8h03. L’alarme retentit de son hurlement militaire strident qui m’arrache de mes songes avec la même violence habituelle pour la troisième fois et je me prépare à lui rendre la pareille. Bam! La claque que j’inflige à mon cadran ne le fait pas taire pour autant. Alors je relève la tête un peu confuse et les yeux plissés encore lourds de fatigue, réalisant là que c’est mon cellulaire qui sonne pour le coup. Je décroche et offre à mon interlocuteur un bâillement royale.  

— BB ! Bon matin mon coeur.
— S’lut ‘man…
— J’ai un service à te demander, il faudrait que tu me remplace au dojo ce soir pour le cours des petits, je dois amener ma voiture au garage. 
Je grommelle. Le dojo, c’est pas à la porte d’à côté et j’avais des plans en soirée…
— Je peux compter sur toi ? C’est important, ils passent leur passage de grade la semaine prochaine… Je te paierai, bien sûr. 
C'est fou comme elle sait parfaitement s'y prendre pour que je morde à l'appât. 
— Oui, oui, ok. Je vais y aller… » Je soupire néanmoins.
— Super, merci mon coeur ! Comment vont les cours ?
Moment de silence. Est-ce que j’ai envie de lui raconter après tous les sacrifices qu’elle a fait pour moi pour que je puisse intégrer un jour la fac de mon choix, que je suis en train de couler mon année parce que je préfère la passer à faire la fête ?
— Heu… Super ! Je me débrouille... bien ! Mais écoute, je dois te laisser j’ai un cours dans 30 minutes là… 
Faut croire que non. Lâche !
— Je suis contente de l’entendre! L’école, c’est important. Tu sais, quand j’avais ton âge, je n'ai pas eu cette chan…-
— ‘man!
— Okay ! Oublie pas pour ce soir!

Elle raccroche. Je me lève et tire d’un coup sur les rideaux de ma chambre. Les rayons de soleil qui s'abattent sur ma rétine viennent m’arracher une grimace. Je ne suis pas matinal pour un sou, les cours du matin sont une vraie torture. Surtout que j’ai passé la veille à fêter le départ de mon coloc. Il va d’ailleurs bien falloir passer les petites annonces sur le campus si je ne veux pas me retrouver toute seule à payer le loyer exorbitant de la résidence de la fac. Je vais me planter devant le miroir, observer un moment ma tête toute bouffie et mes cheveux en pagaille. La fille du reflet, c’est une femme aux cheveux courts qui porte un t-shirt délavé de Billy Joel qui lui sert de pyjama plutôt que de tissus fétichiste pour lequel sa mère a jouée les groupies au même âge. Pas trop ma came, mais je dois avouer que ses sons ne sont pas trop mal non plus. Je jette un œil au cadran, celui-ci m’indique 8h26. Merde! Le temps a filé! J’ai une tête de zombie, mais pas le temps d’y remédier. Je m’habille en troisième vitesse et détale à travers tout le campus jusqu’au département des sciences, mon cours commence dans 4 minutes et si j’arrive trop dernière minute, il ne restera plus de place au fond de l’auditorium pour me cacher de la prof et piquer un somme en toute discrétion. Il le faut bien, si je veux être en forme ce soir pour jouer les entraîneuses de mioches casse-bonbons en devenir aussi bien au sens propre que figuré.

La fin de la journée arrivée, je monte dans un bus direction le dojo de ma mère pour y tenir le cours des plus petits comme promis. Elle m’a laissé une note dans son bureau avec quelques instructions de ce à quoi devra ressembler le cours de ce soir et une petite enveloppe qui a vite fait d'attirer mon attention. Un large sourire étire mes lèvres. La petite liasse de billets que j’y trouve à l’intérieur me donne la motivation nécessaire dont j’avais besoin. Et puis, cela me permettra de me replonger un peu dans les bases du Jiu Jitsu que je n'ai plus trop retravaillé ces derniers temps préférant me consacrer au Krav Maga.

