Comme chaque soir les habitués remplissent les sièges du bar dans lequel tu travailles. Une ambiance bon enfant, parfois rythmée par quelques débordements d'esprits un peu trop alcoolisés. Les coups ne pleuvent pas tous les jours ni les insultes mais il arrive qu'il faille remettre les idées en place de certains. Ce n'est pourtant pas ce qui t'effraie lorsque tu leur rentres dans le lard. Ta voix résonne comme le glas de leur trépas. Personne n'ose te défier, le respect comme allié, tu les tiens en joue avec fierté. La famille Shepard est bien connue dans le coin, et ta réputation te précède tout autant. Il n'est pas né celui qui saura te faire courber l'échine. Cette aura que tu dégages lorsque la colère se déchaîne en toi en fait pâlir plus d'un. Il a bien fallu que tu leur montres ce que t'avais dans le ventre pour qu'ils t'estiment un minimum. Pas que t'aies quelque chose à leur prouver mais une femme dans un endroit attirant principalement des hommes, se doit de se faire respecter sous peine de se faire marcher sur les pieds. « Une bière s'te plaît Lily ! » « Moi aussi ! » Toute la tablée enchaîne en cœur en tapant des poings sur le bois qui vacille sous leurs poids. Tu lèves les yeux au ciel avec un demi-sourire qui trahit ton amusement. Ce soir est une soirée comme les autres, joviale et chaleureuse. Aucun nuage à l'horizon. Armée d'un plateau surplombée par une dizaine de pintes, tu te diriges vers la bruyante bande qui réclame l'élixir miracle. « Et voilà pour vous messieurs. » Tu t'éloignes après avoir reçu une pluie de remerciements. Et tu t'affaires à nettoyer le bar. Tes pensées virevoltant au rythme de tes mains qui rince tantôt les verres, tantôt nettoie les saletés avec un chiffon. Les heures défilent à un rythme endiablé. Tu te permets une petite pause, histoire de prendre l'air et d'observer le ciel étoilé. Une dizaine de minutes plus tard, tu reprends ta place derrière le comptoir, occupée à ordonner les boissons, tu ne le remarques pas. Pas tout de suite. Ce n'est qu'en sentant un regard insistant te vriller le dos que tu te retournes finalement pour apercevoir le visage d'un homme que tu ne pensais plus jamais revoir. Jax Adkins. Cet abruti fini qui a ruiné toute ton enfance. Rien que ça. Passée la surprise, c'est la méfiance qui s'installe. T'aurais préféré qu'il reste là où il était parti, loin d'ici. Loin de toi. Son absence ne t'a pas chamboulée outre mesure mais sa présence te rappelle des souvenirs que tu aurais préféré oublier. « Eh bien, t'as perdu ta langue ? Tu veux boire quoi ? J'ai pas toute la soirée. » Le ton n'est ni agréable, ni complètement indifférent comme tu le souhaiterais. Tu ne peux pas l'ignorer, c'est un client mais tu n'arrives pas non plus à agir comme si c'était quelqu'un de banal. Parce qu'il ne l'est pas. T'aimerais sincèrement qu'il tourne les talons mais t'as la mauvaise impression qu'il a prévu de rester un certain temps. Et la fin de ton service se rapproche dangereusement. Tu caresses subitement l'espoir qu'il t'a jeté aux oubliettes et qu'il ne fera même pas attention à ta petite personne.

Il est loin le temps où tu te baladais l'air de rien et jouait les caïds à l'école. Tu n'as jamais été grand de taille, mais tu as toujours eu des muscles et une grande et belle gueule. Tu te croyais le plus fort, le plus beau et le plus intelligent. C'était tout faux, tu étais un vrai petit con. Ta victime préférée ? Lily bien sûr. Tu as toujours aimé t'en prendre à elle juste par principe. Et les professeurs ne disaient rien, ce n'étaient que des mots blessants que tu lui lançais à la gueule, rien de grave non ? Aujourd'hui encore, tu repenses à ce passé avec nostalgie, il t'avait bien préparé au futur. Gosse, tu ne croyais pas aux légendes de la tribut, d'ailleurs tu étais même l'un des rares à être allé à l'école du village et non pas celle de la réserve. Ta famille avait tenté de te soustraire à l'influence des vieux mâles dominants. Et pourtant, tu étais l'un d'eux. A 19 ans tu avais muté, comme tous les autres. Au début, tu n'avais pas compris, ce qu'il se passait et tu avais pris peur, mais bien vite tu avais trouvé la joie de vivre dans un meute de loups qui se battent contre les méchants. Un rêve de gosse devenu réalité.

