas préparé à prendre autant de haine à la figure en si peu de temps et le rire de ton amie… « Je meurs de faim. Où on va ? » Tu le laisses encore une fois être le guide de votre soirée. Sa dernière surprise fut la plus belle d’entre toutes. Pourquoi pas celle-ci ? Tu libères sa main. Presque instantanément, tu ressens comme un immense vide. Alors tu défais ton noeud papillon dont tu laisses pendre les deux extrémités de chaque côté de ton cou, avant de défaire un bouton de ta chemise. Après quoi, tu enfouis tes mains dans les poches de ton pantalon. « Désolé que tu te sois aussi bien habillé pour seulement quelques minutes… tu es très beau. Tu devrais t’habiller comme ça plus souvent. »

Une fois ton petit monologue achevé, tu attire John à l'extérieur. Il n'y avait plus rien d'intéressant pour vous à l'intérieur, autant aller voir ailleurs. « Tu me remercies pour quoi cette fois ? » que tu lui demandes, alors que tu sens la chaleur de ses lèvres contre ta joue  « Il avait l'air plutôt susceptible, il se peut qu'il veuille te virer après tout ça » c'est dans ce genre de situations que tu te dis que l'école, ce n'est pas fait pour toi. L'autorité, ce n'est pas vraiment ton truc. Tu n'aimes pas que l'on se croit supérieur à toi, surtout quand on est loin de l'être. Cet homme est un odieux personnage. Il fallait bien que quelqu'un le lui fasse comprendre, non ? Cependant, si toi tu n'es pas scolarisé, ce n'est pas le cas pour John et tu espères que ça n'aura pas trop de répercussions sur lui.

Il veut savoir où vous aller. Tu lui as dis pourtant. Est-ce qu'il t'écoute ?  « Je t'ai parlé d'un fish'n'chips près de chez toi. » sa main a quitté la tienne. C'est étrange. Tu commençais à se faire à sa présence.  « Je sais que tu n'aimes pas te balader dans les rues, une fois la nuit tombée. » tu te souviens de votre dernière petite sortie. Il n'avait pas trop apprécié le retour à la maison. Il te complimente sur ta tenue. Tu souris, en rangeant tes mains dans tes poches.  « Tu me crois, si je te dis que je ne voulais pas attirer l'attention ? » c'est pour ça que tu avais pris soin de te vêtir de circonstances. Déjà que tu ne faisais pas partie de l'établissement, tu ne tenais pas à faire tâche en plus de ça. De toute évidence, tu t'es loupé. Niveau discrétion, on repassera. Tu auras essayé, au moins.  « J'crois bien que j'ai tout foutu en l'air... » même si tu ne comprends pas vraiment pourquoi. Tu n'as rien fait de mal, au fond. Tu as juste voulu danser avec ton ami. Ce n'est pas comme si tu étais l'investigateur d'une bacchanale.

D’une manière ou d’une autre, tu savais que tu ne ferais pas longtemps à cette soirée. Un bal de fin d’année n’avait jamais fait parti de tes rêves les plus fous, mais avait plutôt acquis le titre de corvée. Que ce soit ce titre ou la manière dont cela s’était réellement passé, on ne peut pas dire que ce fut une vraie réussite. Dans le fond, tu te doutais que cela ne se finirait pas bien. La réalité n’est jamais celle des séries télévisées où tout est idéalisé à outrance. Elle est bien différente.

« Je te remercie d’être venu à ma rescousse. » Sans lui, tu serais encore coincé là-bas, figé sur place, incapable de dire quoique ce soit. « Je doute qu’il le puisse. Il n’a aucun motif valable. » Du moins, tu l’espères. Après tout, ce n’est pas toi qui t’es élevé contre lui. Tu t’es contenté de sortir du gymnase comme il l’a exigé. Avec un peu de chance, les professeurs présents en tant que chaperons ne tarderont pas à lui tomber dessus s’il tentait quoique ce soit ? Avec la chance que tu as, rien de tout cela ne se produira et tu finiras probablement déscolarisé contre ton gré. Tu pourrais toujours demander du soutien scolaire au grand brun qui marche à tes côtés, non ?

