Bientôt cinq ans. Le 12 décembre 2024, ça fera cinq ans qu'Alexis aurait définitivement, l'espérait-elle, tourné une page de sa vie. Ou plutôt même un chapitre entier, qui aura duré presque dix ans. Dix années de sa vie dont elle ne garde que des souvenirs vagues, flous, lointains. Elle en garde des sensations, des odeurs, des vertiges plutôt que des images. Des années perdues mais c'était soit ça, soit perdre toutes les autres aussi. Des années sacrifiées, au nom de la douleur, pour la vie, avec l'espoir qu'elle soit toujours là, après.

Par chance, elle était là, elle l'attendait. Au début : déception, ennui, manque. Toujours. Le temps passait tellement plus lentement, c'est presque comme si elle pouvait voir les secondes, les minutes, les jours défiler devant ses yeux. Tout ça pour ça. Tout ça pour pas grand chose. Pour un appart minuscule, une chambre à peine. Un travail qui n'apportait rien d'autre qu'un peu d'argent, qu'il fallait apprendre à utiliser, à compter. Des relations mais doucement, tranquillement, il ne fallait pas se précipiter, au risque de retomber. Prendre son temps, prendre son mal en patience, voir les secondes, les minutes, les jours passer. Le soir, ennui. Des heures entières, mais pour quoi faire ? Il fallait tout apprendre : dormir, manger, se doucher, se lever. Tout était si dur, tout était étranger, à apprivoiser. Plus besoin de survivre, besoin de vivre. Besoin d'être là, présent, et pas ailleurs, dans cet ailleurs là où il n'y avait besoin de rien. Et puis, besoin d'elle. Là, ça a commencé à changer.

Aujourd'hui, presque cinq après qu'Alexis a accepté la vie, les choses ont bien changé. Elle a changé, et ceux à ses côtés sont là pour en attester. A présent, c'était à son tour d'être témoin du changement des autres. Aujourd'hui, Alexis sera présentée comme sponsor à la réunion. Elle aurait préféré attendre le 12, mais tant pis pour la symbolique. Elle était prête, se répétait-elle devant le miroir de sa salle de bain, les cheveux encore humides et les yeux brillants. Elle était prête à accepter sa nouvelle place. Elle avait fait la paix avec l'idée que ça ne rattrapera pas le passé, mais peut-être que ça pourrait permettre de ne pas laisser le futur filer entre les doigts de ceux qui en avaient encore un.

Mercredi, réunion hebdomadaire. Alexis rentre dans la pièce spacieuse d'un local aux murs gris, au sol gris, qui ont accueillies depuis des années des histoires, des pleurs, des rires, des annonces tragiques mais aussi parfois attendues avec espoir, et réceptionnées avec joie et fierté. L'odeur de café, chaude et amère, les sourires, timides ou francs, les yeux, cernés et perçants, enveloppent Alexis avec douceur ; l'attente qui règne dans la pièce arrive jusqu'à elle, et elle sent son cœur commencer à battre plus vite, plus fort. Elle prend place parmi des visages pour la plupart connus, et après avoir accusé réception d'un signe de tête à son égard, elle se lève, et dit, ne pouvant contenir plus longtemps le sourire qui apparaissait sur ses lèvres : "Bonjour, je m'appelle Alexis, et je suis très reconnaissante d'être parmi vous aujourd'hui. Dans quelques jours, ça va faire cinq ans... Et on m'a proposé de devenir sponsor, à mon tour, ce que j'ai accepté. J'espère pouvoir vous rendre un peu de ce que vous m'avez apporté, ces dernières années, et je sais que j'apprendrais encore beaucoup à vos côtés. Merci à vous toutes et tous." En se rasseyant, son regard croisa celui de Klaus. Ça faisait longtemps, se dit-elle.