Tu avais cessé de traîner avec les humains -normaux- pour rester dans la meute, tu avais cessé de venir aux fêtes et de voir les gens. A 21 ans tu avais coupé tout contact et disparu, tout simplement. Des rumeurs avaient circulé, mais sans rien pour les alimenter elles s'étaient vites tues. Même ta soeur n'avait jamais rien su, pour elle tu étais à Cheyennes et tu étudiais le crime. En réalité, tu en rêvais, mais tu ne pouvais faire un trimestre entier loin de la meute, tu en étais incapable. Peut être plus tard, certains cessaient de muter et reprenaient une vie normale, pour l'instant, tu en étais incapable.

Alors pourquoi ce soir-là étais-tu descendu ? Un ordre direct d'un alpha évidemment. Puisque tu n'avais pas mis les pieds à Hanna depuis 5 ans, beaucoup avaient même oublié ton visage. Tu devais jouer l'étranger pour tenter d'obtenir des informations. Tu savais que l'idée était foireuse, un village comme Hanna est trop petit, au moins une personne te reconnaîtrait - si tu ne croisais pas ta soeur, pire scénario - et l'entourloupe ne fonctionnerait probablement pas, mais comme tu n'avais pas le choix, tu étais descendu dans le petit bar du coin.

Une fois assis en face de la barmaid, tu avais attendu qu'elle se retourne, en fixant sa nuque. Prête à lâcher une blague salace ou une autre connerie du genre. Sauf qu'elle s'était retournée. Et là, ça avait été la fin. Ou le tout début. C'était comme si ton coeur battait pour la première fois, comme si tes yeux découvraient ce que voir veut dire. Comme si la réponse de l'univers venait de t'être donnée et qu'elle était cette fille. Cette putain de fille qui t'était liée pour toujours. Il était impossible qu'il en fut autrement. Et puis ton cerveau se remit en marche. Cette fille tu la connaissais. C'était Lily Shepard. Et ton coeur redoubla d'intensité quand tu te mis à penser à ce nom. Elle était le pire scénario possible - oui pire que ta soeur - mais le plus beau et le plus doux à la fois. Elle était celle qui t'était destinée depuis ta naissance, ton imprégnée. Et elle ne le savait même pas.

Tu sursautes à son ton. Il n'est pas doux, elle te reconnaît, évidemment comment aurait-elle pu t'oublier. « Hein ? Boire ? Ah, oui. » Tu marmonnes, destabilisé. Tu baisses tes yeux vers la carte, mais ça te paraît horrible, atroce, comment peux-tu regarder autre chose qu'elle ? Son regard est ta raison d'être. Il faut que tu l'observes chaque seconde. Elle va te prendre pour un fou. « Une pinte, de blonde. » lâches-tu finalement. Tu as envie de lui parler, de lui dire un truc, tout ou n'importe quoi. Sauf que tu ne sais pas quoi. « Shepard en barmaid, je l'aurais pas cru. » finis-tu par lâcher.