Tu lèves les yeux au ciel. « C’est pas pour autant que je sais où l’on va précisément. » Jusqu’à e qu’il en fasse mention, tu n’avais pas remarqué que la nuit était belle et bien tombée sur la ville, de son immense voile noir. « Mh. » te contentes-tu de répondre. Tu préfères ne pas y penser tant que tu ne seras pas à l’abri, à l’intérieur, qu’importe le lieu qu’il choisira. « Très réussi. » tu te moques, tout en sachant que passer inaperçu n’est pas dans ses cordes. Non pas qu’il soit étrange, ou extravagant. Rien à voir. Sa taille et sa stature ne lui permettent simplement pas de se fondre dans une foule d’adolescents pré-pubères, tu le crains. Et au-delà de ça, il est toujours parvenu à attirer ton attention, d’une manière ou d’une autre. Peut-être qu’il exerce ce pouvoir sur toute personne passant un peu trop près de lui ? Tu préfères ne pas y penser. Ça ne te plaît pas.

Tu fronces les sourcils. « Bien sûr que non. C’est l’autre abruti qui a tout gâché. » Tu n’as pas eu le temps de finir la moindre danse. Il était venu pour toi, tu pouvais bien lui faire ce plaisir. Mais cela t’a été arraché. « J’ai même pas pu- » tu t’interromps. « C’est comme ça. » Tu hausses les épaules et fourres tes mains un peu plus loin dans le fond de tes poches. « J’ai envie de frites. » conclues-tu.

On ne peut pas vraiment dire que tu sois venu à sa rescousse. Il avait l'air plutôt tranquille, du côté du buffet, avec ses biscuits apéritifs. Il a suffit que tu arrives pour que tout bascule. Pourtant, tu ne peux pas vraiment dire que tu regrettes. Ca t'offre simplement l'occasion de passer un peu de temps avec John. Tu t'en fiches toi, que ce soit à l'intérieure de ce gymnase idiot ou juste lui et toi. À la limite, tu préfères la seconde solution. Au moins, il n'y a personne pour venir vous déranger. Tu préfères te concentrer sur le fish'n'chips. Si le reste doit avoir des répercutions, tu le sauras bien assez tôt. « C'est à trois ou quatre rues de chez toi, t'es sûr que tu vis vraiment dans cette ville ? » parfois, tu te demandes comment il fait pour en connaître si peu sur Londres, alors qu'il vit ici depuis toujours. Il pourrait se renseigner un peu, quand même.  

« Tu les auras tes frites. » tu tournes le regard vers lui « Tu ne penses vraiment qu'à manger, n'est-ce pas ? » tu as l'impression qu'il n'y a que ça qui l'intéresse. Tu ne vas pas le juger pour ça, c'est toi qui a proposé le fish'n'chips, après tout. Tu ne connais pas d'endroits où l'on fait des sandwichs à la confiture et au beurre de cacahuète. Ça le changera un peu. T'as l'impression qu'il mange toujours la même chose. Il faut diversifier, un peu. « Tu veux que j'appelle un taxi, t'as pas l'air bien confortable là-dedans » tu désignes son accoutrement. Tu n'es pas contre l'idée de prendre une voiture. Ça sera plus simple que de marcher. Ça risque de prendre du temps. Londres ne dort jamais, mais quand même. Tu aimerais atteindre les lieux avant que le soleil puisse de nouveau se lever. Un rire passe tes lèvres, sans que tu puisses le contrôler. « Décidément, t'as toujours de drôles de fringues, quand je passe te chercher... la dernière fois ton pyjama, maintenant ça. J'ai hâte de voir ce que tu me réserves la prochaine fois »

