Ces conversations sont toujours les pires. Toujours. Si au moins Mason avait été un connard... s'il avait mesquin, rageur ou hostile tout ça aurait été plus facile. Tellement plus facile. Tu aurais pu tirer un trait pour de bon à toute cette histoire. Écrire et compléter ton épilogue d'un seul et unique mot.
Salaud.
Et fermer le livre.
Où est cette partie de toi qui crache sur les vieilles pages du passé et qui s'exalte de nouvelles histoires d'un soir?
La buée glisse entre tes lèvres dans un soupir. Tu frisonnes et serres un peu plus les pans de ta veste sur tes côtes. Est-ce comme ça que tu t'imaginais vos retrouvailles? Dans ton imagination, les choses étaient de loin à ton avantage.
Un cocktail à la main, un Adonis quelconque à ton bras et toute la confiance d'un homme qui a oublié comment aimer.
Tu gardes les yeux au sol. Ta nicotine te manque déjà. Toi qui n'arrêtais pas d'épier le couple tout à l'heure... Tu n'ose plus le regarder. Car l'allemand ne fait plus barrage à tes fantaisies. Le silence s'installe, avec les souvenirs. Les premiers regards, les premiers baisers volés.
Le premier baiser. Oh! Son joli petit air offusqué! Les joues rouges. L'inquiétude d'avoir commis le péché originel. Tu avais éclaté de rire et tu l'avais embrassé encore et encore...
Là, dans ce cimetière, les morts sont vos témoins et vos juges. Tu as vieillis, Dafydd. Tu as appris tes leçons. Tu as compris que tes gestes volages n'étaient pas toujours romantiques. Et que chacun d'entre eux avaient leurs conséquences.
Tu étais son client. Son usager. Il avait une responsabilité envers toi. Envers tous les putains de camés de Camden Town. Une autorité, un travail à accomplir. De l'aide à donner.
Et toi? Toi, tu n'avais pensé qu'à toi, comme toujours.
Tu lèves les yeux vers lui et enfouis tes mains dans tes poches.
"C'est moi ou la température a baissé?"
Encore une tentative de détourner la conversation. Tu es un lâche, Dafydd.
Tu les entends, ses excuses. Elles font leur chemin sous ton joli veston jusqu'à ta poitrine. Tu sais qu'elles sont sincères. Tu sais que Mason croit vraiment à ce qu'il dit. Tu le connais.
Ce n'est pas un menteur, lui.
Silence. Le vent souffle dans les branches, quelque part. Les morts t'écoutent.
" Je savais que ton job, c'était ta passion. Je connaissais la déontologie, je connaissais les règles... Je savais que tout ça était dangereux. Pour toi. Pour ton job. Pour ta carrière. Moi, je n'avais rien à perdre. Alors je m'en foutais."
Hésitations.
"Je t'en ai voulu longtemps, tu sais... Mais au final... c'est moi qui nous a mis tou les deux dans le pétrin, non?"
Sourire triste.
"Moi aussi, je te dois des excuses. Pour tout ça. Pour ta vie brisée à Londres. Pour Adam.... Bordel, quelle poisse...."
Tu t'avances d'un pas. Et puis un autre. Le sens-tu le désir? C'est comme si rien n'avait changé. Seulement quelques rides, par-ci, par-là. Quelques regrets et beaucoup de leçons. Rien n'a vraiment changé, non.
À part, peut-être, que tu n'es plus son client et qu'il n'y a plus vraiment d'autres interdits que ceux que vous vous inventerez. Tu avances la main, pour toucher sa joue.
"Tu peux toujours le rappeler, tu sais? Adam. Moi, c'est ce que je ferais. Mais, tu sais que moi, je finis toujours par n'en faire qu'à ma tête."