De toutes les personnes que tu ne souhaitais absolument pas revoir, il faisait parti de ton top 5. T'aurais bien aimé que le Karma s'acharne sur sa gueule d'ange arrogante mais il est encore plus resplendissant qu'auparavant. « Hein ? Boire ? Ah, oui. » Ok, ça commence mal. Tes doigts pianotent sur le comptoir à mesure que ta patience se fait la malle. Tu retiens mal une réplique cinglante de traverser le barrage de tes lèvres, irrémédiablement scellées. C'est un client. Tu te martèles ce mantra pour éviter de lui refaire la tête au carré. Et qu'il arrête de te regarder comme si t'étais la septième merveille du monde. C'est quoi son problème ? « Une pinte de blonde. » Enfin. Tu t'empresses de lui servir sa boisson, focalisant ton attention sur tes gestes aussi précis que rapides. Ça t'évite d'avoir à l'affronter pendant un temps. T'espère même qu'il va lever ses grosses fesses et tourner les talons lorsque tu poses son verre devant lui mais il tente de faire la conversation. « Shepard en barmaid, je l'aurais pas cru. » Eh merde, il m'a réellement reconnu. Tu hausses un sourcil et retourne à tes occupations. « On est vraiment pas obligé de faire comme si on était pote. J'suis pas intéressée. » Cette fois-ci, le cynisme ne se cache plus alors que tu t'éclipses dans la salle pour récupérer les verres qui traînent sur les tables et tu prends tout ton temps. Tu parles même aux habitués en priant qu'à ton retour, il aura déguerpi mais non, il est toujours là. Et l'horloge finit par sonner la fin de ton service. « T'essaies de faire des heures supp' Lily ? Allez file, je prends ta place. » Ton collègue te balance haut et fort et tu esquisses un sourire qui sonne faux. « Tu me connais, j'ai une certaine conscience professionnelle. » Son rire ne parvient pas à calmer la colère qui gronde en toi. Il a mis les deux pieds dans le plat sans le savoir. T'attrapes tes affaires sans demander ton reste et files à l'anglaise en souhaitant férocement qu'Adkins ne te suive pas. Ce fantôme de ton passé qui n'a plus sa place dans ton quotidien duquel tu l'as complètement effacé. La connexion que tu ressens insidieusement en sa présence te déstabilise, tu tiens à mettre de la distance entre lui et toi.

Le monde tourne et retourne autour d'elle. Et tu remarques tout ce que tu n'avais jamais vu. La forme de son visage, délicieusement ovale, ses yeux qui pétillent et qui brillent -même en te lançant des éclairs-, son grain de peau, terriblement séduisant. Tout ton être est attiré par elle, tu ne peux même pas le réfréner, même pas t'en empêcher. Et pourtant, tu le dois.

« On est vraiment pas obligé de faire comme si on était pote. J'suis pas intéressée. »

Sa remarque assassine te fait pratiquement sursauter. Comment réagir, comment répondre ? Tu as envie de la couvrir de baiser, mais tu sais que jamais elle ne se laisserait faire. Ce n'est plus la gamine que tu terrorisais. C'est une femme maintenant et vu son air, elle ne te laissera pas lui faire le moindre mal. Tu te racles la gorge, faute de meilleure réponse. Et tu te forces à prendre un air détaché, histoire de ne pas la regarder. Même si tu n'as qu'une envie : lever les yeux vers elle et l'admirer encore.

« Ah ça non, on n's'ra jamais potes. » Les mots sont mal choisi et vont peut être la déstabiliser, mais tu n'avais rien de mieux à sortir. Putain, qu'est-ce qu'elle va bien se foutre de ta gueule quand elle apprendra combien tu donnerais ta vie pour elle.

Elle se lève et fait le tour de la salle, pour ramasser les verres, discuter avec les habitués. Et là, tu réagis, enfin. Tu ne peux pas être tombé amoureux d'elle. Cette gamine débile, cette enfant inintéressante. Pourtant, si ton esprit pense cela, ton coeur souffre. Mais c'est pas possible, tu ne peux pas. Il ne faut pas. Tu serres le poing de toute tes forces et boit ta bière. La brulure de l'alcool est trop faible, tu aurais aimé un sillon pur qui traverse tes veines, cette brulure qui t'aurait détourné les pensées de cette... jeune femme fantastique. Putain.

« T'essaies de faire des heures supp' Lily ? Allez file, je prends ta place. »

La voix du nouveau barman te tire de tes pensées. Qu'est-ce qu'il faut comprendre ? Ah oui, tu dois partir, vite, la fuir, au plus vite. La mission qui t'amène ici ? Tu t'en fiches, tu vas rentrer chez toi, et tout oublier. Elle ne peut pas te faire subir ça, tu le refuses.