Après le traditionnel salut devant les élèves, vient le temps de la démonstration pour donner envie aux gosses de persévérer. Jean, un trentenaire balèze qui bosse pour ma mère à titre d'instructeur, me sert de cobaye. En moins de deux, je le mets au sol malgré sa stature beaucoup plus imposante que la mienne et la petite armée de ceintures blanches et jaunes qui me fait face me regarde avec de grands yeux pétillants. J’aide Jean à se relever et claque des mains pour donner le go de la séance.

— Ok, bande de demi-portions! Montrez-moi vos sides kicks! Allez, allez ! On se bouge !
Tandis que j’entends des aiyah! véhéments de gamins qui se prennent pour Bruce Lee, j’aperçois soudain dans les couloirs une silhouette se faufiler jusqu’au bureau de ma mère. 
— Jean, tu prends la relève une minute ? 

Celui-ci me répond d’un hochement de tête et je l’entends donner les prochaines instructions aux mômes alors que je referme la porte de la salle d’entraînement doucement derrière moi. L’intruse se permet même d’ouvrir la porte du bureau, mais je l’empêche d’aller plus loin d’une voix ferme, mais aussi détendue. Peut-être s’est-elle égarée et cherche tout simplement les toilettes ? Cependant, je me souviens soudainement qu’il n’y a que les cours des petits qui se donnent ce soir. Ceux des adultes, c'est demain. Alors, qu’est-ce qu’elle fout là ?

— Vous cherchez quelqu’un ? » Lorsque je vois enfin son visage, je réalise qu’on doit avoir le même âge. « Je peux t’aider ? »

La brune devant moi dégage quelque chose d’intense, mais je ne saurai dire quoi. Un drôle de pressentiment me parcourt l’échine…

Le soleil peinant à se lever, Nikki était déjà devant son ordinateur. Elle vérifiait une nouvelle fois la journée qui l’attendait, la personne qu’elle allait suivre. BB. Son planning de cours affichait, Nikki savait devant quel bâtiment, il faudrait qu’elle se place. Enfin, si la blonde arrivait à se lever. Nikki avait bien compris quelque chose chez la jeune fille, elle n’était pas matinale, A croire que les cours, ce n’était pas tellement son truc. Sur son portable, la brune défila l’insta de BB. Des photos de vacances, d'entraînement d’arts martiaux et de selfies, avec elle… Avec celle que Nikki traquait. BB n’était qu’un moyen de parvenir à une fin. Elle jeta un regard sur la photo de sa maman, posée sur son bureau. La photo avait été prise le weekend précédent son meurtre. Nikki passa son doigt sur les contours du visage de sa mère, réitérant sa promesse “Tu seras vengée maman.”

L’heure défila, il était temps de se mettre non loin du département des sciences. Les écouteurs sur les oreilles, elle s’adossa contre un arbre non loin de l’entrée. Un livre à la main - l'art de la guerre de Sun Tzu - elle levait régulièrement les yeux, cherchant sa proie du regard. La patience finit toujours par payer, BB arriva en courant, quasiment en retard pour son premier cours. Nikki soupira, tellement prévisible cette nana. A se demander comment Béatrix Kiddo, le black mamba, avait réussi à avoir une progéniture pareille… En tout cas, pour le reste de la journée, il n’y aurait rien de plus intéressant. Nikki devait se rendre à son cours de philosophie, de l’autre côté du campus.

Le reste de la journée, la brune ne cessait de surveiller BB, à l’exception de la pause déjeuner. Mais rien de particulier, elle déjeunait comme à son habitude. Cette fille était désespérante de prévision, une mamie avant l’heure pensa Nikki. Pourtant lorsque le dernier cours de la journée se termina, BB quitta le campus et prit le bus. Chose assez étrange pour le mentionner. Nikki entra par l’arrière du bus, profitant qu’il y avait du monde pour ne pas être vue par le chauffeur. La foule était aussi les meilleures ombres pour que BB ne la remarque pas.

Le bus les emmena de l’autre côté de la ville, dans un quartier que Nikki ne connaissait pas vraiment. Elle vit BB se diriger vers un dojo, elle avait un boulot d’étudiant maintenant ? La brune descendit juste avant que la porte se referme et attendit un moment avant d’entrer. Sur son téléphone, elle alla sur son cloud. Un dossier de cours lui servait en réalité pour écrire toutes les informations sur BB. Elle nota l’adresse du dojo, prit quelques photos et rectifia tout de suite l’emploi du temps de la blonde. Elle se retrouva face à un doute, c’était un boulot ou elle avait repris soudainement le sport ? Pour en savoir plus, il faudrait entrer.