Peut-être que cette soirée te permettra de quitter ce lycée pour de bon. Peut-être que tu pourras trouver un établissement qui te correspond bien mieux que ce très mauvais lycée de quartier. Tu essayes de ne voir que le bon côté de cette situation désastreuse. Tu ne peux pas faire autrement lorsqu’il est à tes côtés, tu t’efforces de savourer chaque seconde car tu n’es pas à l’abri qu’il s’en aille à nouveau. Tu n’es pas à l’abri de te retrouver seul une fois de plus. Cette crainte ne te quitte plus depuis quelques temps. Elle est une angoisse avec laquelle tu te couches et avec laquelle tu te réveilles : et s’il n’était plus là ? Sans lycée pour t’accueillir, tu aurais plus de temps pour le passer à ses côtés…

« Cesses de te moquer, Sherlock. » grognes-tu. Ce n’est pas de ta faute si tu as rarement l’occasion de voir le monde extérieur. Bien souvent, tu te dépêches de rejoindre le domicile familial pour tenter de recoller les morceaux entre tes géniteurs, ou bien de retenir ta sœur qui ne cesse de prendre son envol depuis des années. Ce n’est pas une mission de tout repos, d’autant plus que ce n’est pas toujours une réussite. Alors, sortir, flâner dans les rues, c’est un plaisir que tu ne t’octroies pas très souvent. « Pas seulement. » Non, tu ne penses pas qu’à manger. Quand bien même cela t’apporte un certain réconfort que n’importe quel humain ne pourrait pas t’apporter. Tu continues d’avancer sur ce trottoir humide des dernières pluies de la journée. Tu lèves la tête vers le ciel. Les nuages que tu parviens à distinguer ne sont pas bons signes. « J’peux pas. » réponds-tu quand il te propose un taxi. Tu retournes tes poches et n’en récupères que quelques cents. Ce n’est pas suffisant pour vous ramener chez toi. « Marcher, c’est très bien. » Et ça te donne le temps d’être avec lui. Un temps qui t’as cruellement manqué pendant de longues semaines. Son rire t’interrompt dans tes pensées. Il t’arrache un sourire que sa remarque ne parvient pas à défaire. « Ce n’est pas de ma faute si Monsieur décide de me kidnapper quand je suis censé être au lit depuis des heures et qu’il me fait renvoyer de mon bal de promo ! » dis-tu en donnant un léger coup de poing dans son épaule. « On verra ce que tu mérites la prochaine fois ? » Tu tournes la tête. «Coupons à travers le parc. Je passe par là, à la fin des cours. »

Tu hausses les épaules, quand il te dit qu'il ne peut pas payer le taxi. Tu n'avais pas l'intention de le laisser payer la course, non plus. Tu connais les difficultés financières des Watson et, pour une fois, tu ne voulais pas appuyer où ça fait mal. Bien au contraire. Tu voulais éviter que John se ruine les pieds dans les chaussures qu'il porte ce soir. Tu n'insistes pas. Après tout ce remue ménage, il ne manquerait plus que vous vous disputiez. Non. On va éviter ça. « Marchons, alors » même si tu l'entends déjà râler parce que tu le devance à cause de tes grandes foulées. À croire qu'il aime autant grommeler que manger.

Tu le taquines sur les tenues qu'il porte, à chaque fois que vous vous retrouvez tous les deux. Le kidnapper, il y va un peu fort, non ? « Pour le bal, c'est toi qui m'a invité je te signale » tu n'aurais jamais eu l'idée de te pointer, autrement. Alors, ce n'est pas tout à fait de ta faute. Juste un peu. Tu ris, quand il parle du parc. « John Watson qui veut couper par le parc, à la nuit tombée... deviendrait-il aventureux ? » un sourire en coin accroche tes lèvres. Le taquiner est devenu l'un de tes jeux préférés. Ça et le surprendre en général. T'aimes voir son regard s'illuminer quand tu fais quelque chose auquel il ne s'attendait pas. Ça te rendrait presque aussi fière que de résoudre une énigme. John en est une, en quelque sorte.