Machinalement tu lèves les yeux et ton regard s'arrête sur son visage. Et tu sais que tu viens de mentir, tu ne peux pas la fuir, tu ne peux qu'aller dans sa direction. Tu laisses une quantité d'argent sur le comptoir -aucune idée de combien- et tu sors. Comme elle.

« Yo Lily, t'enfuis pas. »

Tu voulais lancer ça d'une voix douce, mais tu as tout faux. Ton ton est rauque, grave. Limite, tu fais prédateur sexuel.

« On est pas obligé d'être potes, mais j'te raccompagne, toute seule dans la nuit, c'est dangereux. Ta maman t'a jamais dit ? »

Actuellement, c'est toi le plus gros danger de la région et pourtant, tu ne lui toucherais pas le moindre cheveux ce soir. Mais bon, un petit mensonge de plus, tu n'en es plus à ça près. Elle va jaillir et te frapper, c'est sûr, mais tu as un tel besoin de sentir sa peau que tu prendrais n'importe quelle baffe.

« Ah ça non, on n's'ra jamais potes. » Cette vindicte, allant pourtant dans ton sens, provoque en toi une certaine insatisfaction. Insatisfaction ? Tu ne comprends aucune des réactions qui se déclenchent en sa présence alors que ton esprit raisonné est incapable de le voir autrement que comme ce petit connard prétentieux ayant ruiné ton enfance. Il est vitale que tu t'éloignes de lui pour te ressaisir. Alors quoi, tu passes deux secondes en sa compagnie et il te fait perdre tous tes repères ? C'est du grand délire. Tu essaies de t'en persuader alors que tu  le fuis. Il y a quelque chose qui commence à naître en toi. Un truc étrange qui te pousse à vouloir passer plus de temps en sa compagnie. Et c'est cette connexion grandissante qui t'effraie. Tu avais fini par t'asseoir sur cette rancœur qu'il a provoquée. T'avais réussi à aller de l'avant et tirer un trait définitif sur son passage dans ta vie et le voilà qui ressurgit du jour au lendemain, créant un maelstrom de sentiments qui te donne le tournis. Sans te retourner, tu décides de mettre rapidement de la distance entre vous deux. Sûrement que la fatigue te joue des tours. Ça ne peut être que ça, n'est-ce pas ? « Yo Lily, t'enfuis pas. » Pourtant sa voix grave, suave, remuant bien trop de choses invraisemblables dans tout ton être, te surprend et te fait ralentir la cadence bien malgré toi. Bordel, il m'a marabouté ou quoi ? « On n'est pas obligé d'être potes, mais je te raccompagne, toute seule dans la nuit, c'est dangereux. Ta maman t'as jamais dit ? » Un éclair de colère illumine un instant tes pupilles et ses palabres te permettent, un tant soit peu, de reprendre tes esprits. « T'es sérieux ? Tu crois que je faisais comment sans toi avant ? L'histoire du prince débarquant sur son cheval blanc pour sauver la demoiselle en danger, c'est dépassé et j'suis pas en détresse donc te sens vraiment pas obligé de me suivre Adkins. » Le cynisme habille chacun de tes mots alors que tu te retournes pour lui faire face, dans l'idée de le dissuader d'aller plus loin, mais il est beaucoup plus proche que ce que tu pensais et tu te heurtes contre sa carcasse. Cette proximité inattendue ne t'aide absolument pas à garder les idées claires et ton assurance fond comme neige au soleil. D'un pas maladroit, tu t'extirpes de ce traquenard, déstabilisée par les sensations nouvelles qui agitent tes entrailles. « Tu peux pas faire attention où tu marches ?! » La mauvaise foi pour cacher ton trouble tandis que tu reprends ton chemin, complètement perdue. Qu'est-ce qui te prend ? « Ne me suis pas, j'suis sérieuse. » Un dernier avertissement avant que tu perdes complètement la tête. Tu ignores tout de ce qui va se passer si tu restes plus longtemps à ses côtés. A croire que t'es victime d'un sortilège. Il ne peut pas en être autrement... Sinon pourquoi tu ressentirais des envies contraires éclore au fur et à mesure des minutes filant en sa compagnie ?

