Ophélia n'avait pas réussi à fermer l'œil la nuit précédant la Moisson. Son inhalateur de fortune entre les mains, elle avait lutté contre ses démons intérieurs jusqu'au petit jour, rongée par l'angoisse, la respiration sifflante et saccadée. Une sensation d'oppression permanente nichée au creux de la poitrine, elle n'avait eu de cesse de s'auto-persuader que tout irait bien - inspirant et expirant erratiquement. Après tout, les Thorne avaient déjà perdu un fils lors des jeux, il était inconcevable que la cadette soit, elle aussi, fauchée à son tour.
Ce matin-là, un silence funeste régnait dans l'ensemble du district I. Les rues étaient désertes, tout comme les usines, les champs et les échoppes. Les habitants étaient restés reclus au sein de leurs foyers, guettant la sirène annonçant l'inévitable et, lorsque l'alarme retentit enfin, Ophélia ne laissa pas le temps à l'anxiété de l'envelopper. Les mains moites, elle serra avec force le tissu de sa robe entre ses doigts — dans l'espoir d'évacuer ne serait-ce qu'un peu son angoisse grandissante tandis que tous marchaient d'un pas résigné vers la grande place.
Elle ne voyait plus que les deux urnes en verre dont le grand nombre de billets blancs n'avait de cesse d'augmenter au fil des années — ou bien était-ce seulement une impression ? C'est machinalement que la jeune fille aux cheveux blonds tendit son index au pacificateur avant même qu'il ne lui en donne l'ordre. Un échantillon sanguin étant requis afin de procéder à l'identification de chaque tribut potentiel. Forte de sa sixième participation à la Moisson, Ophélia connaissait désormais le protocole sur le bout des doigts.
Les plus âgés à l'avant, les plus jeunes en retrait dans le fond. Aucune variation, aucun écart, une mascarade parfaitement orchestrée sur fond de discours à la gloire de Panem et du Capitole, non sans omettre les jours obscurs, référence au soulèvement des districts.
Lorsque le maire laissa place à l'hôtesse des jeux, des visages juvéniles se baissèrent afin d'énoncer une prière silencieuse, des enfants reniflèrent discrètement en retenant leurs larmes, d'autres fermèrent simplement les yeux en retenant leur souffle.
"
Joyeux Hunger Games !", s'exclama gaiement la présentatrice haute en couleurs. "
Et puisse le sort vous être favorable.", ajouta-t-elle d'un ton légèrement hautain, agrémenté d'une note d'amusement à peine dissimulée. "
À présent, l'heure est venue de sélectionner le courageux jeune garçon et la courageuse jeune fille qui auront l'honneur de représenter le district I lors des 70ᵉ Hunger Games. Et, comme toujours, les dames d'abord...", annonça l'hôtesse avec un sourire, ses talons tintant contre le pavé avant qu'elle ne plonge une main finement gantée dans l'urne réservée au tribut féminin. Ses longs doigts effleurèrent à peine le sommet de la montagne de billets blancs avant de se saisir d'une seule enveloppe, scellant par la même occasion le destin d'une jeune infortunée. Les quelques pas qui séparaient la présentatrice de son micro parurent une éternité et c'est non sans une hâte trahissant de la curiosité malsaine qu'elle déplia le bout de papier d'un geste vif avant de s'éclaircir la gorge. Cependant, lorsqu'elle ouvrit sa bouche dorée pour parler, le ton de sa voix ne trahit aucune émotion. "
Ophélia Thorne !"
Un cri suraigu, strident, soudain, perce le silence assourdissant qui s'ensuit. Le monde semble s'arrêter de tourner et le temps lui-même paraît en suspens l'espace d'un instant. Puis, une inspiration légère, sifflante et fragile, qui donne l'impression de pousser les jeunes femmes autour d'elle à s'écarter alors que des murmures s'élèvent dans la foule. La panique l'encercle de sa douce étreinte tandis qu'Ophélia tourne un regard affolé vers ses parents.