Il parvient toujours à t’arracher un sourire, même quand ton humeur est au plus bas. Ce soir, il t’a offert une douce soirée en sa compagnie. Tu ne pouvais rien espérer de mieux. Il est là. C’est la seule chose qui a de l’importance. Qu’importe les chaussures qui te ruinent les pieds, ou ta chemise blanche qui te serre un peu trop. Sa simple présence est tout ce dont tu as besoin à cet instant particulier. À tes côtés, tu sens son parfum et cela suffit à t’apporter une once de bien être. Tu ne cesses de penser à sa main dans ton dos, et à la danse qu’il a voulu t’offrir. Tu aurais bien aimé qu’elle s’attarde davantage, qu’elle ne soit pas interrompu de cette façon. Mais on n’a pas toujours ce qu’on veut, n’est-ce pas ?

« Et je regrette pas ! » C’est même la meilleure idée que tu n’aies jamais eu jusqu’à présent. Tu lui rends son sourire et essuies sa remarque en secouant la tête de gauche à droite. « Pas vraiment. J’ai simplement moins peur. Avec toi. Je ne te l’aurais pas proposé sinon... » avoues-tu. Tu n’aurais jamais eu le courage de t’aventurer dans ce parc en plein milieu de la nuit si tu avais été seul. Cette idée ne t’aurait même pas effleuré l’esprit. « Puis, c’est plus rapide en coupant à travers. » Il devrait bien le savoir. Avec cette carte de Londres qu’il détient dans un coin de sa tête. « Non ? »

« Définitivement plus vert » que tu lui réponds, quand il te demande si c'est vraiment le chemin le plus court. C'est vrai que ça vous fait gagner un peu de temps. Moins que le taxi, c'est certain, mais tout de même. Puis, le parc sous la lune pâle, ce n'est pas si mal que ça. Pas forcément le chemin que tu aurais emprunté, mais tu t'y engages tout de même. Tes pas raisonnent contre l'allée de gravier. Après quelques secondes, tu tournes la tête vers le blond. L'ambiance est plutôt paisible. Bien plus que dans le gymnase où la musique de mauvaise qualité raisonnait sur les parois en taule.

Une question te brûle les lèvres et tu n'as pas l'intention de la garder pour toi plus longtemps. « Pourquoi est-ce que tu m'as invité moi ? » tu doutes qu'il ignorait que ça risquait de faire des vagues. Peut-être qu'il l'a justement fait pour ça. Il avait besoin d'une excuse pour fuir cette médiocre école et a profité d'avoir un asocial comme toi, dans ses contacts. Cette idée te donne un coup au coeur. John se serait-il servit de toi ? « Il me semble qu'inviter une amie de ton lycée aurait été plus simple et moins... chaotique »

Plus vert. C’était le cas de le dire. Malgré la nuit tombée, la couleur des arbres était omniprésente, allant même jusqu’à se refléter dans les minuscules mares sculptées naturellement par-ci, par-là. Sur votre chemin, tu pouvais entendre les animaux qui se pensaient jusqu’alors seuls se réfugier dans leurs tours de bois. Etrangement, le bruit du feuillage ne te faisait pas peur ; pas plus que d’être dans ce parc avec S. Tu es même parfaitement calme, quand bien même tes chaussures vernies te font un mal de chien. Il serait sans doute mieux de les enlever, au risque de marcher sur une seringue abandonnée là par un toxico, ou bien sur des bris de verre. Un frisson te parcourt : tes chaussures sont très bien à tes pieds. Tu peux encore les supporter une dizaine de minutes.

Tu tournes la tête vers lui au son de sa voix. Tu ne comprends pas le sens de sa question. Pourquoi tu ne l’aurais pas invité, lui ? « Parce que j’en avais envie. » T’as pas eu besoin de temps pour trouver ta réponse. C’était une évidence. Même pour toi. « Je préférais y aller avec toi. » Même si tu avais connu la fin de la soirée à l’avance. Tu n’aurais pas changé d’avis. Après tout, il a été là quand d’autres ne l’étaient pas ; et même si durant un temps, votre relation s’est distendue, tu n’as jamais cessé d’avoir besoin de lui. Il est la lumière du phare dans l’océan sur lequel tu t’es perdu. Tu t’arrêtes face à lui, prenant le risque qu’il te rentre dedans. « Tu n’étais pas obligé de venir si tu n’en avais pas envie. »