Tu le sais que c'était une mauvaise idée, que la suivre ne vous apporterait rien de bon, pourtant c'est bien plus fort que toi. Et quand ses yeux se mettent à lancer des éclairs de colères, tu ne peux t'empêcher de sourire. Tout en reculant tout de même. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?

La comparaison avec le Prince ne te plait pas. Pas du tout. C'est comme ça qu'elle te voit déjà ? Un mec en chien sur elle ? Bon certes, tu es FOU d'elle, mais ça ne vient pas de toi. Elle aurait été la dernière choisie si tu avais pu avoir le choix. Pourtant, là, en la voyant briller sous les douces lumières des étoiles, en voyant sa posture si fière, en entendant sa voix posé et colérique, tu vibres d'amour. Fais chier. T'as rien demandé, mais tu ne vois pas comment faire autrement que lui courir après, jusqu'à ce qu'elle en ait marre.

Tu n'as pas le temps de lui répondre qu'elle est collée à toi. Sûrement une erreur de sa part, mais tu apprécies chaque seconde. Bien trop vite elle s'éloigne. « Tu peux pas faire attention où tu marches ?! »  Tu hausses un sourcil, rieur. Pourtant sa colère est si présente et tu sens qu'il faut calmer le jeu, mais tu aimes sincèrement et profondément chaque partie d'elle. C'est insensé. « Pardon votre altesse, je prendrai l'autre trottoir la prochaine fois. » Tu tentes l'humour, mais même là tu te trahis. Tu lui assures qu'il y aura une prochaine fois, et une autre encore.

« S'il te plaît. » lances-tu en la voyant s'éloigner à nouveau, bien trop vite. C'est la première fois que tu la supplies et tu sais qu'elle le sait. « Donne moi une chance de » de quoi au juste ? T'expliquer ? Lui avouer la vérité ? Non, tu passerais pour un fou, c'est trop tôt. Et inventer une histoire de danger pour veiller sur elle ne ferait que s'énerver d'avantage. « Attends... tu m'vois vraiment comme un prince ? J'en mérite pas tant. » Détourner le sujet, avec un large sourire. Normalement ça marche, toujours, mais avec elle... tu ne sais pas.

Il est toujours là. Il ne s'en va pas et étrangement, tu aimes son insistance. QUOI ? Qu'est-ce qui cloche chez moi ? Pourquoi j'ai envie de passer plus de temps en sa compagnie... ? Tu secoues la tête, déchirée entre ton cœur et ta raison. « Pardon votre altesse, je prendrai l'autre trottoir la prochaine fois. » La prochaine fois ? Parce qu'il y'en aura d'autres ? Cette perspective te réjouit plus qu'elle ne le devrait. Décidément, tu ne comprends pas ce qui se passe. Cette connexion t'empêche de complètement lui tourner le dos. La folie va finir par prendre les commandes. Trop d'émotions contraires t'envahissent sans que tu en connaisses les tenants et les aboutissements. « S'il te plaît. » Ces trois mots t'arrêtent dans ta lancée. « Donne moi une chance de... » Tu te retournes lentement, incapable de faire autrement. Il a clairement capté ton attention et ton corps réagit bien plus vite que ton cerveau qui n'arrive pas à traiter les informations qu'il a en sa possession. « De quoi ? » Tu te surprends à lui demander sur un ton un peu moins belliqueux. « Attends... tu m'vois vraiment comme un prince ? J'en mérite pas tant. » Prise au dépourvue et alors qu'il retourne habilement ta propre réplique contre toi, il arriverait presque à faire ployer ton assurance. Il te faut te ressaisir et vite. Tu t'avances, pas certaine de ce qui va se passer et te plante juste devant lui. « Qu'est-ce que tu veux Adkins ? » Et qu'est-ce qui se passe ? Putain ! T'as l'impression qu'un aimant vous relie maintenant et vous force à vous  rapprocher. Tu luttes pour ne pas céder davantage de terrain parce que t'as déjà abandonné certaines de tes réticences et que t'es toujours là. Il a toujours été aussi beau ? Hein ? De nouvelles pensées traversent ton esprit et t'effraient presque. Partagée entre la panique et la curiosité, tu vas réellement finir par disjoncter. « Pourquoi..tu t'intéresses à moi tout d'un coup ? » La question t'échappe et tu recules, gênée de le laisser voir une partie de ta vulnérabilité. « Oublie ce que je viens de dire, je dois rentrer. » Tu prends de la distance en sachant pertinemment que si il te retient, t'arriveras pas à le repousser une nouvelle fois. Il est à deux doigts de te faire céder et dans un sens, t'as la drôle d'impression qu'il le sait.

