Violence. Violence et encore la violence. Parfois c’est tout ce que j’ai l’impression d’avoir vécu toute ma vie. Pas étonnant que j’ai en permanence l’impression de me noyer.
Je suis née dans la pire famille possible. Une mère complètement démissionnaire et alcoolique. Un père drogué et violent. A se demander comment j’ai pu naître sans défaut. Peut-être que mes géniteurs s’aimaient avant ma naissance ? Peut-être qu’ils ne buvaient pas, qu’ils ne se droguaient pas. Peut-être que tout était de ma faute si tout a si mal tourné pour eux ? Qu’ils auraient préféré un fils ou que je n’étais pas assez bien. Peut-être avais-je fait quelque chose de mal ?
Peu importe au final, car telle était la situation. Ma situation... Celle d’une famille malheureuse, d’une enfant battue, qui cherche à survivre dans ce monde de fou. Sans soutien, sans personne. Enfin... pas tout à fait.
Je ne sais plus quel âge je devais avoir. Peut-être cinq ou six ans. Je passais la majorité de mon temps à l’extérieur, dans le quartier pauvre où j’habitais. C’était pas sur, on me le disait souvent, mais certainement plus que chez moi... Une vieille dame vivait non loin du square où j'allais régulièrement pour essayer de trouver du calme et fuir ma famille, comme d'habitude, mais ce jour-là fut différent. Ce jour-là, j’entendais un son qui m'était inconnu, mais qui sonnait si bien que je fus immédiatement attirée. Je marchais en direction de ce son et c’est là que j'ai rencontré cette dame qui changea ma vie.

Ce son inconnu était celui d’un violon jouant un morceau de Classique, bien que je ne me rappelle plus duquel exactement. Et je suis restée plantée devant elle jusqu’à ce qu’elle termine. Cette vieille et gentille dame… le seul rayon de soleil de ma vie je crois. Elle me manque…

En me regardant, elle sourit et me proposa des cookies, que j’acceptai, toute méfiance ayant disparu suite à l’écoute de cette musique. Après cela, je revins plusieurs fois pour l'écouter, jusqu’à ce qu’elle propose de m’apprendre à en jouer. Ancienne professeure de musique, la transmission lui manquait. J'ai sauté sur cette occasion inespérée et c’est ainsi que je me suis jeté corps et âme dans la musique. C’était plus qu’une passion pour moi, c'était mon moyen de survivre, mon échappatoire. Lorsque je jouais, je me ressentais revivre. J’avais l’impression que tous mes ennuis s’envolaient, que je partais en voyage grâce aux notes qui s’échappaient de l’instrument. Je m’oubliais complètement en jouant. Je n’étais plus Alexie, cette fille à la vie si horrible, qui fuyait ses parents, et toute autre personne. J’étais juste dans la musique et rien d’autre n’existait.

C’est ainsi que j'ai passé la majorité de mes premières années : à fuir les coups et à jouer dès la moindre occasion. La vieille dame ne me posait jamais de questions sur mes bleus, les os cassés, les passages à l’hôpital ou bien les policiers qui me ramenaient chez moi sans m’écouter. Elle ne me posait pas de questions, j’étais incapable de parler de tout ça, mais elle m’écoutait malgré tout. Elle écoutait ma musique, les morceaux que j’essayais de créer, qui reflétaient ma douleur, quelques joies parfois. Elle écoutait et parfois elle pleurait en me serrant contre elle. Maria était mon rayon de soleil à moi. Elle devint une forme de grand-mère pour moi. La seule adulte qui me comprenait et en qui je pouvais avoir confiance.

Rien ne changea dans la vie : je restais éloignée de tous à l’école, je n’avais pas vraiment d’amis et personne ne cherchait à m’approcher de toute façon. A part Maria je n’avais personne. Jusqu’au jour où j'ai rencontré ce garçon sur internet. Raven. Enfin, je ne l’ai jamais vu, mais il prit rapidement une place importante. Au début nous étions sur un forum de musique, à discuter simplement de musique, tous deux passionnés, tous deux avec des centres d’intérêts communs. Et plus nous discutions, plus j’avais l’impression de me rapprocher de lui. Nous sommes partis sur Discord et discutions tous les jours ensemble. Et un jour, j’ai appris qu’il vivait une situation similaire à la mienne. Son père le battait aussi. Suite à cela, nous nous sommes rapprochés un peu plus. Il n’était plus un simple contact sur internet, il devint mon ami, mon meilleur ami, à qui je pouvais tout dire - ou plutôt tout écrire. C’était si simple… je n’avais pas besoin de parler, d’avoir quelqu’un en face de moi. J’avais juste mon écran et les échanges avec Raven. Je ne cherchais même pas à savoir qui il était vraiment. C’était rassurant de savoir que nous ne nous verrions jamais, même si une part de moi voulait aussi le rencontrer. Cette part que je faisais taire et préférais enterrer au plus profond de moi. Mais rencontrer quelqu’un à qui j’avais tout dit.,.. impossible. Et, comme si Maria avait attendu que je trouve quelqu’un sur qui compter, elle mourut un soir, tranquillement d’après les médecins. Je crus que ce serait la fin pour moi. Ça l’aurait certainement été sans Raven…