Pour que cela ne paraisse pas suspect, Nikki laissa passer dix minutes avant de franchir le seuil du dojo. Elle passa devant le tatami, des enfants s'entraînaient. Réponse toute trouvée à son interrogation. Dans le couloir, elle vit des photos de BB et surtout sa mère. En compétition ou en tant que coach. Mais Béatrix était là, souvent. Elle sourit en se disant que son but se rapprochait, elle pourrait arrêter de suivre la fille et s’attaquer enfin à la mère. Des années d’errance qui trouvaient enfin leur aboutissement. Face à ce qui devait être un bureau, Nikki était sûre de trouver tout ce qu’elle cherchait sur Béatrix. BB donnait cours, elle avait facilement une vingtaine de minutes devant elle. Elle commença à ouvrir la porte quand BB l’empêcha d’aller plus loin. Sa voix raisonna, ferme, presque polie. Nikki se retourna vers BB, prenant un air détendu, malgré le coeur qui s’emballait et la colère qui montait en elle. Si près et pourtant si loin de son but. “Oui pardon, je…” vite, trouve une idée ! “j’aimerai reprendre les cours de kung fu, je voulais savoir si votre dojo proposait des cours. Je pensais trouver quelqu’un au bureau pour les inscriptions.” Un sourire franc sur son visage, presque innocent. Elle pria intérieurement que BB n’ait jamais fait réellement attention à elle.

La brunette devant moi sursaute presque en me voyant. Je m’appuie contre le mur d’en face et croise les bras pour me donner un peu d’autorité.

— Et bien on ta mal renseigné parce qu’on enseigne que le Jiu jitsu et l’aïkido ici… Enfin, la gérante donne bien des cours privés de kung-fu, mais seulement pour les intermédiaires. »
Et elle, me semble qu’elle est un peu jeune pour avoir le niveau adéquat. Remarque, je dis ça, mais je me débrouille pas mal en Kung-Fu et on doit avoir le même âge. Tiens, c’est bizarre, cette tête me dit vaguement quelque chose… Je plisse les yeux, comme si cela allait m’aider à mieux percer à jour son identité. Il me semble que je la connais de quelque part, mais d’où ? Oui, plus je la regarde plus j’en suis certaine.

— Mais dis-moi, on se connaît pas ?
Je ne le lui laisse pas le temps de répondre que la seconde d'après, je m’emporte dans l’excitation de finalement me souvenir dans quel contexte j’ai bien pu voir ou plutôt apercevoir brièvement ce visage pourtant inconnu. « Mais oui !! Tu fréquentes l’université de Seattle aussi, non ? Siii, j’en suis certaine ! » sur mon visage, un sourire extatique.

Je me redresse vivement, emporté pour si peu. En vrai, je n’ai pas très bonne mémoire… Alors me souvenirs d’une fille que j’ai croisé peut-être deux ou trois fois sur le campus, je m’en félicite la cervelle. D’un coup, j’abandonne mes airs de chien de garde et me fait plus sympathique que je n'en avais l’air quelques secondes plus tôt. En même temps, elle me dit qu’elle pensait trouver quelqu’un au bureau… mais de l’extérieur on peut bien voir aux lumières éteintes qu’il n’y a personne. Enfin bref, je verrais très vite si cette fille pratique véritablement le Kung-Fu. D’ailleurs, une idée saugrenue me vient à l’esprit…

— Écoute, si tu es vraiment là pour ça… Va falloir que j’évalue ton niveau avant. Après cela, tu pourras t’inscrire aux cours privés. » Je la regarde de la tête aux pieds, elle est habillée de façon assez décontractée pour qu’on puisse faire ça tout de suite, enfin, si elle est assez motivée. « Si tu veux on fait ça maintenant, sinon tu peux repasser demain. J’évaluerai ton niveau moi-même. » Un petit sourire de malice s’installe sur le coin de mes lèvres. J’espère pour elle qu’elle est bien ce qu’elle prétend être.