Et ça marche ! Ta diversion involontaire fonctionne. Elle s'arrête et tu sens que sa colère descend. D'ailleurs, ça te rend fou de voir tout ce que tu ressens d'elle alors que tu ne l'as même pas demandé, au moins ça te permet de mieux la comprendre pour savoir comment agir. Pitié qu'elle ne ressente pas la force de l'attraction démesurée que tu lui portes, car même si tu en es heureux de ce sentiment qui te pousse à exister (tu le comprends au fur et à mesure), tu n'es pas encore prêt à tout lui dévoiler.

« Qu'est-ce que tu veux Adkins ? »

C'est à cet instant que tu comprends qu'elle ne saisit pas ce qu'il se passe, qu'elle ne sait pas et qu'elle ne pourra pas en connaître la cause tant que tu ne lui dis pas. Et ne rien lui dire te brise le coeur, mais pour l'instant tu ne peux juste pas. C'est impossible de dévoiler ce que tu ressens, tu dois en parler avec quelqu'un, ne pas devenir fou. Pourtant, pourtant, il faut qu'elle sache. Parce que tu ne vas plus la quitter d'une semelle. Chaque ruelle sombre t'appelle et te montre tout ce qu'elle peut subir, chaque psychopathe qui passera te fait frémir, elle est trop pure pour qu'il lui arrive quoique ce soit.

« Oublie ce que je viens de dire, je dois rentrer. »

Elle ment et tu es resté silencieux. Immobile, incapable de lui répondre à ses questions précédente. Pourtant elle veut savoir et tu ressens comme une fragilité en elle, sur laquelle tu n'arrives pas à mettre un doigt précis, même si tu saisis l'idée générale.

Puis elle s'éloigne, juste un pas ou deux, mais ça te suffit pour paniquer. Et, avant que ton cerveau ne décide quoique ce soit, ton corps agit comme par réflexe. Et tu lui attrapes la main. Putain de chaleur qui jaillit dans ton coeur, putain d'électricité qui te remplit, putain de frisson qui t'apaise. Ce contact te brûle autant qu'il te fait du bien. Et elle, qu'est-ce qu'elle ressent ?

« Ok, je voulais pas te le dire, tu vas paniquer, mais il y a un vrai danger sur la ville, un gang voulait.. bref, on m'a envoyé en éclaireur. » Tu joues la comédie, ment au fur et à mesure, tu lui dis qu'elle est faible histoire qu'elle ait envie de se rebeller, tu sais bien qu'elle déteste qu'on la traite de faible. Pourtant il te faut une histoire plausible et, trempé comme tu l'es dans le mystique, tu n'en as pas. « Je sais que tu n'en as rien à faire de moi, je sais que tu ne me pardonneras jamais » Et ce pincement au coeur que tu ne pensais jamais ressentir te blesse profondément. « Mais je suis là pour veiller sur toi. S'il te plaît, laisse moi te protéger au moins pour une nuit. » Tes derniers mots sont si sincères si puissant qu'elle doit en sentir la vérité.

Tu ne sais pas d'avance sa réaction mais tu les imagines toute, elle te tombe dans les bras et t'embrasse - absolument pas crédible mais tu as envie de rêver -, elle rigole - acceptable -, elle te fout une claque - tu ne l'espères pas -, elle se barre en courant - et tu la rattraperais encore plus vite -, elle se questionne et reste près de toi et là, tu sais que tu as gagné.