Raven et Foxy… je pensais que c’était pour toujours. Jusqu’à ce que je rencontre Julian. Je n’avais que 17 ans à l'époque, mon père était mort d’une overdose et ma mère avait disparu sans laisser de trace. Je travaillais dans un restaurant en tant que serveuse tout en essayant de terminer mes années d’école et d’obtenir mon diplôme qui me permettrait d’aller à l'université si j’obtenais une bourse… Il était un de mes clients réguliers, avec six ans de plus que moi. C’était beaucoup je sais, mais il me plaisait, et il me faisait comprendre que je lui plaisais aussi. Pour la solitaire que j’avais toujours été et rejetée par les autres, c’était étrange, mais agréable. Plus il venait, plus je tombais sous son charme. Il m’a invité à déjeuner et de fil en aiguille, nous avons commencé à sortir ensemble. Tout était parfait au début, pendant un an et demi. Une véritable idylle.

J’aurais dû m’en douter… trop beau pour être vrai.

Plus la relation s’installait et plus j’étais sous son emprise. Lentement, mais sûrement, il me retirait mes envies, ma résistance, mon indépendance. J’étais petit à petit sous sa coupe, sous ses insultes, sous ses coups. A tel point que je perdis même mon rêve de devenir compositrice. Il devint si jaloux que je coupais les ponts avec mon seul soutien, mon meilleur ami, celui qui l’avait tant soutenu…. Je l’abandonnais tout simplement, le laissant sans réponse, sans explication. Julian me faisait peur, il me menaçait, menaçait Raven. Je devais le protéger, protéger mon meilleur ami, mais je ne pouvais pas me protéger moi-même. Je l’aimais… Julian. Enfin je crois… Et puis… s’il allait mal, c’était de ma faute. Tout était toujours de ma faute, comme pour mes parents. C’était uniquement moi qui causait tous ses malheurs. Alors pour le garder, je faisais en sorte de tout faire pour lui plaire. La seule chose que j'ai réussi à conserver, ce fut mon amour pour la musique et jouer du violon lors de ses absences. C’était encore mon ancrage.

Le jour où j'ai failli être tué par Julian, à 22 ans, changea ma vie. Pas que je pris conscience seule de la situation, mais cela m’envoya à l’hôpital, et je rencontrai cette assistante sociale. Cette femme qui comprit ma souffrance et ma situation. Elle m’aida à m'en sortir, me réveillant de cette torpeur dans laquelle j’étais plongée. Je réagis enfin et m’enfuis de chez Julian, le plus loin possible de son influence, aussi vite que possible. Je fis quelques boulots, essayais de joindre les deux bouts, de m’en sortir tant mentalement que physiquement. Je retrouvai mes envies, mes pensées, mon libre arbitre. Je retrouvais mon indépendance et ce rêve. Ce rêve fou, irréalisable et pourtant… pourtant ne tentais et postulais pour entrer à l’université de New-York pour suivre un cursus en musique.

Ce jour où je postulais, j’eu également le courage de recontacter Raven. Lui que j’avais quitté il y a quatre ans. Je ne trouvais pourtant pas le courage de lui expliquer toute la situation. Je tremblais de peur à l’idée qu’il le rejette, mais il m’accepta à nouveau. Petit à petit, les choses semblaient retrouver un aspect normal pour moi…. J’espérais que tout cela tienne, tant les études, que Raven, ou bien mon boulot de serveuse dans un bar. Sans tout ceci, je m’effondrerai. Je ne trouverai plus la force de continuer à me battre, à continuer de survivre malgré tout.

Encore aujourd’hui, après deux ans loin de Julian, un an d’étude qui s’est déroulée correctement, un an à parler avec Raven… malgré tout ceci, j’ai toujours peur. Peur que tout s’effondre. Que je m’effondre. D’ailleurs je le fais souvent. Tard le soir, pendant les insomnies ou les crises d’angoisses. Je m’effondre, seule, je tremble de peur, des larmes dévalent mes joues, des pensées sombres m'envahissent. J’ignore si je tiendrais…. Parfois j’ai juste envie que la douleur s’arrête, pour de bon…