Caleb. Sa mère hurle dans les bras de son père dont l'expression trahit un désarroi à la hauteur de celui de sa femme, tous deux résignés à l'idée que leur deuxième enfant leur soit arraché.
Des pacificateurs la tirent soudainement par le bras, la guidant vers une mort certaine entre deux bouffées d'inhalateur — tandis que la Moisson se poursuit. Au loin, une voix d'homme résonne dans l'air pour se porter volontaire.
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Tout s'était ensuite enchaîné très vite. Trop vite. Le tribut masculin volontaire - aussi fier que Caleb l'était à l'époque – c'était quoi son nom déjà ?
Quelle importance, au fond. Les adieux larmoyants, mélange amer d'amour et de haine avec son père et sa mère dans une salle luxueuse du palais de justice, tout ça sous l'œil avisé des caméras.
Cruel. Ironique. Puis, le voyage en train jusqu'au Capitole, l'opulence de la nourriture, le confort, le luxe indécent, la rencontre avec leur mentor.
Cupide. Les acclamations de la foule — futurs sponsors.
Dégénérés. Ils avaient finalement été escortés jusqu'à leurs quartiers, après une inspection complète des pieds à la tête et une toilette méticuleuse suivie d'un millier de soins en vue de la présentation des tributs de chaque district à l'ensemble du Capitole.
Elijah Winchester et Ophélia Thorne, tributs du District I, furent habillés tels un empereur et son impératrice pour la parade des districts. Les traits ingénus de la jeune demoiselle séduisant la foule, tandis que le charisme du jeune homme brun semblait, lui, posséder un certain magnétisme.
Las, Ophélia ne prêta qu'une oreille distraite au discours du président Snow, la visage, cependant, haut et fier.
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Elle allait mourir. Telles furent ses premières pensées lorsqu'elle passa les portes du centre d'entraînement. Elle n'avait ni l'endurance nécessaire, ni les connaissances adéquates en combat ou en survie dans un milieu hostile. Ce n'était pas trois jours d'entraînement qui y changeraient quoi que ce soit. Le Capitole le savait, les districts aussi, sinon pourquoi créer ces écoles réservées aux tributs de carrière ? Quel score Caleb avait-il reçu à la fin de cet entraînement ? Elle n'arrivait pas à se rappeler. Seul le visage sans vie et meurtri de son frère lui revenait en mémoire.
Elijah tira une flèche de son carquois, bandant son arc. "
Écoute, ma belle, si tu ne peux pas briller par tes aptitudes..." Dans le mille, ce crétin n'était pas tribut de carrière pour rien. "
Pourquoi ne pas séduire quelques vieux pourris en manque d'affection ?" Un léger sourire en coin,
salace, répugnant, dégueulasse. "
Qui sait ? Ils sauront peut-être se montrer généreux en échange de quelques unes de tes faveurs."
Immonde petite merde.Elle lui assena un coup dans les côtes au moment où il tira sa seconde flèche et il jura lorsque celle-ci manqua sa cible. "
Si tu ne vises pas mieux que ça, Elijah, ce sont tes faveurs qu'on convoitera."
"
Sombre connard...", marmonna-t-elle entre ses dents en s'éloignant. Plutôt que de s'atteler à l'art du combat, Ophélia pencha pour la survie. Bien que sanglants, bon nombre de morts durant les jeux résultent de causes naturelles telles que la déshydratation ou l'hypothermie. Savoir allumer un feu, en premier lieu, lui semblait donc tout approprié. Elle plaça divers copeaux de bois et de petites brindilles sur un espace terreux avant de frotter deux bouts de bois les uns contre les autres frénétiquement.
Bordel. Elle devait s'y prendre comme un manche, car aucune étincelle ne semblait décider à pointer le bout de son nez. Les larmes aux yeux, frustrée, mais aussi terrifiée par les démonstrations de force des autres tributs, elle renifla en battant des cils pour tenter de chasser ses larmes. "
'Fait chier..."